LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 septembre 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 784 F-D
Pourvoi n° F 19-17.975
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020
La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° F 19-17.975 contre le jugement rendu le 22 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Metz (pôle social), dans le litige l'opposant à M. R... S..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Metz, 22 mars 2019), rendu en dernier ressort, M. S... a formé opposition, le 4 mai 2016, devant une juridiction de sécurité sociale, à une contrainte décernée par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV), signifiée le 19 avril 2016, d'un certain montant au titre des cotisations et majorations de retard dues pour l'année 2013.
Sur le moyen relevé d'office
2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles R. 133-3, R. 133-4 et R. 641-5 du code de la sécurité sociale, le premier et le troisième dans leur rédaction alors applicable, le deuxième en sa rédaction alors en vigueur :
3. Il résulte du deuxième de ces textes que la contrainte doit être signée par le directeur de l'organisme de sécurité sociale ou son délégataire.
4. Pour annuler la contrainte litigieuse, le jugement, après avoir constaté que la contrainte comportait la signature manuscrite scannée du directeur de la CIPAV, avec indication de ses nom, prénom et de sa fonction, relève que cette signature, identique sur l'ensemble des documents de l'organisme de sécurité sociale, ne répond pas aux exigences de fiabilité et d'identification d'une véritable signature électronique au sens de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration, qu'il est patent que le directeur de l'organisme ne saurait être essentiellement occupé par l'apposition électronique de sa signature sur l'ensemble des documents émis par l'organisme, qu'il faut donc déterminer qui appose ladite signature et qui dispose du pouvoir pour ce faire. Il retient que rien ne permet de s'assurer que l'auteur de l'apposition de la signature scannée du directeur sur les contraintes dispose effectivement d'une délégation de pouvoir et que faute de pouvoir vérifier l'identité, la fonction et les pouvoirs de la personne qui a apposé la signature scannée du directeur sur la contrainte litigieuse, elle doit être déclarée irrégulière comme ne répondant pas aux prescriptions de l'article R.133-4 du code de la sécurité sociale.
5. En statuant ainsi, alors que l'apposition sur la contrainte d'une image numérisée d'une signature manuscrite ne permet pas, à elle seule, de retenir que son signataire était dépourvu de la qualité requise pour décerner cet acte, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition formée par M. S... à l'encontre de la contrainte signifiée le 19 avril 2016 par la CIPAV, le jugement rendu le 22 mars 2019, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Metz ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Metz ;
Condamne M. S... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la CIPAV ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse
Le moyen reproche au jugement attaqué d'AVOIR dit recevable l'opposition de Monsieur R... S... à l'encontre de la contrainte signifiée le 19 avril 2016 par la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) ; d'AVOIR annulé la contrainte signifiée le 19 avril 2016 par la CIPAV à Monsieur S... pour la somme de 1 647.30 euros correspondant aux cotisations provisionnelles et majorations dues pour l'années 2013 ; d'AVOIR laissé à la CIPAV la charge des frais de signification de la contrainte litigieuse ; d'AVOIR débouté la CIPAV de sa demande relative à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et d'AVOIR condamné la CIPAV à verser à Monsieur S... la somme de 300 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la CIPAV aux entiers frais et dépens ;
AUX MOTIFS QUE « L'article R.133-3 du code de la sécurité sociale dispose que: ‘Si la mise en demeure ou l'avertissement reste sans effet au terme du délai d'un mois à compter de sa notification, le directeur de l'organisme créancier peut décerner la contrainte mentionnée à l'article L. 244-9 ou celle mentionnée à l'article L. 161-1-5. ( .. .) Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la signification. L'opposition doit être motivée ; une copie de la contrainte contestée doit lui être jointe. Le secrétariat du tribunal informe l'organisme créancier dans les huit jours de la réception de l'opposition. La décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire ».
En l'espèce, Monsieur S... a formé opposition par courrier expédié le 4 mai 2016 à la contrainte qui lui a été signifiée le 19 avril 2016.
Dans ce courrier, Monsieur S... contestait les sommes réclamées. Son opposition, motivée et formée dans les délais réglementaires, sera déclarée recevable.
Sur la régularité de la contrainte :
Aux termes de l'article L.244-2 et R 133-3 du code de la sécurité sociale, la contrainte doit être précédée d'une mise en demeure restée infructueuse. La contrainte doit en outre permettre au cotisant d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation, qui peuvent être précisées par une simple référence à la mise en demeure.
