LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 octobre 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 603 F-D
Pourvoi n° X 19-15.621
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 OCTOBRE 2020
La société Travere industries, dont le siège est fixé à l'adresse de son président, M. M... K..., [...] , a formé le pourvoi n° X 19-15.621 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. R... F..., domicilié [...] , pris en qualité de co-liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Travere industries,
2°/ à la société [...] , société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en qualité de co-liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Travere industries,
3°/ au procureur général près de la cour d'appel de Nîmes, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Travere industries, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 janvier 2019) rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 26 janvier 2016, pourvoi n° 14-21.229), la société Travere industries a été mise en redressement judiciaire le 3 novembre 2008. Sa liquidation judiciaire a été prononcée, après rejet d'une proposition de plan.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. La société Travere industries fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté le plan de continuation et prononcé sa liquidation judiciaire et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents de la cause, serait-ce par omission ; qu'en l'espèce, pour décider que le redressement de la société Travere industries était manifestement impossible et prononcer sa liquidation judiciaire, la cour a énoncé qu'elle ne fournissait aucune estimation de sa technologie et de ses brevets ; qu'en statuant ainsi, alors que la pièce n° 7 mentionnée sur le bordereau de communication de pièces annexé à ses dernières écritures, intitulée « contrats » (Prod. 17), dont la communication n'a pas été contestée, et que la société Travere industries invoquait au soutien de ses prétentions, comportait les propositions formulées par la société Aloe Private Equity, par le fonds commun de placement à risque Demeter et par la société EO2, venant établir que la société disposait d'une valeur technologique oscillant entre 7,5 et 12 millions d'euros, la cour d'appel a dénaturé par omission la pièce n° 7 et a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
4. La société Travere industries s'est, dans ses dernières conclusions, expressément référée, pour retenir que la valeur de la technologie qu'elle avait développée se situait dans la fourchette indiquée par le moyen, à la seule pièce n° 18, laquelle, dans le bordereau de communication annexé aux conclusions, était intitulée « évaluation financière de la valeur des brevets de Travere industries ». Elle ne peut donc reprocher à la cour d'appel, qui a analysé ce document, d'avoir dénaturé par omission une autre pièce n° 7, intitulée « contrats », que ses conclusions invoquaient pour établir, non sa valeur, mais l'origine du financement de ses investissements.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Travere industries aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la société Travere industries.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant rejeté le plan de continuation et prononcé la liquidation judiciaire de la société Travere Industries et de l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE le plan de redressement est défini à l'article L. 626-2 du code de commerce sur renvoi de l'article 631-19 : le plan détermine les perspectives de redressement en fonction des possibilités et des modalités d'activités, de l'état du marché et des moyens de financement disponibles ; qu'il définit les modalités de règlement du passif et les garanties éventuelles que le débiteur doit souscrire pour en assurer l'exécution ; qu'il expose le niveau et les perspectives d'emploi ; qu'il s'en déduit en premier lieu que la société débitrice doit démontrer qu'elle est viable en prenant en considération les différents paramètres de gestion ; qu'en ce qui concerne le passif, il ressort de la pièce 26 communiquée avec les dernières conclusions des liquidateurs que le passif définitif échu est de 545.415,50 euros ; que la liste des créances L. 624-2 du code de commerce a été publiée au Bodacc (mention figurant en page 2 de la pièce 26) et il n'est pas allégué qu'il y ait eu réclamation dans le délai d'un mois suivant la publication ; qu'il existe des dettes postérieures évaluées par l'appelante à la somme de 18.634,11 euros ; que l'actif déclaré par la société débitrice hors technologies et brevets était estimé en 2008 à 193.206 € (crédits impôts, créances clients, 3ème versement Oseo) ; que s'agissant des perspectives de redressement, le dossier prévisionnel du GIE non actualisé fait état d'une capacité d'autofinancement de 35.074 € en 2014, 29.498 € en 2015 et 66.948 € en 2016 ; que les pièces 24 à 26 ne peuvent être analysées comme des lettres d'engagement de partenariat car