LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 19-82.532 F-D
N° 951
CK
1ER SEPTEMBRE 2020
CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
MM. PR... V... et M... V... ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, chambre correctionnelle, en date du 20 février 2019, qui, pour harcèlement moral, a condamné le premier, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et le second, à deux ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve et une mesure d'interdiction professionnelle, a ordonné une mesure d'affichage et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de MM. PR... V... et M... V..., les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat des défendeurs et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Au cours des années 2012 à 2014, la direction du travail et de l'emploi de la Loire a été saisie, à plusieurs reprises, de doléances de salariées de la société Lascap - Intermarché, située à [...] (42), dénonçant des comportements irrespectueux et déplacés de M. PR... V..., directeur général, et de M. M... V..., directeur, à l'encontre de membres du personnel, ainsi que la dégradation des conditions de travail en résultant.
3. Sur signalement de cette administration en date du 12 mai 2014, le procureur de la République a fait diligenter une enquête préliminaire, au cours de laquelle les gendarmes ont notamment procédé à l'audition de quarante-six salariés signataires d'un courrier adressé à l'inspection du travail.
4. A l'issue, MM. V... ont été cités à comparaître devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral.
5. Par jugement en date du 10 janvier 2017, le tribunal les a déclarés coupables, après les avoir partiellement relaxés pour certains salariés.
6. Appel a été interjeté par les prévenus, le ministère public et les parties civiles.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, proposé par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour M. M... V..., pris en ses première et septième branches,
Sur le premier moyen, proposé par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour M. PR... V..., pris en ses première et cinquième branches,
Sur les deuxièmes moyens proposés par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour MM. PR... et M... V...
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, proposé par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour M. PR... V... pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, des articles 121-1 et 222-33-2 du code pénal, des articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. PR... V... coupable des faits de harcèlement moral au préjudice de plusieurs salariés alors :
« 2°/ qu'il résultait des déclarations des salariés MM. D..., N..., K... et L..., reprises par la cour d'appel, qu'ils n'avaient pas été personnellement victimes d'un quelconque agissement de la part de M. PR... V... ; qu'en déclarant toutefois M. V... coupable de harcèlement moral à leur encontre, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas légalement justifié sa décision ;
3°/ que ne constituent pas un harcèlement moral les agissements de l'employeur qui n'excèdent pas son pouvoir de direction ; que pour déclarer M. PR... V... coupable de harcèlement moral au préjudice des salariés MM. G..., R... et U..., la cour d'appel s'est fondée sur les décisions prises par l'exposant sur le fixation des horaires de travail, de dates de congés et sur l'organisation du service, décisions qui n'excèdent pas les limites de son pouvoir de direction ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
4°/ que le harcèlement moral suppose l'existence d'actes répétés ; qu'en se fondant sur un fait unique pour déclarer M. PR... V... coupable de harcèlement moral au préjudice des salariés MM. C..., Y..., I..., H..., W..., et O..., la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la répétition d'agissements imputables au prévenu, n'a pas légalement justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer M. PR... V... coupable de harcèlement moral, l'arrêt énonce, après avoir repris notamment les déclarations de MM. D..., U..., W... et O..., ainsi que Mmes K..., N..., G..., R..., L..., H..., C..., Y..., I..., que les salariés ont décrit aux enquêteurs des propos humiliants et offensants du prévenu à leur endroit, ainsi qu'une surveillance permanente de leurs actions.
10. Les juges ajoutent, en substance, que ces salariés ont déploré les changements incessants de poste, d'horaires, l'incertitude des plannings, ainsi que des ordres contradictoires dans l'organisation du travail donnés par une direction multiple, à laquelle appartient le prévenu, ce qui s'est traduit par une dégradation avérée et importante des conditions de travail.
11. Ils relèvent que ces déclarations sont confirmées par les nombreux écrits adressés à l'inspection du travail, les certificats médicaux attestant d'états dépressifs et d'arrêts de travail suite à un harcèlement et à de mauvaises conditions de travail, ainsi que l'alerte du médecin du travail et des avertissements adressés à l'entreprise par la direction du travail et de l'emploi.
12. Les juges en déduisent l'existence d'agissements répétés de M. PR... V... à l'encontre notamment des salariés précités, ayant eu pour effet et pour objet une dégradation de leurs conditions de travail, une atteinte à leurs droits et à leur dignité, une altération de leur santé physique et psychique, une compromission de leur avenir professionnel.
13. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans insuffisance, caractérisé le délit de harcèlement moral retenu en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnels, dès lors qu'elle a mis en évidence, à la charge du demandeur, des agissements répétés, au sens de l'article 222-33-2 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, commis dans un contexte professionnel, consistant notamment en une réitération de comportements attentatoires à la dignité de chacun des salariés en cause, et que lesdits agissements, étrangers par leur nature au pouvoir de direction de l'intéressé, par la dégradation des conditions de travail en résultant, ont altéré la santé des victimes et compromis leur avenir professionnel.
14. Ainsi, les griefs doivent être écartés.
Sur le premier moyen, proposé par la SCP Waquet, Farge, Hazan pour M. M... V... pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
15. Le moyen est pris de la violation de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ; de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; des articles 121-1 et 222-33-2 du code pénal ; des articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.
Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. M... V... coupable des faits de harcèlement moral au préjudice de plusieurs salariés alors :
« 2°/ qu'il résultait des déclarations des salariés MM. D... et I..., reprises par la cour d'appel, qu'ils n'avaient pas été personnellement victimes d'un quelconque agissement de la part d'e M. M... V... ; qu'en déclarant toutefois M. V... coupable de harcèlement moral à leur encontre, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas légalement justifié sa décision ;
3°/ que ne constituent pas un harcèlement moral les agissements de l'employeur qui n'excèdent pas son pouvoir de direction ; que pour déclarer M. M... V... coupable de harcèlement moral au préjudice des salariés MM. N..., U..., P... et Q..., la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'ils avaient fait l'objet d'un changement d'affectation, décisions qui n'excèdent pas les limites du pouvoir de direction ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
4°/ que le harcèlement moral suppose l'existence d'actes répétés ; qu'en se fondant sur un fait unique pour déclarer M. M... V... coupable de harcèlement moral au préjudice des salariés MM. C..., R..., S..., J..., X..., K..., L... et H..., la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la répétition d'agissements imputables au prévenu, n'a pas légalement justifié sa décision ;
5°/ que les juges du fond doivent caractériser avec précision les agissements imputables au prévenu ; qu'en se bornant à relever que Mme F... avait déclaré être devenue « la tête de truc » de l'exposant, que des « incidents » avaient eu lieu avec M. B... et que Mme T... déclarait avoir « été dégradée de son emploi », sans caractériser avec précision les agissements reprochés à l'exposant, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
6°/ que le délit de harcèlement moral ne peut être constitué en dehors d'une relation de travail ; que pour déclarer M. V... coupable de harcèlement moral au préjudice de M. O..., la cour d'appel s'est fondée sur un agissement survenu postérieurement au licenciement de ce dernier, et donc en dehors de toute relation de travail, violant ainsi les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
16. Pour déclarer M. M... V... coupable de harcèlement moral, l'arrêt énonce, après avoir repris notamment les déclarations de MM. D..., U..., B... et O..., ainsi que Mmes I..., K..., N..., P..., Q..., R..., S..., J..., X..., L..., H..., F..., T..., C..., que les salariés ont décrit aux enquêteurs une agressivité verbale du prévenu à leur endroit, des réflexions déplacées et une surveillance permanente de leurs actions.
17. Les juges ajoutent, en substance, que ces salariés ont déploré les changements incessants de poste, d'horaires, l'incertitude des plannings, ainsi que des ordres contradictoires dans l'organisation du travail donnés par une direction multiple, à laquelle appartient le prévenu, ce qui s'est traduit par une dégradation avérée et importante des conditions de travail.
18. Ils relèvent que ces déclarations sont confirmées par les nombreux écrits adressés à l'inspection du travail, les certificats médicaux attestant d'états dépressifs et d'arrêts de travail suite à un harcèlement et à de mauvaises conditions de travail, ainsi que l'alerte du médecin du travail et des avertissements adressés à l'entreprise par la direction du travail et de l'emploi.
19. Les juges en déduisent l'existence d'agissements répétés de M. M... V... à l'encontre notamment des salariés précités, ayant eu pour effet et pour objet une dégradation de leurs conditions de travail, une atteinte à leurs droits et à leur dignité, une altération de leur santé physique et psychique, une compromission de leur avenir professionnel.
20. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans insuffisance, caractérisé le délit de harcèlement moral retenu en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnels, dès lors qu'elle a mis en évidence, à la charge du demandeur, des agissements répétés, au sens de l'article 222-33-2 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, commis dans un contexte professionnel, consistant notamment en une réitération de comportements attentatoires à la dignité de chacun des salariés en cause, et que lesdits agissements, étrangers par leur nature au pouvoir de direction de l'intéressé, par la dégradation des conditions de travail en résultant, ont altéré la santé des victimes et compromis leur avenir professionnel.
21. Ainsi, les griefs doivent être écartés.
Mais sur les troisièmes moyens proposés pour MM. V...
Enoncé des moyens
22. Les moyens sont pris de la violation des articles 475-1, 480-1, 591 et 593 du code de procédure pénale.
23. Les moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné solidairement MM. PR... et M... V... à verser des sommes en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale à certains salariés (MM. G..., E..., L..., N..., C..., K... et I...), alors « que la solidarité édictée par l'article 480-1 du code de procédure pénale n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables prévus par l'article 475-1 du même code ; qu'en condamnant solidairement MM. PR... et M... V... à verser des sommes au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
24. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 475-1 et 480 du code de procédure pénale :
25. La solidarité édictée par le second de ces textes pour les restitutions et dommages-intérêts n'est pas applicable au paiement des frais non recouvrables.
26. L'arrêt condamne solidairement MM. V... à payer à MM. G..., E..., Mmes L..., N..., C..., K... et I..., une somme, au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
27. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
28. La cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
29. L'arrêt condamne solidairement MM. V... à payer à Mmes Y..., A... et X..., au syndicat CFDT ainsi qu'à l'Union départementale des syndicats Force Ouvrière de la Loire, une somme, au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
30. Ces condamnations solidaires n'ayant pas été critiquées, en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura également effet à l'égard de ces parties civiles.
31. Les autres moyens étant rejetés, la cassation sera limitée aux dispositions de l'arrêt relatives aux condamnations solidaires prononcées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Elle aura lieu sans renvoi, par voie de retranchement, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
32. Les dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel.
33. Les déclarations de culpabilité de MM. V... étant devenues définitives, par suite du rejet de leurs premiers et deuxièmes moyens de cassation, contestés par les défendeurs au pourvoi, il y a lieu de faire partiellement droit à leur demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 20 février 2019, mais en ses seules dispositions ayant condamné solidairement MM. V... au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que les condamnés sont tenus in solidum au paiement des sommes allouées au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Fixe à 2 500 euros la somme globale que M. PR... V... devra payer aux parties civiles, représentées par la SCP Thouvenin Coudray et Grévy, avocat en la Cour, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale
Fixe à 2 500 euros la somme globale que M. M... V... devra payer aux parties civiles, représentées par la SCP Thouvenin Coudray et Grévy, avocat en la Cour, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon, chambre correctionnelle et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt.