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01/10/2020 | FRANCE | N°18-16888

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 01 octobre 2020, 18-16888


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er octobre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 725 FS-P+B+R+I

Pourvoi n° D 18-16.888

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020

Mme B... J..., notaire pour la société civile de const

ruction vente Elypseo, domiciliée 10-11 quai Kléber, 67000 Strasbourg, a formé le pourvoi n° D 18-16.888 contre l'arrêt rendu le 15 mars 2018 pa...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

LM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 1er octobre 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 725 FS-P+B+R+I

Pourvoi n° D 18-16.888

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER OCTOBRE 2020

Mme B... J..., notaire pour la société civile de construction vente Elypseo, domiciliée 10-11 quai Kléber, 67000 Strasbourg, a formé le pourvoi n° D 18-16.888 contre l'arrêt rendu le 15 mars 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12).

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guillaudier, conseiller référendaire, puis après avoir entendu M. A... N..., secrétaire général de l'Institut du droit local d'Alsace-Moselle en ses observations en application de l'article 1015-2 du code de procédure civile et celui-ci ayant déposé une note écrite, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme J..., et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guillaudier, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Pronier, Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, conseillers, Mmes Georget, Djikpa, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 15 mars 2018), par acte du 30 décembre 2015, dressé par Mme J..., notaire à Strasbourg, la société civile de construction vente Elypseo a vendu un immeuble en l'état futur d'achèvement à M. F....

2. Le notaire a déposé une requête tendant à l'inscription du privilège du vendeur, laquelle a été rejetée par le juge du livre foncier de Strasbourg.

3. Le juge du livre foncier ayant maintenu son opposition, Mme J... a formé un pourvoi immédiat contre son ordonnance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme J... fait grief à l'arrêt de rejeter le pourvoi formé contre la décision du juge du livre foncier, alors « qu'en Alsace-Moselle, les privilèges sont ceux prévus par la législation civile française ; que les règles concernant l'organisation, la constitution, la transmission et l'extinction des droits réels immobiliers et autres droits et actes soumis à publicité sont celles de la législation civile française, sous réserve des dispositions du droit local ; que ces dispositions prévoient, d'une part, que, dès le dépôt de la requête en inscription et sous réserve de leur inscription, les droits relatifs à la propriété immobilière sont opposables aux tiers qui ont des droits sur les immeubles et qui les ont fait inscrire régulièrement, d'autre part, que l'inscription des droits a lieu sur requête, et que les requêtes sont portées sur le registre des dépôts, au fur et à mesure de leur dépôt et, enfin, que la date et le rang de l'inscription sont déterminés par la mention du dépôt de la requête, portée au registre des dépôts ; qu'il s'ensuit que, dans le droit local, le privilège du vendeur peut toujours être inscrit et que l'inscription du privilège prend rang au jour du dépôt de la requête en inscription, de sorte qu'il est dérogé au droit français en ce que n'est pas applicable le délai de deux mois prévu pour inscrire le privilège du vendeur afin que celui-ci prenne rang à la date de l'acte de vente ; qu'en jugeant au contraire que ce délai de deux mois ne serait pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixerait la condition d'efficacité du privilège du vendeur, et qu'à ce titre, cette disposition, applicable sur le territoire national, le serait également en Alsace-Moselle, la cour d'appel a violé l'article 2379 du code civil, ensemble les articles 36, 36-1, 38, 38-1, 45 et 52 de la loi du 1er juin 1924. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2379, alinéa 1er, du code civil et les articles 36, 36-1, 38, 45 et 52 du chapitre III de la loi du 1er juin 1924 :

5. Selon le premier de ces textes, le vendeur privilégié, ou le prêteur qui a fourni les deniers pour l'acquisition d'un immeuble, conserve son privilège par une inscription qui doit être prise, à sa diligence, en la forme prévue aux articles 2426 et 2428, et dans le délai de deux mois à compter de l'acte de vente. Le privilège prend rang à la date dudit acte.

6. Cette disposition, qui conditionne l'efficacité du privilège, est une disposition de fond dès lors que, en application de l'article 2386 du code civil, si le délai n'est pas respecté, le privilège dégénère en hypothèque et ne prend rang, à l'égard des tiers, que de la date de l'inscription.

