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25/11/2020 | FRANCE | N°18-26272

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 25 novembre 2020, 18-26272


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 novembre 2020

Cassation sans renvoi

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 694 F-D

Pourvoi n° D 18-26.272

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020

La société [...], dont le siÃ

¨ge est [...] , a formé le pourvoi n° D 18-26.272 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 25 novembre 2020

Cassation sans renvoi

Mme MOUILLARD, président

Arrêt n° 694 F-D

Pourvoi n° D 18-26.272

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020

La société [...], dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° D 18-26.272 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la Banque de Polynésie, société anonyme, dont le siège est [...] ,

2°/ à M. L... E..., domicilié [...] , représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société [...],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société [...], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Banque de Polynésie, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 20 septembre 2018), par trois actes authentiques du 2 février 2007, la société [...] a constitué, sous la forme d'un « cautionnement hypothécaire », une sûreté réelle sur un terrain, au bénéfice de la Banque de Polynésie (la banque), en garantie de trois emprunts contractés auprès de celle-ci par la Société de développement de Moorea (la SDM).

2. La SDM a été mise en liquidation judiciaire le 28 novembre 2011.

3. Le 9 décembre 2013, la banque a fait délivrer à la société [...] un commandement de payer le solde des emprunts ou de délaisser l'immeuble. Ce commandement étant demeuré infructueux, la banque a poursuivi la procédure de saisie immobilière.

4. Le 13 octobre 2014, la société [...] a elle-même été mise en redressement judiciaire.

5. Le 5 novembre 2014, le tribunal civil de première instance de Papeete a constaté, à la demande de la société [...], l'arrêt de la procédure de saisie immobilière en raison de l'ouverture de la procédure collective.

6. Le 25 novembre 2014, la banque a déclaré au passif du redressement judiciaire de la société [...] ses créances garanties par la sûreté réelle qui lui avait été consentie.

7. Par une ordonnance du 29 février 2016, le juge-commissaire, considérant que la société [...] n'avait pas contracté d'obligation personnelle à l'égard de la banque, a déclaré sa «production irrecevable. »

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La société [...] fait grief à l'arrêt d'admettre les créances déclarées par la banque, alors « qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui ; que le créancier titulaire d'un cautionnement réel ne détient donc aucun droit personnel sur celui qui a constitué cette garantie, de sorte que le cautionnement réel ne peut donner lieu à une déclaration de créance entre les mains du représentant des créanciers à la procédure collective du constituant de cette garantie ; qu'en retenant que la banque, bénéficiaire d'un cautionnement réel consenti par la société [...], pouvait, en qualité de créancier réel, déclarer sa créance à la procédure collective de cette dernière, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en Polynésie française. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, applicable en Polynésie française :

9. Une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'impliquant aucun engagement personnel du constituant de cette sûreté à satisfaire à l'obligation d'autrui, le créancier bénéficiaire d'une telle sûreté ne peut agir en paiement contre le constituant, qui n'est pas son débiteur, et il n'a pas, par conséquent, à déclarer de créance à la procédure collective de celui-ci.

10. Pour admettre les créances déclarées par la banque, l'arrêt retient que, si l'emploi du terme de « caution réelle » apparaît impropre à qualifier la situation juridique de celui qui a affecté un bien en garantie de la dette d'un tiers, il n'en demeure pas moins « débiteur réel » envers le créancier bénéficiaire de cette sûreté réelle et qu'exclure la créance de la banque du passif déclaré de la société [...] ne permettrait pas la mise en oeuvre d'un plan exhaustif.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Selon l'article L. 621-104 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005, au vu des propositions du représentant des créanciers, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances de sorte qu'il ne peut déclarer la « production » d'une créance irrecevable mais doit procéder à son admission ou à son rejet.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 18 avril 2016 ;

REJETTE les créances déclarées par la Banque de Polynésie au passif de la société [...] ;

Condamne la Banque de Polynésie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société [...].

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir inscrit à l'état des créances de la société [...] les créances déclarées par la Banque de Polynésie, à savoir le prêt no [...] accordé à la Société de Transports Insulaires Maritimes (STIM) et les trois prêts nos [...], [...] et [...] accordés à la Société de Développement de Moorea (SDM) pour un montant total de 170.222.490 de francs CFP ;

