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24/09/2020 | FRANCE | N°19-22695

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 24 septembre 2020, 19-22695


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 septembre 2020

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 889 FS-P+B+I

Pourvoi n° M 19-22.695

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020

La fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Gar

onne, dont le siège est 53 avenue Jean Moulin, 82000 Montauban, a formé le pourvoi n° M 19-22.695 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 septembre 2020

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 889 FS-P+B+I

Pourvoi n° M 19-22.695

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020

La fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne, dont le siège est 53 avenue Jean Moulin, 82000 Montauban, a formé le pourvoi n° M 19-22.695 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société M..., exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [...], prise en la personne de M. U... M...,

2°/ à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, dont le siège est 2 quai de Verdun, 82000 Montauban,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société M..., et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, M. Besson, conseiller, Mmes Touati, Guého, M. Talabardon, Mme Bohnert, M. Ittah, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, Mme Touati, conseiller référendaire étant appelée à compléter la chambre conformément à l'article L 431-3 du code de l'organisation judiciaire, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 31 janvier 2019) l'EARL de M..., exploitante agricole, se plaignant de dégâts causés courant 2014 à ses vergers par du grand gibier, a saisi la fédération départementale des chasseurs de Tarn-et-Garonne (la fédération) de déclarations aux fins d'indemnisation en application des dispositions de l'article R. 426-12 du code de l'environnement.

2. Contestant la proposition d'indemnisation de la fédération, confirmée par la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, l'EARL de M... a saisi, le 26 novembre 2014, la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier, après avoir engagé contre la fédération, par acte du 27 août 2014, une procédure devant un tribunal d'instance aux fins d'expertise et d'indemnisation forfaitaire.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La fédération fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'EARL de M... la somme de 62 370 euros alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne peut statuer sur une demande d'indemnisation de dégâts de gibiers, par la fédération départementale des chasseurs, sur le fondement de l'article L. 426-1 du code de l'environnement, tant que la procédure non contentieuse d'indemnisation organisée par les articles R. 426-12 et suivants du code de l'environnement, mise en oeuvre par le plaignant, n'a pas donné lieu à une décision de la Commission nationale d'indemnisation laquelle peut le cas échéant être déférée au juge judiciaire ; qu'en énonçant que l'EARL de M... était recevable à poursuivre devant la juridiction judiciaire, la procédure d'indemnisation, après avoir constaté que la commission nationale d'indemnisation saisie par l'EARL de M... n'avait pas encore statué sur la fixation de l'indemnité, la cour d'appel a violé les articles L. 426-1, L. 426-4, L. 426-5, L. 426-7, R 426-17 du code de l'environnement ;

2°/ que le non-respect du délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa saisine, imparti à la commission nationale d'indemnisation pour décider de la suite à réserver au recours contre la décision de la commission départementale d'indemnisation ne comporte aucune sanction ; que dès lors le non-respect de ce délai n'est pas de nature à autoriser le juge judiciaire à statuer sur la demande d'indemnisation dirigée contre la fédération départementale des chasseurs, sans attendre l'issue de la procédure non contentieuse en cours devant cette commission ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article R. 426-17 du code de l'environnement ;

3°/ dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa saisine, la commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier décide de la suite à réserver au recours et, le cas échéant, fixe le montant de l'indemnité qu'elle notifie au réclamant et au président de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs par courrier recommandé avec demande d'avis de réception ; que constitue une information sur la suite à réserver au recours du 26 novembre 2014 interrompant par conséquent le délai de quatre-vingt-dix jours fixé par la loi, le courrier de la commission nationale d'indemnisation du 23 février 2015 informant l'EARL de M... que le recours serait examiné le 10 mars 2015 ; qu'en décidant que l'EARL M... aurait considéré à bon droit que la commission nationale ne l'avait pas informé de la suite à réserver au recours ni fixé le cas échéant le montant de l'indemnité dans le délai prescrit et qu'il serait par conséquent recevable à poursuivre la procédure d'indemnisation devant la juridiction judiciaire, la cour d'appel a violé l'article R. 426-17 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 426-6 du code de l'environnement, tous les litiges nés de l'application des articles L. 426-1 à L. 426-4 du même code sont de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. Il résulte de ces dispositions et de celles des articles L. 426-5 et R. 426-12 à R. 426-19 du même code, relatives à la procédure non contentieuse d'indemnisation des dégâts occasionnés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, que l'exploitant agricole qui a préalablement formé la demande d'indemnisation prévue par l'article R. 426-12 du code de l'environnement, peut, en cas de litige, saisir à tout moment le juge judiciaire d'une action aux fins d'indemnisation forfaitaire de ces dégâts par une fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs.

