LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 septembre 2020
Rejet non spécialement motivé
Mme BATUT, président
Décision n° 10303 F-D
Pourvoi n° G 19-13.630
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. D... J..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° G 19-13.630 contre l'ordonnance de référé rendue le 28 novembre 2018 par le président du tribunal de grande instance de Paris, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme C... L..., domiciliée [...] ,
2°/ au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, domicilié en son parquet, section ACI, 1 parvis du Tribunal, 75859 Paris cedex 17,
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations écrites de Me Balat, avocat de M. J..., de la SCP Boulloche, avocat de Mme L..., et après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. J... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. J... et le condamne à payer à Mme L... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE à la présente décision
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. J...
Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir débouté M. J... de sa demande d'exequatur du jugement du tribunal de première instance de Libreville en date du 24 décembre 2015, de l'arrêt de la cour d'appel de Libreville en date du 9 mai 2016 et de l'arrêt de la Cour de cassation du Gabon en date du 3 avril 2017 ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'article 34 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire d'exequatur des jugements et d'extradition entre la France et le Gabon en date du 23 juillet 1963, il est prévu qu'en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République française et sur le territoire de la République du Gabon ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes : - la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision doit être exécutée ; - la décision a fait application de la loi applicable au litige en vertu des règles de solution des conflits de la loi admises dans l'Etat où la décision doit être exécutée ; - la décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ; - les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ; - la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet Etat et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée ; que, sur la compétence indirecte du juge gabonais, il résulte des écritures des parties que les époux L.../J..., mariés en France en 1966, ont vécu au Gabon jusqu'à leur séparation, vingt ans avant la procédure de divorce ; qu'en conséquence, il n'existait plus de domicile conjugal depuis longtemps ; que, jusqu'à son départ en France pour raisons de santé en 2014, Mme L... vivait principalement au Gabon ; que, même si l'article 269 du code civil gabonais prévoit que la juridiction compétente est celle où demeure le défendeur, il n'en demeure pas moins que la compétence du juge gabonais pouvait se justifier au regard du domicile conjugal gabonais jusqu'à la séparation, des domiciles respectifs des époux également au Gabon jusqu'au début de l'année 2014 pour Mme L... ; qu'en revanche, s'agissant de la régularité de la procédure, il est établi que M. J... était parfaitement informé du départ de sa femme du Gabon pour la France, qui peut être fixé selon les certificats médicaux et le passeport de Mme L... au 10 février 2014, lorsqu'il a engagé en novembre 2014 la procédure de divorce pour rupture de la vie commune, procédure à laquelle Mme L... était en outre opposée ; qu'il lui appartenait de faire assigner son épouse à l'adresse où elle se trouvait effectivement, en l'espèce, leur résidence parisienne [...] , et non à l'adresse de l'ancien domicile conjugal qu'elle occupait jusqu'en janvier 2014 et que M. J... avait quitté ; que l'acte introductif d'instance ayant abouti à l'ordonnance de défaut de conciliation du 13 août 2015 n'est pas produit mais qu'il n'est pas contesté que Mme L... a été attraite dans la procédure par un acte délivré au gardien de l'ancien domicile conjugal qu'elle n'occupait plus depuis plusieurs mois, de sorte qu'elle n'a pu se présenter à la convocation du juge conciliateur du 13 mai 2015 ; que l'article 271 du code civil gabonais stipule que si l'une des parties se trouve dans l'impossibilité de se rendre auprès du juge, le magistrat détermine le lieu où sera tentée la conciliation ou donne commission pour entendre le défendeur ; que les parties sont tenues de comparaître en personne sans pouvoir se faire assister d'avocats ni de conseils ; que la procédure de conciliation n'a donc pas été respectée, M. J... ayant volontairement dissimulé que son épouse était en France depuis quinze mois lors de cette audience ; que, de même, l'irrégularité de la procédure a été dénoncée en vain par l'avocat de Mme L..., qui avait adressé à la juridiction une note en délibéré au visa de l'article 269 du code civil, relative au domicile de la défenderesse en France ; que l'ordonnance de non-conciliation du 13 août 2015 et le jugement de divorce du 24 octobre 2015 n'ont pas été signifiés au domicile parisien où résidait Mme L... ; qu'en l'état, s'agissant d'une procédure de divorce, Mme L... qui aurait dû être entendue en audience de conciliation comme le prévoyait le code civil gabonais, ne serait-ce que dans le cadre d'une commission rogatoire internationale civile, n'a pas été régulièrement citée, représentée ou déclarée défaillante, dès l'origine de la procédure ; qu'en outre, s'agissant de la conformité à l'ordre public international français de fond, il résulte des décisions dont l'exequatur est demandé que le divorce a été prononcée pour rupture de la vie commune après cinquante ans de mariage, sans qu'aucune décision ne statue sur une pension alimentaire ou son équivalent au bénéfice de Mme L... qui, au regard des éléments produits, ne dispose pas de revenus propres suffisants ; que les décisions font mention de l'engagement de M. J... de subvenir aux besoins de son ex-épouse sans qu'un montant mensuel de pension alimentaire ne soit fixé par les juridictions gabonaises, ni la durée de ce versement ; qu'il produit des relevés d'un compte bancaire auquel seule Mme L... aurait