7. La loi du 1er juin 1924 a mis en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

8. Selon les articles 36 et 36-1 de cette loi, dans ces départements, les droits sur les immeubles, les privilèges et les hypothèques sont ceux prévus par la législation civile française et les règles concernant l'organisation, la constitution, la transmission et l'extinction des droits réels immobiliers et autres droits et actes soumis à publicité sont celles de la législation civile française, sous réserve de plusieurs dispositions.

9. Il résulte ainsi de ses articles 38, 45 et 52 que les privilèges sont inscrits au livre foncier, aux fins d'opposabilité aux tiers, que la date et le rang de l'inscription sont déterminés par la mention du dépôt de la requête, portée au registre des dépôts, et que l'inscription des privilèges et des hypothèques est sans effet rétroactif.

10. Selon l'article 52 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, il n'est pas dérogé aux dispositions du chapitre III de la loi du 1er juin 1924, régissant les droits sur les immeubles situés dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

11. Les dispositions spécifiques du droit local, qui n'ont pas été abrogées par le décret du 4 janvier 1955 et qui instituent un régime spécial avec des règles de fond différentes de celles du droit général, continuent donc à s'appliquer dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

12. Dès lors, le délai de deux mois prévu par l'article 2379, alinéa 1er, du code civil n'est pas applicable dans ces départements.

13. Pour rejeter le pourvoi formé contre la décision de rejet de la requête en inscription du privilège du vendeur par le juge du livre foncier, l'arrêt retient que le délai de deux mois imposé par l'article 2379 du code civil n'est pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixe la condition d'efficacité du privilège du vendeur et que cette disposition est applicable en Alsace-Moselle.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Maunand, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du premier octobre deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme J..., notaire pour la société civile de construction vente Elypseo

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté le pourvoi immédiat formé par Maître J... contre l'ordonnance du 4 avril 2017, par laquelle le juge du livre foncier de STRASBOURG a rejeté sa requête en inscription des charges (privilège du vendeur et droit à la résolution), avec pour date extrême d'effet le 31 décembre 2018 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « les dispositions de l'article 2379 du code civil prévoient que « le vendeur privilégié, ou le prêteur qui a fourni les deniers pour l'acquisition d'un immeuble, conserve son privilège par une inscription qui doit être prise, à sa diligence, en la forme prévue aux articles 2426 et 2428, et dans le délai de deux mois à compter de l'acte de vente ; le privilège prend rang à la date dudit acte » ; le délai de deux mois imposé par cette disposition n'est pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixe la condition d'efficacité du privilège du vendeur ; à ce titre, cette disposition, applicable sur le territoire national, l'est également en ALSACE MOSELLE, selon le principe général posé par l'article 5 de la loi du 1er juin 1924 ; en l'espèce, l'inscription du privilège du vendeur n'a pas été requise dans le délai légal, ce qui n'est pas contesté ; ce motif justifie le rejet de la requête » (arrêt, p. 2) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « rejet partiel pour ce qui concerne l'inscription des charges : privilège du vendeur et droit à la résolution, avec pour date extrême d'effet le 31 décembre 2018, sur le fondement : 1/ de l'article 2379 du code civil, lequel stipule : - pour le privilège du vendeur, en son alinéa 1er : « le vendeur privilégié, ou le prêteur qui a fourni les deniers pour l'acquisition d'un immeuble, conserve son privilège par une inscription qui doit être prise, à sa diligence, en la forme prévue aux articles 2426 et 2428, et dans le délai de deux mois à compter de l'acte de vente ; le privilège prend rang à la date dudit acte » ; - pour le droit à la résolution, en son alinéa 2 : « l'action résolutoire établie par l'article 1654 ne peut être exercée après l'extinction du privilège du vendeur, ou à défaut d'inscription de ce privilège dans le délai ci-dessus imparti, au préjudice des tiers qui ont acquis les droits sur l'immeuble du chef de l'acquéreur et qui les ont publiés » ; 2/ de la jurisprudence de la cour d'appel de COLMAR – Arrêt en date du 12 septembre 2014 (RG 10/6089) – dont les motifs sont repris in extenso ci-après : « Attendu que les dispositions de l'article 2379 du code civil, qui sont applicables également en droit local, prévoient que le vendeur d'un immeuble ne « conserve » son privilège que par une inscription qui doit être prise, à sa diligence, dans le délai de deux mois à compter de l'acte de vente ; attendu qu'il est constant qu'en l'espèce l'inscription du privilège du vendeur n'a pas été requise dans le délai légal ; que ce seul motif suffit à justifier le rejet de la requête ; attendu que subsidiairement le juge n'était pas saisi d'une requête en inscription d'une hypothèque légale » ; en l'espèce : l'acte de vente en l'état futur d'achèvement, fondement de la présente requête, a été établi le 30 décembre 2015 et a fait l'objet d'un dépôt au Livre Foncier le 14 juin 2016, soit dans un délai de 5 mois et demi, délai bien supérieur au délai prescrit par l'article 2379 du code civil ; vu l'ordonnance intermédiaire en date du 18 juillet 2016 au terme de laquelle l'attention du requérant était attirée quant à cet état de fait et aux prescriptions de l'article 2379 du code civil ; vu les ordonnances intermédiaires en date des 9 novembre 2016 et 19 janvier 2017, au terme desquelles le requérant était invité à faire part de ses observations quant à la transformation de l'inscription en hypothèque légale en application de l'article 15 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 ; vu l'article 84 du décret 2009-1193 du 7 octobre 2009 relatif au livre foncier et à son informatisation dans les départements du BAS-RHIN, du HAUT-RHIN et de la MOSELLE » (ordonnance du 4 avril 2017, pp. 1 et 2) ;

