LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation sans renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt n° 417 F-D
Pourvoi n° S 19-50.024
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUILLET 2020
Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon, domicilié en son parquet, [...], a formé le pourvoi n° S 19-50.024 contre le jugement rendu le 6 février 2019 par le tribunal de grande instance de Lyon (chambre 1, cabinet 01 A), dans le litige l'opposant à Mme J... B..., veuve E..., domiciliée chez M. E..., [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme B..., après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Lyon, 6 février 2019), Mme B..., originaire de Madagascar où elle est née le [...] , a, sur question préjudicielle de nationalité posée par le tribunal administratif de Lyon dans un jugement de sursis à statuer du 22 mars 2017, introduit une action déclaratoire de nationalité pour être née de deux parents français.
Examen de la recevabilité du pourvoi
2. Mme B... soulève l'irrecevabilité du pourvoi dirigé exclusivement contre elle et non contre le préfet du Rhône, qui était partie à l'instance devant le tribunal administratif.
3. Il résulte de l'article 29-3, alinéa 2, du code civil que seul le procureur de la République est défendeur nécessaire à toute action déclaratoire de nationalité.
4. Le pourvoi est donc recevable.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le ministère public fait grief au jugement de dire Mme B... de nationalité française, alors « que conformément à l'article 152 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, ont conservé de plein droit la nationalité française les Français originaires du « territoire de la République française tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960 » (ainsi que leurs conjoints, veufs ou veuves et descendants) ; que Madagascar a accédé à l'indépendance le 26 juin 1960 et ne faisait donc plus partie du territoire de la République française le 28 juillet 1960 ; que Mme B..., originaire de Madagascar, n'était donc pas un originaire du « territoire de République française tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960 » ; qu'en jugeant que Madagascar faisait encore partie du territoire de la République française le 28 juillet 1960 pour en déduire que Mme B... avait conservé de plein droit la nationalité française, le tribunal a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 152 du code de la nationalité française dans sa rédaction issue de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, devenu l'article 32 du code civil :
6. Il résulte de ce texte que seuls les Français originaires du territoire de la République française, tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960, et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l'indépendance sur le territoire d'un Etat qui avait eu antérieurement le statut de territoire d'outre-mer de la République française, et leurs descendants, ont conservé de plein droit la nationalité française.
7. Pour dire Mme B... française, le jugement retient que si les grandes festivités datant du 26 juin 1960 ont marqué l'émancipation de l'Ile de Madagascar, il apparaît que la véritable célébration officielle de l'indépendance s'est déroulée entre le 29 et le 31 juillet 1960. Il en déduit que le père de l'intéressé, originaire de Madagascar où il est né en [...], d'un père français admis à la nationalité française par un décret du 6 août 1926, a conservé cette nationalité le 28 juillet 1960, date à laquelle Madagascar faisait encore partie du territoire de la République française, sans avoir à souscrire une déclaration récognitive.
8. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que le père de Mme B... était originaire de Madagascar et avait acquis la nationalité française en suivant la condition de son propre père, admis à cette nationalité par décret, de sorte qu'il avait perdu la nationalité française lors de l'accession de Madagascar à l'indépendance le 26 juin 1960, faute d'avoir souscrit une déclaration récognitive et que sa fille, alors mineure, avait suivi sa condition, le tribunal a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. Il y a lieu de constater l'extranéité de Mme B....
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 6 février 2019, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Constate l'extranéité de Mme B... ;
Condamne Mme B... aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le tribunal de grande instance ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme B... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir dit que Mme J... B... est de nationalité française,
Aux motifs que:
"L'article 17 de la loi du 9 janvier 1973 applicable en la cause, devenu l'article 18 du code civil dispose qu 'est français l'enfant légitime ou naturel dont l'un des parents au moins est français.
En l'espèce, la requérante soutient qu'elle est née d'un père qui a la nationalité française depuis 1926 et qu'elle est ainsi bien fondée à se voir reconnaître la nationalité française par filiation paternelle. Elle prétend également pouvoir revendiquer la nationalité française de par sa filiation maternelle.
Il appartient à Madame J... B... qui ne dispose pas d'un certificat de nationalité française de rapporter la preuve, d'une part de la nationalité française de l'un au moins de ses parents et d'autre part, de l'existence d'un lien de filiation légalement établi à l'égard de ce parent du temps de sa minorité et ce, par des actes probants au sens de l'article 47 du Code Civil qui prévoit que tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger, dera foi qu'il est rédigé dans les formes usitées dans le dit pays.
Mme J... B... produit son propre acte de naissance transcrit par le service d'état civil de Nantes aux termes duquel elle est née le [...] à Tananarive de B... H... né le [...] à Tananarive et de W... Y... C... née le [...] à Tananarive. Elle justifie par cet acte de la filiation légitime tant paternelle que maternelle. En effet, il est constant que l'acte de naissance dès lors que le service central civil l'a transcrit, fait foi, à défaut d'avoir été attaqué par le ministère public.
Elle n'a pas ainsi à produire l'acte de mariage de ses parents pour établir sa filiation légitime.
En outre, elle démontre que M. A... B..., son prétendu grand-père, a accédé à la qualité de citoyen français et ce, par décret du 6 août 1926 d'acquisition de la nationalité française produit aux débats.
