LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 715 FS-P+B+R+I
Pourvoi n° E 18-23.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Risk et Co, société anonyme, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° E 18-23.743 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à M. M... G..., domicilié [...], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Risk et Co, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. G..., et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, conseillers, Chamley-Coulet, Mme Lanoue, MM. Joly, M. Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 septembre 2018), engagé le 14 novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par la société Risk et Co, qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales non gouvernementales ou entreprises privées, M. G... a été licencié pour faute grave le 13 août 2013.
2. Soutenant avoir été licencié pour un motif discriminatoire en ce qu'il lui était reproché le port de la barbe, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 26 novembre 2013 de demandes tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de diverses sommes indemnitaires.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement du salarié, d'ordonner sa réintégration dans le délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt et de condamner la société Risk et Co à lui payer certaines sommes à titre de provision à valoir sur son préjudice et de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, alors :
« 1°/ que si l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et le salarié doit exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été embauché ; que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse du salarié, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, dans des environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, affecté à des missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il doit se rendre ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barde exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission, dans le pays dans lequel elle doit être exécutée ; que l'article 13 du contrat de travail de M. G..., embauché en qualité de consultant sûreté avec une prise de fonctions au Yémen, stipulait que "dans l'exercice de ses fonctions, M. G... obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu'aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra" ; qu'à cet égard, la société Risk et Co avait fait valoir que M. G..., embauché en tenant compte de ce qu'il se présentait comme spécialiste du Proche et Moyen-Orient, avait affiché sa préférence pour une affectation dans un pays de culture arabo-musulmane ; qu'en ne vérifiant pas si le refus du salarié de revenir à une barbe d'apparence plus neutre et comparable à celle qu'il portait au moment de son embauche, afin notamment de lui confier une mission de sécurité au Yémen ou dans les pays en adéquation avec son affectation préférentielle et ses compétences, ne constituait pas une méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse d'un salarié, mais une simple restriction légitime, proportionnée et objectivement justifiée, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, amené à exécuter ses missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il est affecté ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission ; que compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l'apparence de la barbe portée par le salarié, afin qu'elle reflète une neutralité, est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but poursuivi, ladite restriction répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l'objectif de la restriction étant légitime ; qu'en énonçant que le licenciement reposait pour partie sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, sans rechercher si la fonction occupée par le salarié, en qualité de consultant de sécurité destiné à être affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, n'imposait pas la restriction litigieuse, au regard de la nécessité de tenir compte du sens attribué à l'apparence de la barbe dans lesdites zones, l'employeur ne pouvant prendre le risque d'envoyer au Yémen un salarié dont l'apparence pouvait justifier une stigmatisation et mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu'il devait accompagner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1131-1 du code du travail ;
3°/ que la société Risk et Co, avait versé aux débats le témoignage d'un ancien consultant en sécurité qui avait précisé : ''J'ai observé que les militaires avec lesquels on travaillait étaient particulièrement inquiets et sur leur garde. Un comportement ou une apparence inappropriés s'apparentant à celles de groupes terroristes aurait même pu nous mettre sérieusement en danger'' ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la légitimité d'une restriction apportée à la liberté religieuse d'un salarié, en l'état du droit applicable antérieur à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 n'était pas subordonnée à l'existence d'une note de service ou d'un règlement intérieur ; que l'absence d'un tel support a pour seule conséquence d'imposer un examen de la restriction alléguée en relevant l'existence d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; qu'en se fondant sur le fait que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé les articles 1321-1, L. 1321-2-1 et L. 1321-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Au termes de l'article L. 1321-3, 2° du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
5. L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
6. Ayant relevé que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que l'interdiction faite au salarié, lors de l'exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu'elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l'injonction faite par l'employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
7. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.
8. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que si les demandes d'un client relatives au port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l'objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l'employeur d'imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.
9. Ayant relevé que si l'employeur considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés, la cour d'appel a constaté, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, que l'employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.
10. La cour d'appel en a déduit à bon droit, sans encourir le grief de la quatrième branche du moyen qui manque en fait, que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Risk et Co aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Risk et Co et la condamne à payer à M. G... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Risk et Co.