ALORS QUE, en ALSACE-MOSELLE, les privilèges sont ceux prévus par la législation civile française ; que les règles concernant l'organisation, la constitution, la transmission et l'extinction des droits réels immobiliers et autres droits et actes soumis à publicité sont celles de la législation civile française, sous réserve des dispositions du droit local ; que ces dispositions prévoient, d'une part, que, dès le dépôt de la requête en inscription et sous réserve de leur inscription, les droits relatifs à la propriété immobilière sont opposables aux tiers qui ont des droits sur les immeubles et qui les ont fait inscrire régulièrement, d'autre part, que l'inscription des droits a lieu sur requête, et que les requêtes sont portées sur le registre des dépôts, au fur et à mesure de leur dépôt et, enfin, que la date et le rang de l'inscription sont déterminés par la mention du dépôt de la requête, portée au registre des dépôts ; qu'il s'ensuit que, dans le droit local, le privilège du vendeur peut toujours être inscrit et que l'inscription du privilège prend rang au jour du dépôt de la requête en inscription, de sorte qu'il est dérogé au droit français en ce que n'est pas applicable le délai de deux mois prévu pour inscrire le privilège du vendeur afin que celui-ci prenne rang à la date de l'acte de vente ; qu'en jugeant au contraire que ce délai de deux mois ne serait pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixerait la condition d'efficacité du privilège du vendeur, et qu'à ce titre, cette disposition, applicable sur le territoire national, le serait également en ALSACE MOSELLE, la cour d'appel a violé l'article 2379 du code civil, ensemble les articles 36, 36-1, 38, 38-1, 45 et 52 de la loi du 1er juin 1924.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 18-16888
Date de la décision : 01/10/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

PRIVILEGES - Vendeur d'immeuble - Inscription - Délai - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Alsace-Moselle - Portée

ALSACE-MOSELLE - Propriété immobilière - Livre foncier - Privilèges du vendeur - Inscription - Délai - Domaine d'application - Détermination - Portée

Le délai de deux mois prévu par l'article 2379, alinéa 1, du code civil n'est pas applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Dès lors, doit être cassé l'arrêt qui, pour rejeter le pourvoi formé contre la décision de rejet de la requête en inscription du privilège du vendeur par le juge du livre foncier, retient que le délai de deux mois imposé par l'article 2379 du code civil n'est pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixe la condition d'efficacité du privilège du vendeur et que cette disposition est applicable en Alsace-Moselle


Références :

article 2379 du code civil.

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 15 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 01 oct. 2020, pourvoi n°18-16888, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.16888
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