LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 novembre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 836 F-D
Pourvoi n° T 19-21.022
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 NOVEMBRE 2020
1°/ M. A... E... ,
2°/ Mme Q... U... , épouse E... ,
tous deux domiciliés [...] ,
3°/ la société Batyllis, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° T 19-21.022 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2019 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. W... H..., domicilié [...] ,
2°/ à Mme T... H..., épouse X..., domiciliée [...] ,
3°/ à Mme I... L... C..., domiciliée [...] ,
4°/ à Mme M... R..., épouse Y..., domiciliée [...] ,
5°/ à M. B... P..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Béghin, conseiller référendaire, les observations de Me Le Prado, avocat de M. et Mme E... et de la société Batyllis, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat des consorts H..., après débats en l'audience publique du 22 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Béghin, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme E... et à la société Batyllis du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mmes C... et R....
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 juin 2019), M. W... H... et Mme T... H... (les consorts H...), se prévalant d'une servitude de vue au bénéfice de leur fonds bâti, ont assigné M. et Mme E... , ainsi que M. P..., architecte, en démolition du pavillon qu'ils avaient construit sur une parcelle contigue et dont la société civile immobilière DRM était le véritable propriétaire. Assignée en intervention forcée, la société Batyllis, acquéreur de la parcelle supportant la construction litigieuse, a demandé la garantie de M. P....
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. M. et Mme E... et la société Batyllis font grief à l'arrêt de condamner M. P... à garantir la société Batyllis dans la limite seulement de la moitié des frais de démolition et de finition résultant de cette démolition, alors :
« 1°/ que le manquement de l'architecte à son obligation de renseignement et d'information à l'égard du maître de l'ouvrage, relativement aux servitudes bénéficiant aux fonds voisins, engage sa responsabilité pour l'ensemble des préjudices en ayant résulté ; qu'en accueillant le recours en garantie exercé par la société Batyllis contre M. P..., architecte, à raison des condamnations prononcées à son encontre du fait de l'atteinte portée à la servitude de vue tenue pour établie au bénéfice du fonds des consorts H..., à hauteur seulement de la moitié de ces condamnations, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°/ en toute hypothèse, que n'est pas fautif le fait, pour le maître de l'ouvrage, de ne pas avoir déféré à la demande d'un voisin tendant à l'arrêt des travaux lorsque son architecte, dûment informé, ne l'a pas invité à les interrompre ; qu'en retenant, pour limiter la garantie de M. P... à la moitié des frais induits par la condamnation prononcée à l'encontre de la société Batyllis à démolir une partie de la construction litigieuse et à procéder à des travaux de finition, que M. et Mme E... avaient commis une faute en résistant de façon réitérée aux multiples alertes de M. H..., sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. P... n'avait pas été informé de la situation et ne s'était pas abstenu de les inviter à arrêter les travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°/ en toute hypothèse, que n'est pas fautif le fait, pour l'acquéreur d'un immeuble construit en méconnaissance d'une servitude de vue qui, au jour de l'acquisition, n'était ni établie par un acte ni reconnue judiciairement, de ne pas avoir procédé de sa propre initiative à sa démolition ; qu'en l'espèce, en limitant la garantie due par M. B... P... à la moitié des frais induits par la condamnation prononcée à l'encontre de la société Batyllis à démolir une partie de la construction litigieuse et à procéder à des travaux de finition, quand il résultait de ses propres constatations qu'au jour de son acquisition par la société Batyllis, la servitude de vue bénéficiant au fonds des consorts H... n'était ni établie par un acte ni reconnue judiciairement, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, qu'en l'absence de lien contractuel entre M. P... et la société Batyllis, l'architecte était tenu envers elle sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que celui-ci avait commis une faute en prévoyant une implantation irrégulière du pavillon litigieux au regard de la servitude de vue dont bénéficiait le fonds des consorts H... et en ne conseillant pas à M. et Mme E... de renoncer à leur projet, que ceux-ci avaient poursuivi la construction du pavillon en dépit des multiples alertes de M. H... et que la société Batyllis, qui avait elle-même la qualité de professionnel, pouvait aisément s'apercevoir du caractère illégal du pavillon, sa connaissance de la servitude de vue méconnue pouvant être établie autrement que par l'existence d'un titre.
