LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 septembre 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 908 F-D
Pourvoi n° R 19-16.604
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 SEPTEMBRE 2020
M. I... T..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° R 19-16.604 contre l'ordonnance rendue le 18 mars 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. V... H..., domicilié [...] ,
2°/ à M. D... P..., domicilié [...] ,
3°/ à M. F... S..., domicilié [...] ,
4°/ à Mme Q... L..., épouse S..., domiciliée [...] ,
5°/ à M. A... Y... , domicilié [...] ,
6°/ à la société Bati aux Normes, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. T..., de la SCP Boulloche, avocat de M. H..., et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 18 mars 2019) rendue en matière de fixation des honoraires de technicien et selon les productions, le juge du contrôle des expertises du tribunal de grande instance a fixé à une certaine somme la rémunération de l'expert judiciaire désigné dans le litige opposant M. T... à ses voisins.
2. M. T... a formé devant le premier président un recours contre l'ordonnance et a déposé au greffe de la cour d'appel trois notes complémentaires exposant les motifs dudit recours.
Examen du moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. T... fait grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable le recours qu'il a formé à l'encontre de l'ordonnance rendue le 26 janvier 2018 par le juge taxateur du tribunal de grande instance alors « que le recours formé contre o une ordonnance de taxe par l'envoi d'une note au greffe de la cour d'appel doit être formé dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance de taxe et envoyé dans le même délai à toutes les parties au litige principal ; qu'il résulte des recommandés avec avis de réception produits aux débats que le recours de M. T..., en date du 8 mars 2018, a été adressé par lettres recommandées avec accusés de réception, au Premier Président de la cour d'appel de Paris et à toutes les parties le 9 mars 2018, soit dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du 26 janvier 2018, notifié le 21 février suivant ; qu'en ayant jugé du contraire au motif que les accusés de réception des lettres recommandées du 9 mars 2018 n'étaient pas signés, la cour d'appel a violé les articles 724, 714 et 715 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 714 et 715 du code de procédure civile ;
Il résulte de ces textes que le recours devant le premier président de la cour d'appel contre une ordonnance rendue par le président d'une juridiction de première instance fixant les honoraires d'un technicien est formé par la remise ou l'envoi au greffe de la cour d'appel d'une note exposant les motifs du recours dont copie est, à peine d'irrecevabilité, simultanément envoyée à toutes les parties au litige principal.
4. Pour dire irrecevable le recours formé contre une ordonnance, la décision relève qu'à l'audience les conseils des parties ont indiqué ne pas avoir reçu le recours ou les pièces et que M. T... répond qu'il verse aux débats les accusés de réception de son mémoire aux parties, les pièces ayant déjà été communiquées en première instance.
5. L'ordonnance retient que, si M. T... produit une lettre aux parties du 9 mars 2018 indiquant qu'il leur envoie son mémoire à l'appui du recours, les accusés de réception de cette lettre recommandée ne sont pas signés et qu'en conséquence, il ne rapporte pas la preuve qu'il a dénoncé aux autres parties son mémoire avant l'expiration du délai imparti.
6. En statuant ainsi, en se fondant sur la date de réception et non sur celle de l'envoi par le requérant de la copie de sa note à toutes les parties au litige principal, le premier président a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 18 mars 2019, entre les parties, par la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour M. T...
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR déclaré irrecevable le recours formé par M. T... à l'encontre de l'ordonnance de taxe rendue le 26 janvier 2018 par le juge taxateur du tribunal de grande instance d'Evry ;
AUX MOTIFS QUE « vu les articles 714 à 718 du Code de procédure civile et les articles 724 et 725 du Code de procédure civile ;
Considérant que selon l'article 724 du Code de procédure civile :
« Les décisions mentionnées aux articles 255, 262 et 284, émanant d'un magistrat d'une juridiction de première instance ou de la cour d'appel, peuvent être frappées de recours devant le premier président de la cour d'appel dans les conditions prévues aux articles 714 (alinéa 2) et 715 à 718. Si la décision émane du premier président de la cour d'appel, elle peut être modifiée dans les mêmes conditions par celui-ci.
Le délai court, à l'égard de chacune des parties, du jour de la notification qui lui est faite par le technicien.
