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16/07/2020 | FRANCE | N°19-17627

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 16 juillet 2020, 19-17627


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 juillet 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 685 F-D

Pourvoi n° C 19-17.627

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020

Mme R... N..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourv

oi n° C 19-17.627 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2019 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ au Fonds d...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 16 juillet 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 685 F-D

Pourvoi n° C 19-17.627

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020

Mme R... N..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C 19-17.627 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2019 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [...] ,

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Chambéry, domicilié en son parquet général, [...],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme N..., de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 avril 2019), W... N... est décédé le 8 octobre 2014, victime d'un meurtre avec préméditation reconnu par M. B....

2. Une ordonnance de non-lieu pour cause d'extinction de l'action publique a été rendue le 6 avril 2016, à la suite du suicide de l'auteur des faits dans sa cellule.

3. Par décision du 22 octobre 2015, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (la CIVI) a condamné le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) à payer à la soeur de la victime directe, Mme N..., épouse Q..., 15 000 euros au titre de son préjudice moral.

4. Par requête du 3 mai 2017, Mme N... a saisi de nouveau la CIVI aux fins d'indemnisation par le FGTI de son préjudice économique.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme N... fait grief à l'arrêt de la débouter de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation alors « que le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées ; qu'en l'espèce, pour infirmer le jugement entrepris et débouter Mme R... N... de ses demandes d'indemnisation, la cour d'appel s'est prononcée au visa de conclusions déposées le 3 juillet 2018 par Mme R... N... en exposant succinctement les moyens et prétentions émis par celle-ci ; qu'en statuant ainsi, bien que Mme N... ait déposé, le 11 février 2019, des conclusions complétant sa précédente argumentation et assorties de nouvelles pièces visées dans le bordereau figurant en annexe, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle aurait pris en considération cette argumentation complémentaire et ces nouvelles pièces, a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 455, alinéa 1, et 954, alinéa 3 devenu alinéa 4, du code de procédure civile, en sa rédaction applicable à la cause :

6. S'il n'expose pas succinctement les prétentions des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date.

7. Pour rejeter l'intégralité des demandes d'indemnisation soutenues par Mme N..., l'arrêt se prononce au visa des conclusions remises le 3 juillet 2018 par l'intimée en exposant succinctement les prétentions et moyens soutenus par celle-ci.

8. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des productions que l'intimée avait déposé le 11 février 2019 des conclusions, développant une argumentation complémentaire, accompagnées de trois pièces dont deux nouvelles, n° 25 et n° 26, visées par le bordereau des pièces annexé aux conclusions, la cour d'appel, qui n'a pas exposé succinctement les prétentions et moyens figurant dans ces conclusions et s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle aurait pris en considération ces dernières conclusions et ces nouvelles pièces, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) à payer à Mme N... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour Mme N....

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme R... N... de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation ;

AU VISA des conclusions notifiées par Mme R... N... le 3 juillet 2018 ;

ET AUX MOTIFS QU'en application des dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque ces faits ont, notamment, entrainé la mort ; que la preuve du lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice allégué doit être rapportée par celui prouvant l'indemnisation ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure pénale produites par l'appelante (pièce n°1 et 2, SCP D... etamp; Associés) que W... N... a été victime d'un homicide volontaire, de tels faits présentent le caractère matériel d'une infraction ; qu'il n'est pas contesté que Mme R... N... épouse Q... était employée, à temps partiel, en qualité de secrétaire comptable par la SARL [...], selon contrat de travail à durée indéterminée, depuis le 19 juillet 2010 (pièce n° 5, SCP D... etamp; Associés) et qu'elle a été licenciée pour motif économique selon la lettre de licenciement du 4 décembre 2014, la société ayant été placée en liquidation judiciaire le 21 novembre 2014 aux termes d'un jugement du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains (pièce n° 7, SCP D... etamp; Associés) ; que Mme R... N... épouse Q... n'établit toutefois pas de lien de causalité certain entre sa perte de revenu et le décès de son frère dirigeant de l'entreprise qui l'employait ; qu'il ne peut, en effet, pas être retenu que la mort de W... N... est la cause certaine de la liquidation judiciaire de la société [...] dont ce dernier était le gérant, ni du licenciement subséquent de Mme R... N... qui était salariée de la société liquidée ; que Mme R... N... ne démontre donc pas avoir été financièrement à la charge de son frère ni que la diminution de ses revenus est en lien direct avec l'homicide dont il a été victime ; qu'or, seuls les ayants droit dont la charge financière, totale ou partielle, pèse sur la victime peuvent prétendre à l'indemnisation de leur préjudice économique ; que le seul lien contractuel résultant du contrat de travail conclu avec la société [...] ne permet pas de caractériser l'existence d'une dépendance économique personnelle entre le défunt et Mme N... épouse Q... ; que dès lors, les demandes formulées par Mme R... N... doivent être rejetées en l'absence de lien de causalité établi entre l'homicide volontaire et la perte de gains alléguée ; que la décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné le Fonds de garantie à payer à Mme N... épouse Q... la somme de 84 959,74 € ;

1) ALORS QUE le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées ;
qu'en l'espèce, pour infirmer le jugement entrepris et débouter Mme R... N... de ses demandes d'indemnisation, la cour d'appel s'est prononcée au visa de conclusions déposées le 3 juillet 2018 par Mme R... N... en exposant succinctement les moyens et prétentions émis par celle-ci ; qu'en statuant ainsi, bien que Mme N... ait déposé, le 11 février 2019, des conclusions complétant sa précédente argumentation et assorties de nouvelles pièces visées dans le bordereau figurant en annexe, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs dont il ne résulte pas qu'elle aurait pris en considération cette argumentation complémentaire et ces nouvelles pièces, a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

