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14/10/2020 | FRANCE | N°18-24209

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 14 octobre 2020, 18-24209


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 octobre 2020

Rejet

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 872 F-D

Pourvoi n° M 18-24.209

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 OCTOBRE 2020

La société Renk France, société par actions s

implifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-24.209 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2018 par la cour d'appel d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

FB

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 octobre 2020

Rejet

Mme LEPRIEUR, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 872 F-D

Pourvoi n° M 18-24.209

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 OCTOBRE 2020

La société Renk France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° M 18-24.209 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2018 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. B... M..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Richard, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Renk France, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. M..., après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents Mme Leprieur, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Richard, conseiller rapporteur, M. Maron, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 octobre 2018), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 8 février 2017, pourvoi n° 15-28.085), M. M..., engagé par la société Renk France en qualité de contrôleur de gestion le 4 janvier 2010, a été licencié pour faute lourde le 8 février 2013 après avoir saisi le 15 janvier 2013 la juridiction prud'homale notamment d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

2. Le salarié a contesté son licenciement devant la même juridiction.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief fait à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement, d'ordonner la réintégration du salarié et de le condamner à lui payer la somme de 366 248 euros au titre des salaires dus pour la période comprise entre les mois de février 2013 et de septembre 2018, alors « qu'en statuant de la sorte sans rechercher si le montant d'une telle indemnité, indépendante du préjudice réellement subi par le salarié dès lors qu'elle ne tenait pas compte des revenus de remplacement perçus par celui-ci entre l'engagement de la procédure de licenciement et sa réintégration, n'était pas concrètement en l'espèce disproportionné au regard du préjudice subi, dont la société Renk France soutenait qu'il était en réalité inexistant, les revenus du salarié ayant été supérieurs au montant des salaires qu'il aurait perçus en l'absence de licenciement, des fautes reprochées par ailleurs au salarié, de nature à justifier son licenciement et de ce que ce dernier avait échoué à démontrer les fautes reprochées à son employeur dans l'exécution du contrat de travail ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, rendue d'autant plus nécessaire par l'évolution du droit, résultant de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie. Le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont il a pu bénéficier pendant cette période.

6. La cour d'appel, après avoir relevé qu'en licenciant le salarié pour avoir engagé une action judiciaire à son encontre, l'employeur avait porté atteinte à l'exercice d'une liberté fondamentale et que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice du droit d'agir en justice, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, a énoncé que l'employeur devait indemniser le salarié à hauteur des salaires perdus depuis l'engagement de la procédure jusqu'en septembre 2018 sans qu'il y ait lieu de déduire les revenus de remplacement et les autres revenus de la période incriminée.

7. La cour d'appel a légalement justifié sa décision sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Renk France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Renk France et la condamne à payer à M. M... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze octobre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Renk France.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement, ordonné la réintégration de Monsieur M... au poste de contrôleur de gestion, statut IV, coefficient 120 et condamné la société Renk France à lui payer la somme de 366 248 euros au titre des salaires dus pour la période comprise entre les mois de février 2013 et de septembre 2018, outre les bulletins de salaire correspondant et la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et d'avoir dit que le salaire mensuel brut de référence devrait bénéficier des augmentations générales décidées au sein de l'entreprise au titre des années 2013 et suivantes ;

Aux motifs que, sur la validité du licenciement, la lettre de licenciement fixant les limites du litige fait état du motif suivant : « en dernier lieu, vous avez orchestré votre départ de la société pour tenter d'obtenir des indemnités conséquentes, une prise en charge par le Pôle emploi ou le bénéfice éventuel d'aide à la création d'une société d'expertise comptable, que vous êtes susceptible de constituer de développer depuis l'obtention récente de votre diplôme. Vous n'avez pas hésité, nonobstant, votre comportement inqualifiable, à initier une procédure de résiliation de votre contrat aux prétendus torts de l'employeur et à solliciter le, paiement de la somme globale de 176 915 euros, soit l'équivalent de 3 ans de salaire ! [
] » ; que le juge ne peut annuler un licenciement que si la loi le prévoit expressément ou en cas de violation d'une liberté fondamentale ; que, comme le fait justement remarquer M. M..., le droit d'agir en justice, est une liberté fondamentale consacrée par l'article. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'exercice du droit du salarié d'agir en justice à l'encontre de son employeur ne peut être une cause de licenciement ; qu'en l'espèce, il ressort de la lecture de la lettre de licenciement que, contrairement à ce que soutient la société Renk France, elle a bien reproché au salarié d'avoir exercé à son encontre une action en justice – dont elle souligne de surcroît le montant exorbitant des demandes – même si ce motif est mêlé à d'autres, et que l'employeur fustige la mauvaise foi du salarié, alors que celle-ci n'est pas démontrée s'agissant de l'action judiciaire et ne se déduit pas du seul fait que M. M... a été débouté de ses·demandes ; que dès lors, la cour retient qu'en licenciant M. M... pour avoir engagé une action judiciaire à son encontre, l'employeur a porté atteinte à l'exercice d'une liberté fondamentale du salarié ; que le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l'exercice du droit d'agir en justice, entraîne à lui seul la nullité du licenciement ; que la cour fera par conséquent droit à la demande de nullité du licenciement présentée par M. M... pour la première fois en cause d'appel ; que sur les conséquences de la nullité du licenciement, la réintégration du salarié dans l'entreprise est de droit dès lors que celle-ci n'est pas impossible, et il sera par conséquent fait droit à la demande présentée à cette fin, sans qu'il y ait lieu à assortir cette décision d'une astreinte, M. M... devant être réintégré au poste de contrôleur de gestion, statut cadre, coefficient 120, conformément à la classification de la convention collective nationale applicable compte tenu de son ancienneté ; que lorsque le licenciement est nul, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite du montant des salaires dont il a été privé ; que toutefois, M. M... demande à la cour de ne pas déduire de la réparation pécuniaire de son préjudice les montants de ses revenus de remplacement ou des autres revenus perçus durant la période incriminée dès lors que la nullité résulte de la violation d'une liberté fondamentale, ce que conteste la société Renk France qui soutient que le droit d'ester en justice n'a pas de valeur constitutionnelle ; la cour souligne cependant que le droit d'agir en justice appartient à la catégorie des libertés fondamentales et relève que le Conseil constitutionnel dans une décision numéro 2014-424 QPC du 7 novembre 2014 a reconnu qu'il était protégé par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, laquelle a valeur constitutionnelle ainsi que cela ressort du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 ; que la cour condamnera donc la société Renk France à payer à M. M... les salaires perdus depuis l'engagement de la procédure jusqu'en septembre 2018 sans il y ait lieu de déduire les revenus de remplacement et les autres revenus de la période incriminée, sur la base d'un salaire de 5 386 euros de la période courant de février .2013. à septembre 2018 soit une somme de 366 248 euros ; qu'il sera fait droit à la demande présentée par M. M... et le salaire mensuel brut de référence devra bénéficier des augmentations générales décidées au sein de l'entreprise au titre des années 2013 et suivantes ;

Alors, d'une part, qu'en statuant de la sorte sans rechercher si le montant d'une telle indemnité, indépendante du préjudice réellement subi par le salarié dès lors qu'elle en tenait pas compte des revenus de remplacement perçus par celui-ci entre l'engagement de la procédure de licenciement et sa réintégration, n'était pas concrètement en l'espèce disproportionné au regard du préjudice subi, dont la société Renk France soutenait qu'il était en réalité inexistant, les revenus de Monsieur M... ayant été supérieurs au montant des salaires qu'il aurait perçus en l'absence de licenciement, des fautes reprochées par ailleurs au salarié, de nature à justifier son licenciement et de ce que Monsieur M... avait échoué à démontrer les fautes reprochées à son employeur dans l'exécution du contrat de travail ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, rendue d'autant plus nécessaire par l'évolution du droit, résultant de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors, d'autre part, que la société Renk France faisait en toute hypothèse valoir à l'appui de ses conclusions, qu'ayant acquis la qualification d'expert-comptable et exerçant effectivement cette fonction, Monsieur M... ne pouvait prétendre exercer une activité salariée en son sein, en contradiction avec les règles du statut des experts-comptables, de sorte que sa réintégration était impossible, de sorte qu'il ne pouvait prétendre à une indemnité égale aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre le début de la procédure de licenciement et la réintégration demandée ; qu'en ne répondant pas à ce chef pertinent des écritures d'appel de l'exposante, la cour d'appel a, quel qu'en ait été le mérite, entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et l'a privé de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-24209
Date de la décision : 14/10/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 31 octobre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 14 oct. 2020, pourvoi n°18-24209


Composition du Tribunal
Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.24209
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