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement de M. G..., ordonné sa réintégration dans le délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt et d'avoir condamné la société Risk et Co à lui payer les sommes de 146 400 euros net à titre de provision à valoir sur son préjudice ainsi que la somme de 1 967,74 euros nets au titre du salaire correspondant à la mise à pied conservatoire ainsi qu'une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE le salarié considère que le licenciement est fondé sur un motif discriminatoire car, sous le couvert de plusieurs motifs, la lettre de licenciement fait expressément référence à sa barbe, qui, selon l'employeur a un caractère religieux ;
Que le salarié en déduit que le licenciement est nul ;
Que la société soutient que le licenciement du salarié est fondé sur deux griefs objectifs constituant une violation de ses obligations contractuelles et rendant impossible son maintien même temporaire dans l'entreprise, d'une part, le grave mensonge sur la véritable raison de la fin de sa première mission au Yémen, à savoir la qualité médiocre de son travail, qui a causé un préjudice à son employeur, d'autre part, l'impossibilité de repositionner le salarié sur une mission du fait du refus du salarié de revenir à une apparence plus neutre dans l'exercice de son activité professionnelle ;
Qu'en effet, après avoir soumis à un client le profil de M. G... en vue d'une seconde mission au Yémen, la société indique avoir été informée que la décision de refus résultait de la mauvaise qualité des prestations fournies précédemment par le salarié, qui s'était démotivé au cours de cette mission ;
Que la société indique que dans ses conditions il avait été convenu entre le salarié et le client d'arrêter la mission et que le salarié avait masqué cette réalité pendant plus d'un an en prétextant des menaces dont il n'a jamais apporté la preuve ;
Que l'employeur souligne que le comportement du salarié lui a causé préjudice ;
Que la société Risk et Co ajoute que le salarié n'a pas été licencié en raison de son apparence physique mais du fait de l'impossibilité de le repositionner sur une nouvelle mission ;
Que la société précise que la barbe de M. G... n'est en rien une problématique religieuse mais uniquement une problématique de sécurité ;
Qu'or, l'aspect de cette barbe est de nature à poser difficulté du fait de son appréhension locale dans des circonstances particulières ;
Que la conduite des missions dans certains pays oblige Risk et Co à respecter des règles de nature à assurer la sécurité de ses consultants et clients ;
Qu'en outre l'entreprise doit également respecter les codes de conduite des clients de Risk et Co, lesquels prennent des engagements quant au respect des coutumes et traditions des pays où ils interviennent ;
Que la société considère qu'elle a apporté une restriction à la liberté de M. G..., mais que cette restriction était justifiée et proportionnée au regard tant de sa mission que du contexte de cette mission ;
Qu'elle considère que le fait pour le salarié de ne pas avoir accepté de revenir à l'apparence neutre qui était la sienne lors de son embauche justifiait son licenciement ;
Que l'employeur affirme n'avoir jamais eu d'attitude discriminante dans un quelconque domaine, ni vis-à-vis d'une quelconque religion et qu'aucun acte discriminatoire ne peut lui être reprochée ;
Qu'il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son apparence physique ;
Qu'en application de l'article L.1134-1du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Que la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 mars 2017 (CJUE, A... F..., aff. C-188/15), a dit pour droit : « L'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition » ;
Que par arrêt du même jour (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15), la Cour de justice a dit pour droit : « L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. En revanche, une telle règle interne d'une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l'article 2, § 2, sous b), de la directive 2000/78/CE s'il est établi que l'obligation en apparence neutre qu'elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l'employeur, dans ses relations avec ses clients, d'une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier » ;
Que la Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette dernière décision (§ 43), s'agissant du refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès de clients de l'employeur, qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à l'employeur, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ;
Qu'il résulte des articles L.1121-1, L.1132-1 et L.1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ;
Qu'aux termes de l'article L. 1321-3, 2°, du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
Que l'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L.1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients ;
Qu'en présence du refus d'un salarié de se conformer à une telle clause dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l'entreprise, il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer au salarié un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ;
Que l'employeur explique que le salarié a été licencié pour faute grave en raison de son mensonge sur sa précédente mission et de l'impossibilité de le réaffecter sur une mission eu égard à sa volonté de ne pas revenir à une apparence plus neutre ;
Que plus particulièrement, dans la lettre de licenciement l'employeur reproche au salarié de porter une « barbe, taillée d'une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique qui ne pouvait être comprise que comme une provocation par [le] client et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de vos collègues sur place » ;
Que même s'il est invoqué des contraintes de sécurité, le grief repose sur les convictions politiques et religieuses exprimées au travers du port de la barbe, port qui ne serait pas suffisamment neutre au regard des exigences que l'employeur prête à la mission qu'il envisageait de confier au salarié ;
Que si les demandes d'un client portant sur le port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive n° 2000/78/CE, les exigences de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peuvent justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, et, par suite permettent à l'employeur d'imposer une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif ;
Que toutefois, l'employeur ne produit aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entend imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque ;
Que par ailleurs, s'il considère la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, l'employeur ne précise ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés ;
Que le code de conduite de la société Total ou la charte des valeurs de la société Areva produits par la société Risk et Co, ne sauraient ni suppléer à l'absence de règlement intérieur ou de note de service relative aux atteintes aux libertés des salariés opérées par l'employeur et qui seraient justifiées par des impératifs de sécurité ;
Que les photographies de soldats yéménites glabres ou moustachus, ou les conseils donnés par le ministère des affaires étrangères aux voyageurs et précisant en cinq pages les conditions d'un voyage au Yémen (risque d'enlèvement, piraterie maritime, risques spécifiques, transports sans escorte déconseillés, entrée, séjour, santé, us et coutumes, législation locale), ne permettent pas d'établir de risques spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission au Yémen ni de justifier les exigences spécifiques de l'employeur en la matière ;
Que l'employeur ne justifie pas davantage du contenu des exigences de ses clients ;
Qu'en effet, la lettre de licenciement fait mention de ce que le 2 juillet 2013, le client de l'entreprise aurait confirmé le refus de la candidature de M. G... en précisant que son apparence en était l'une des raisons majeures ;
Que l'employeur produit effectivement un mail rédigé en anglais et daté du 2 juillet 2013 adressé à M. B... , et dont les éléments d'identification de l'auteur ont été caviardés. Selon la traduction en français produite par l'employeur de ce mail rédigé en anglais, le rejet de la candidature de M. G... est ainsi motivé :
« 1/ le profil inapproprié du candidat ne correspondait pas aux attentes du client, celui-ci étant à la recherche d'un profil décent.