Aux termes de l'article R 133-4 du code de la sécurité sociale, ‘Les contraintes sont décernées en vue du recouvrement des cotisations et des majorations de retard par le directeur de tout organisme de sécurité sociale jouissant de la personnalité civile et soumis au contrôle de la Cour des comptes en application des dispositions des articles l. 154-1 et 1. 154-2.'
En application de cette disposition, la contrainte doit être émise par le directeur ou par un agent de l'organisme de sécurité sociale en cause, ayant reçu à cet effet délégation spéciale (CSS, art. R. 133-4 ; Cass. soc., 4 mars 2002, pourvoi n° 00-14.685), et doit comporter la signature manuscrite de l'agent habilité à la signer. Le délégataire d'un organisme de sécurité sociale n'a pas à justifier d'un pouvoir spécial pour signer les contraintes délivrées par l'organisme dont il relève (Cass. soc., 30 mai 2002, pourvoi N° 00-14.512, Bull. civ. V, no 185, p. 182). La contrainte doit comporter la signature manuscrite de l'agent habilité, et non une simple griffe. Il en est ainsi de l'original, mais la copie remise par l'huissier au débiteur n'a pas à comporter cette signature.
- Sur la motivation de la contrainte :
En l'espèce, la contrainte, signifiée en date du 19 avril 2016, a été précédée d'une mise en demeure reçue en date du 20 novembre 2014 qui n'a pas été contestée devant la Commission de Recours Amiable de la CIPAV.
La contrainte fait expressément référence à la mise en demeure (‘après envoi le 14/11/2014 de mise(s) en demeure'), mise en demeure qui détaille le montant des cotisations appelées ainsi que l'année concernée comme suit:
Période d'exigibilité: du 01/01/2013 au 31 /12/2013
du Année d'exigibilité: 2013
Cotisations provisionnelle tranche 1 190,00 € Majorations 20,90 €
Cotisations retraite complémentaire 1184,00 € Majorations 165,76 €
Cotisations invalidité-décès 76,00 € Majorations 10,64 €
Faisant valablement référence à cette mise en demeure, la contrainte s'avère suffisamment motivée, et permet au débiteur de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation.
-Sur la signature :
Ainsi qu'il l'a été précédemment rappelé, l'article R.133-4 du Code de la sécurité sociale prévoit que: ‘Les contraintes sont décernées en vue du recouvrement des cotisations et des majorations de retard par le directeur de tout organisme de sécurité sociale jouissant de la personnalité civile et soumis au contrôle de la Cour des comptes en application des dispositions des articles L.154-1 et L.154-2.'
Selon l'article D.253-4 du Code de la sécurité sociale, le Directeur de l'organisme ‘est le seul chargé des poursuites à l'encontre des débiteurs de l'organisme.' L'article D.253-6 suivant ajoute que le Directeur peut : ‘( ...) déléguer, à titre permanent, sa signature au directeur adjoint de la caisse ou à un ou plusieurs agents de l'organisme. Cette délégation doit préciser, pour chaque délégué. la nature des opérations qu'il peut effectuer et leur montant maximum s'il y a lieu.' Il résulte des textes précités que la contrainte doit, pour être valable, être signée par le Directeur de l'organisme de sécurité sociale (en l'espèce, la CIPAV), ou par l'un de ses délégataires, à condition que la délégation de pouvoir soit avérée. Il est ainsi constant que la contrainte signée par une personne autre que le Directeur, et ne pouvant justifier d'une délégation de pouvoir, est nulle. (Cass. Soc. 4 mai 2000, n° 98-21057).
Par ailleurs, l'article L 212-1 alinéa 1 du Code des relations entre le public et l'administration dispose que : ‘Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.'
L'article L 212-3 du même code poursuit en ce sens:
‘Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Celle-ci n'est valablement apposée que par l'usage d'un procédé, conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au 1 de l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 3 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, qui permette l'identification du signataire, garantisse le lien de la signature avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision.'
Ces dispositions sont applicables à la CIPAV puisque l'article L.100-3-1 ° du même Code le rend applicable à l' ‘Administration' y compris ‘les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif y compris les organismes de sécurité sociale.'
En l'espèce, il résulte de l'examen de la contrainte (y compris de l'original de cette contrainte, versé aux débats par la Caisse) que celle-ci comporte la signature manuscrite scannée de son signataire, ainsi que la mention de sa fonction, en l'espèce Monsieur J... E..., directeur de la CIPAV.
