LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 673 F-D
Pourvoi n° Z 19-12.656
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. A....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 décembre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
M. D... A..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Z 19-12.656 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2018 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Adecco, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , pris en son établissement [...] ,
2°/ à la société Spie industrie et tertiaire, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Spie Sud-Ouest,
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Landes, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. A..., de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Adecco, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Spie industrie et tertiaire, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 22 mars 2018), M. A..., salarié de la société Adecco, mis à disposition de la société Spie Sud-Ouest, aux droits de laquelle vient la société Spie industrie tertiaire, en qualité de mécanicien d'entretien, a été victime, le 29 mai 2007, d'un accident qui a été pris en charge au titre de la législation professionnelle.
2. Par un arrêt du 18 décembre 2014, devenu irrévocable, une cour d'appel a jugé que cet accident était dû à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, l'affaire ayant été renvoyée devant un tribunal des affaires de sécurité sociale pour la liquidation des préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. A... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'indemnisation d'une perte de chance de promotion professionnelle, alors :
« 1°/ que l'indemnisation de la perte de ses possibilités de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel celles-ci pouvaient de se réaliser ; qu'en l'espèce, M. A... a fait valoir, au soutien de sa demande d'indemnisation de perte de possibilités de promotion professionnelle, qu'il n'occupait qu'un poste de « simple mécanicien » mais qu'il avait suivi des formations et que peu de temps avant l'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, dont il a été victime le 29 mai 2007, il avait obtenu des habilitations concernant les risques chimiques qui devaient lui donner vocation à devenir chef d'équipe ; que la cour d'appel l'a débouté de sa demande en évoquant « les deux habilitations au risque chimique exigées pour exercer son métier au sein du centre de formation de Lacq, à l'époque gérée par l'entreprise Total elle-même... ». Il était donc obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site » et en retenant que « de plus, ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle » ; qu'en statuant par ces motifs impropres à exclure l'existence du préjudice de perte de chance de promotion professionnelle invoquée par M. A..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
2°/ que le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. A... a soutenu, au soutien de sa demande d'indemnisation de perte de possibilités de promotion professionnelle, qu'il n'occupait qu'un poste de « simple mécanicien » mais qu'il avait suivi des formations et que peu de temps avant l'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, dont il a été victime le 29 mai 2007, il avait obtenu des habilitations concernant les risques chimiques correspondant à un niveau de chef d'équipe, ainsi qu'en attestait le livret de formation niveau II, qui témoignait de ce que des missions traduisant une réelle progression dans sa carrière en termes de compétences et de responsabilités pourraient lui être confiées ; qu'en évoquant, pour le débouter de sa demande, « les deux habilitations au risque chimique exigées pour exercer son métier au sein du centre de formation de Lacq, à l'époque gérée par l'entreprise Total elle-même... ». Il était donc obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site » et en retenant que « de plus, ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle », sans répondre aux conclusions soutenant que les formations qu'il avait suivies étaient de nature à lui permettre d'évoluer professionnellement en accédant à davantage de responsabilités et que l'accident dont il avait été victime l'avait privé de cette possibilité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir rappelé que M. A... soutenait que les qualifications qu'il avait obtenues démontraient une progression dans sa carrière en vue d'obtenir des plus grandes compétences et responsabilités au sein de l'entreprise utilisatrice pour passer du simple intervenant extérieur à un personnel encadrant pour le compte de la société utilisatrice et qu'il n'aurait certainement pas passé ces différentes habilitations si un contrat à durée indéterminée n'avait pas été négocié avec l'entreprise Spie Sud-Ouest, l'arrêt retient que les déclarations de M. A... faites à la gendarmerie lors de l'enquête pénale et le procès-verbal d'audition du responsable de la sécurité de la société Spie ne démontrent pas qu'il allait être embauché en contrat de travail à durée indéterminée par cette société, par la société Total ou toute autre société.
5. L'arrêt relève encore que les niveaux I et II de la « formation sécurité - entreprises extérieures » ont été mis en place dans le souci d'améliorer la sécurité des personnels d'entreprises extérieures, que M. A... était obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site et que ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle.
5. De ces constatations et énonciations découlant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve soumis à son examen, la cour d'appel, répondant en les écartant aux conclusions prétendument délaissées, a pu déduire que M. A... ne démontrait pas qu'il avait des chances, non hypothétiques, de promotion professionnelle.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. A... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. A...
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. A... de sa demande d'indemnisation d'une perte de chance de promotion professionnelle ;
Aux motifs que « sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation...du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».
La perte des possibilités de promotion professionnelle subie par l'intéressé est distincte du préjudice résultant du déclassement professionnel, compensé par l'attribution d'une rente majorée.
Il ne peut être fait droit à une demande d'indemnisation d'un événement futur favorable qu'à la seule condition que cet événement ne soit pas simplement virtuel et hypothétique.
L'indemnisation du préjudice professionnel implique que la victime ait amorcé un cursus de qualification professionnelle laissant supposer que, sans l'accident, ce cursus aurait continué et qu'en raison de l'accident et de ses conséquences, elle ne peut plus exercer son métier. Il lui incombe donc de démontrer qu'au jour de l'accident, elle aurait eu de sérieuses chances de promotion professionnelle.
Si elle ne peut justifier ni d'un processus scolaire, ni d'un processus quelconque de chance de promotion professionnelle, elle échoue dans cette démonstration.
En l'espèce, Monsieur A... soutient qu'il a suivi, avec succès, les deux : « habilitations au risque chimique » exigées pour exercer son métier au sein du Centre de Formation de Lacq à l'époque gérée par l'entreprise TOTAL et que cette certification n'avait qu'un but : celui de le faire progresser en lui donnant plus de compétences et plus de responsabilités pour le compte de la société SPIE Sud-Ouest. Il ajoute qu'il n'aurait certainement pas passé ces différentes habilitations si un contrat à durée indéterminée n'avait pas été négocié avec l'entreprise SPIE Sud-Ouest, entreprise utilisatrice.
