LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 686 F-D
Pourvoi n° J 19-18.254
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
M. D... O..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° J 19-18.254 contre l'ordonnance rendue le 23 avril 2019 par le premier président de la cour d'appel de Bordeaux, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme J... R..., épouse U..., domiciliée [...] ,
2°/ à Mme M... U..., épouse H..., domiciliée [...] ,
3°/ à M. D... H..., domicilié [...] ,
4°/ à Mme M... H..., épouse L..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. O..., de Me Carbonnier, avocat de Mme R..., épouse U..., Mme M... U..., épouse H..., M. D... H... et Mme M... H..., épouse L..., et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon « l'ordonnance » attaquée rendue par la juridiction du premier président d'une cour d'appel (Bordeaux, 23 avril 2019), Mme R... a confié, au cours de l'année 2013, à M. O... (l'avocat) la défense de ses intérêts dans le litige l'opposant au fermier, titulaire d'un bail rural sur les parcelles viticoles dont elle est propriétaire.
2. Une convention d'honoraires a été conclue entre l'avocat et sa cliente le 10 avril 2015, prévoyant un honoraire forfaitaire de diligences à hauteur de 500 euros et un honoraire supplémentaire de résultat correspondant à 5 % du prix de vente du bien à la suite de la libération par le fermier. L'honoraire forfaitaire a été intégralement réglé.
3. L'avocat a émis entre le 25 janvier 2016 et le 19 juin 2017 quatre factures à l'adresse de Mme R....
4. Affirmant que ces notes d'honoraires n'étaient qu'une provision sur l'honoraire de résultat, il a saisi le bâtonnier de son ordre d'une demande de fixation de cet honoraire.
5. Mme R... et ses enfants, Mme M... U..., épouse H..., M. H... et Mme M... H..., épouse L..., ont formé un recours à l'encontre de la décision du bâtonnier.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'avocat fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à la condamnation de Mme R..., veuve U..., à lui payer la somme de 44 700 euros TTC à titre d'honoraire, outre 3 000 euros TTC à titre d'honoraire complémentaire de résultat alors « que la novation, qui peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, ne se présume pas ; que la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte ; que pour débouter l'exposant de ses demandes, la juridiction de la première présidente a relevé que, contrairement à ce que prétendait Me O..., les quatre factures litigieuses ne pouvaient constituer des provisions à valoir sur le montant de l'honoraire de résultat prévu par la convention d'honoraire, dès lors qu'elles étaient expressément causées par les diligences qui y étaient mentionnées, de sorte qu'elles traduisaient la volonté de l'avocat de s'affranchir de cette convention et de substituer à l'obligation de payer un honoraire de résultat celle de payer ces diligences ; qu'en statuant ainsi, quand la facturation de diligences non prévues dans la convention d'honoraires ne pouvait, en tout état de cause, emporter à elle seule renonciation aux stipulations de ladite convention, notamment en ce qui concerne l'honoraire de résultat qu'elle prévoyait, sauf accord exprès des parties, la juridiction de la première présidente de la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et, de ce fait, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1271 du code civil, devenu l'article 1331 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1271 et 1273, devenus 1329 et 1330 du code civil :
7. Il résulte de ces textes que la novation, qui peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, ne se présume pas. La volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte.
8. Pour rejeter la demande de l'avocat en paiement d'un honoraire complémentaire de résultat, l'arrêt retient qu'il ne peut établir par une affirmation purement fantaisiste que les quatre factures qui sont expressément causées par les diligences qu'elles énoncent camouflent en réalité de simples demandes de provision.
9. Il relève qu'au contraire, comme le soutiennent les parties adverses, par l'émission de ces factures qui rémunèrent des diligences de l'avocat, alors qu'il avait déjà perçu l'honoraire de diligences prévu à la convention, ce dernier a manifesté suffisamment clairement sa volonté de s'affranchir de la convention signée le 25 janvier 2016, ce que Mme R... a expressément accepté en réglant les quatre factures litigieuses.
10. En se déterminant par ces motifs impropres à caractériser une novation dès lors qu'il ne résultait pas de la seule émission par l'avocat des factures litigieuses et de leur paiement par sa cliente une volonté claire et non équivoque des parties d'opérer, par substitution d'obligation, une novation de la convention d'honoraire complémentaire de résultat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 23 avril 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne Mme J... R..., Mme M... U..., épouse H..., M. D... H... et Mme M... L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE présent arrêt
Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour M. O...
