LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MY2
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er octobre 2020
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 694 F-D
Pourvoi n° S 19-20.216
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020
M. M... I..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° S 19-20.216 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2019 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. S... X...,
2°/ à Mme H... O..., épouse X...,
tous deux domiciliés [...] ,
3°/ à la société Cindy et Arnauld, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de M. I..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme X..., après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 7 mai 2019), le 22 novembre 2012, M. et Mme X... ont acquis une maison d'habitation de M. I..., lequel l'avait acquise le 24 février 2006 de la société civile immobilière Cindy et Arnauld (la SCI Cindy et Arnauld), qui l'avait fait construire en 2004.
2. Ayant découvert que la charpente était défectueuse et susceptible d'effondrement, M. et Mme X... ont assigné M. I... et la SCI Cindy et Arnauld, au titre de la garantie des vices cachés et de la responsabilité du vendeur constructeur, en paiement du coût des travaux de reprise des désordres et en indemnisation de leurs divers préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. M. I... fait grief à l'arrêt de limiter à 50 % la part contributive de la SCI Cindy et Arnauld, alors « que le recours entre les co-responsables d'un dommage s'opère à proportion de leurs fautes respectives de sorte qu'un des prétendus co-responsables n'ayant commis aucune faute dispose d'un recours intégral contre le co-responsable fautif ; qu'après avoir retenu la connaissance qu'avait la SCI Cindy et Arnauld du vice de construction dans la mesure où elle avait fait construire la maison d'habitation avant de la vendre à M. I..., la cour d'appel s'est bornée à relever que « l'acte de vente entre la SCI et M. I..., produit par celui-ci précise que la maison est vendue inachevée et M. I... ne donne aucune indication dans ses écritures sur les circonstances de son achat », pour décider que le recours de M. I... à l'encontre de la SCI ne devait être admis qu'à hauteur de 50 % ; que faute d'avoir caractérisé une quelconque faute à l'encontre de M. I... le privant de son recours intégral contre la SCI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, devenus 1240 et 1241 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, qui a condamné M. I... à indemniser M. et Mme X... des désordres affectant la charpente et des divers préjudices en résultant, a retenu que celui-ci avait connaissance du vice caché au moment de la vente.
6. Elle a ainsi caractérisé la faute de M. I... ayant contribué au dommage des derniers acquéreurs.
7. Le motif pris des relations ayant existé entre les co-responsables lors de la première vente étant surabondant, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a ainsi légalement justifié sa décision de limiter à 50 % le recours de M. I... contre la SCI Cindy et Arnauld.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. I... et le condamne à payer à M. et Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour M. I....
Premier moyen de cassation
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M I... in solidum avec la SCI Cindy et Arnauld à verser aux époux X... la somme de 71.608 € au titre de la reprise des désordres actualisée selon l'indice Insee BT 01 à compter du 29 juillet 2015, et celle de 4.200 € au titre de leur préjudice de jouissance, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 octobre 2016 ;
aux motifs propres que « (
) Les parties ne contestent pas les graves désordres qui affectent la charpente décrits par l'expert, M. U..., page 8: défaut de scellement des pannes en pignon, poinçons de fermes porteuses fissurés, calage anarchique des chevrons, chevrons en porte-à-faux, aboutements de pannes par simples planches, fermes posées sans aplomb, souplesse anormale de la charpente". Ces défauts lui font conclure: "Nous sommes en présence de déformations permanentes, de fissurations, d'attaches structurelles "bricolées" et incompatibles avec un cheminement correct des efforts. Les bois de structure ne peuvent avoir été empilés a posteriori suivant nos observations, ces non conformités existent depuis l'origine de la construction de la toiture". La charpente de la maison, construite en 2004, a été réalisée en dehors de toute règle de l'art. Ce vice rend le bien impropre à son usage d'habitation. L'acte de vente conclu entre M. I... et les époux X... contient la clause d'usage qui exonère le vendeur de la garantie des vices cachés qu'il ignorait (pièce intimés 1, page 19). M. I... conteste vivement avoir eu connaissance du défaut de la charpente et, de fait, la charge de cette preuve repose sur les époux X.... M. E..., artisan couvreur, contacté par les époux X... dans le cadre de l'expertise pour chiffrer les travaux de réfection, atteste être déjà venu du temps de M. I..., en mars 2009, pour remplacer des tuiles: "j'ai constaté qu'il y avait un problème de conception de la charpente de la maison et l'en ai informé". Le fait que quatre devis aient ensuite été établis pour les époux I... ne saurait suffire à discréditer ce témoignage précis et écrit en février 2014, qui expose son