6. Pour dire recevable l'action engagée par l'EARL de M... en indemnisation, l'arrêt retient que la commission départementale, par décision notifiée le 14 novembre 2014, lui a proposé un certain montant, et que la réclamante a saisi d'une contestation, par lettre recommandée avec avis de réception signé le 26 novembre 2014, la commission nationale d'indemnisation.

7. Ayant constaté l'existence d'un litige opposant l'exploitante agricole à la fédération, la cour d'appel en a exactement déduit qu'était recevable l'action judiciaire aux fins d'indemnisation engagée sur le fondement de l'article L. 426-1 du code de l'environnement, peu important l'issue donnée au recours formé devant la commission nationale d'indemnisation.

8. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

Et sur le troisième moyen

9. La fédération fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'EARL de M... la somme de 62 370 euros alors :

« 1°/ qu'en retenant l'indemnisation d'une totale replantation du verger, après avoir constaté qu'un tiers des arbres n'ont pas été endommagés, la cour d'appel a violé l'article L. 426-1 du code de l'environnement ;

2°/ que les juges du fond ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; que la fédération départementale des chasseurs faisait valoir que les rendements doivent faire l'objet d'une évaluation annuelle et les barèmes doivent être fixés de façon annuelle pour que soient pris en
compte tous les aléas liés à une récolte ; qu'en énonçant qu'il ne serait plus contesté que l'évaluation du dommage année par année ne s'applique pas, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la fédération départementale des chasseurs en violation du principe susvisé ;

3°/ que la procédure d'indemnisation des dégâts de gibiers prévue aux articles L. 426-1 et suivants du code de l'environnement n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice futur qui plus est incertain ; qu'en indemnisant la perte potentielle de production du verger sur une durée de trois années, la cour d'appel a réparé un préjudice futur et incertain en violation de l'article L. 426-1 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

10. Pour évaluer le préjudice subi et fixer l'indemnisation due par la fédération à un certain montant, l'arrêt retient que devant la Cour, il n'est plus contesté que l'évaluation du dommage année par année ne s'applique pas et qu'il convient de faire application des barèmes départementaux.

11. Il ajoute que le litige persiste sur l'étendue des dégradations et donc sur le nombre d'arbres à remplacer, que l'expert judiciaire retient que deux tiers des arbres sont broutés ou frottés, au niveau du tronc ou des charpentières, un tiers des arbres est normal mais le verger doit être considéré comme irrécupérable.

12. L'arrêt précise que le verger, replanté en 2016, n'entrera en production qu'à compter de 2019, trois années de production étant perdues.

13. Il fixe en conséquence l'indemnisation due, en application du barème départemental qui vise le prix de référence d'un marché public, au titre d'une part, de la reconstitution du verger et d'autre part, de la perte de récolte, et opère une réduction de l'indemnisation à concurrence de 30 %, au regard de la carence de l'exploitante dans la plantation initiale du verger.

14. Ayant procédé à l'interprétation souveraine des conclusions de la fédération, que leur ambiguïté rendait nécessaire, quant à l'accord de cette dernière pour l'évaluation du dommage sur une base autre qu'annuelle, la cour d'appel a estimé, au regard des barèmes départementaux applicables, le montant des préjudices réparables subis et notamment celui, futur mais certain, résultant de la perte de récoltes.

15. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est dès lors pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne et la condamne à payer à l'EARL de M... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la fédération départementale des chasseurs du Tarn-et-Garonne