accès alors qu'en l'espèce, il s'agit d'un compte-joint avec M. J... que ce dernier peut cesser d'approvisionner à tout moment, d'autant qu'il vient de se marier à nouveau à l'été 2018 ; que le fait que la loi gabonaise ne prévoit pas de prestation compensatoire ou de pension alimentaire est indifférent, une telle loi étant manifestement incompatible avec l'ordre public français ; qu'en conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de répondre aux autres moyens soulevés, les conditions telles que prévues par la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963 précitée ne sont pas réunies ; que M. J... sera débouté de sa demande d'exequatur ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE le président du tribunal de grande instance ne peut, sans méconnaître ses pouvoirs, procéder à la révision au fond de la décision étrangère dont l'exequatur est demandé ; que, pour débouter M. J... de sa demande d'exequatur, le président du tribunal de grande instance a retenu que Mme L..., qui aurait dû être entendue en audience de conciliation comme le prévoyait l'article 271 du code civil gabonais, n'avait pas été régulièrement citée, représentée ou déclarée défaillante, dès l'origine de la procédure ; qu'en procédant à la révision au fond des décisions étrangères dont l'exequatur était demandé, lesquelles avaient toutes jugé régulières l'assignation délivrée à Mme L... et la procédure de divorce subséquente, le président du tribunal a méconnu ses pouvoirs et violé les articles 34 et 37 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963 ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que, pour débouter M. J... de sa demande d'exequatur, le président du tribunal de grande instance a retenu que la procédure de conciliation n'avait pas été respectée dès lors que l'article 271 du code civil gabonais stipulait que, si l'une des parties se trouvait dans l'impossibilité de se rendre auprès du juge, le magistrat déterminait le lieu où serait tentée la conciliation ou donnait commission pour entendre le défendeur, tandis que Mme L... avait été attraite à la procédure de divorce par un acte délivré au gardien de l'ancien domicile conjugal qu'elle n'occupait plus depuis plusieurs mois, de sorte qu'elle n'avait pas pu se présenter à la convocation du juge conciliateur du 13 mai 2015 ; que, Mme L... n'ayant soutenu, ni par écrit ni oralement, avoir été dans l'impossibilité de déférer à la convocation du juge conciliateur du fait de la remise de l'acte au gardien, le président du tribunal, en relevant d'office ce moyen sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QU' il appartient à la partie défaillante qui l'invoque de justifier de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de se présenter à l'audience de conciliation ; que, pour débouter M. J... de sa demande d'exequatur, le président du tribunal de grande instance a retenu que Mme L... avait été attraite à la procédure de divorce par un acte délivré au gardien de l'ancien domicile conjugal qu'elle n'occupait plus depuis plusieurs mois, et qu'elle n'avait donc pas pu se présenter à la convocation du juge conciliateur du 13 mai 2015 ; qu'en statuant ainsi, sans constater que Mme L... démontrait s'être trouvée dans l'impossibilité de se rendre auprès du juge conciliateur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 34 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963 ;
ALORS, EN QUATRIEME LIEU, QUE, pour rejeter la demande d'exequatur, le président du tribunal de grande instance a retenu que M. J... avait volontairement dissimulé aux juridictions gabonaises que son épouse était en France depuis quinze mois lors de l'audience de conciliation du 13 mai 2015 ; qu'en statuant ainsi, cependant que les décisions étrangères dont l'exequatur était demandé constataient unanimement que Mme L... résidait à Paris pour raisons médicales au moins depuis l'été 2014, sans toutefois en déduire que son domicile effectif se situait en France, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des décisions étrangères auxquelles elle se référait ;
ALORS, EN CINQUIÈME LIEU, QU' en l'absence de demande formée à cette fin par l'époux, l'allocation de subsides par le juge n'est possible ni en droit français ni en droit gabonais ; que, pour débouter M. J... de sa demande d'exequatur, le président du tribunal de grande instance a retenu qu'il résultait des décisions dont l'exequatur était demandé que le divorce des époux avait été prononcé pour rupture de la vie commune, mais qu'aucune décision ne statuait sur une pension alimentaire ou son équivalent au bénéfice de Mme L... ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il y était invitée (note en délibéré, p. 2 § 2), si, le droit gabonais prévoyant la possibilité pour le juge d'allouer des subsides sous la forme de « provisions » à l'époux qui en forme la demande, Mme L... ne s'était pas abstenue d'en demander le bénéfice, privant ainsi le juge, en toute occurrence, en droit gabonais comme en droit français, de la possibilité de statuer sur ces subsides, le président du tribunal de grande instance n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 34 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963 ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QUE la conception française de l'ordre public international ne s'oppose pas à l'absence de disposition relative aux subsides accordées à l'épouse dans le jugement de divorce dont l'exequatur est demandé lorsque les époux dont le divorce est prononcé ont rompu toute vie commune depuis plusieurs décennies ; qu'en jugeant manifestement incompatible avec l'ordre public français le fait que la loi gabonaise ne prévoit pas de prestation compensatoire ou de pension alimentaire, tout en constatant que les époux avaient rompu toute vie commune vingt ans avant la procédure de divorce, de sorte que l'absence de disposition relative aux subsides accordées à Mme L... dans le jugement de divorce n'était pas incompatible avec la conception française de l'ordre public international, le président du tribunal de grande instance a violé l'article 34 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963.