LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 juin 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 337 FS-P+B
Pourvoi n° F 18-25.262
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020
1°/ M. A... Q...,
2°/ Mme M... Q...,
tous deux domiciliés [...] ,
3°/ la société Café du Port, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
4°/ la société Les Ports de Lune, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° F 18-25.262 contre l'arrêt rendu le 1er octobre 2018 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. N... F..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire ad hoc de la société Le Port de la Lune,
2°/ à la société Ekip, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société [...] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Port de la Lune,
3°/ au procureur général près de la cour d'appel de Bordeaux, domicilié à la cour d'appel, place de la République, 33077 Bordeaux,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. et Mme Q... et des sociétés Café du Port et Les Ports de Lune, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Ekip, en qualité de liquidateur de la société Le Port de la Lune, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Remeniéras, Mme Graff-Daudret, Bélaval, Fontaine, Fevre, M. Riffaud, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mme Kass-Danno, conseillers référendaires, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 1er octobre 2018), la société Le Port de la Lune a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 29 janvier 2014 qui a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au jour du jugement. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire le 26 mars 2014. A la demande du liquidateur, la date de cessation des paiements a été reportée au 15 septembre 2013 par un jugement du 9 septembre 2015, publié au BODACC le 29 septembre 2015. Par déclaration au greffe du 22 décembre 2016, les sociétés Les Ports de Lune, Le Café du Port ainsi que M. et Mme Q... ont formé tierce opposition au jugement du 9 septembre 2015.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. Les sociétés Les Ports de Lune et Le Café du Port ainsi que M. et Mme Q... font grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant déclaré irrecevable leur tierce opposition alors :
« 1°/ que si le délai prévu par l'article R. 661-2 du code de commerce déroge au délai de droit commun et exclut l'application du droit commun à cet égard, l'application de l'article R. 661-2 du code de commerce doit, pour les règles qui ne sont pas contraires, être combinée avec les règles de droit commun relatives à la tierce opposition, notamment celles relatives à l'intérêt à agir ; qu'en énonçant que l'article R. 661-2 du code de commerce « est exclusif des règles de droit commun » de la tierce opposition, la cour d'appel a violé l'article R. 661-2 du code de commerce ensemble l'article 583 du code de procédure civile ;
2°/ que pour pouvoir former tierce-opposition, il faut y avoir intérêt ; qu'il en résulte que le délai pour former tierce-opposition au jugement reportant la date de cessation des paiements ne court à l'égard d'un tiers qu'à compter du moment auquel il a intérêt à agir ; qu'en refusant de reporter la date de cessation des paiement à la réception, par les consorts Q..., de leur assignation en comblement de l'insuffisance d'actif aux motifs que les appelants ne pourraient « sérieusement soutenir qu'ils pourraient fixer arbitrairement le point de départ du délai pour former tierce opposition à une date qui leur conviendrait » et qu'un tel report impliquerait « une recevabilité perpétuelle » de la tierce opposition, la cour d'appel a violé les articles R. 661-2 du code de commerce et 31 et 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
4. Un dirigeant ou un ancien dirigeant, comme un créancier, informés par la publication au BODACC d'un jugement de report de la date de cessation des paiements, qui est susceptible d'avoir une incidence sur leurs droits en application, pour les deux premiers, des dispositions du titre V du livre VI du code de commerce relatif aux responsabilités et sanctions et, pour le dernier, des articles L. 632-1 et L. 632-2 du même code , ont, dès la date de publication, un intérêt à former tierce opposition à la décision de report s'ils n'y étaient pas parties.