auteur à des poursuites pour faux témoignage. M. I... est resté cinq ans et demi dans les lieux. Il est plus que vraisemblable, en l'état d'une charpente fragile, qu'il ait effectivement eu à connaître des problèmes de toiture durant ce long laps de temps, de sorte, d'une part, que l'attestation de M. E... est confortée et, d'autre part, de toutes les façons, qu'il est totalement improbable que M. I... ait vendu en ignorant le vice de la charpente. En outre, le premier artisan ayant alerté, en mars 2014, les époux X..., la Sarl Dobel Guillemont et Fils déclarait avoir constaté que la charpente pliait et qu'elle était soutenue par un étai qui avait été installé là comme renfort de fortune (pièce intimé 3). Ces éléments doivent conduire, comme l'a considéré à juste titre le premier juge, à considérer que M. I... avait connaissance des malfaçons de la charpente au moment de la vente et à lui appliquer la garantie des vices cachés. M. et Mme X... affirment avoir recherché en vain l'entreprise qui a confectionné la charpente et exposent les diligences qu'ils ont accomplies sans succès pour retrouver la SCI Cindy et Arnaud. L'article 1792-1 du code civil réputé constructeur: "2°) toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire". Cette action en garantie est un accessoire de l'immeuble qui se transmet avec lui et qui permet aux sous-acquéreurs de l'exercer dans le délai de dix ans à compter de la réception. Il pourrait tout aussi bien s'agir de la garantie des vices cachés due par le premier vendeur qui se transmet, également, au sous-acquéreur. M. I... ne conteste pas cette condamnation qui ne le touche pas directement. La SCI ne comparaît pas pour la contredire. Elle mérite pleinement d'être confirmée. C'est donc encore à bon droit que le premier juge a fait remonter la garantie jusqu'à la SCI aux côtés de la garantie des vices cachés du vendeur due par M. I... et le jugement sera confirmé sur le principe des deux condamnations in solidum.(
) M. I... ne remet pas en cause les évaluations faites par l'expert du préjudice de jouissance et des travaux de réfection, étant précisé que celui-ci a préféré le devis de la société Ternel qui prévoit la récupération des tuiles existantes, au devis de la société Chive-Panet, pour le poste principal de réfection de la charpente (50113 €). Au total, l'expert chiffre le dommage matériel lui-même à la somme de 71.608 €. Il reproche au jugement d'avoir statué ultra petita en accordant la somme de 73.608 €. De fait, cette somme de 73.608€ inclut le coût de travaux provisoires pour 2.000 € (page 12 du rapport) que les époux X... ne prétendent pas avoir accomplis. La condamnation sera donc ramenée à la somme de 71 608 €.» ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges que « Il ressort des pièces du dossier que : • par acte authentique en date du 28 novembre 2012, les époux X... ont acquis de Monsieur I... un immeuble à usage d'habitation sis à [...], au prix de 200.000 € ; • M. I... avait lui-même acquis le 24 février 2006 de la SCI Cindy et Arnauld qui avait fait cosntruire l'immeuble en 2004, • en 2014, une entreprise intervenant chez les époux X..., la SARL Dobel-Guillemont et Fils, a constaté que la charpente était affectée de graves désordres représentant un réel danger pour les occupants et était susceptible de s'effondrer à l'occasion d'une tempête, • les époux X... ont fait dresser un constat d'huissier le 5 février 2014, • Monsieur F... R..., artisan couvreur, atteste avoir informé le 17 mars 2009 le précédent propriétaire, M. I... , de l'existence des désordres affectant la charpente, • par ordonnance en date du 24 juin 2014, le juge des référés du Tribunal de grande instance d'Amiens a ordonné une expertise judiciaire, à la demande des époux X... et a désigné M. U... A... pour y procéder, • l'assignation de M. I... en référé a été transformée en procès-verbal de recherche article 659 du code de procédure civile et la SCI Cindy et Arnauld a ét assignée en l'étude du notaire, • ni M. I... ni la SCI Cindy et Arnauld n'ont comparu aux opérations d'expertise judiciaire, • dans son rapport daté du 29 juillet 2015, l'expert judiciaire confirme que les désordres existaient depuis l'origine, résultant d'une conception de charpentes qu'il qualifie d'anarchique, et que les acheteurs n'en avaient pas connaissance au jour de la vente (combles accessibles seulement par un trou d'homme), • le solidité de l'ouvrage étant compromise, l'expert a préconisé l'exécution sans délai de travaux provisoires puis de travaux de reprise des désordres chiffrés à 50.113 € pour la couverture et la charpente, 4.135 € pour le lot électricité, 13.360 € pour le lot cloisons, plafonds et isolation et enfin 4.000 € pour le lot papier peint et peinture, soit au total 71.608 € TTC, auxquels s'ajoutent 2.000 € pour les travaux provisoires urgents et un préjudice de jouissance estimé à un chantier de six semaines, durant lesquelles l'immeuble est inhabitable. Il résulte de ces constatations que les désordres affectant la charpente préexistaient à la vente, étaient cachés au jour de la vente mais connus du vendeur et rendent l'immeuble impropre à sa destination. L'acte de vente stipule que l'exonération de la garantie des vices cachés ne peut s'appliquer aux défauts de la chose vendue dont l'acquéreur a déjà connaissance. En outre, l'article 1645 du code civil énonce que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il a perçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acquéreur. En conséquence, le vendeur, M. I... est tenu, outre la restitution d'une partie du prix qu'il a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur (
