LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 653 F-D
Pourvoi n° P 19-16.326
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 JUILLET 2020
La société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 19-16.326 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. P... W...,
2°/ à Mme O... Y...,
domiciliés tous deux [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat du Crédit logement, de la SCP Richard, avocat de M. W... et de Mme Y..., et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 mars 2019), le Crédit lyonnais a consenti à Mme Y... et à M. W... un prêt au terme d'un acte notarié en date du 28 septembre 2007.
2. Des échéances étant demeurées impayées, le Crédit logement, agissant en qualité de mandataire du Crédit lyonnais, a prononcé la déchéance du terme.
3. Par acte du 29 octobre 2016, il a fait délivrer à Mme Y... et à M. W... un commandement de payer valant saisie immobilière et les a fait assigner à l'audience d'orientation devant un juge de l'exécution.
4. Mme Y... et M. W... ont soulevé l'irrecevabilité de la procédure de saisie immobilière en l'absence de mise en oeuvre de la clause de conciliation préalable insérée dans l'acte notarié de prêt.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le Crédit logement fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action aux fins de saisie immobilière à l'encontre de Mme Y... et de M. W..., débiteurs saisis, faute de conciliation préalable, alors « qu'une clause imposant une conciliation préalablement à la présentation d'une demande en justice relative aux droits et obligations contractuels des parties ne peut, en l'absence de stipulation expresse en ce sens, faire obstacle à l'accomplissement d'une mesure d'exécution forcée ; que nonobstant une telle clause, un commandement de payer valant saisie immobilière peut être délivré et le débiteur assigné à comparaître à une audience d'orientation du juge de l'exécution ; que la cour d'appel a constaté que l'acte notarié du 28 septembre 2007, opposable au créancier saisissant, comportait une clause de conciliation et de médiation, rédigée comme suit : « En cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend à un conciliateur désigné qui sera missionné par le président de la chambre des notaires. Le président pourra être saisi sans forme ni frais » ; qu'il en résultait l'absence de stipulation expresse imposant une conciliation préalable à une mesure d'exécution forcée, seule susceptible de faire obstacle à l'accomplissement d'une telle mesure, et notamment à une saisie immobilière, sans saisine préalable d'un conciliateur ; qu'en retenant pourtant, pour déclarer irrecevable faute de conciliation préalable, l'action aux fins de saisie immobilière engagée par le créancier saisissant, que la clause de conciliation devait être mise en oeuvre avant l'engagement d'une procédure d'exécution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 122 du code de procédure civile, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1103 du code civil et 122 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ces textes qu'une clause imposant ou permettant une conciliation préalablement à la présentation d'une demande en justice relative aux droits et obligations contractuels des parties ne peut, en l'absence de stipulation expresse en ce sens, faire obstacle à l'accomplissement d'une mesure d'exécution forcée.
7. Pour déclarer irrecevable l'action aux fins de saisie immobilière engagée par le Crédit logement à l'encontre de Mme Y... et M. W..., faute de conciliation préalable, l'arrêt retient, d'abord, que la clause de conciliation est opposable au Crédit logement, mandaté par le Crédit lyonnais pour le recouvrement de ses créances, qu'ensuite, l'acte comporte les énonciations suffisantes en ce qu'il prévoit la saisine sans forme ni délai d'une autorité parfaitement identifiée en la personne du président de la chambre des notaires, cette saisine devant intervenir avant tout litige, soit s'agissant d'un acte authentique l'engagement d'une procédure d'exécution et qu'enfin, aucune conciliation préalable n'est intervenue, les courriers par lesquels le créancier a demandé aux emprunteurs de lui faire des propositions de règlement ne pouvant être assimilés à la mise en oeuvre d'une mesure de conciliation, mesure spécifique qui suppose l'intervention d'un tiers neutre.
8. En statuant ainsi, alors que la clause de conciliation stipulée à l'acte de prêt n'avait pas prévu expressément son application à l'occasion de la mise en oeuvre d'une mesure d'exécution forcée, de sorte qu'elle ne pouvait faire obstacle à la délivrance d'un commandement de payer valant saisie immobilière et à l'assignation des débiteurs à l'audience d'orientation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les contestations et demandes de Mme Y... et M. W... portant sur le taux effectif global et la demande subsidiaire d'expertise, la déchéance de tout droit à intérêt, l'assimilation des intérêts de retard à une clause pénale manifestement excessive, le caractère disproportionné de la procédure de saisie immobilière et l'allocation de la somme de 180 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne Mme Y... et M. W... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme Y... et M. W... et les condamne à payer au Crédit logement la somme globale de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour le Crédit logement
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'action aux fins de saisie immobilière engagée par le Crédit Logement, créancier saisissant, à l'encontre de O... Y... et P... W..., débiteurs saisis, faute de conciliation préalable ;
Aux motifs que « O... Y... et P... W... font valoir en second lieu que le Crédit Logement ne s'est pas soumis à la procédure de conciliation préalable prévue dans le mandat du 12 décembre 2012 et dans l'acte notarié du 28 septembre 2007 ; l'acte notarié du 28 septembre 2007 prévoit en page 28 une clause intitulée "Conciliation Médiation" rédigée de la façon suivante : "En cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend à un conciliateur désigné qui sera missionné par le Président de la chambre des notaires. Le Président pourra être saisi sans forme ni frais" ; pour juger que cette clause n'est pas applicable au Crédit Lyonnais, le premier juge a considéré que dans l'acte notarié, les parties sont exclusivement le vendeur et l'acquéreur ; or le premier paragraphe de l'acte notarié est consacré l'identification des parties, et y figurent de façon parfaitement claire le vendeur, l'acquéreur (O... Y... et P... W...) et le prêteur (le Crédit Lyonnais) ; le Crédit Lyonnais étant partie à l'acte, la clause intitulée "Conciliation Médiation" lui est opposable ; elle l'est tout autant au Crédit Logement, mandaté par le Crédit Lyonnais pour le recouvrement de ses créances, observation étant faite de surcroît que l'acte du 12 décembre 2012 fait écho en page 2 à l'exigence de conciliation ; le premier juge a encore considéré que la rédaction de la clause n'est pas suffisamment précise pour justifier une irrecevabilité ; mais l'acte comporte les énonciations suffisantes en ce qu'il prévoit la saisine sans forme ni délai d'une autorité parfaitement identifiée en la personne du président de la chambre des notaires, cette saisine devant intervenir avant tout litige, soit s'agissant d'un acte authentique l'engagement d'une procédure d'exécution ; le premier juge a enfin retenu que le Crédit Logement avait entrepris des démarches pour permettre le règlement amiable de la dette ; mais les courriers par lesquels le créancier a demandé aux emprunteurs de lui faire des propositions de règlement, aussi nombreux soient -ils - ne sauraient être assimilés à la mise en oeuvre d'une mesure de conciliation, mesure spécifique qui suppose l'intervention d'un tiers neutre ; O... Y... et P... W... sont bien fondés à soutenir qu'en l'absence de conciliation préalable, l'action du Crédit Logement aux fins de saisie immobilière est irrecevable ; le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions » (arrêt, p. 6) ;
1°) Alors qu'une clause imposant une conciliation préalablement à la présentation d'une demande en justice relative aux droits et obligations contractuels des parties ne peut, en l'absence de stipulation expresse en ce sens, faire obstacle à l'accomplissement d'une mesure d'exécution forcée ; que nonobstant une telle clause, un commandement de payer valant saisie immobilière peut être délivré et le débiteur assigné à comparaître à une audience d'orientation du juge de l'exécution ; que la cour d'appel a constaté que l'acte notarié du 28 septembre 2007, opposable au créancier saisissant, comportait une clause de conciliation et de médiation, rédigée comme suit : « En cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend à un conciliateur désigné qui sera missionné par le Président de la chambre des notaires. Le Président pourra être saisi sans forme ni frais » ; qu'il en résultait l'absence de stipulation expresse imposant une conciliation préalable à une mesure d'exécution forcée, seule susceptible de faire obstacle à l'accomplissement d'une telle mesure, et notamment à une saisie immobilière, sans saisine préalable d'un conciliateur ; qu'en retenant pourtant, pour déclarer irrecevable, faute de conciliation préalable, l'action aux fins de saisie immobilière engagée par le créancier saisissant, que la clause de conciliation devait être mise en oeuvre avant l'engagement d'une procédure d'exécution, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 122 du code de procédure civile, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) Alors que, subsidiairement, l'absence de respect d'une clause imposant une conciliation préalablement à la présentation d'une demande en justice dont les modalités de mise en oeuvre sont imprécises ne peut fonder une fin de non-recevoir ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable, faute de conciliation préalable, l'action aux fins de saisie immobilière engagée par le créancier saisissant, que la clause de conciliation préalable, stipulée dans l'acte notarié du 28 septembre 2007, prévoyait la saisine sans forme ni délai d'une « autorité parfaitement identifiée en la personne du président de la chambre des notaires », et était donc suffisamment précise, quand ladite clause était imprécise, notamment en ce qu'il n'était pas indiqué de quelle chambre des notaires le président devait être saisi, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile.