LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 4 novembre 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 624 F-D
Pourvoi n° H 18-50.057
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 NOVEMBRE 2020
Le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), domicilié [...] , a formé le pourvoi n° H 18-50.057 contre l'arrêt rendu le 7 juin 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Lisapl, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ au procureur général de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, palais Monclar, rue Peyresc, 13616 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations de Me Bertrand, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Lisapl, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 juin 2018) et les productions, M. I..., directeur de branche au sein de la société par actions simplifiée Lisapl (la société), a, le 10 juillet 2017, adressé à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) deux déclarations de renonciation aux marques verbales « L'Ami-canin » et « L'Ami Félin », dont la société était titulaire. Ces déclarations sont intervenues alors que le contrat de travail de M. I... avait fait l'objet d'une rupture conventionnelle signée le 27 avril 2017, fixant la fin du contrat au 31 juillet 2017.
2. Les renonciations totales aux marques ont été inscrites par l'INPI les 10 et 20 juillet 2017, et publiées aux Bulletins officiels de la propriété industrielle des 11 août et 22 septembre 2017.
3. La société ayant sollicité le rétablissement des marques, sa demande a été rejetée par une décision du directeur général de l'INPI du 5 octobre 2017 au motif que M. I..., qui avait lui-même procédé, en 2008 et 2013, aux dépôts des marques pour le compte de la société et faisait partie de ses effectifs au 10 juillet 2017, avait les qualités requises pour procéder aux déclarations de renonciation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le directeur général de l'INPI fait grief à l'arrêt d'annuler sa décision du 5 octobre 2017 et de dire qu'il doit procéder au rétablissement des marques « L'Ami-canin » et « L'Ami Félin », alors « que l'auteur d'une demande d'enregistrement ou le propriétaire d'une marque enregistrée peut renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour tout ou partie des produits ou services auxquels s'applique la marque ; que la déclaration de renonciation doit, pour être recevable, émaner du titulaire de la marque inscrit, au jour de la déclaration, sur le Registre national des marques, ou de son mandataire ; qu'en affirmant que "M. I..., qui n'était pas titulaire des marques inscrites dont la renonciation était sollicitée, ne pouvait intervenir, conformément aux dispositions de l'article R. 714-1 du code de la propriété intellectuelle, que comme mandataire de la société titulaire des marques", quand M. I..., qui occupait à la date de dépôt des déclarations de renonciation aux marques litigieuses le poste de directeur de branche de la société, n'avait pas signé ces déclarations en qualité de mandataire de cette société, mais en qualité de salarié de celle-ci, habilité en raison de ses fonctions à représenter son employeur, titulaire de la marque, pour la signature d'un acte entrant dans le champ de ses attributions, la cour d'appel, qui a appliqué les règles du mandat à l'intervention de M. I... laquelle ne s'inscrivait pas dans un rapport de mandant à mandataire, a violé, par fausse application, l'article 1984 du code civil, et, par refus d'application, l'article R. 714-1 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la Cour
5. Si, selon l'article L. 227-6 du code de commerce, la société par actions simplifiée est représentée à l'égard des tiers par son président et, lorsque les statuts le prévoient, par un directeur général ou un directeur général délégué dont la nomination est soumise à publicité, cette règle n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer à une tierce personne le pouvoir d'effectuer des actes déterminés, une telle délégation de pouvoir revêtant les caractères d'un mandat.
6. M. I..., directeur de branche, n'étant ni président, ni directeur général, ni directeur général délégué de la société, ne pouvait engager cette dernière qu'en qualité de mandataire.