d'une part, elles datent de 2013 pour deux d'entre elles, la dernière n'étant pas datée ; que d'autre part, leur libellé bien trop général n'en font que des lettres d'intention : c'est ainsi que les ateliers de fabrication mécanique donnent leur accord pour s'engager dans la mise en place d'un partenariat avec la société débitrice dont l'objectif sera de constituer un groupe d'intérêt économique ; que Solunergies est favorable à un partenariat avec la société débitrice pour un développement du secteur éolien ainsi que la commercialisation des produits afin de réaliser un savoir-faire en groupement d'intérêt économique ; qu'enfin, la société Fathec s'engage dans la mise en place d'un partenariat avec la société débitrice dont l'objectif sera de constituer un groupement d'intérêt économique ; que par conséquent, il ne peut se déduire de ces pièces l'existence d'un apport de liquidités permettant de redémarrer l'activité au niveau du GIE ; que la société débitrice envisage de faire vendre par le GIE à créer 8 machines à 25.000 € la première année, 15 la deuxième année, ce qui lui permettrait de percevoir un pourcentage de 10% sur la vente ainsi que des royalties à hauteur de 8% ; que cependant les trois sociétés qui ont rédigé leurs lettres d'intention ne sont nullement engagées à verser un pourcentage de 10% sur la vente et des royalties à hauteur de 8% ; que la société débitrice se fonde sur la pièce 18 pour prétendre que la valeur de sa technologie et des brevets est estimée entre 7,5 et 12 millions d'euros ; que la pièce 18 est intitulée « évaluation financière » ; qu'elle a pour objet l'évaluation de la valeur de deux brevets de la société débitrice par un conseil en propriété industrielle ; qu'elle consiste uniquement en un descriptif des objectifs et du contexte, une approche méthodologique de l'ensemble de la démarche, et en un récapitulatif faisant état du coût prévisible des honoraires (5.000 € hors taxes), l'exécution des prestations étant suspendue au versement d'un acompte de 50% du montant du devis qui devra être daté, approuvé et signé ; qu'il n'y a donc aucune estimation de la valeur des brevets que détiendrait la société débitrice ; que le prévisionnel de développement de la société débitrice fait état d'une capacité d'autofinancement de 27.341 € en 2014, 97.710 € en 2015 et 270.353 € en 2016 ; que le chiffre d'affaires prévisionnel est estimé à 40.500 € en 2014 avec une progression de 224,85 % en 2015 et une progression de 134,63% en 2016 ; qu'il a cependant été vu précédemment que l'activité de vente par le GIE n'est nullement assurée ; que dès lors, les prévisionnels de développement ne reposent pas sur des éléments fiables et sérieux, la société d'expertise comptable Ageci Sollies précisant d'ailleurs avoir mis en forme les comptes prévisionnels des dossiers dans le cadre d'une mission de compilation à partir des informations et hypothèses retenues par M. K... M..., les projections réalisées et ayant une valeur indicative et restant tributaire des aléas du marché et des facteurs économiques qui ne peuvent être modélisés dans le cadre des dossiers prévisionnels ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que le passif s'élevant à la somme de 545.415,50 euros ne peut être apuré au moyen d'un actif virtuel composé de brevets dont la valeur marchande n'est pas démontrée, de partenaires qui en sont au stade de la lettre d'intention et d'un dossier prévisionnel qui manque de sérieux en ce qu'il ne prend pas en compte une cessation d'activité effective depuis plusieurs années, succédant à deux exercices déficitaires en 2010 et 2011 ; qu'étant rappelé que la procédure de redressement judiciaire est destinée à poursuivre l'activité, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif, il ne peut qu'être retenu qu'en l'espèce, il n'existe aucune possibilité sérieuse d'apurer le passif d'une entreprise ayant cessé son activité, sans salariés, sans aucune capacité d'autofinancement, avec des dettes postérieures à l'ouverture de la procédure collective et sans aucun projet sérieux de reprise de ses actifs, pour autant qu'ils existent ; que le redressement de l'entreprise étant manifestement impossible, c'est à bon droit que le tribunal de commerce de Toulon n'a pas poursuivi la période d'observation, a rejeté le plan de redressement et a prononcé la liquidation judiciaire de la société Travere, avec toutes ses conséquences ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'il résulte des pièces versées aux débats que la SAS Travere Industrie ne dispose pas de capacités financières suffisantes justifiant de la poursuite de l'activité par le biais de la prolongation de la période d'observation ; qu'aucun document versé aux débats n'étaye sérieusement les capacités de l'entreprise à rembourser un passif déclaré pour une somme supérieure à 3 millions d'euros ; que tous les éléments comptables sans exception remis par la SAS Travere Industries font apparaître des pertes que ce soit antérieurement ou postérieurement