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Fédération Départementale des Chasseurs de Tarn et Garonne à payer à l'EARL de M... la somme de 62.370 euros ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article R 426-16 du code de l'environnement, la décision de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage dans sa formation spécialisée pour l'indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles peut être contestée par le réclamant ou le président de la fédération départementale devant la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception, dans un délai de trente jours à compter de la notification de cette décision. Aux termes de l'article R 426-17 du code de l'environnement, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa saisine, la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier décide de la suite à réserver au recours et, le cas échéant, fixe le montant de l'indemnité qu'elle notifie au réclamant et au président de la Fédération Départementale ou Interdépartementale des Chasseurs par courrier recommandé avec demande d'avis de réception. En l'absence de recours judiciaire dans le délai légal, par l'une ou l'autre des parties, la Fédération Départementale ou Interdépartementale des Chasseurs procède à l'exécution de cette décision. En l'espèce la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage par décision notifiée le 14 novembre 2014 a proposé à l'EARL de M... une indemnisation à concurrence de 1.360,80 euros pour 189 plants avant abattement statutaire de 2 %. Par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 26 novembre 2014, l'EARL de M... a saisi la Commission nationale d'indemnisation d'une contestation de la décision de la Commission départementale. En application de l'article R 426-17 la Commission nationale disposait d'un délai de 90 jours à compter de sa saisine, soit à compter du 26 novembre 2014. Le délai imparti à la Commission nationale pour statuer expirait donc le 25 février 2015. Or, par lettre du 23 février 2015 la Commission nationale d'indemnisation des dégâts du gibier a informé l'EARL de M... qu'elle n'examinerait le recours que le 10 mars 2015. L'information donnée au réclamant de la date à laquelle la Commission se réunira pour examiner le recours ne s'analyse pas en une décision « de la suite à réserver au recours et, le cas échéant, fixe le montant de l'indemnité », la lettre du 23 février ne porte aucune décision sur la recevabilité ou le bien fondé du principe sinon du montant de la réclamation. C'est donc à bon droit que l'EARL de M... a considéré que la Commission nationale ne l'avait pas informée « de la suite à réserver au recours ni fixé le cas échéant, le montant de l'indemnité » dans le délai prescrit de l'article R 426-17 et a saisi le juge judiciaire. La demande de l'EARL est donc recevable à poursuivre devant la juridiction judiciaire, la procédure d'indemnisation introduite par ses réclamations auprès de la fédération de chasse ;

1°- ALORS QUE le juge judiciaire ne peut statuer sur une demande d'indemnisation de dégâts de gibiers, par la fédération départementale des chasseurs, sur le fondement de l'article L 426-1 du code de l'Environnement, tant que la procédure non contentieuse d'indemnisation organisée par les articles R 426-12 et suivants du code de l'environnement , mise en oeuvre par le plaignant, n'a pas donné lieu à une décision de la Commission nationale d'indemnisation laquelle peut le cas échéant être déférée au juge judiciaire ; qu'en énonçant que l'EARL de M... était recevable à poursuivre devant la juridiction judiciaire, la procédure d'indemnisation, après avoir constaté que la Commission nationale d'indemnisation saisie par l'EARL de M... n'avait pas encore statué sur la fixation de l'indemnité, la Cour d'appel a violé les articles L 426-1, L 426-4, L 426-5, L 426-7, R 426-17 du code de l'environnement ;

2°- ALORS QUE le non-respect du délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa saisine, imparti à la Commission nationale d'indemnisation pour décider de la suite à réserver au recours contre la décision de la Commission départementale d'indemnisation ne comporte aucune sanction ; que dès lors le non-respect de ce délai n'est pas de nature à autoriser le juge judiciaire à statuer sur la demande d'indemnisation dirigée contre la fédération départementale des chasseurs, sans attendre l'issue de la procédure non contentieuse en cours devant cette Commission ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article R 426-17 du code de l'environnement ;

3°- ALORS QUE dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de sa saisine, la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier décide de la suite à réserver au recours et, le cas échéant, fixe le montant de l'indemnité qu'elle notifie au réclamant et au président de la Fédération Départementale ou Interdépartementale des Chasseurs par courrier recommandé avec demande d'avis de réception ; que constitue une information sur la suite à réserver au recours du 26 novembre 2014 interrompant par conséquent le délai de 90 jours fixé par la loi, le courrier de la Commission nationale d'indemnisation du 23 février 2015 informant l'EARL de M... que le recours serait examiné le 10 mars 2015 ; qu'en décidant que l'EARL M... aurait considéré à bon droit que la Commission nationale ne l'avait pas informé de la suite à réserver au recours ni fixé le cas échéant le montant de l'indemnité dans le délai prescrit et qu'il serait par conséquent recevable à poursuivre la procédure d'indemnisation devant la juridiction judiciaire, la Cour d'appel a violé l'article R 426-17 du code de l'environnement.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Fédération Départementale des Chasseurs de Tarn et Garonne à payer à l'EARL de M... la somme de 62.370 euros ;