7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le directeur général de l'INPI fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que la nature même des fonctions exercées par le salarié d'une société par actions simplifiée lui confère qualité pour représenter celle-ci auprès des tiers, sans qu'il soit besoin d'un mandat exprès ; qu'en annulant la décision du directeur général de l'INPI du 5 octobre 2017 au motif que M. I... n'avait "justifié d'aucun mandat" pour procéder aux déclarations de renonciation litigieuses et que "rien n'indique que ses fonctions lui auraient permis d'intervenir sans mandat" tout en constatant que M. I... occupait les fonctions de directeur de branche au sein de la société, d'où il résultait que les fonctions exercées par l'intéressé lui conféraient nécessairement qualité pour représenter cette société auprès de l'INPI, sans nécessité d'avoir à justifier d'un mandat ou d'une délégation de pouvoir, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 227-6 du code de commerce et L. 714-2 et R. 714-1 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que, dans son mémoire du 18 avril 2018, le directeur général de l'INPI faisait valoir que "M. I... a lui-même signé, pour le compte de la société Lisalp, les formulaires de dépôt des marques ‘L'Ami-canin' et ‘L'Ami Félin' et de la marque ‘E-Jardin.com'. De la même façon, il a signé les formulaires de renonciation aux marques, non pas en qualité de mandataire de la société Lisalp, mais en (celle de) simple signataire (
)" ; qu'en laissant sans réponse ces écritures, qui établissaient que M. I... avait déjà, sans contestation de la société, pris en charge la gestion du portefeuille de marques de cette dernière, de sorte que l'INPI était fondé à considérer qu'il était habilité à régulariser une déclaration de renonciation aux marques "L'Ami-canin" et "L'Ami Félin" qu'il avait lui-même déposées, sans avoir à exiger la production d'un quelconque mandat ou d'une délégation de pouvoir, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de la combinaison des articles R. 714-1 et R. 712-21 du code de la propriété intellectuelle que le mandataire du titulaire d'une marque qui formule une déclaration de renonciation à cette marque doit, s'il n'a pas la qualité de conseil en propriété industrielle ou d'avocat, joindre à cette déclaration un pouvoir spécial.
10. Il s'ensuit que, quand bien même un salarié du titulaire de la marque a reçu délégation de pouvoir de son employeur pour gérer le portefeuille de marques de ce dernier, il doit joindre à la déclaration de renonciation à la marque qu'il formule un pouvoir spécial de renoncer à cette marque.
11. Ayant constaté que rien n'indiquait que les fonctions de M. I... lui permettaient d'intervenir sans mandat et qu'il ne justifiait d'aucun mandat, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions, inopérantes, invoquées par la troisième branche, a annulé la décision du directeur de l'INPI du 5 octobre 2017 et dit que ce dernier devait procéder au rétablissement des deux marques litigieuses.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Lisapl ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la décision du directeur général de l'INPI du 5 octobre 2017 en ce qu'elle avait refusé de retirer les inscriptions relatives à la renonciation totale de la marque L'AMI CALIN nº [...] déposée le 2 juin 2008 et à la renonciation totale de la marque L'AMI FELIN nº [...] déposée le 2 avril 2013, et d'avoir dit que le directeur de l'INPI devrait procéder au rétablissement de la marque française nominale L'AMl CANIN nº [...], déposée le 2 juin 2008 en classe 31, et de la marque française nominale L'AMI FELIN nº [...], déposée le 2 avril 2013 en classe 31 ;
AUX MOTIFS QUE l'article L.714-2 dispose que : « L'auteur d'une demande d'enregistrement ou le propriétaire d'une marque enregistrée peut renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour tout ou partie des produits ou services auxquels s'applique la marque ». Que l'article R.714-1 précise les conditions de recevabilité d'une telle renonciation et dispose que : « La déclaration de renonciation doit, pour être recevable : 1º Emaner du titulaire de la marque inscrit, au jour de la déclaration, sur le Registre national des marques, ou de son mandataire ; 2º Etre accompagnée de la justification du paiement de la redevance prescrite ». Les dispositions de l'article R 712-21 sont applicables à la renonciation