6. La cour d'appel a pu en déduire que la faute de la société Batyllis était de nature à limiter la garantie due par l'architecte, dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme E... et la société Batyllis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme E... et la société Batyllis et les condamne à payer aux consorts H... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. et Mme E... et la société Batyllis
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, D'AVOIR, ayant dit que le fonds de M. W... H... et de Mme T... H... cadastré section [...] disposait d'une servitude de vue acquise par prescription trentenaire sur le fonds de la société Batyllis cadastré section [...] , condamné la société Batyllis, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification de la décision, à démolir la partie de la construction ne respectant pas la distance légale de 1,90 mètres prévue par l'article 678 du code civil, et à procéder, sous la même astreinte, aux travaux de finition résultant de la démolition, en ce compris la remise en état de la façade de M. W... H... et de Mme T... H... et la fermeture entre les deux propriétés ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société Batyllis à démolir la partie du pavillon litigieux ne respectant pas la distance prévue à l'article 678 du code civil ; que néanmoins afin de ne pas retarder davantage la relocation du bien des consorts H..., il est nécessaire d'assortir cette condamnation d'une astreinte dans les conditions précisées au dispositif ; que les travaux de finition revendiqués par les consorts H... sont la conséquence de la démolition ordonnée, en particulier la remise en état de la façade H... et la fermeture entre les deux propriétés ; que la société Batyllis, sous la même astreinte sera donc en outre condamnée à y procéder dans les conditions précisées au dispositif ci-après ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la société Batyllis, propriétaire du fonds servant, doit, comme ses auteurs, respecter la servitude de vue dont bénéficie le fonds dominant et les distances prévues par l'article 678 du code civil, soit 1,90 m ; qu'il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que la construction édifiée sur la parcelle [...] , aujourd'hui propriété de la société Batyllis, ne respecte pas les prescriptions légales sus-visées ; que les consorts H... sont donc en droit d'obtenir la démolition de la partie de la construction ne respectant pas la distance légale ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Batyllis à démolir la partie de la construction ne respectant pas la distance légale dans le délai de six mois à compter de la signification du présent jugement ;
ALORS QUE le juge ne peut faire application d'une disposition de droit interne imposant le respect d'une servitude de vue bénéficiant à un fonds, dès lors qu'au regard des circonstances particulières de l'affaire, elle aurait pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard du but légitime poursuivi par cette disposition de droit interne ; qu'en l'espèce, en faisant application de l'article 678 du code civil imposant le respect d'une distance de 1,90 mètres au profit d'un fonds bénéficiant d'une servitude de vue, quand, au cas particulier qui lui était soumis, il en résultait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la société Batyllis par rapport au but légitime de cette disposition d'assurer une certaine intimité entre voisins, en ce qu'elle conduisait à mettre à sa charge, en présence d'une servitude de vue acquise seulement par prescription trentenaire, une mesure aussi radicale que la destruction d'une partie de la maison achetée auprès de M. et Mme E... , la cour d'appel a violé l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, D'AVOIR condamné M. B... P... à garantir la société Batyllis dans la limite seulement de la moitié des frais de démolition et de finition résultant de cette démolition ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE c'est également par de justes motifs, adoptés par la cour, que le tribunal a limité la garantie de M. B... P... à la moitié des frais de démolition au vu de la résistance réitérée des époux E... en dépit des multiples alertes de M. H... ; qu'il suffit d'ajouter, s'agissant de la société Batyliss, que celle-ci est elle-même un professionnel et qu'elle pouvait au premier coup d'oeil s'apercevoir du caractère illégal du pavillon litigieux ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE dès le début des opérations de construction, M. H... a alerté les époux E... sur le fait que le mur en cours de construction allait boucher deux des fenêtres présentes sur la façade arrière de son bâtiment ; qu'il a également dénoncé cette situation à M. P... par courrier du 18 novembre 2010 et a fait établir un procès-verbal de constat par Me O... le 19 novembre 2010 ; que par courrier du 25 novembre 2010 adressé à Me O..., M. E... a indiqué qu'il n'avait nullement l'intention de boucher les ouvertures de M. H..., rappelant que la construction était conforme au permis de construire n° 078311080073 accordé le 4 septembre 2008 par les services d'urbanisme de la mairie de [...] et qu'en outre, il n'avait autorisé aucune servitude de vue à M. H... ; que malgré l'assignation en référé délivrée par M. H... le 4 août 2011, les époux E... ont poursuivi la construction du pavillon ; que dans ces conditions, il convient de limiter la garantie de M. P... à la moitié des frais de démolition du pavillon, l'autre moitié restant à la charge de la société Batyllis ;
1°) ALORS QUE le manquement de l'architecte à son obligation de renseignement et d'information à l'égard du maître de l'ouvrage, relativement aux servitudes bénéficiant aux fonds voisins, engage sa responsabilité pour l'ensemble des préjudices en ayant résulté ; qu'en accueillant le recours en garantie exercé par la société Batyllis contre M. P..., architecte, à raison des condamnations prononcées à son encontre du fait de l'atteinte portée à la servitude de vue tenue pour établie au bénéfice du fonds des consorts H..., à hauteur seulement de la moitié de ces condamnations, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE n'est pas fautif le fait, pour le maître de l'ouvrage, de ne pas avoir déféré à la demande d'un voisin tendant à l'arrêt des travaux lorsque son architecte, dûment informé, ne l'a pas invité à les interrompre ; qu'en retenant, pour limiter la garantie de M. P... à la moitié des frais induits par la condamnation prononcée à l'encontre de la société Batyllis à démolir une partie de la construction litigieuse et à procéder à des travaux de finition, que M. et Mme E... avaient commis une faute en résistant de façon réitérée aux multiples alertes de M. H..., sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. P... n'avait pas été informé de la situation et ne s'était pas abstenu de les inviter à arrêter les travaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE n'est pas fautif le fait, pour l'acquéreur d'un immeuble construit en méconnaissance d'une servitude de vue qui, au jour de l'acquisition, n'était ni établie par un acte ni reconnue judiciairement, de ne pas avoir procédé de sa propre initiative à sa démolition ; qu'en l'espèce, en limitant la garantie due par M. B... P... à la moitié des frais induits par la condamnation prononcée à l'encontre de la société Batyllis à démolir une partie de la construction litigieuse et à procéder à des travaux de finition, quand il résultait de ses propres constatations qu'au jour de son acquisition par la société Batyllis, la servitude de vue bénéficiant au fonds des consorts H... n'était ni établie par un acte ni reconnue judiciairement, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.