Le recours et le délai pour l'exercer ne sont pas suspensifs d'exécution. Le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigé contre toutes les parties et contre le technicien s'il n'est pas formé par celui-ci » ;
Que l'article 714 du Code de procédure civile précise que :
« L'ordonnance de taxe rendue par le président d'une juridiction de première instance peut être frappée par tout intéressé d'un recours devant le premier président de la cour d'appel.
Le délai de recours est d'un mois : il n'est pas augmenté en raison des distances.
Le délai de recours et l'exercice du recours dans le délai sont suspensifs d'exécution » ;
Qu'aux termes de l'article 715 du Code de procédure civile :
« Le recours est formé par la remise ou l'envoi au greffe de la cour d'appel d'une note exposant les motifs du recours.
A peine d'irrecevabilité du recours, copie de cette note est simultanément envoyée à toutes les parties au litige principal ».
Considérant qu'il résulte de ce texte que le recours formé à l'encontre d'une ordonnance de taxe doit être formé au greffe dans le mois de la notification faite par l'expert de l'ordonnance de taxe et dénoncé à l'ensemble des parties dans le même délai à peine d'irrecevabilité ;
Qu'en l'espèce, il ressort des pièces produites que l'expert a notifié l'ordonnance de taxe à M. T... par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 21 février 2018 ; qu'il a formé son recours le 8 mars 2018, reçu à la cour le 13 mars 2018, par conséquent dans le délai d'un mois ;
Considérant qu'à l'audience les conseils des parties ont indiqué ne pas avoir reçu le recours ou les pièces ; que Monsieur T... répond qu'il verse aux débats les accusés de réception de son mémoire aux parties et que les pièces avaient été déjà communiquées en première instance ; mais que s'il produit une lettre aux parties indiquant qu'il leur envoie son mémoire à l'appui de son recours, les accusés de réception de cette lettre recommandée du 9 mars 2018 ne sont pas signés et qu'il reconnaît lui-même ne pas avoir adressé ses pièces aux parties ;
Qu'il ne rapporte donc pas la preuve qu'il a dénoncé aux autres parties son mémoire et ses pièces avant l'expiration du délai imparti ; qu'il est en conséquence déclaré irrecevable en son recours » (ordonnance p. 3) ;
1°/ ALORS QUE le recours formé contre une ordonnance de taxe par l'envoi d'une note au greffe de la cour d'appel doit être formé dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance de taxe et envoyé dans le même délai à toutes les parties au litige principal ; qu'il résulte des recommandés avec avis de réception produits aux débats que le recours de M. T..., en date du 8 mars 2018, a été adressé par lettres recommandées avec accusés de réception, au Premier Président de la cour d'appel de Paris et à toutes les parties le 9 mars 2018, soit dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du 26 janvier 2018, notifié le 21 février suivant ; qu'en ayant jugé du contraire au motif que les accusés de réception des lettres recommandées du 9 mars 2018 n'étaient pas signés, la cour d'appel a violé les articles 724, 714 et 715 du Code de procédure civile ;
2°/ (SUBSIDIAIRE) ALORS QUE le juge ne saurait dénaturer l'écrit dont il est saisi ; que les accusés de réception de la lettre recommandée du 9 mars 2018 étaient tous signés ; qu'en ayant jugé qu'ils ne l'étaient pas, la cour d'appel les a dénaturés, en violation du principe sus-énoncé ;
3°/ ALORS QU'aucun texte n'impose de communiquer, de nouveau, aux parties les pièces produites devant la cour d'appel dès lors que les parties en ont déjà eu connaissance lors des débats devant le juge taxateur ; qu'en ayant jugé du contraire, la cour d'appel a violé l'article 715 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ (SUBSIDIAIRE) ALORS QUE le défaut de communication de pièces à l'appui d'un recours ne prive pas à lui seul le juge du fond de la connaissance des moyens et des prétentions de l'auteur du recours ; que pour avoir jugé du contraire en déclarant irrecevable le recours de M. T... faute d'avoir communiqué aux parties ses pièces en même temps que son recours, la cour d'appel a violé l'article 132 du Code de procédure civile.