AUX MOTIFS QUE sur le rapport d'expertise, la Fédération s'est désistée de son appel à l'encontre du jugement du 12 novembre 2014 ordonnant une expertise. Ce désistement est sans emport sur sa contestation des diligences de l'expert, étant en outre relevé que la Fédération ne soulève pas la nullité du rapport d'expertise de sorte que les développements de l'EARL sur la nullité dudit rapport sont inopérants. Le jugement du tribunal d'instance de Montauban en date du 12 novembre 2014 donnait pour mission à l'expert désigné, Monsieur E... O... « d'indiquer d'où provenait le gibier, de préciser la cause de ces dommages et de rechercher si le gibier est en nombre excessif et pour quelle raison, dans les autres cas ». L'expert n'ayant pas répondu à ce chef de mission a été reconduit et a déposé son nouveau rapport le 13 décembre 2017.

- Sur la provenance du gibier, l'expert judiciaire, indique que le gibier provient d'un biotope favorable constitué de vergers d'espèces et d'âge différents, de petits ruisseaux ou dépressions occupées de végétation naturelle arborée et buissonnante ainsi que de friches, anciennes parcelles agricoles abandonnées occupées par des arbres épais (anciennes haies) et de la végétation arbustive et herbacée. Une photo aérienne permet de constater que les parcelles ainsi décrites entourent le verger litigieux.

Les dégâts causés au verger de l'EARL de M... ont été commis par du grand gibier provenant d'un autre fonds que le sien.
- Sur la cause des dommages, l'expert relève que les dommages occasionnés au verger en 2014 sont liés aux chevreuils avec des :
* aboutissements de feuilles pour s'alimenter, ce qui est fatal pour de jeunes arbres privés de leurs organes de synthèse des sucres par la photosynthèse, * frottis sur les jeunes troncs et les jeunes charpentières pour marquer le territoire ce qui occasionne le décollement de l'écorce et donc l'interruption de la circulation de la sève des jeunes arbres.
Les protections mises en place (filets) ont été insuffisantes en 2014 pour maîtriser les deux actions de chevreuils. L'expert visite en 2017 le verger replanté en 2016 et constate que les protections mises en 2016 ont été suffisantes pour protéger les arbres, la densité de chevreuils étant maîtrisée, mais leur présence se maintenant.
Il en résulte qu'il conviendra de tenir compte de l'insuffisante protection du verger initial dans l'indemnisation du préjudice.

- Sur la présence excessive de gibier, l'expert précise que l'état du verger observé en 2015 (plantation et dégâts de 2014) ne laisse aucune hésitation sur la notion de gibier en nombre excessif. Il estime qu'il s'agit d'un regroupement familial classique en situation de forte densité. Cette population importante de chevreuils est due :
* à la qualité du biotope et à sa très forte capacité d'accueil pour le chevreuil, * à la très grande sensibilité de certaines productions agricoles et notamment les jeunes verges,
* au fait que le chevreuil est un nouveau gibier dont la maîtrise de la population doit être acquise après une expérience de plusieurs années,
* au fait que la capacité de reproduction du chevreuil était largement sous-estimée avant 2010.
À la suite de sa visite de 2017 l'expert indique que la nouvelle population de chevreuils mieux maîtrisée est due à
* la prise de conscience des impacts économiques du chevreuil sur l'agriculture,
* des mesures de gestion normale adaptées (plan de chasse),
* des mesures de gestion exceptionnelles (action de chasse en été à l'approche et à l'affût).

- Sur le droit de chasse, le verger est inclus dans le territoire de l'ACCA de Mirabel Monsieur U... M... n'est pas titulaire du droit de chasse mais son père est un chasseur actif sur le territoire de l'EARL.
Le plan de chasse a été analysé par l'expert : il a mis en évidence :
*une augmentation progressive des attributions du plan de chasse au chevreuil, manifestant la volonté de la Fédération de maîtriser la population de chevreuils,
* l'égalité des attributions et des prélèvements de 2007 à 2016 traduit l'importance de la population et un hypothétique point d'équilibre en 2016, * la réduction des attributions en 2017, marque le souci de conserver le cheptel de chevreuils.
Des actions exceptionnelles ont été menées : des attributions personnelles ont été données à Monsieur I... A... M... pour qu'il exerce lui-même et localement une pression de chasse particulière, 10 bracelets par an de 2014 à 2017 réalisés à concurrence de 10/10/8/5 au cours de tirs d'été à l'approche ou à l'affût. L'expert conclut qu'en 2017 la population de chevreuils est momentanément maîtrisée par le plan de chasse et les mesures exceptionnelles ci-dessus, l'expert rappelant cependant qu'en milieu si favorable la place laissée vide par les sujets prélevés est rapidement prise par la migration d'animaux du voisinage. Il convient de retenir des éléments recueillis par l'expert, que :

