LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 octobre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 744 F-D
Pourvoi n° Q 19-21.732
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020
La société Carmignac Vendôme, société civile immobilière, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 19-21.732 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Richemont Holding France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société [...] ,
2°/ au syndicat des copropriétaires [...] , dont le siège est [...] , représenté par son syndic la société Foncia Paris Rive Droite, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Collomp, conseiller référendaire, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Carmignac Vendôme, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du syndicat des copropriétaires [...] , de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Richemont Holding France, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Collomp, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 15 décembre 2016, pourvoi n° 15-25.062), la société [...] (la société [...] ), aux droits de laquelle se trouve la société Richemont Holding France, était propriétaire d'un magasin disposant d'enseignes en imposte sur chacune des huit arcades de la façade d'un immeuble soumis au statut de la copropriété.
2. L'assemblée générale du 9 septembre 2011 a accepté le projet de ravalement des façades avec pose de portes cochères à l'enseigne de la société [...] .
3. La SCI Carmignac Vendôme, copropriétaire, a assigné le syndicat des copropriétaires du [...] en annulation de cette décision. La société [...] , intervenant volontairement à l'instance, a sollicité la reconnaissance d'un droit acquis au maintien de ses enseignes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Carmignac Vendôme fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de la société Richemont Holding France, alors :
« 1°/ qu'un droit de jouissance privatif sur des parties communes d'une copropriété est un droit réel et perpétuel qui peut s'acquérir par usucapion ; qu'un tel droit ne peut porter sur l'apposition d'enseignes sur les parties communes de la copropriété ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble les articles 2258, 2261 et 2272, alinéa 1, du code civil ;
2°/ que les actes de pur faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription ; qu'en toute hypothèse, en considérant que, compte tenu de la durée de l'installation des enseignes et de leur visibilité pour l'ensemble des copropriétaires, il ne s'agissait pas d'une simple tolérance, mais d'une acceptation par les copropriétaires de la présence de ces enseignes sur les parties communes, quand l'acceptation des copropriétaires devait être expresse ou résulter d'actes non équivoques, la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a retenu à bon droit qu'un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s'acquérir par usucapion et qu'un tel droit peut avoir pour objet l'apposition d'enseignes sur les parties communes de la copropriété.
6. Elle a constaté que la pose d'enseignes en imposte sur les portes cochères n'avait pas été autorisée par l'assemblée générale et que le règlement de copropriété ne contenait aucune stipulation sur ce point.
7. Elle a relevé que la société [...] avait apposé les enseignes depuis 1964, voire 1953, et avait manifesté, depuis lors, son intention de se comporter en titulaire exclusif du droit de les poser.
8. Elle en a souverainement déduit, sans qu'il y ait lieu de caractériser une acceptation expresse des copropriétaires, qu'il ne s'agissait pas d'une simple tolérance des autres copropriétaires, mais que cette société, ayant accompli, sans interruption depuis plus de trente ans, des actes caractérisant une possession continue, ininterrompue, paisible, publique et non équivoque, avait acquis, par usucapion, un droit de jouissance privatif réel et perpétuel au maintien des enseignes.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Carmignac Vendôme aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Carmignac Vendôme et la condamne à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 3 000 euros et à la société Richemont Holding France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour la société Carmignac Vendôme.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la SAS Richemont Holding France, venant aux droits de la SAS [...] , justifiait d'une possession utile et ininterrompue de plus de trente ans au titre du maintien des enseignes situées en imposte des huit arcades de la façade de l'immeuble situé [...] et, en conséquence, d'AVOIR dit que la SAS Richemont Holding France, venant aux droits de la SAS [...] , avait acquis par usucapion un droit de jouissance privatif réel et perpétuel portant sur le maintien de ces enseignes, par application des articles 9 de la loi du 10 juillet 1965, 2258, 2261 et 2272, alinéa 1, du code civil ;