Il maintient que les qualifications qu'il a obtenues démontrent une progression dans sa carrière en vue d'obtenir des plus grandes compétences et responsabilités au sein de l'entreprise utilisatrice pour passer du simple intervenant extérieur à un personnel encadrant pour le compte de la société utilisatrice.
Il en veut pour preuve :
-les déclarations qu'il avait faites dans le cadre de l'enquête de gendarmerie aux termes desquelles il a indiqué notamment « ...J'aurais dû mettre mon droit de veto car le montage ne comportait pas de soupape de sécurité. J'ai pas mis mon droit de veto car sinon c'était la « porte ». En effet, j'étais sur le point de signer un contrat à durée indéterminée, suite à un entretien avec Z... responsable relation de SPIE ... » ;
-le procès-verbal d'audition de Monsieur K..., responsable sécurité SPIE qui mentionne que « Monsieur A... avait un niveau de chef d'équipe ... » ;
-les deux stages de prévention niveaux I et II qu'il a effectués avec succès.
Cependant, les déclarations qu'il a faites à la gendarmerie dans le cadre de l'enquête et le procès-verbal d'audition de Monsieur K... ne démontrent pas qu'il allait être embauché dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée par la société SPIE ou par la société TOTAL ou toute autre société.
De même, les deux niveaux I et II de la « formation sécurité - entreprises Extérieures » dispensés par le Centre de Formation de Lacq ont été mis en place dans le souci d'améliorer la sécurité des personnels d'entreprises extérieures - comme le nom lui-même de la formation l'indique.
Monsieur A... le confirme d'ailleurs dans ses écritures (page 6 de ses conclusions : « ...les deux habilitations au risque chimique exigées pour exercer son métier au sein du centre de formation de Lacq, à l'époque gérée par l'entreprise TOTAL elle-même... »).
Il était donc obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site.
De plus, ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle.
Ainsi, à défaut de tout autre élément, Monsieur A... ne démontre pas qu'il avait des chances - non pas hypothétiques - mais sérieuses de promotion professionnelle.
En conséquence, il doit être débouté de ses demandes formées de ce chef » (arrêt, p. 7 etamp; 8) ;
Et aux motifs adoptés du jugement que « conformément aux dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, lequel énumère de façon limitative les préjudices réparables à la suite d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime de cet accident peut obtenir une indemnisation du préjudice résultant de la perte de promotion professionnelle à condition de démontrer avoir eu des chances sérieuses de promotion professionnelle avant l'accident, étant souligné que ce préjudice doit être distingué de celui pouvant résulter d'une perte de salaire ou d'un déclassement professionnel, lesquels sont déjà compensés par l'attribution de la rente majorée.
Monsieur D... A... ne produit aucun élément de nature à démontrer le préjudice invoqué et notamment, par exemple, qu'il avait des chances de promotion professionnelle avant l'accident compromises du fait de celui-ci, ou qu'il pouvait espérer une quelconque promotion en raison du fait qu'il était détenteur de diplôme ou de formation professionnelle alors qu'il ne justifie pas d'une telle détention ou formation.
Il ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du déclassement professionnel compensé par l'attribution de la rente majorée » (jugement, p. 6) ;
1/ Alors que la victime d'un accident du travail peut solliciter l'indemnisation de la perte de ses possibilités de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel celles-ci pouvaient de se réaliser ; qu'en l'espèce, M. A... a fait valoir, au soutien de sa demande d'indemnisation de perte de possibilités de promotion professionnelle, qu'il n'occupait qu'un poste de « simple mécanicien » mais qu'il avait suivi des formations et que peu de temps avant l'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, dont il a été victime le 29 mai 2007, il avait obtenu des habilitations concernant les risques chimiques qui devaient lui donner vocation à devenir chef d'équipe ; que la cour l'a débouté de sa demande en évoquant « les deux habilitations au risque chimique exigées pour exercer son métier au sein du centre de formation de Lacq, à l'époque gérée par l'entreprise TOTAL elle-même... ». Il était donc obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site » et en retenant que « de plus, ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle » ; qu'en statuant par ces motifs impropres à exclure l'existence du préjudice de perte de chance de promotion professionnelle invoquée par M. A..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
2/ Alors que le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. A... a soutenu, au soutien de sa demande d'indemnisation de perte de possibilités de promotion professionnelle, qu'il n'occupait qu'un poste de « simple mécanicien » mais qu'il avait suivi des formations et que peu de temps avant l'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, dont il a été victime le 29 mai 2007, il avait obtenu des habilitations concernant les risques chimiques correspondant à un niveau de chef d'équipe, ainsi qu'en attestait le livret de formation niveau II, qui témoignait de ce que des missions traduisant une réelle progression dans sa carrière en termes de compétences et de responsabilités pourraient lui être confiées (concl. d'appel, p. 6 à 9) ; qu'en évoquant, pour le débouter de sa demande, « les deux habilitations au risque chimique exigées pour exercer son métier au sein du centre de formation de Lacq, à l'époque gérée par l'entreprise TOTAL elle-même... ». Il était donc obligé de les suivre s'il voulait travailler sur le site » et en retenant que « de plus, ces formations n'étaient pas intégrées dans un cycle d'études donnant lieu à une formation qualifiante lui permettant d'accéder à une promotion professionnelle », sans répondre aux conclusions soutenant que les formations qu'il avait suivies étaient de nature à lui permettre d'évoluer professionnellement en accédant à davantage de responsabilités et que l'accident dont il avait été victime l'avait privé de cette possibilité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.