) Il convient de donc de condamner in solidum M. I... et la SCI Cindy et Arnauld à payer aux époux X... (le coût de reprise des désordres) outre la somme de 100 € par jour à titre de préjudice de jouissance pendant la réalisation des travaux, soit la somme de 4.200 € » ;
1°) alors, d'une part, qu'en présence d'une clause exonératoire de garantie, le vendeur profane n'est tenu à la garantie des vices cachés que si la connaissance qu'il avait des vices est établie; que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel qui constate qu'une clause de l'acte de vente conclu entre M. I... et les époux X... exonère « le vendeur de la garantie des vices cachés qu'il ignorait », a cependant considéré que le vendeur avait eu connaissance des malfaçons de la charpente au moment de la vente aux motifs qu'étant resté cinq ans et demi dans les lieux, « il est plus que vraisemblable, en l'état d'une charpente fragile, qu'il ait effectivement eu à connaître des problèmes de toiture durant ce long laps de temps, et « qu'il est totalement improbable que M. I... ait vendu en ignorant le vice de la charpente » ; qu'en statuant ainsi par des motifs hypothétiques insusceptibles de démontrer la connaissance certaine des malfaçons de la charpente par Monsieur I..., la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles 455 et 458 du code de procédure civile, ensemble celles des articles 1641 et suivants du code civil ;
2°) alors, d'autre part qu'en présence d'une clause exonératoire de garantie, le vendeur profane n'est tenu à la garantie des vices cachés que si la connaissance qu'il avait des vices lors de la vente est établie; que pour considérer que le vendeur avait eu connaissance des malfaçons de la charpente au moment de la vente, la cour d'appel s'est fondée sur l'attestation d'un artisan, la SARL Dobel Guillemont et Fils déclarant en 2014, avoir constaté la présence d'un étai dans la charpente (arrêt attaqué p. 4, § 5) ; qu'en retenant ainsi l'attestation d'un artisan intervenu postérieurement à la vente en 2012 et donc impropre à justifier un vice dont l'acquéreur avait pu se convaincre lui-même, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1641 et suivants du code civil.
Second moyen de cassation
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SCI Cindy et Arnauld à garantir les condamnations de M. I... à hauteur de seulement 50 %, y compris sur les dépens et les frais d'expertise de première instance ;
aux motifs propres que « (
) M. I... forme recours en contribution contre la SCI Cindy et Arnaud pour être garanti en totalité des condamnations qui seront mises à sa charge. La SCI Cindy et Arnaud qui a construit ou fait construire l'ouvrage ne pouvait non plus ignorer l'état "anarchique" de la charpente tel que décrit par l'expert. Entre co-auteurs d'un dommage, dans le cas d'une responsabilité pour faute, la contribution au dommage entre eux se fait à proportion de leurs fautes respectives. La SCI Cindy et Arnaud était a priori plus à même de connaître le vice et d'y remédier. Toutefois, la cour observe que l'acte de vente entre la SCI et M. I..., produit par celui-ci (pièce 10, page 7) précise que la maison est vendue inachevée et M. I... ne donne aucune indication dans ses écritures sur les circonstances de son achat. Le recours de M. I... sera reçu à hauteur de 50 % » ;
et aux motifs adoptés des premiers juges que « Lorsqu'une personne vend après achèvement un immeuble qu'elle a construit ou fait construire, l'action en garantie décennale n'est pas exclusive de l'action en garantie des vices cachés de droit commun de l'article 1641. La garantie décennale accompagne, en tant qu'accessoire, l'immeuble. En l'espèce, l'immeuble a été construit par.la SCI Cindy et Arnauld, ainsi que cela résulte de l'acte de vente des époux X.... Selon l'expert, la conception non conforme aux règles de l'art et la réalisation défectueuses de la charpente compromettent la solidité de l'ouvrage. En conséquence, le constructeur, la SCI Cindy et Arnauld, est tenu de la garantie décennale à l'encontre des époux X... » ;
alors que le recours entre les co-responsables d'un dommage s'opère à proportion de leurs fautes respectives de sorte qu'un des prétendus co-responsables n'ayant commis aucune faute dispose d'un recours intégral contre le co-responsable fautif ; qu'après avoir retenu la connaissance qu'avait la SCI Cindy et Arnauld du vice de construction dans la mesure où elle avait fait construire la maison d'habitation avant de la vendre à M. I..., la cour d'appel s'est bornée à relever que « l'acte de vente entre la SCI et M. I..., produit par celui-ci (pièce 10, page 7) précise que la maison est vendue inachevée et M. I... ne donne aucune indication dans ses écritures sur les circonstances de son achat » (arrêt attaqué p. 5, § 2 et 3), pour décider que le recours de M. I... à l'encontre de la SCI ne devait être admis qu'à hauteur de 50%; que faute d'avoir caractérisé une quelconque faute à l'encontre de M. I... le privant de son recours intégral contre la SCI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, devenus 1240 et 1241 du code civil.