LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 septembre 2020
Cassation partielle sans renvoi
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 721 F-D
Pourvoi n° G 18-23.217
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 SEPTEMBRE 2020
La société Diedis, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° G 18-23.217 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. R... P..., domicilié [...] ,
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Silhol, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Diedis, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. P..., après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Silhol, conseiller référendaire rapporteur, M. Ricour, conseiller et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 septembre 2018), M. P..., engagé le 17 mars 2008 en qualité d'employé commercial par la société Diedis, exploitant son activité commerciale sous l'enseigne E. Leclerc, a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue de deux examens des 5 et 22 janvier 2015.
2. Licencié, le 6 mars 2015, pour inaptitude et impossibilité de reclassement, M. P... a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de rembourser à Pôle emploi un mois d'indemnités de chômage alors « que le juge peut ordonner à l'employeur de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage perçues par le salarié dans la limite de six mois, sauf lorsque le licenciement a été notifié en violation des règles particulières aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ; qu'en condamnant la société Diedis à rembourser à Pôle emploi un mois d'indemnités de chômage perçues par M. P..., après avoir dit que son inaptitude était d'origine professionnelle, la cour d'appel a violé les article L. 1235-4, L. 1226-10 et L. 1226-15 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1235-4 du code du travail, en sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
5. Aux termes de ce texte, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
6. Après avoir dit que l'inaptitude est d'origine professionnelle et condamné l'employeur au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d'un manquement à l'obligation de reclassement, l'arrêt ordonne à l'employeur de rembourser à Pôle emploi un mois d'indemnités de chômage.
7. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ne sont pas applicables au licenciement intervenu en violation des règles particulières aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, prévues par les articles L. 1226-10 et L. 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Diedis de rembourser à Pôle emploi un mois d'indemnités de chômage, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
Condamne la société Diedis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par le président et M. Ricour, conseiller le plus ancien en ayant délibéré conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, en l'audience publique du vingt-trois septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour la société Diedis.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit le licenciement pour inaptitude de M. P... sans cause réelle et sérieuse, d'avoir confirmé le jugement entreprise en ce qu'il avait condamné la société Diedis au paiement des sommes de 18.400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement injustifié, 600 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ordonné le remboursement à Pôle Emploi d'un mois d'indemnité de chômage ;
AUX MOTIFS QUE « selon l'article L. 1232-6 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, il résulte de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que M. R... P... a été licencié pour inaptitude physique, l'employeur précisant à cet égard : "Suite à notre entretien du 02 mars 2015, nous avons le regret de vous informer par la présente que nous avons pris la décision de vous licencier et que vous ne ferez plus partie de notre Société DIEDIS SAS, à la date d'envoi de ce courrier pour les motifs suivants : Vous êtes employé en contrat à durée indéterminée en tant qu'employé commercial vendeur depuis le 17 mars 2008. Le médecin du travail vous a déclaré inapte suite aux visites médicales du 05 et 22fanvier 2015 à votre poste de travail ainsi qu'à tout poste dans notre Société, hormis boulanger, pâtissier et agent administratif. Les membres des Délégués du Personnel ont passé en revue avec la Direction l'ensemble des postes existants dans notre magasin. Ces postes sont principalement constitués par des emplois en Surface de Vente et en Caisse. Les postes d'employés libre service, poste principal de notre activité, ne sont pas compatibles avec votre état de santé, tout comme les postes de vendeurs techniques. Les postes administratifs, boulangers et pâtissiers nécessitent des compétences que vous n'avez pas, la formation nécessaire à l'acquisition de ces compétences nous rendrait hors délai. Enfin, ces postes sont en nombre limité et intégralement pourvus, aucune création de poste n'est envisagée. Enfin, le médecin vous a déclaré inapte à tout autre poste dans l'entreprise même par le biais d'un aménagement de poste ou de réduction d'horaires. Nos différentes solutions de reclassement (employé commercial, vendeur technique, hôte de caisse) ne nous ont pas permis de vous reclasser à un autre poste, le Médecin du travail ayant confirmé par courrier du 10 février 2015 que votre état de santé n'était pas compatible à ces postes. Lors de la réunion exceptionnelle des Délégués du Personnel en date du 14 février 2015, ces derniers ont pris connaissance de votre dossier et ont conclu qu'il n'existait pas de poste pouvant convenir à votre état de santé, même en contrat à durée déterminée sur une courte période" ; qu'il résulte de ces termes que le salarié a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de le reclasser ; que contrairement à ce que soutient M. R... P..., cette lettre est suffisamment précise pour justifier le licenciement ; que M. R... P... entend toutefois reprocher à l'employeur de ne pas avoir exécuté avec sérieux et loyauté son obligation de reclassement ; que suivant l'article L.1226-2 du code du travail, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; qu'en l'espèce, l'avis médical d'inaptitude indiquant "inapte au poste, serait apte à un poste sans port répété de charges", la société Diedis devait donc rechercher un poste de reclassement au sein de son entreprise et de celles du groupe auquel elle appartient ; qu'or, en l'espèce, malgré les préconisations du médecin du travail, la société Diedis n'a pas proposé de postes administratifs, boulangers ou pâtissiers dans le magasin au sein duquel le salarié était déjà affecté et n'a pas pris attache avec un quelconque magasin exploitant sous l'enseigne E. Leclerc pour permettre au salarié de retrouver un poste identique à son poste antérieur ; que la société Diedis explique qu'elle n'appartient pas à un groupe de sociétés, qu'elle ne fait partie que d'un réseau de commerçants indépendants qui n'ont en commun que la possibilité d'utiliser l'enseigne E. Leclerc et de bénéficier d'une centrale d'achat, sans être liés par un contrat de franchise leur imposant des modalités d'organisation du magasin, de service, de compétences requises ou encore de gestion du personnel ; mais que le seul fait de revendiquer son indépendance juridique et financière ne permet pas à l'employeur de caractériser l'impossibilité d'assurer une permutation du personnel avec d'autres entreprises participant au même réseau de distribution et ayant des activités, des objectifs et des emploi identiques ; que dès lors que la société est défaillante à démontrer qu'elle s'est acquittée de son obligation de reclassement, le licenciement de M.. R... P... doit donc être considéré sans cause réelle et sérieuse ; que ce défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement ouvre droit pour M. R... P... à une indemnité qui, au regard de l'ancienneté du salarié, de son âge, des conditions de la rupture, et de ses difficultés à retrouver un emploi, doit être évaluée à la somme de 18.400 € ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé » ;
1°) ALORS QUE lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer l'ensemble des postes vacants dans l'entreprise et appropriés à ses capacités à la date du licenciement ; qu'en jugeant que l'employeur aurait manqué à son obligation de reclassement en ne proposant aucun poste conforme aux préconisations du médecin du travail, parmi les possibilités de lui offrir d'occuper un poste administratif, de boulanger ou de pâtissier, quand il était constant et non contesté par M. P... qu'aucun de ces postes n'était vacant dans l'entreprise à la date du licenciement, ce dont il résultait que l'employeur était dans l'impossibilité d'en proposer l'un d'entre eux, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail ;
2°) ALORS QUE l'évolution du droit du licenciement du salarié inapte, résultant des ordonnances n°2017-1386 du 22 septembre 2017 et n°2017-1718 du 20 décembre 2017, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, le périmètre de l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur dont le salarié est licencié pour inaptitude à son poste, en raison d'un accident ou d'une maladie qu'elle soit d'origine professionnelle ou non ; que le périmètre de l'obligation de reclassement doit s'étendre au groupe, entendu au sens des articles L. 233-1, L. 233-3 et L. 233-16 du code de commerce, comme l'ensemble des entreprises ayant des liens capitalistiques entre elle, auquel appartient l'entreprise employeur et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'en jugeant que la société Diedis aurait dû rechercher les possibilités de reclassement au sein de toutes les sociétés exerçant leur activité sous l'enseigne E. Leclerc et ce, en dépit de l'absence de tout lien capitalistique entre elles, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-10 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit le licenciement pour inaptitude de M. P... avait une origine professionnelle et d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait ordonné à la société Diedis le remboursement à Pôle Emploi d'un mois d'indemnités de chômage ;
AUX MOTIFS QUE « sur l'origine professionnelle de l'inaptitude : Par lettre du 06 mars 2015, faisant suite à un entretien préalable du 02 mars 2015, la société Diedis a notifié à M. P... son licenciement pour inaptitude ; quel es règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où celle-ci est constatée ou invoquée a, au moins partiellement, pour origine cet accident et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement ; que la circonstance que le salarié ait été au moment du licenciement dans l'attente de la décision de reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie et pris en charge par les organismes sociaux au titre de la maladie n'est pas de nature à faire perdre au salarié le bénéfice de la législation protectrice des accidentés du travail ; qu'en l'espèce, une déclaration de maladie professionnelle a été établie par M. R... P... le 09 novembre 2014, dont l'origine professionnelle a été reconnue au titre de la législation relative aux risques professionnels ; que par formulaire du 22janvier 2015, le médecin du travail a rempli une demande d'indemnité temporaire d'inaptitude à laquelle l'employeur a fait droit en versant l'indemnité ; qu'enfin, il ressort de l'attestation de paiement, des indemnités journalières de M. P... qu'il a été indemnisé au taux majoré au titre d'un accident du travail du 09 novembre 2014 au 08 décembre 2014 ; qu'aux termes de ses écritures, l'employeur rappelle d'ailleurs avoir versé à M. P... la somme de 4 600,44 € au titre de l'indemnisation du préavis et d'un complément d'indemnité de licenciement et avoir fait le nécessaire pour qu'il perçoive l'indemnité temporaire d'inaptitude ; que dans ces conditions, l'employeur ne peut soutenir avoir ignoré la déclaration de maladie professionnelle effectuée par le salarié ; qu'il convient donc de compléter le jugement en ce qu'il a omis de dire l'inaptitude d'origine professionnelle » ;
ALORS QUE le juge peut ordonner à l'employeur de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage perçues par le salarié dans la limite de six mois, sauf lorsque le licenciement a été notifié en violation des règles particulières aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ; qu'en condamnant la société Diedis à rembourser à Pôle emploi un mois d'indemnités de chômage perçues par M. P..., après avoir dit que son inaptitude était d'origine professionnelle, la cour d'appel a violé les article L. 1235-4, L. 1226-10 et L. 1226-15 du code du travail.