LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 octobre 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 617 FS-P+B
Pourvoi n° K 19-16.300
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 OCTOBRE 2020
M. C... J..., domicilié [...] ), a formé le pourvoi n° K 19-16.300 contre l'ordonnance rendue le 20 mars 2019 par le premier président de la cour d'appel de Versailles, dans le litige l'opposant à Mme E... A..., veuve P..., domiciliée [...] ), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. J..., de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme P..., et l'avis de Mme Legohérel, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Girardet, Mme Teiller, MM. Avel, Mornet, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Legohérel, avocat général référendaire, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Versailles, 20 mars 2019) sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 février 2018, pourvoi n° 17-10.451) et les productions, Mme P..., veuve du sculpteur P... V... F... dit « P... », a été désignée, par testament, légataire universelle et exécutrice testamentaire, ainsi que « trustee » du trust créé par celui-ci afin de gérer ses oeuvres.
2. Elle a donné mandat à M. J..., avocat (l'avocat), de défendre ses intérêts dans le règlement de la succession de son époux.
3. L'avocat a mis fin à sa mission le 30 août 2011. A la suite d'un différend sur les honoraires dus par Mme P..., il a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'avocat fait grief à l'ordonnance de déclarer prescrite son action en paiement d'honoraires diligentée à l'encontre de Mme P..., alors « que l'activité de trustee, qui repose sur la quête d'un profit économique tendant à faire fructifier le patrimoine du trust, qui est habituelle et destinée à satisfaire aux besoins d'autrui, s'apparente à une activité de mandataire chargé de la gestion de biens pour le compte de tiers incompatible avec la qualité de consommateur ; qu'en retenant, pour faire application de la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation, que Mme P..., qui affirme agir en qualité de trustee d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique, est une consommatrice, sans tenir compte de la spécificité de la qualité de trustee, incompatible avec la qualité de consommateur, le premier président a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 218-2 du code de la consommation :
5. La prescription biennale n'est applicable à la demande d'un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
6. Si la qualité de trustee n'exclut pas nécessairement celle de consommateur, il incombe au juge du fond de déterminer à quelles fins le trustee a eu recours aux services de l'avocat.
7. Pour déclarer prescrite la demande de l'avocat, l'ordonnance se borne à retenir que, même si Mme P... a fait partie d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique et même si les interventions de l'avocat pouvaient avoir un caractère commercial, dans ses relations avec celui-ci, Mme P... est un consommateur.
8. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser à quelles fins Mme P... avait eu recours aux services de l'avocat, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déclare prescrite l'action en paiement d'honoraires formée par M. J... contre Mme P..., l'ordonnance rendue le 20 mars 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Rouen ;
Condamne Mme P... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme P... et la condamne à payer à M. J... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. J...
Il est fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir déclaré prescrite l'action en paiement d'honoraires diligentée par Me C... J... à l'encontre de Mme P... ;
AUX MOTIFS QUE «- Sur la prescription, l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation dispose que "l'action des professionnels pour les biens ou services qu'ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans" ; que par ailleurs, l'article 2240 du code civil énonce que "la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription" ; qu'en l'espèce, même si Madame E... A... veuve P... a fait partie d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique, et même si les interventions de Maitre C... J... pouvaient avoir un caractère "commercial", dans ses relations avec son avocat Madame E... A... veuve P... est une consommatrice et l'article L 137-2 devenu L 218-2 du code de la consommation doit recevoir application ; que par ailleurs, Maître C... J... n'établit pas que Madame E... A... veuve P..., qui a reconnu partiellement sa dette et qui lui a versé 30.000 euros est de mauvaise foi, étant observé que le fait de soulever exceptions de procédure et fins de non-recevoir est un simple usage de ses droits ; qu'il résulte des pièces qui nous sont remises, qu'avant d'obtenir la décision du 29 juin 2015 qui nous est déférée, Maître C... J... avait saisi une première fois le bâtonnier en 2012 et par décision du 10 juillet 2012 le bâtonnier s'était dessaisi, puis une seconde saisine était intervenue en 2013 ce qui avait donné lieu à une décision d'irrecevabilité du 9 avril 2013, confirmée par le premier président de la cour d'appel dc Paris le 7 octobre 2014 ; qu'il est constant que le mandat de Maître C... J... a pris fin le 30 août 2011, et que le bâtonnier a été saisi le 20 octobre 2014, de sorte qu'il y a lieu de rechercher quels sont les actes de nature à interrompre la prescription entre la fin du mandat de l'avocat, et la mise en mouvement de l'action en recouvrement de ses honoraires ; que Maître C... J... fait valoir à juste titre que la reconnaissance de dette même partielle de Madame E... A... veuve P... interrompt le délai de prescription ; qu'il ressort des pièces produites par Maitre C... J... que Madame E... A... veuve P... s'est reconnue débitrice envers lui aux termes de courriels des 31 janvier 2011, 4 août 2011, et 1er septembre 2011 ; que de plus, dans sa décision du 10 juillet 2012 le bâtonnier a fait les constatations suivantes : " il convient d'acter l'accord des parties pour le règlement de la somme de 30 000 euros étant précisé que Madame P... considère que cela couvre tout ce qu'elle doit et que Maitre J... considère qu'il s'agit du règlement d'un acompte à valoir sur ses honoraires" ; que l'action initiée par Maître C... J... courant 2013 ayant donné lieu à la décision définitive d'irrecevabilité du 7 octobre 2014 ne peut être considérée comme interruptrice de prescription ; que dès lors, force est de constater que plus de deux ans se sont écoulés entre le 10 juillet 2012 date de la dernière reconnaissance de dette, et le 20 octobre 2014 date de la saisine du bâtonnier, de sorte que l'action en paiement d'honoraires est prescrite ; qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée » ;
1°) ALORS QUE l'activité de trustee, qui repose sur la quête d'un profit économique tendant à faire fructifier le patrimoine du trust, qui est habituelle et destinée à satisfaire aux besoins d'autrui, s'apparente à une activité de mandataire chargé de la gestion de biens pour le compte de tiers incompatible avec la qualité de consommateur ; qu'en retenant, pour faire application de la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation, que Mme P..., qui affirme agir en qualité de trustee d'un trust qui n'a pas de personnalité juridique, est une consommatrice, sans tenir compte de la spécificité de la qualité de trustee, incompatible avec la qualité de consommateur, le premier président a violé l'article L. 218-2 du code de la consommation ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'acte de saisine conserve son effet interruptif de prescription lorsqu'il est annulé par l'effet d'un vice de procédure ; qu'en considérant, pour déclarer prescrite l'action de Maître J... en paiement d'honoraires, que « l'action initiée par Maître C... J... courant 2013 ayant donné lieu à la décision définitive d'irrecevabilité du 7 octobre 2014 ne peut être considérée comme interruptrice de prescription », cependant que l'irrecevabilité avait été prononcée par ordonnance du 7 octobre 2014 en raison de la nullité de l'acte de saisine pour vice de procédure relatif aux modalités de signification prévues à l'article 643 du code de procédure civile, de sorte que cet acte avait conservé son effet interruptif de la prescription, le premier président a violé l'article 2241 du code civil.