AUX MOTIFS QUE la société [...] a contesté ces créances au motif que : « M. M... s'est porté caution hypothécaire à l'instar de son épouse de la SMD. L'avenant du 2 février 2007 porte mention de sa signature à ce titre. Une lecture attentive de ce document permet cependant d'apprécier que nulle signature n'a été apposée au nom et pour le compte de la société [...]. La société n'est donc pas liée par ce contrat et la créance alléguée par la banque ne pourra (qu') être rejetée. » ; que la Banque de Polynésie a répondu au représentant des créanciers que, s'agissant des prêts SDM, cette contestation avait déjà été jugée et rejetée par un jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 4 juin 2014 devenu définitif après un désistement d'appel ; qu'il était ainsi établi que la société [...] est valablement engagée par la signature apposée par M. M... pris en sa qualité de gérant de cette société ainsi que chacun des actes le mentionne ; que, s'agissant du prêt STIM, l'acte authentique mentionne bien la présence du représentant légal de la société [...] qui l'a signé en ce qualité ; que le représentant des créanciers a inscrit ces créances en passif contesté ; que la société [...] et la Banque de Polynésie ont maintenu devant le juge-commissaire leurs moyens respectifs ; que par ordonnance du 29 février 2016, non frappée d'appel, le juge-commissaire a retenu qu'il est de jurisprudence constante que l'intervention d'une même personne, en l'espèce M. M..., dans un acte notarié en une double qualité constatée par le notaire n'impose pas la nécessité d'une double signature au titre de chaque qualité, et que la société [...] a donc été valablement engagée par la signature de son gérant apposée sur les actes notariés ; mais que la caution hypothécaire n'a pas d'obligation personnelle, mais une obligation réelle, autrement dit son engagement n'implique pas une obligation pécuniaire mais une obligation réelle : seul le bien est susceptible d'être appréhendé en cas de défaut de paiement par le débiteur principal ; qu'en effet, le défaut de paiement par le débiteur principal n'entraîne, pour la caution hypothécaire, que l'obligation d'amener son immeuble en garantie, notamment par le biais d'une saisie immobilière, et non l'obligation de payer la dette ; que les débats ont été rouverts pour permettre aux parties de conclure sur ce moyen d'irrecevabilité de la production de la créance de la Banque de Polynésie ; que l'ordonnance du 18 avril 2016 dont appel a été rendue après que la Banque de Polynésie ait répondu à ce moyen soulevé d'office ; qu'elle a retenu que la Banque de Polynésie n'était pas recevable à produire sa créance au passif du redressement judiciaire de la société [...], au motif que cette dernière n'avait pas d'obligation personnelle à son égard, puisque le défaut de remboursement des prêts par le débiteur principal, les sociétés SDM et STIM, n'entraînait pour la société [...], caution hypothécaire, que l'obligation d'amener son immeuble en garantie, notamment par le biais d'une saisie immobilière, et non l'obligation de payer la dette ; que dans son arrêt no 16/00187 du 23 novembre 2017 précité, la cour a retenu, s'agissant de l'arrêt de la procédure de saisie immobilière exercée par la Banque de Polynésie contre la société [...] en redressement judiciaire, en application de la règle de la suspension provisoire des poursuites individuelles, que cette instance tendant bien au paiement d'une somme d'argent, même si la banque n'avait d'action que sur l'immeuble affecté par la société [...] en garantie des emprunts souscrits par la société SDM ; que le commandement aux fins de saisie immobilière comportait en effet l'injonction faite à la caution de payer la créance du débiteur principal ou de délaisser son immeuble ; que pour s'opposer à la déclaration de créance de la Banque de Polynésie, le représentant des créanciers de la société [...] invoque une jurisprudence selon laquelle une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui ; qu'il fait valoir que l'obligation réelle que détient le créancier hypothécaire à l'encontre du détenteur n'est pas une action en paiement ; que la société [...] conclut identiquement sur ce point ; que cependant la Banque de Polynésie invoque à bon droit une autre jurisprudence aux termes de laquelle, si l'emploi du terme de caution réelle apparaît impropre à qualifier la situation juridique de celui qui a affecté un bien en garantie de la dette d'un tiers, il n'en demeure pas moins débiteur réel envers le créancier bénéficiaire de cette sûreté réelle ; que la Banque de Polynésie en conclut justement qu'en qualité de créancier réel de la société [...], elle doit déclarer sa créance à la procédure collective, même si, dans une autre instance, elle a soutenu que l'arrêt des poursuites individuelles ne concernait pas sa créance ; que dans son arrêt no 16/187 du 23 novembre précité, la cour a au demeurant retenu qu'il est de l'essence de la procédure de redressement judiciaire de soumettre l'ensemble des créanciers antérieurs à un régime unique de poursuites, tout en garantissant que les actifs de l'entreprise ne seront pas préemptés tant que la faisabilité d'un plan de redressement ou de cession n'a pas été examinée ; qu'or, exclure la créance de la Banque de Polynésie du passif déclaré de la société [...] ne permettrait pas la mise en oeuvre d'un plan exhaustif ;

1°) ALORS QU'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui ; que le créancier titulaire d'un cautionnement réel ne détient donc aucun droit personnel sur celui qui a constitué cette garantie, de sorte que le cautionnement réel ne peut donner lieu à une déclaration de créance entre les mains du représentant des créanciers à la procédure collective du constituant de cette garantie ; qu'en retenant que la Banque de Polynésie, bénéficiaire d'un cautionnement réel consenti par la société [...], pouvait, en qualité de créancier réel, déclarer sa créance à la procédure collective de cette dernière, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en Polynésie française ;

2°) ALORS QU'en retenant, pour décider de l'inscription des créances déclarées par la Banque de Polynésie à l'état des créances de la société [...], qu'exclure la créance de la Banque de Polynésie « ne permettrait pas la mise en oeuvre d'un plan exhaustif », la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-43 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en Polynésie française ;

3°) ALORS QUE la société [...] faisait valoir que les cautionnements hypothécaires consentis pour garantir les prêts accordés aux sociétés SDM et STIM par la Banque de Polynésie, lui étaient inopposables, faute d'avoir été signés par M. M... en tant que gérant (conclusions, p. 2-4) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-26272
Date de la décision : 25/11/2020
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 20 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 25 nov. 2020, pourvoi n°18-26272


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Cabinet Colin-Stoclet, SCP Célice, Texidor, Périer

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.26272
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