Mme B... qui verse la copie de l'acte de naissance n° 306 du 20 février 1917 de son propre père H... B..., prouve non seulement la filiation paternelle de M. A... B... par rapport à ce dernier mais également que son père était mineur lors du décret de sorte que H... B... a également la nationalité française.
Cette preuve du lien de filiation entre son grand père et père est suffisante et c'est à tort que le ministère public soutient que celle-ci n'est pas établie, faute de production notamment de l'acte de naissance du grand-père paternel.
En outre, H... B... a conservé sanationalité française après l'indépendance par application de l'article 152 du code de la nationalité française.
En effet, cette disposition prévoit que les français originaires du territoire de la république française tel qu'il était constitué le 28 juillet 1960 et qui étaient domiciliés au jour de son accession à l'indépendance sur le territoire d'un état qui avait antérieurement le statut de territoire d'outre-mer de la république française ont conservé la nationalité française. Il en est de même des conjoints, des veufs ou veuves et des descendants desdites personnes. Si les grandes festivités datant du 26 juin 1960 marquent l'émancipation de l'île de Madagascar, il apparait que la véritable célébration officielle de l'indépendance se déroule entre le 29 et 31 juillet 1960. Ainsi le père de l'intéressé, originaire de Madagascar, qui était français depuis 1926 de par sa filiation paternelle, a conservé la nationalité française le 28 juillet 1960, date à laquelle Madagascar faisait encore partie du territoire de la république Française. Il n'avait pas ainsi à souscrire une déclaration de reconnaissance de la nationalité française comme le prétend le ministère public.
La nationalité française de H... B... a été transmise à sa fille, Mme J... B..., née le [...] laquelle âgée de 6 ans était donc mineure.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et constatations, il est établi que Mme B... est née d'un père français et doit ainsi se voir reconnaître la nationalité française.
De façon surabondante, il y a lieu de relever que la soeur de la requérante D... B... née le [...] , fille de H... B..., s'est vue reconnaître la nationalité française par filiation paternelle par décision rendue par le tribunal de grande instance de Fontainebleau le 30 novembre 1983.
Le tribunal faisant référence au décret du 6 août 1926 conférant au grand père paternelle A... B... la jouissance des droits de citoyen français, a fait à bon droit application de l'article 152 du code de la nationalité française, considérant que D... B... avait la nationalité française de par sa naissance, nonobstant l'accession de son territoire d'origine à l'indépendance.
Force est de constater que cette décision qui n'a pas été contestée par le ministère public, a autorité de la chose jugée.
En outre, la requérante justifie que cette même nationalité française a été conférée à une autre de ses soeurs, U... O... B..., née le [...] sur le même fondement, suivant certificat de nationalité française délivré par le juge d'instance de Pantin le 14 mai 1981.
Il résulte de ce qui précède que A... B..., grand-père paternel de D... B..., de U... O... B... et de la requérante, J... B..., de nationalité française, a légitimement transmis celle-ci à toutes ses petites filles" ;
1/ Alors que pour rapporter la preuve qu'elle est née française par filiation, Mme B..., née en [...], ne pouvait établir la filiation paternelle de son père H... B..., né en [...], par la seule production de l'acte de naissance de celui-ci, mais devait également produire les actes de naissance et l'acte de mariage des parents de l'intéressé ; que, de même, la preuve de sa propre filiation légitime imposait à Mme B... qu'elle produise l'acte de mariage de ses parents ; qu'en jugeant que Mme B... rapportait la preuve d'une chaine de filiation légalement établie à l'égard de A... B..., de nationalité française, par la seule présentation de son acte de naissance et de celui de H... B..., le tribunal a violé l'article 17 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973 ;
2/ Alors que conformément à l'article 152 du code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, ont conservé de plein droit la nationalité française les Français originaires du "territoire de la République française tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960" (ainsi que leurs conjoints, veufs ou veuves et descendants) ; que Madagascar a accédé à l'indépendance le 26 juin 1960 et ne faisait donc plus partie du territoire de la République française le 28 juillet 1960 ; que H... B..., originaire de Madagascar, n'était donc pas un originaire du "territoire de la République française tel qu'il était constitué à la date du 28 juillet 1960" ; qu'en jugeant que Madagascar faisait encore partie du territoire de la République française le 28 juillet 1960 pour en déduire que H... B... avait conservé de plein droit la nationalité française, le tribunal a violé le texte susvisé ;
3/ Alors que le lien de nationalité est un lien particulier et personnel entre un individu et l'Etat français, qui dépend notamment, s'agissant de la nationalité française par filiation, de l'établissement de la filiation dé l'intéressé et de la fiabilité de son état civil ; qu'ainsi, une personne peut ne pas être française quand bien même ses frères et soeurs le seraient ; que l'autorité de la chose jugée n'a lieu que si la demande est entre les mêmes parties ; qu'un certificat de nationalité française ne peut être invoqué comme preuve de sa nationalité que par son seul titulaire ; qu' en jugeant que Mme B... est française au motif que ses deux soeurs se sont vu reconnaître la nationalité française, respectivement par jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau du 30 novembre 1983 et par certificat de nationalité française délivré le 14 mai 1981 par le juge d'instance de Pantin, le tribunal a violé les articles 1355 et 30, alinéa 2, du code civil.