AUX MOTIFS QUE, sur l'usucapion du droit réel de jouissance privatif, sur le cadre juridique, selon l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, « chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble » ; que selon l'article 2258 du code civil, « la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou que l'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi » ; que la prescription acquisitive ne suppose en aucune façon que les actes de possession aient été autorisés par qui que ce soit ou prévus dans un acte ; qu'il résulte de l'article 2261 du même code (ancien article 2229) que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire » ; qu'en application de l'article 2272, alinéa 1, du code civil, « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans » ; qu'il n'est pas contesté qu'un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s'acquérir par usucapion c'est-à-dire par une possession utile ayant duré trente années ; qu'un tel droit peut avoir pour objet l'apposition d'enseignes sur les parties communes de la copropriété ; qu'il résulte du règlement de copropriété que la destination de l'immeuble des [...] est mixte : « les locaux pourront être occupés bourgeoisement ou à usage de bureaux ou par des commerces de luxe » ; que le règlement de copropriété ne comporte aucune clause interdisant ou autorisant la pose d'enseignes ou de plaques professionnelles ; que cependant, lorsqu'une activité professionnelle ou commerciale est autorisée dans un lot, elle confère au propriétaire du lot le droit d'annoncer cette activité à l'extérieur des parties privatives et, donc, d'utiliser les parties communes ; ce droit constitue une prolongation nécessaire de l'activité professionnelle ; qu'en l'espèce, la façade de l'immeuble est composée de huit arcades, dont six encadrent les vitrines de la boutique [...] ; que les deux dernières encadrent deux portes cochères (anciennement portes vitrées avant le ravalement qui est désormais achevé), donnant respectivement accès aux étages de l'immeuble du 22 et du 24 place Vendôme, la porte du 22 étant placée entre deux vitrines de la boutique [...] ; qu'il est acquis aux débats que l'apposition des deux enseignes, objet du litige, en imposte sur ces deux portes cochères, n'ont pas été autorisés par l'assemblée générale et que le règlement de copropriété ne contient aucune stipulation sur ce point ; que c'est pourquoi, la SAS Richemont Holding France, venant aux droits de la SAS [...] , invoque la prescription acquisitive des articles 2258, 2261 et 2272, alinéa 1, précités ; que sur l'usucapion, il résulte des pièces produites qu'une enseigne [...] est apposée, depuis plus de quarante ans, en imposte de chacune de ces huit arcades ; qu'il doit être rappelé que la joaillerie fondée par U... Van Cleef et son beau-père Salomon Arpels s'est installée place Vendôme en 1906 ; que la joaillerie a pris le nom de [...] dans les années 1930 et des enseignes au nom de [...] ont été installées au niveau des arcades, au moins à partir de l'année 1953 ; que c'est ainsi que la SAS [...] et le syndicat des copropriétaires versent aux débats, notamment, un courrier en date du 31 mars 1953 de l'architecte des bâtiments de France autorisant l'installation d'une enseigne au nom de la société sur la porte cochère située [...] , soit l'une des enseignes contestées, et la fiche technique du film Fantomas tourné en 1964 accompagnée de clichés photographiques témoignant de la présence, alors, des enseignes contestées ; qu'à cet égard, l'architecte des bâtiments de France écrit en mars 1953 : « nous ne pouvons que confirmer l'avis favorable que nous avons émis sur cette enseigne sobre et distinguée, semblable à celles déjà placées par la même firme sur les travées voisines qui rétablira l'unité rompue par l'enseigne de la Maison Carlhian qui quitte le local » ; qu'il résulte de ce courrier que les deux enseignes contestées par la SCI Carmignac Vendôme sont en place depuis 1953 ; que la SCI Carmignac Vendôme, elle-même, a, dans un courrier du 5 novembre 1996, contesté l'existence des enseignes figurant au-dessus des portes des [...] ; qu'elle a demandé l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée tenue le 24 juillet 2006 d'une résolution habilitant le syndic à agir aux fins d'obtenir la suppression de ces enseignes avant de retirer cette question lors de l'assemblée ; que durant les décennies suivantes, ces mêmes enseignes ont accompagné l'exploitation de la boutique [...] et se sont maintenues en imposte des huit arcades de l'immeuble, ainsi qu'en attestent les photographies versées aux débats ; qu'en décembre 1999, un article paru dans le numéro de décembre 1999-janvier 2000 de la revue Paris Capital montre une photographie du 24 place Vendôme, où l'enseigne [...] apparaît en imposte de chaque arcade, y compris au niveau de la porte vitrée donnant accès aux étages de l'immeuble du 24 place Vendôme ; qu'au mois d'août 2005, M. P..., ancien architecte en chef des monuments historiques à qui la copropriété a confié la maîtrise d'oeuvre du ravalement, a réalisé un dossier photographique, dans le cadre d'une étude préalable de la restauration des façades de la place Vendôme ; que ces photographies font apparaître que l'enseigne est bien installée en imposte de chacune des arcades, y compris au niveau des portes donnant accès aux étages des immeubles des [...] ; que postérieurement, lors de l'assemblée générale du 24 juillet 2006, la question de la dépose des enseignes [...] sur les entrées du 22 et du 24 place Vendôme a de nouveau été évoquée ; qu'un procès-verbal de constat établi le 19 décembre 2012 montre qu'à cette date, les enseignes [...] sont installées en imposte des huit arcades de l'immeuble du [...] ; qu'il est donc bien justifié d'une possession continue, ininterrompue, paisible, publique et non équivoque depuis au moins 1964, et même depuis 1953, par laquelle la SAS [...] a manifesté son intention de se comporter en titulaire exclusif du droit de poser les enseignes litigieuses ; qu'il est également établi que ces enseignes n'ont jamais été déposées, sauf, provisoirement, à l'occasion des ravalements des façades qui sont intervenus depuis les années 50 ; que compte tenu de la durée de l'installation des enseignes, de leur visibilité pour l'ensemble des copropriétaires, il ne s'agit pas d'une simple tolérance, mais d'une acceptation par les copropriétaires de la présence de ces enseignes sur les parties communes, que cette présence ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires et elle est conforme à la destination de l'immeuble, qui est, comme il a été vu plus haut, à usage d'habitation, de bureaux et de commerces de luxe ; qu'il est par ailleurs certain que la présence d'une enseigne prestigieuse telle que celle de la SAS [...] contribue à valoriser l'immeuble, ce qui profite à l'ensemble des copropriétaires ; que cette installation d'enseignes, qui date des années 50, comme il a été vu plus haut, n'a été contestée que plus de 30 ans après, par la SCI Carmignac Vendôme, en 1996 pour la première fois, par un courrier non suivi d'effet, puis en 2006, par une demande d'inscription à l'ordre du jour d'une assemblée générale à laquelle elle a renoncé, et dans le cadre de la présente procédure initiée par l'assignation du 8 novembre 2011 ; qu'il résulte de ce qui précède que les enseignes de la SAS [...] sont installées sans interruption depuis plus de 30 ans ; que la SAS Richemont, venant aux droits de la SAS [...] se prévaut valablement de la prescription acquisitive de 30 ans résultant de l'article 2272, alinéa 1, du code civil (l'instance a été introduite par la SCI Carmignac Vendôme après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008) ; que par ailleurs, le droit de jouissance privatif de la SAS [...] portant sur les enseignes en imposte des huit arcades de la façade de l'immeuble des [...] ne fait pas perdre à ces parties de façades leur caractère de parties communes ; qu'il n'y a donc aucune contradiction dans le fait que l'ensemble des copropriétaires ait supporté le coût des travaux de ravalement de ces façades ; qu'il résulte de ce qui précède que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que la SAS [...] a un droit acquis au maintien des enseignes en imposte des huit arcades de la façade de l'immeuble des [...] , mais réformé en ce qu'il a débouté la SAS [...] de sa demande tendant à ce qu'il lui soit reconnu un droit réel au maintien de ses enseignes ; qu'il doit être dit que la SAS Richemont Holding France, venant aux droits de la SAS [...] , justifie d'une possession utile et ininterrompue de plus de trente ans au titre du maintien des enseignes situées en imposte des huit arcades de la façade de l'immeuble situé [...] et qu'elle a acquis par usucapion un droit de jouissance privatif réel et perpétuel portant sur le maintien de ces enseignes, par application des articles 9 de la loi du 10 juillet 1965, 2258, 2261 et 2272, alinéa 1, du code civil ; qu'il sera dit que l'arrêt pourra être publié au service de la publicité foncière à la requête de la SAS Richemont Holding France, venant aux droits de la SAS [...] (v. arrêt, p. 8 à 10) ;
1°) ALORS QU'un droit de jouissance privatif sur des parties communes d'une copropriété est un droit réel et perpétuel qui peut s'acquérir par usucapion ; qu'un tel droit ne peut porter sur l'apposition d'enseignes sur les parties communes de la copropriété ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble les articles 2258, 2261 et 2272, alinéa 1, du code civil ;
2°) ALORS QUE les actes de pur faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription ; qu'en toute hypothèse, en considérant que, compte tenu de la durée de l'installation des enseignes et de leur visibilité pour l'ensemble des copropriétaires, il ne s'agissait pas d'une simple tolérance, mais d'une acceptation par les copropriétaires de la présence de ces enseignes sur les parties communes, quand l'acceptation des copropriétaires devait être expresse ou résulter d'actes non équivoques, la cour d'appel a violé l'article 2262 du code civil.