- la population de chevreuils n'a été maîtrisée par la Fédération que postérieurement aux dégradations de 2014,
- le verger est planté dans un biotope très favorable au chevreuil,
- le verger planté en 2013 n'était pas protégé par des moyens efficaces, qui n'ont été mis en oeuvre que sur les arbres de la nouvelle plantation de 2016.

1°- ALORS QUE nul ne peut prétendre à une indemnité pour des dommages causés par des gibiers provenant de son propre fonds ; qu'en se bornant à énoncer qu'une photo aérienne permet de constater que les parcelles décrites par l'expert comme lieu de provenance du gibier « entourent le verger litigieux », sans qu'il résulte de ses constatations que ces parcelles qui entourent le verger de l'EARL de M... seraient la propriété d'un tiers, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 426-2 du code de l'environnement ;

2°- ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que l'EARL de M... fondait exclusivement sa demande en réparation des dégâts de gibier par la Fédération Départementale des Chasseurs sur les dispositions du code de l'environnement sans invoquer un fondement délictuel ni l'existence d'une faute commise par la Fédération ; qu'en se fondant pour faire droit à la demande en réparation des dégâts de gibiers, sur la circonstance que la population de chevreuils n'aurait été maîtrisée par la Fédération que postérieurement aux dégradations de 2014, la Cour d'appel a en retenant ainsi sa responsabilité délictuelle, modifié le fondement de la demande en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

3°- ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de la prétendue faute de la Fédération Départementale des Chasseurs à l'origine des dégâts de gibiers, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°- ALORS QU'en ne précisant pas en quoi la Fédération Départementale des Chasseurs dont il n'est pas constaté qu'elle serait détentrice du droit de chasse sur les parcelles concernées, et qui n'a aucune compétence pour arrêter les plans de chasse qui relèvent de la seule compétence du préfet, aurait eu les moyens de maitriser la population de chevreuil et éviter sa prolifération, la cour d 'appel n'a pas caractérisé sa faute et partant a violé l'article 1382 devenu 1240 du Code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Fédération Départementale des Chasseurs de Tarn et Garonne à payer à l'EARL de M... la somme de 62.370 euros ;

AUX MOTIFS QUE sur l'évaluation du préjudice, devant la cour, il n'est plus contesté que l'évaluation du dommage année par année ne s'applique pas et qu'il convient de faire application des barèmes départementaux. Le litige demeure sur l'étendue des dégradations et donc sur le nombre d'arbres devant être remplacés. La Fédération estime que seuls 189/300 arbres doivent être remplacés, l'expert privé de l'EARL en retenait 207, l'expert judiciaire retient que 2/3 des arbres sont broutés ou frottés, au niveau du tronc ou des charpentières, 1/3 des arbres sont normaux mais le verger doit être considéré comme irrécupérable, le nombre de plants sains étant proportionnellement trop faible pour qu'une opération de regarnis soit techniquement cohérente. Il en résulte que l'on doit retenir une totale replantation du verger. Ce verger devait entrer en production au bout de trois ans. Il a été replanté en 2016 et n'entrera en production qu'à compter de 2019. Trois années de production sont perdues. La qualité des plants produits par l'EARL n'est plus discutée, pas plus que l'état sanitaire des plantations de sorte que la base d'une production de 46 tonnes par hectare proposée par l'expert doit être retenue. Le barème départemental vise le prix de référence d'un marché public, le premier juge a justement retenu celui du MIN de Toulouse en mars 2014 pour des pommes Q... en vrac sans conditionnement soit 1,20 euros /kg. Au vu de ces éléments, l'indemnisation s'établit comme suit :
* reconstitution du verger : 300 pommiers à 5,00 euros l'un + 2,20 euros/plant de frais de replantation, soit (5 + 2,20) x 300 = 2.160,00 euros, * perte de récolte :
- prix du MIN de Toulouse en 2014 en vrac sans conditionnement : 1,20 euros/kg,
- minoré des frais de récolte (barème) et de commercialisation (estimation),
- affecté à la surface à renouveler soit l'intégralité du verger (0,63 ha ou 300 plants),
- soit la somme de 46.000 kg x 0,63 ha x l, 00 euros x 3 années = 86.940,00 euros, * soit la somme de 2.160 + 86.940 = 89.100,00 euros.

Cependant, il a été relevé par l'expert dans son complément d'expertise que les arbres plantés en 2013 et endommagés n'avaient pas été correctement protégés - alors que les arbres replantés en 2016 le sont. Il en résulte que cette carence de l'EARL dans la plantation initiale de son verger conduit à réduire son indemnisation à concurrence de 30 %. Le montant alloué à l'EARL en indemnisation de son préjudice est donc fixé à 89.100 x 70 % = 62.370,00 euros ;

1°- ALORS QU'en retenant l'indemnisation d'une totale replantation du verger, après avoir constaté qu'un tiers des arbres n'ont pas été endommagés, la Cour d'appel a violé l'article L 426-1 du code de l'environnement ;

2°- ALORS QUE les juges du fond ont l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ; que la Fédération Départementale des Chasseurs faisait valoir (conclusions d'appel p. 17) que les rendements doivent faire l'objet d'une évaluation annuelle et les barèmes doivent être fixés de façon annuelle pour que soient pris en compte tous les aléas liés à une récolte ; qu'en énonçant qu'il ne serait plus contesté que l'évaluation du dommage année par année ne s'applique pas, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions de la Fédération Départementale des Chasseurs en violation du principe susvisé ;

3°- ALORS QUE la procédure d'indemnisation des dégâts de gibiers prévue aux articles L 426-1 et suivants du code de l'environnement n'a pas pour objet la réparation d'un préjudice futur qui plus est incertain ; qu'en indemnisant la perte potentielle de production du verger sur une durée de trois années, la Cour d'appel a réparé un préjudice futur et incertain en violation de l'article L 426-1 du code de l'environnement.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-22695
Date de la décision : 24/09/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

CHASSE - Gibier - Dégâts causés aux récoltes - Sangliers ou grands gibiers - Indemnisation par l'Office national de la chasse - Juge judiciaire - Compétence - Issue donnée au recours formé devant la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier - Absence d'influence

CHASSE - Gibier - Dégâts causés aux récoltes - Sangliers ou grands gibiers - Régime spécial de responsabilité et d'indemnisation - Indemnisation par une fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs - Juge judiciaire - Compétence CHASSE - Gibier - Dégâts causés aux récoltes - Sangliers ou grands gibiers - Procédure administrative d'indemnisation en cours - Introduction d'une instance judiciaire - Possibilité CHASSE - Gibier - Dégâts causés aux récoltes - Sangliers ou grands gibiers - Procédure administrative d'indemnisation en cours - Introduction d'une instance judiciaire - Effet

Aux termes de l'article L. 426-6 du code de l'environnement, tous les litiges nés de l'application des articles L. 426-1 à L. 426-4 du même code sont de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. Il résulte de ces dispositions et de celles des articles L. 426-5 et R. 426-12 à R. 426-19 du même code, relatives à la procédure non contentieuse d'indemnisation des dégâts occasionnés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, que l'exploitant agricole qui a préalablement formé la demande d'indemnisation prévue par l'article R. 426-12 du code de l'environnement peut, en cas de litige, saisir à tout moment le juge judiciaire d'une action aux fins d'indemnisation forfaitaire de ces dégâts par une fédération départementale des chasseurs. En conséquence, une cour d'appel, qui a constaté l'existence d'un litige opposant l'exploitant agricole à la fédération, en déduit exactement qu'est recevable l'action judiciaire engagée sur le fondement de l'article L. 426-1 du code de l'environnement, peu important l'issue donnée au recours formé devant la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier


Références :

articles L. 426-1 à L. 426-6 et R. 426-12 à R. 426-19 du code de l'environnement.

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 31 janvier 2019

A rapprocher : 2e Civ., 14 janvier 1987, pourvoi n° 83-16765, Bull. 1987, II, n° 6 (1) (cassation partielle) ;

2e Civ., 8 mars 1995, pourvoi n° 93-16408, Bull. 1995, II, n° 73 (rejet)

arrêt cité ;

2e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi n° 19-14395, Bull. 2020, II

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 24 sep. 2020, pourvoi n°19-22695, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Ohl et Vexliard

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.22695
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