2) ALORS QU'en toute hypothèse, les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture sont recevables, sauf à ce qu'une atteinte au principe du contradictoire ne soit caractérisée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a fait abstraction des conclusions déposées le 11 février 2019, jour de l'ordonnance de clôture, sans se prononcer sur leur recevabilité ni même faire ressortir en quoi leur dépôt porterait atteinte au principe du contradictoire ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 16 et 783 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme R... N... de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation ;

AUX MOTIFS QU'en application des dispositions de l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque ces faits ont, notamment, entrainé la mort ; que la preuve du lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice allégué doit être rapportée par celui prouvant l'indemnisation ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure pénale produites par l'appelante (pièce n°1 et 2, SCP D... etamp; Associés) que W... N... a été victime d'un homicide volontaire, de tels faits présentent le caractère matériel d'une infraction ; qu'il n'est pas contesté que Mme R... N... épouse Q... était employée, à temps partiel, en qualité de secrétaire comptable par la SARL [...], selon contrat de travail à durée indéterminée, depuis le 19 juillet 2010 (pièce n°5, SCP D... etamp; Associés) et qu'elle a été licenciée pour motif économique selon la lettre de licenciement du 4 décembre 2014, la société ayant été placée en liquidation judiciaire le 21 novembre 2014 aux termes d'un jugement du tribunal de commerce de Thonon-les-Bains (pièce n°7, SCP D... etamp; Associés) ; que Mme R... N... épouse Q... n'établit toutefois pas de lien de causalité certain entre sa perte de revenu et le décès de son frère dirigeant de l'entreprise qui l'employait ; qu'il ne peut, en effet, pas être retenu que la mort de W... N... est la cause certaine de la liquidation judiciaire de la société [...] dont ce dernier était le gérant, ni du licenciement subséquent de Mme R... N... qui était salariée de la société liquidée ; que Mme R... N... ne démontre donc pas avoir été financièrement à la charge de son frère ni que la diminution de ses revenus est en lien direct avec l'homicide dont il a été victime ; qu'or, seuls les ayants droit dont la charge financière, totale ou partielle, pèse sur la victime peuvent prétendre à l'indemnisation de leur préjudice économique ; que le seul lien contractuel résultant du contrat de travail conclu avec la société [...] ne permet pas de caractériser l'existence d'une dépendance économique personnelle entre le défunt et Mme N... épouse Q... ; que dès lors, les demandes formulées par Mme R... N... doivent être rejetées en l'absence de lien de causalité établi entre l'homicide volontaire et la perte de gains alléguée ; que la décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné le Fonds de garantie à payer à Mme N... épouse Q... la somme de 84 959,74 € ;

1) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, ce dont il résulte qu'un fait allégué non contesté par l'autre partie doit être considéré comme acquis ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme N... de sa demande d'indemnisation, la cour d'appel a énoncé qu'elle n'établissait pas de lien de causalité certain entre sa perte de revenu et le décès de son frère dirigeant de l'entreprise qui l'employait puisqu'il ne pouvait être retenu que la mort de son frère était la cause certaine de la liquidation de l'entreprise ni du licenciement subséquent de la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand ni le fonds d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions ni le Ministère public ne contestait que la liquidation judiciaire de la SARL [...] était la conséquence certaine du décès de son gérant majoritaire et fondateur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2) ALORS QU'en toute hypothèse, Mme R... N... demandait dans ses conclusions d'appel (pages 9 et 10) la confirmation de la décision de la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions en ce qu'elle avait dit bien fondée sa demande d'indemnisation de son préjudice économique et avait expressément fait sienne les motifs du jugement ayant relevé que compte tenu de la structure et de l'activité de la société dont la victime directe était le dirigeant mais également de la personnalité et du rôle essentiel de cette victime au sein de la société, la poursuite de cette entreprise était impossible après son décès ; qu'en affirmant qu'il ne pouvait être retenu que la mort de la victime directe était la cause certaine de la liquidation judiciaire de la société dont la victime était le gérant, sans réfuter les motifs précités du jugement tirés du rôle essentiel de la victime directe au sein de la petite structure qu'elle dirigeait ni examiner les pièces produites, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3) ALORS QU'en toute hypothèse, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque ces faits ont notamment entrainé la mort ; que les proches de la victime directe qui étaient dans un lien de dépendance économique à son égard peuvent prétendre à l'indemnisation du préjudice patrimonial que leur cause son décès; qu'en l'espèce, pour débouter Mme R... N... de sa demande d'indemnisation du préjudice économique lié au décès de son frère, la cour d'appel a énoncé que seuls les ayants droit dont la charge financière, totale ou partielle, pesait sur la victime peuvent prétendre à l'indemnisation de leur préjudice économique et que le lien contractuel résultant du contrat de travail conclu entre la société dirigée par la victime et la soeur de celle-ci ne caractérisait pas un lien de dépendance économique personnelle entre le défunt et sa soeur; qu'en statuant ainsi, quand la circonstance que Mme N... soit salariée de la société de taille réduite dont son frère était le gérant traduisait une forme de solidarité familiale et plaçait nécessairement Mme N... dans un lien de dépendance économique personnelle et direct à l'égard de son frère, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-17627
Date de la décision : 16/07/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Chambéry, 11 avril 2019


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 16 jui. 2020, pourvoi n°19-17627


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Delvolvé et Trichet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.17627
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