Si la CIPAV soutient qu'il ne s'agit pas d'une ‘signature scannée', mais d'une signature ‘apposée électroniquement', il convient de relever que la signature a bien été scannée, à l'origine, avant de pouvoir être "apposée électroniquement" sur les contraintes émises par la Caisse.
Ainsi, la signature ne revêt aucunement toutes les garanties de fiabilité d'une véritable signature électronique.
En effet, force est de constater que la CIPAV ne démontre pas avoir eu recours à un procédé de signature « conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au l de l'article 9 de l'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives ».
Ainsi, Monsieur S... soutient à juste titre que la contrainte est revêtue d'une simple signature scannée du Directeur, identique sur l'ensemble des documents de la CIPAV (voir pièce 4 versée par Monsieur S...), qui ne répond pas aux exigences fiabilité et d'identification d'une véritable signature électronique au sens de l'article L.212-3 du Code des relations entre le public et l'administration.
En effet, il est patent que la signature scannée du Directeur est apposée sur tous les documents émanant de la caisse, dont les contraintes, alors que le Directeur de la Caisse ne saurait être essentiellement occupé par l'apposition électronique de sa signature sur l'ensemble des documents émis par la Caisse.
Il faut donc déterminer qui appose ladite signature, et qui dispose du pouvoir pour ce faire.
En effet, au vu des conséquences qui s'attachent aux contraintes, qui produisent tous les effets d'un jugement en l'absence d'opposition recevable (art. L.244-9 du code de la sécurité sociale), il est impératif de pouvoir s'assurer que l'auteur de l'apposition de la signature litigieuse dispose de l'autorité et des compétences nécessaires pour ce faire.
Or, en l'espèce, rien ne permet au tribunal de s'assurer que l'auteur de l'apposition de la signature "scannée" du Directeur sur les contraintes dispose effectivement d'une délégation de pouvoir pour ce faire.
Ainsi, comme le relève à juste titre Monsieur S..., la pratique de la CIPAV qui - à supposer que l'émission des contraintes ne soit pas le fruit d'un processus informatique autonome hors du contrôle ou de l'intervention de tout agent... -, met à la disposition de préposés, dont l'identité et la fonction ne sont pas connues, la signature scannée du Directeur afin qu'ils l'apposent eux-mêmes sur les milliers de contraintes émises par la caisse, s'avère sujette à caution tant elle rend délicat voire impossible le contrôle desdites signatures.
Ainsi, faute de pouvoir vérifier l'identité, la fonction et les pouvoirs (délégation de pouvoir et de signature ?) des éventuels préposés qui apposent la signature scannée du Directeur sur l'ensemble des contraintes émises par la caisse et notamment de la contrainte en litige, la contrainte doit être déclarée irrégulière comme ne répondant pas aux prescriptions de l'article R.133-4 du code de la sécurité sociale.
En conséquence, la contrainte en litige sera annulée.
Les frais de signification de la contrainte litigieuse resteront à la charge de la CIPAV.
L'équité commande de condamner la CIPAV à verser à Monsieur S... la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Enfin, la CIPAV sera condamnée aux entiers frais et dépens de la procédure. »
ALORS DE PREMIERE PART QUE pour être régulière, la contrainte doit être signée par le directeur de l'organisme social émetteur ou son délégataire ; que cette régularité n'est pas remise en cause par l'apposition d'une signature scannée dès lors qu'elle est lisible et permet d'identifier l'identité et la qualité du signataire ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté que la contrainte litigieuse qui avait été émise comportait la signature scannée de Monsieur J... E..., identifié comme le directeur de la CIPAV ; qu'en retenant néanmoins, pour annuler la contrainte litigieuse, que l'apposition de cette signature scannée ne permettait pas d'identifier le signataire réel de la contrainte et de vérifier l'identité et la qualité de la personne ayant décerné cette contrainte, le tribunal a violé par fausse application les articles D. 253-4 et D. 253-6 du code de la sécurité sociale ;
ALORS DE SECONDE PART ET SUBSIDIAIREMENT QU'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public, et à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité ; qu'en décidant d'annuler la contrainte litigieuse sans avoir constaté que l'apposition d'une signature scannée aurait causé un grief au cotisant, le tribunal n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 114 du code de procédure civile.