Il est fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir débouté M. O... de sa demande tendant à la condamnation de Mme R..., veuve U... à lui payer la somme de 44 700 euros TTC à titre d'honoraire, outre 3 000 euros TTC à titre d'honoraire complémentaire de résultat ;
aux motifs qu'il convient de préciser que dans le cadre de la présente procédure seule Mme J... R... est véritablement concernée (elle est seule signataire de la convention d'honoraire litigieuse, les factures sont à son nom et l'honoraire arrêté par le bâtonnier l'a été à son encontre) ; que par ailleurs, il est constant : - que Mme J... R..., directement ou par l'intermédiaire d'un mandataire, a confié à Me O..., courant 2013, ses intérêts dans un litige l'opposant à son fermier, M. Y... P... et son épouse ; - que le conseil pour le compte de sa cliente a saisi le TPBR d'une demande d'expertise à laquelle il été fait droit ; - qu'au vu du rapport d'expertise, il a été décidé d'assigner le fermier en résiliation de son bail sous couvert d'une convention d'honoraire, régularisée le 10 avril 2015, prévoyant un honoraire fixe de 500 euros et un honoraire de résultat égal à 5% ht du prix de vente du bien, somme due à la libération du bien par le fermier ; - que la mission donnée à l'avocat est exprimée de la façon suivante : « Mme J... R..., épouse U..., confie à Me D... O... de l'AARPI Q... et associés la défense de ses intérêts à l'égard de son fermier M. Y... P... et de sa femme, Mme K... P..., née W... » ; - que l'honoraire de diligence (500 euros) a été payé ; - que le 7 mars 2016 le TPBR a rendu un jugement de débouté dont Me O... a relevé à titre conservatoire avant d'adresser un courrier au mandataire de sa cliente, M. G... L... par lequel il lui conseille de suivre sur le recours, ce qui sera fait ; - qu'au cours de la procédure d'appel, Me O... va adresser à sa cliente diverses factures (rappelées en gras dans le commémoratif de la présente décision) ; - que, finalement, les époux P... vont prendre l'initiative d'une transaction qui aboutira à la signature d'un protocole d'accord entre Mme J... R... et sa parentèle et les époux P... ; que Me O... sollicite un honoraire de résultat sur le fondement de la convention signée le 10 avril 2015 ; que, par le truchement de M. G... L..., Mme J... R... refuse de payer cet honoraire considérant qu'elle n'est pas applicable ; qu'elle fait plaider qu'une novation serait intervenue dans les rapports entre les parties et que la nouvelle convention serait consacrée par l'émission des factures diligences des 25 janvier 2016, 22 novembre 2016, 11 mai 2017 et 19 juin 2017 qui ont été réglées ; que Me O... explique qu'en réalité ces quatre factures sont des demandes de provision à valoir sur l'honoraire de résultat ; que toutefois, Me O... ne peut établir par une affirmation purement fantaisiste que ces factures qui sont expressément causées par les diligences qu'elles énoncent camouflent en réalité de simples demandes de provision ; qu'au contraire, comme le soutiennent les appelants, par l'émission de ces quatre factures qui rémunèrent des diligences du conseil, alors qu'il avait déjà perçu l'honoraire de diligence prévu à la convention, Me O... a manifesté suffisamment clairement sa volonté de s'affranchir de la convention signée le 25 janvier 2016, ce que Mme J... R... a expressément accepté en réglant les quatre factures litigieuses (ordonnance, pages 4 et 5) ;
1°) alors que la novation, qui peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, ne se présume pas ; que la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte ; que pour débouter l'exposant de ses demandes, la juridiction de la première présidente a relevé que, contrairement à ce que prétendait Me O..., les quatre factures litigieuses ne pouvaient constituer des provisions à valoir sur le montant de l'honoraire de résultat prévu par la convention d'honoraire, dès lors qu'elles étaient expressément causées par les diligences qui y étaient mentionnées, de sorte qu'elles traduisaient la volonté de l'avocat de s'affranchir de cette convention et de substituer à l'obligation de payer un honoraire de résultat celle de payer ces diligences ; qu'en statuant ainsi, quand la facturation de diligences non prévues dans la convention d'honoraires ne pouvait, en tout état de cause, emporter à elle seule renonciation aux stipulations de ladite convention, notamment en ce qui concerne l'honoraire de résultat qu'elle prévoyait, sauf accord exprès des parties, la juridiction de la première présidente de la cour d'appel s'est déterminée par une motivation inopérante et, de ce fait, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1271 du code civil, devenu l'article 1331 du même code ;
2°/ alors que la novation, qui peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, ne se présume pas ; que la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte ; que pour débouter l'exposant de ses demandes, le premier président a relevé que, contrairement à ce que prétend Me O..., les quatre factures litigieuses ne pouvaient constituer des provisions à valoir sur le montant de l'honoraire de résultat prévu par la convention d'honoraire, dès lors qu'elles sont expressément causées par les diligences qui y sont mentionnées, de sorte qu'elles traduisent la volonté de l'avocat de s'affranchir de cette convention ; qu'en statuant ainsi, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de l'exposant (page 8), qui faisait valoir que, dans un premier temps et postérieurement au règlement des quatre factures litigieuses, la facture d'honoraire de résultat adressée par l'avocat n'avait pas été contestée dans son principe mais uniquement dans son quantum, le mandataire de la cliente souhaitant en négocier le montant et obtenir un échéancier de règlement, ce dont il résulte que les parties ne s'étaient pas entendues pour substituer le paiement des factures susvisées aux obligations prévues par la convention d'honoraire, notamment en ce qui concerne l'engagement du client de payer un honoraire de résultat, la juridiction de la première présidente a violé l'article 455 du code de procédure civile.