L'article R 712-21 indique la demande d'enregistrement peut être retirée jusqu'au début des préparatifs techniques relatifs à l'enregistrement. Le retrait peut être limité à une partie du dépôt. Il s'effectue par une déclaration écrite adressée ou remise à l'institut. Une déclaration de retrait ne peut viser qu'une seule marque. Elle est formulée par le demandeur ou par son mandataire lequel, sauf s'il a qualité de conseil en propriété industrielle ou avocat, doit joindre un pouvoir spécial. Il ressort des débats et des documents produits que le déclarant, M. I... a, de sa propre initiative procédé aux demandes de renonciations de marques litigieuses, étant dépourvu de tout mandat à cet effet par le représentant légal de la société LISAPL, comme cela ressort du formulaire renseigné par lui qui comporte son adresse personnelle et non celle de la société pour laquelle il a prétendu agir, son numéro de téléphone personnel et son adresse mail personnelle, occultant ainsi cette démarche envers la société ; Que ces demandes de renonciations faites à l'insu de la société titulaire des marques, revêtent un caractère frauduleux. En effet, M. I... qui n'était pas titulaire des marques inscrites dont la renonciation était sollicitée, ne pouvait intervenir, conformément aux dispositions de l'article R 714-1 du code de la propriété intellectuelle, que comme mandataire de la société LISAPL titulaire des marques, et justifier du paiement de la redevance prescrite. Or, il n'a justifié d'aucun mandat pour ce faire et rien n'indique que ses fonctions lui auraient permis d'intervenir sans mandat; Il convient en conséquence de faire droit à la requête de la société LISAPL et d'annuler la décision du directeur de l'INPI en date du 5 octobre 2017 et de dire que ce dernier devra procéder au rétablissement des deux marques dont s'agit (arrêt attaqué pp. 6-7) ;
ALORS, d'une part, QUE l'auteur d'une demande d'enregistrement ou le propriétaire d'une marque enregistrée peut renoncer aux effets de cette demande ou de cet enregistrement pour tout ou partie des produits ou services auxquels s'applique la marque ; que la déclaration de renonciation doit, pour être recevable, émaner du titulaire de la marque inscrit, au jour de la déclaration, sur le Registre national des marques, ou de son mandataire ; qu'en affirmant que « M. I..., qui n'était pas titulaire des marques inscrites dont la renonciation était sollicitée, ne pouvait intervenir, conformément aux dispositions de l'article R.714-1 du code de la propriété (intellectuelle), que comme mandataire de la société LISAPL titulaire des marques », quand M. I..., qui occupait à la date de dépôt des déclarations de renonciation aux marques litigieuses le poste de directeur de branche de la société LISAPL , n'avait pas signé ces déclarations en qualité de mandataire de cette société, mais en qualité de salarié de celle-ci, habilité en raison de ses fonctions à représenter son employeur, titulaire de la marque, pour la signature d'un acte entrant dans le champ de ses attributions, la cour d'appel, qui a appliqué les règles du mandat à l'intervention de M. I... laquelle ne s'inscrivait pas dans un rapport de mandant à mandataire, a violé, par fausse application, l'article 1984 du code civil, et, par refus d'application, l'article R.714-1 du code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, d'autre part, et subsidiairement, QUE la nature même des fonctions exercées par le salarié d'une société par actions simplifiée lui confère qualité pour représenter celle-ci auprès des tiers, sans qu'il soit besoin d'un mandat exprès ; qu'en annulant la décision du directeur général de l'INPI du 5 octobre 2017 au motif que M. I... n'avait « justifié d'aucun mandat » pour procéder aux déclarations de renonciation litigieuses et que « rien n'indique que ses fonctions lui auraient permis d'intervenir sans mandat » tout en constatant que M. I... occupait les fonctions de directeur de branche au sein de la société par actions simplifiée LISAPL, d'où il résultait que les fonctions exercées par l'intéressé lui conféraient nécessairement qualité pour représenter cette société auprès de l'INPI, sans nécessité d'avoir à justifier d'un mandat ou d'une délégation de pouvoir, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L.227-6 du code de commerce et L.714-2 et R.714-1 du code de la propriété intellectuelle ;
ALORS, enfin, QUE dans son mémoire du 18 avril 2018 (p. 3 al. 7 et 8), le directeur général de l'INPI faisait valoir que « M. I... a lui-même signé, pour le compte de la société LISAPL, les formulaires de dépôt des marques L'AMI CANIN et L'AMI FELIN et de la marque E-JARDIN COM. De la même façon, il a signé les formulaires de renonciation aux marques, non pas en qualité de mandataire de la société LISAPL, mais en (celle de) simple signataire (
) » ; qu'en laissant sans réponse ces écritures, qui établissaient que M. I... avait déjà, sans contestation de la société LISAPL, pris en charge la gestion du portefeuille de marques de cette dernière, de sorte que l'INPI était fondé à considérer qu'il était habilité à régulariser une déclaration de renonciation aux marques L'AMI CANIN et L'AMI FELIN qu'il avait lui-même déposées, sans avoir à exiger la production d'un quelconque mandat ou d'une délégation de pouvoir, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.