2/ après des recherches auprès de la direction de nos partenaires, plus particulièrement YLNG, il a été découvert des états de services nettement insuffisants, ainsi que des avis controversés sur votre client » ;
Que les termes anglais « decent profile » utilisés dans le mail peuvent également être traduits par profil convenable ou honnête ;
Que toutefois, ces qualificatifs sont particulièrement imprécis et rien, dans cette expression, comme dans le reste du mail, ne permet de retenir que le rejet de la candidature est fondé sur le port de la barbe, ni les contraintes de sécurité qui seraient affectées en raison de celle-ci ;
Que dans un échange de mail du 15 juillet 2013 entre M. S... et M. B... , tous deux salariés de la société Risk et Co, il est indiqué que le salarié avait menti sur sa prestation au Yémen et que les photos données pour joindre à sa candidature pour le nouveau poste avaient été perçues comme une vraie provocation par le client ;
Mais que là encore, l'employeur ne précise pas la nature exacte de ce que le client a ressenti comme une provocation et n'établit pas que les ressentis du client reposeraient sur des éléments objectifs de sécurité de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié ;
Qu'il en découle que le licenciement repose, au moins pour partie, sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe ;
Que le caractère discriminatoire de ce motif frappe la lettre de licenciement de nullité, conformément à l'article L.1132-4 du code du travail, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs invoqués pour justifier cette mesure ;
Que le licenciement est donc nul et la réintégration du salarié doit être ordonnée dans les conditions prévues au dispositif ;
1) ALORS QUE si l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et le salarié doit exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été embauché ; que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse du salarié, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, dans des environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, affecté à des missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il doit se rendre ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barde exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission, dans le pays dans lequel elle doit être exécutée ; que l'article 13 contrat de travail de M. G..., embauché en qualité de consultant sûreté avec une prise de fonctions au Yémen, stipulait que «dans l'exercice de ses fonctions, M. G... obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu'aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra » ; qu'à cet égard, la société Risk et Co avait fait valoir que M. G..., embauché en tenant compte de ce qu'il se présentait comme spécialiste du Proche et Moyen-Orient, avait affiché sa préférence pour une affectation dans un pays de culture arabo-musulmane ; qu'en ne vérifiant pas si le refus du salarié de revenir à une barbe d'apparence plus neutre et comparable à celle qu'il portait au moment de son embauche, afin notamment de lui confier une mission de sécurité au Yémen ou dans les pays en adéquation avec son affectation préférentielle et ses compétences, ne constituait pas une méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1221-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse d'un salarié, mais une simple restriction légitime, proportionnée et objectivement justifiée, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, amené à exécuter ses missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il est affecté ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission ; que compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l'apparence de la barbe portée par le salarié, afin qu'elle reflète une neutralité, est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but poursuivi, ladite restriction répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l'objectif de la restriction étant légitime ; qu'en énonçant que le licenciement reposait pour partie sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, sans rechercher si la fonction occupée par le salarié, en qualité de consultant de sécurité destiné à être affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, n'imposait pas la restriction litigieuse, au regard de la nécessité de tenir compte du sens attribué à l'apparence de la barbe dans lesdites zones, l'employeur ne pouvant prendre le risque d'envoyer au Yémen un salarié dont l'apparence pouvait justifier une stigmatisation et mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu'il devait accompagner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1121-1 et L.1131-1 du code du travail ;
3) ALORS QUE la société Risk et Co, avait versé aux débats le témoignage d'un ancien consultant en sécurité qui avait précisé : « J'ai observé que les militaires avec lesquels on travaillait étaient particulièrement inquiets et sur leur garde. Un comportement ou une apparence inappropriés s'apparentant à celles de groupes terroristes aurait même pu nous mettre sérieusement en danger » (conclusions, p. 13) ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE la légitimité d'une restriction apportée à la liberté religieuse d'un salarié, en l'état du droit applicable antérieur à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 n'était pas subordonnée à l'existence d'une note de service ou d'un règlement intérieur ; que l'absence d'un tel support a pour seule conséquence d'imposer un examen de la restriction alléguée en relevant l'existence d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; qu'en se fondant sur le fait que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé les articles 1321-1, L.1321-2-1 et L.1321-5 du code du travail.