LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 19-84.687 F-D
N° 1175
SM12
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
L'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), l'association Union des étudiants juifs de France (UEJF), l'association J'accuse ! Action internationale pour la justice (AIJP), l'association SOS racisme touche pas à mon pote (SOS Racisme), parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 22 mai 2019, qui a relaxé M. D... K... dit G... du chef de provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de l'association Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), et les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de l'association Union des étudiants juifs de France (UEJF), l'association J'accuse ! Action internationale pour la justice (AIJP), et de l'association SOS racisme touche pas à mon pote (SOS Racisme), parties civiles, et les conclusions de M. Croizier, avocat général, les avocats des demandeurs ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Un photomontage a été publié sur le site « Egalité et Réconciliation » le 12 février 2017.
3. A la requête du procureur de la République, M. K... a été cité devant le tribunal correctionnel du chef susvisé pour avoir publié cette image sur le site précité.
4. Ce document est ainsi décrit par la citation : « un photomontage représentant M.B... E..., alors candidat à l'élection présidentielle, les bras ouverts, porteur d'un brassard évoquant ouvertement celui des nazis mais où la croix gammée est remplacée par le signe du dollar, avec devant lui le globe terrestre et derrière lui les photographies de MM. X... F..., U... T... et Y... Q..., et les drapeaux israélien et américain. La légende inscrite sur ce photomontage étant « En Marche vers le chaos mondial » ».
5. Les juges du premier degré ont relaxé le prévenu. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Enoncé des moyens
6. Le moyen proposé pour la LICRA critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. K... du chef de provocation à la haine raciale, alors :
« 1°/ qu'en retenant que le photomontage litigieux ne visait pas la communauté juive dans son ensemble, sans s'attacher à l'examen de la circonstance, dont se prévalait la Licra dans ses conclusions, que les personnes représentées en arrière-plan étaient toutes de confession juive, ce qui démontrait le choix de l'auteur du montage de viser exclusivement les juifs, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 et 1240 du code civil ;
2°/ qu'en se bornant à retenir que si dans certaines circonstances l'appellation « sionistes » peut être utilisée pour stigmatiser les « juifs », toute allusion à l'Etat d'Israël ou à sa politique ne peut suffire à viser ces derniers, sans s'attacher à vérifier que, dans le cas d'espèce, l'utilisation concomitante du drapeau israélien, de trois personnalités de confession juive et de l'imagerie antisémite du siècle dernier, antérieure à la création de l'Etat d'Israël, ne caractérisait pas des circonstances de nature à faire admettre que ce sont bien les juifs qui étaient visés, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 et 1240 du code civil ;
3°/ que, plus généralement, le montage litigieux, inspiré des canons de la caricature antisémite, qui met en scène, derrière le candidat E..., affublé d'un brassard nazi sur lequel le dollar remplace la croix gammée, trois personnalités juives du monde des médias, de la finance et de la politique qui le manipule dans le « chaos mondial », écho de l'« ordre mondial » dont la littérature antisémite prête la domination aux juifs, vise la communauté juive dans son ensemble, de sorte qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 et 1240 du code civil. »
7. Le moyen proposé pour UEJF, AIPJ, SOS Racisme critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. K... dit G... du chef de provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, alors :
« 1°/ que le photomontage objet des poursuites dans lequel, un candidat à l'élection présidentielle est représenté en écartant les bras, affublé d'un brassard similaire à celui des nazis dont la croix gammée a été remplacée par le symbole dollar, ayant devant lui un globe terrestre et sur chaque côté en arrière-plan les drapeaux des Etats-Unis et de l'Etat d'Israël, surplombé par les figures de MM. X... F..., U... T... et Y... Q..., eux-mêmes étant en dessous de billets de banque, et comportant le slogan du candidat « En marche », auquel a été ajouté « vers le chaos mondial », met en cause les personnes de confession juive dans leur ensemble, et pas uniquement les personnes physiques qui y sont représentées ; qu'en relaxant M. D... K... dit G... des fins de la poursuite en considérant que le photomontage ne visait aucun groupe à raison de son origine ou de sa religion, dès lors que la publication ne reprend pas les symboles de la religion juive ou des institutions communautaires liées au judaïsme, la cour d'appel a violé les articles 23 et 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ qu'en reprenant des stéréotypes antisémites éculés, comme l'association des juifs et de l'argent, la domination mondiale par l'influence dans les médias, les banques et la politique ou encore l'allégeance à des intérêts étrangers, le photomontage a mis en cause les personnes de confession juive dans leur ensemble, et pas uniquement les personnes physiques qui y sont représentées ; qu'en relaxant M. D... K... dit G... des fins de la poursuite, en relevant que le juge ne peut pas fonder une condamnation pénale seulement sur une image subliminale susceptible de renvoyer à des stéréotypes antisémites, la cour d'appel a violé les articles 23 et 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
9. Pour confirmer le jugement et débouter les parties civiles, l'arrêt attaqué énonce notamment que cette image appelle à ne pas voter pour M. B... E... dont le mouvement politique En marche conduirait « vers le chaos mondial » et que le candidat y apparaît comme manipulé ou influencé par les trois personnages reproduits derrière lui qui représentent la puissance des médias, de la finance et de la politique, mais qui ne sont pas désignés explicitement comme juifs.
10. Les juges ajoutent que la présence de l'étoile de S... ne suffit pas à viser les juifs en tant que tels puisqu'en l'occurrence, elle est représentée comme figurant clairement sur le drapeau de l'Etat d'Israël en face d'un autre drapeau, américain, et que, s'il est exact que dans certaines circonstances, l'appellation "sionistes" peut être utilisée pour stigmatiser les « juifs », il n'en demeure pas moins que toute allusion à l'Etat d'Israël ou à sa politique ne peut suffire à viser ces derniers. Ils observent que si le brassard évoque manifestement celui des nazis, il ne peut s'en déduire que le candidat serait manipulé par les juifs, mais plutôt par les puissances d'argent représentées par le signe $ et les billets de banque.
11. Ils en concluent que les premiers juges ont à juste titre retenu que le photomontage ne rejaillit pas sur la totalité d'une communauté définie par l'appartenance à la religion juive, dès lors que la publication ne reprend pas les symboles de cette religion ou des institutions communautaires liées au judaïsme et que, même s'il peut légitimement choquer, le photomontage poursuivi n'apparaît pas suffisamment clair et univoque pour viser l'ensemble des juifs à raison de leur origine ou de leur religion.
12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée du dessin poursuivi, a fait l'exacte application des textes visés aux moyens, lesquels doivent être écartés.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt.