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13/10/2020 | FRANCE | N°19-85527

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 octobre 2020, 19-85527


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° H 19-85.527 F-D

N° 1690

SM12
13 OCTOBRE 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2020

M. D... N... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2019, qui, dans la procédure suivie cont

re lui du chef de diffamation non publique, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires et des observations complément...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° H 19-85.527 F-D

N° 1690

SM12
13 OCTOBRE 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 OCTOBRE 2020

M. D... N... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2019, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation non publique, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. D... N..., les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de L'institut nationale de recherches archéologiques préventives (INRAP), et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. L'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) a fait citer devant le tribunal de police, du chef précité, M. N..., président de la société Eveha, pour avoir écrit aux préfets de région une lettre contenant les propos suivants : « [...] la société Eveha a récemment déposé plainte pour prise illégale d'intérêts contre l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), établissement public sous tutelle du ministère de la culture et du ministère de la recherche, en raison des fouilles archéologiques réalisées par celui ci lorsque ces fouilles étaient susceptibles de bénéficier d'une prise en charge par le Fonds national d'archéologie préventive (FNAP) dont l'INRAP est gestionnaire. / Lorsqu'il réalise des fouilles bénéficiant d'une prise en charge, l'INRAP paie en effet aux aménageurs les sommes financées par le FNAP au titre de la prise en charge ou se paie à lui-même les sommes grâce au mandat confié par les aménageurs physiques au titre de l'article R. 524-31 du Code de patrimoine. / Au regard de l'article L. 432-12 du code pénal, ces éléments sont constitutifs du délit de prise illégale d'intérêts : / - L'INRAP est un établissement public chargé d'une mission de service public, / - il prend un intérêt (obtention d'un marché de fouille archéologique préventive dont il facture la réalisation à un aménageur), / - dans une opération (en l'occurrence l'opération de prise en charge, partielle ou totale, du prix de la fouille par le FNAP), / - dont il a la charge d'exécuter le paiement. / [...] en délivrant par arrêté préfectoral une autorisation de fouille attribuée à l'INRAP lorsqu'il y a prise en charge par le FNAP – dont les dossiers de prise en charge sont instruits par les services de l'Etat en région, le préfet pourrait être susceptible de faciliter la mise en place de telles pratiques. »

3. Le juge du premier degré a relaxé le prévenu. La partie civile a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

5.Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. N... entièrement responsable du préjudice subi par l'INRAP du fait de la diffamation non publique constitutive d'une faute civile qu'il a commise à son encontre, alors :

« 1°/ que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la nécessité de l'ingérence et la légitimité du but poursuivi s'apprécient au regard notamment du caractère d'intérêt général du sujet ; qu'en ne prenant pas en compte le caractère d'intérêt général du sujet traité en l'espèce, les juges d'appel ont privé leur décision de toute base légale au regard des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en retenant que « le prévenu ne prouve pas qu'il a agi (
) en l'absence d'animosité personnelle », l'arrêt a renversé la charge de la preuve et violé les articles 29, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en se déterminant par des motifs impropres ou insuffisants à caractériser une animosité personnelle, les juges d'appel ont privé leur décision de toute base légale au regard des articles 29, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que le délit de prise illégale d'intérêts ne requiert ni enrichissement personnel ni intention frauduleuse, l'intention coupable étant caractérisée par le seul fait que l'auteur accomplit sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit ; que par suite, le fait que la décision du 1er juin 2017 de l'Autorité de la concurrence ne permette pas de remettre en cause la probité de l'INRAP n'est pas exclusif d'une base factuelle suffisante ; que la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant derechef sa décision toute base légale au regard des articles 29, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

5°/ qu'au titre de l'enquête sérieuse et de la base factuelle, outre la décision n°17-D-09 du 1er juin 2017 relatives à des pratiques mises en oeuvre par l'INRAP dans le secteur de l'archéologie préventive, M. N... se fondait de manière déterminante sur la législation applicable et faisait valoir que « le fait que l'INRAP ait un rôle de gestion du Fnap et qu'elle procède à sa liquidation serait susceptible de constituer une prise illégale d'intérêts au sens de l'article 432-12 du code pénal. C'est l'objet de la plainte du 1er février 2018 » ; qu'en s'abstenant de toute analyse du contenu de la plainte du 1er février 2018 et de la législation applicable concernant la gestion et l'attribution des fonds du FNAP, les juges d'appel ont privé leur décision de toute base légale au regard des articles 29, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, R. 621-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

6. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.

7. Il se déduit du deuxième et du troisième de ces textes que, si c'est au seul auteur d'imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d'établir les circonstances particulières qui démontrent cette exception, celle-ci ne saurait être légalement admise ou rejetée par les juges qu'autant qu'ils analysent les pièces produites par le prévenu et énoncent précisément les faits sur lesquels ils fondent leur décision.

8. Enfin, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour, écartant le bénéfice de la bonne foi, infirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce que M. N... ne prouve pas qu'il a agi dans un but légitime d'information et en l'absence d'animosité personnelle alors qu'il impute à l'INRAP les difficultés financières de son entreprise, antérieures à l'envoi litigieux, et qu'il ne cherchait pas à divulguer une information désintéressée aux préfets de région, décisionnaires en matière d'autorisation de fouilles, dans l'intérêt général de toutes les sociétés concurrentes de l'INRAP, mais seulement à dénoncer un comportement prétendument délictueux au seul détriment de sa société, principal opérateur privé concurrent de l'établissement public, pour faire pression sur les préfets de région, en suggérant qu'en délivrant des autorisations à l'INRAP, ils seraient eux-mêmes susceptibles d'être poursuivis.

10. Les juges ajoutent que, d'une part, au moment de l'envoi litigieux, la plainte pour prise illégale d'intérêts dont M. N... faisait état n'avait pas abouti, puisqu'il n'avait pas encore reçu la lettre du 23 mai 2018 par laquelle le procureur de la République l'a ensuite informé de ce qu'il avait saisi l'Autorité de la concurrence de la difficulté, d'autre part, la précédente décision de cette autorité décrivant l'utilisation par l'INRAP d'informations privilégiées au titre de son activité de diagnostic et des pratiques tarifaires anticoncurrentielles, sans toutefois qu'il y soit fait état de l'infraction pénale de prise illégale d'intérêts, qui suppose un caractère intentionnel, ne permettait pas de remettre en cause la probité de cette personne publique.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, le second juge n'a pas examiné certains des éléments dont M. N... se prévalait devant lui, et spécialement un rapport de l'inspection générale des finances du mois de juin 2010 et un référé de la Cour des comptes du 6 juin 2013 évoquant, selon ses conclusions, « les ponctions répétées sur la trésorerie du Fonds national pour l'archéologie préventive (FNAP), au détriment de la neutralité de son emploi [qui] illustrent les graves défaillances du financement de l'INRAP ».

13. En deuxième lieu, le juge ne pouvait déduire l'existence d'une animosité personnelle de l'objet même du courrier incriminé, par lequel M. N... entendait informer les autorités décisionnaires en matière d'archéologie préventive de ce qu'en sa qualité d'opérateur privé du secteur, il avait pris le risque de déposer une plainte visant l'établissement public compétent, à raison d'une situation de conflit d'intérêts dans laquelle celui-ci serait institutionnellement placé.

14. Enfin, il ne pouvait pas plus déduire de la seule circonstance que M. N... agissait dans l'intérêt privé de la société qu'il dirige, l'absence de tout caractère d'intérêt général à l'envoi d'une telle lettre, dépourvue de tout caractère public, aux seuls représentants de l'Etat dans les régions.

15. La cassation est, en conséquence, encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 3 juillet 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Limoges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize octobre deux mille vingt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-85527
Date de la décision : 13/10/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, 03 juillet 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 oct. 2020, pourvoi n°19-85527


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.85527
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