à l'ouverture de la procédure collective ; qu'il n'est pas raisonnable dans ces conditions de croire à un redressement miraculeux d'une entreprise qui n'a plus d'activité et qui ne justifie pas, pièces à l'appui, de l'entrée dans le capital d'investisseurs susceptibles de relancer sérieusement l'activité ; qu'en effet, des dettes postérieures au titre de l'article L. 622-17 du code de commerce ont été déclarées à hauteur de 119.204,83 euros, en grande partie contestées, néanmoins il s'agit essentiellement de dettes sociales établies en l'absence de déclarations ; qu'enfin, il existe toujours une créance superprivilégiée qui reste impayée ; qu'il apparaît ainsi au tribunal que la SAS Travere Industries n'est plus viable et qu'il convient de mettre fin à l'activité de l'entreprise ; qu'il y a lieu de rejeter le plan de continuation ;
1°/ ALORS QUE le juge ne peut rejeter une demande de renvoi à une audience ultérieure d'une affaire fixée pour être plaidée, qu'à la condition que les parties aient été mises en mesure d'exercer leur droit à un débat oral ; qu'en rejetant la demande de renvoi formulée par le conseil de la société Travere Industries, empêché par le mouvement social des « gilets jaunes » ayant entraîné le barrage des routes et une pénurie de carburant, de se rendre en temps voulu à l'audience fixée au 6 décembre 2018 à 14 heures 30 devant la cour d'appel de Nîmes, distante de 250 kilomètres de son cabinet situé à Grasse, tandis que ces circonstances exceptionnelles constituaient un obstacle insurmontable pour la société Travere Industries à faire valoir oralement ses observations par l'intermédiaire de son conseil, la cour d'appel a violé le principe du respect des droits de la défense et l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ ALORS QUE le juge est tenu de ne pas dénaturer les documents de la cause, serait-ce par omission ; qu'en l'espèce, pour décider que le redressement de la société Travere Industries était manifestement impossible et prononcer sa liquidation judiciaire, la cour a énoncé qu'elle ne fournissait aucune estimation de sa technologie et de ses brevets ; qu'en statuant ainsi, alors que la pièce n° 7 mentionnée sur le bordereau de communication de pièces annexé à ses dernières écritures, intitulée « contrats » (Prod. 17), dont la communication n'a pas été contestée, et que la société Travere Industries invoquait au soutien de ses prétentions, comportait les propositions formulées par la société Aloe Private Equity, par le fonds commun de placement à risque Demeter et par la société EO2, venant établir que la société disposait d'une valeur technologique oscillant entre 7,5 et 12 millions d'euros, la cour d'appel a dénaturé par omission la pièce n° 7 et a violé l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ ALORS QUE la société Travere Industries a fait valoir dans ses dernières écritures, au soutien de son plan de redressement par continuation, que l'Amérique du Nord détenait 50 % du marché mondial du petit éolien avec des prix du kilowatt très élevés et présentant une croissance de 45% par an, permettant d'envisager, avec l'aide de son actionnaire canadien, une prise de marché à hauteur de 3% en cinq ans ; qu'elle a également fait valoir qu'avec l'aide de son partenaire irlandais, une prise de marché équivalente pouvait être envisagée en cinq ans en Grande-Bretagne, où 10.000 éoliennes ont été installées depuis 2005, estimées à 600.000 à l'horizon 2020 (Prod. 9, concl. p. 29) ; qu'en énonçant que le redressement de l'entreprise était manifestement impossible, dès lors que la société Travere Industries ne présentait aucun projet sérieux de reprise de ses actifs et que son projet prévisionnel ne prenait pas en compte une cessation d'activité effective depuis plusieurs années, sans répondre à ce moyen venant établir ses chances réelles de reprise d'activité et de redressement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS QUE la société Travere Industries a encore fait valoir dans ses écritures que Me O..., ès-qualités de liquidateur, avait négligé la valeur réelle de la technologie et des brevets détenus par la société, estimée entre 7,5 et 12 millions d'euros, n'avait exercé aucune action pour recouvrer les créances, ne s'était pas présentée dans les instances prud'homale opposant la société à ses salariés et n'avait pas permis de connaître avec certitude les créances et les dettes de l'entreprise, autant d'agissements n'ayant d'autre objet que de précipiter la société Travere Industries vers la liquidation judiciaire, qu'elle était pourtant en mesure d'éviter (Prod. 9, concl. p. 3, § 5 à 8) ; qu'en décidant que le redressement de la société Travere Industries était manifestement impossible, sans répondre à ce moyen venant établir que les agissements du mandataire avaient compromis les chances d'obtenir l'arrêté du plan de redressement de la société et devaient être pris en compte pour apprécier ses chances de redressement, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.