5. L'arrêt retient exactement que les sociétés Les Ports de Lune, Le Café du Port ainsi que M. et Mme Q..., en leurs qualités d'anciens dirigeants et de créanciers de la société débitrice, avaient intérêt à former tierce opposition au jugement de report de la date de cessation des paiements de cette société, dès sa publication au BODACC, le 29 septembre 2015, et que seule cette date, à l'exclusion de celle de la délivrance de l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif, constituait le point de départ du délai de dix jours imparti par l'article R. 661-2 du code de commerce pour former tierce opposition, lequel était, dès lors, expiré lorsque la tierce opposition a été formée le 22 décembre 2016.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Les Ports de Lune, la société Le Café du Port, M. et Mme Q... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Les Ports de Lune, la société Le Café du Port, M. et Mme Q... et les condamne à payer à la société Ekip, en qualité de liquidateur de la société Le Port de la Lune, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Q... et les sociétés Café du Port et Les Ports de Lune
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par les époux Q..., la société Les Ports de Lune et la société Le Café du Port à l'encontre du jugement rendu le 9 septembre 2015 ;
Aux motifs propres que « il est constant que le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux reportant au 15 septembre 2013 la date de cessation des paiements de la société Le Port de la Lune en liquidation judiciaire a été prononcé le 9 septembre 2015 ; qu'il est également constant que ce jugement ayant reporté la date de cessation des paiements de la société Le Port de la Lune a été publiée au BODACC le 29 septembre 2015 (pièce n° 54 des mandataires) ; qu'il résulte des dispositions de l'article R. 661-2 du code de commerce, dans sa version applicable à l'espèce, que l'opposition et la tierce opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de liquidation judiciaire par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision ; que, toutefois, pour les décisions soumises, comme en l'espèce, aux formalités d'insertion dans un journal d'annonces légales et au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales ; qu'en l'espèce, les appelants, qui ne contestent pas que ces dispositions sont applicables à leur tierce opposition, ne peuvent non plus contester que cette tierce opposition a été formée très postérieurement au délai de 10 jours qui a couru à compter de la publication le 29 septembre 2015 au BODACC du jugement de report de la date de cessation des paiements du 9 septembre 2015 ; qu'ils invoquent génériquement leur droit à un procès équitable et à pouvoir accéder à un juge, au visa de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; que, pour autant, le droit à un procès équitable et d'accès au juge prévu par l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'Homme se prête à des limitations conformes à l'intérêt général de bonne administration de la justice ; que le fait d'encadrer la possibilité de tierce opposition, comme toutes les autres voies de recours, dans un délai précis et fixé à l'avance, n'interdisait pas aux appelants qui en connaissaient par avance la durée, d'exercer ce recours et ainsi d'accéder au tribunal ; qu'ainsi, leur défaut allégué d'accès à un juge ne résulte en l'espèce que de leur propre carence, et la sanction d'irrecevabilité encourue ne fait apparaître aucune disproportion entre le but poursuivi et les moyens mis en oeuvre ; que les appelants proposent de fixer le point de départ du délai de tierce opposition à la date de leur assignation pour sanction le 13 décembre 2016 ; que ce moyen dénature complètement les dispositions claires de l'article R. 661-2 du code de commerce ci-dessus, et ne saurait être sérieusement soutenu ; que les appelants soutiennent surtout en réalité qu'ils n'auraient pas pu faire tierce opposition dans le délai parce ce qu'ils n'avaient alors pas intérêt à le faire ; qu'ils font valoir que le tribunal n'a pas répondu à leur argumentation tenant à ce qu'ils n'avaient pas la qualité de dirigeants de la société Le Port de la Lune, que la décision de report ne leur causait donc pas de grief lorsqu'elle a été rendue et lorsqu'elle a été publiée, et qu'ils n'étaient pas à ces dates recevables à former tierce opposition ; qu'ils ajoutent qu'ils n'étaient pas dirigeants lors de l'ouverture de la procédure, mais non plus au 15 septembre 2013 ; que s'ensuit une discussion sur les arguments du mandataire liquidateur qui soutient au contraire qu'ils avaient intérêt dès la décision de report ; qu'en effet, les mandataires intimés peuvent utilement opposer que la décision de report était immédiatement susceptible d'avoir une incidence sur les droits des époux Q... et des sociétés appelantes en tant que anciens dirigeants et/ou créanciers de la société en liquidation judiciaire ; qu'un dirigeant ou ancien dirigeant de la personne morale objet d'une procédure collective, tout comme un créancier, informés par la publication au BODACC d'un jugement de report de la date de cessation des paiements, qui est susceptible en tout état de cause d'avoir une incidence sur leurs droits, ont, dès cette date, un intérêt à former tierce opposition à cette décision ; qu'il doit être relevé que les appelants sont aussi des créanciers de la société « Le Port de la Lune », et il apparaît que M. Q..., qui proteste n'être qu'un ancien dirigeant ayant cessé ses fonctions antérieurement à la nouvelle date de cessation des paiements, était, après cette cessation, encore un créancier de la société au titre d'un compte courant ; qu'au-delà, les appelants ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils pourraient fixer arbitrairement le point de départ du délai pour former tierce opposition à une date qui leur conviendrait et qui serait différente de celle prévue par le texte ci- dessus ; qu'il est à observer que les appelants se sont gardés de former tierce opposition dans le délai prévu par les textes, ce qu'ils expliquent seulement par une crainte pourtant purement hypothétique d'être déclarés irrecevables pour défaut de qualité ; qu'ils se bornent à invoquer les dispositions générales de l'article 6 de la CEDH, alors que leur analyse revient non pas à mettre en oeuvre le droit à un procès équitable ou à l'accès au juge, mais en réalité à permettre à un tiers de décider souverainement et sans limites du moment où le délai lui serait ouvert, sur sa seule décision d'estimer qu'il aurait un intérêt à agir seulement à partir de la date qu'il choisit ; qu'or, la conséquence d'une telle recevabilité perpétuelle d'une tierce opposition ne peut se concevoir en matière de procédures collectives, ce qui justifie des règles spécifiques, non contraires, comme analysé Supra, à la Convention Européenne des Droits de l'Homme ; que l'article R. 661-2 du code de commerce ci-dessus, qui fixe les conditions d'exercice de la tierce opposition contre les décisions rendues en matière de redressement ou de liquidation judiciaires, est exclusif des règles de droit commun, que la tierce opposition soit principale ou incidente ; qu'il y a donc lieu de confirmer l'irrecevabilité prononcée par le tribunal de commerce » (arrêt attaqué, p. 6-8) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « l'article R661-1 du code de commerce dispose : « Sauf dispositions contraires, l'opposition et la tierce opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d'actif, de faillite personnelle ou d'interdiction prévue à l'article L. 653-8 par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision. Toutefois, pour les décisions soumises aux formalités d'insertion dans un journal d'annonces légales et au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Pour les décisions soumises à la formalité d'insertion dans un journal d'annonces légales, le délai ne court que du jour de la publication de l'insertion » ; que le jugement de report de la date de cessation des paiements a été prononcé le 9 septembre 2015 et publié au BODACC le 29 septembre 2015 ; que ce jugement était susceptible d'avoir une incidence sur les droits des époux Q... qui avaient, dès cette date, un intérêt à former tierce opposition à ce jugement ; que les époux Q... n'ont formé tierce opposition de ce jugement que le 22 décembre 2016, soit très postérieurement au délai de 10 jours, courant à compter de la date de publication au BODACC ; que les époux Q... ont une interprétation erronée de l'article R661-2 du code de commerce en affirmant que le délai de 10 jours court à compter de la date d'assignation ; qu'en conséquence, le tribunal déclarera irrecevable la tierce opposition formée par les époux Q..., la société Les Ports de la Lune et la société Le Café du Port, à l'encontre du jugement rendu le 9 septembre 2015 » (jugement entrepris, p. 5) ;
1°) Alors que si le délai prévu par l'article R. 661-2 du code de commerce déroge au délai de droit commun et exclut l'application du droit commun à cet égard, l'application de l'article R. 661-2 du code de commerce doit, pour les règles qui ne sont pas contraires, être combinée avec les règles de droit commun relatives à la tierce opposition, notamment celles relatives à l'intérêt à agir ; qu'en énonçant que l'article R. 661-2 du code de commerce « est exclusif des règles de droit commun » de la tierce opposition, la cour d'appel a violé l'article R. 661-2 du code de commerce ensemble l'article 583 du code de procédure civile ;
2°) Alors que pour pouvoir former tierce-opposition, il faut y avoir intérêt ; qu'il en résulte que le délai pour former tierce-opposition au jugement reportant la date de cessation des paiements ne court à l'égard d'un tiers qu'à compter du moment auquel il a intérêt à agir ; qu'en refusant de reporter la date de cessation des paiement à la réception, par les consorts Q..., de leur assignation en comblement de l'insuffisance d'actif aux motifs que les appelants ne pourraient « sérieusement soutenir qu'ils pourraient fixer arbitrairement le point de départ du délai pour former tierce opposition à une date qui leur conviendrait » (arrêt attaqué, p. 8, § 1) et qu'un tel report impliquerait « une recevabilité perpétuelle » de la tierce opposition (ibid., p. 8, § 3), la cour d'appel a violé les articles R. 661-2 du code de commerce et 31 et 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
3°) Alors que tout jugement doit être motivé ; qu'au cas présent, la cour d'appel était tenue de motiver la question de la recevabilité de la tierce opposition à l'égard de chaque appelant ; qu'en énonçant de manière indéterminée que le jugement aurait été « susceptible d'avoir une incidence sur les droits des époux Q... et des sociétés appelantes en tant que anciens dirigeants et/ou créanciers de la société en liquidation judiciaire » (p. 7, § 8) sans indiquer lesquels devraient être considérés comme dirigeants et lesquels devaient être considérés comme créanciers, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) Alors que la SELARL O... C... et Me F... n'ont pas soutenu dans leurs conclusions que les consorts Q... auraient eu intérêt à agir en tierce opposition en leur qualité de créanciers ; qu'en relevant d'office, et sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, que « les appelants sont aussi des créanciers de la société « Le Port de la Lune » » (arrêt, p. 7, in fine) pour justifier leur prétendu intérêt à agir, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction ;
5°) Alors que tout jugement doit être motivé ; qu'en relevant d'office, pour justifier leur prétendu intérêt à agir, que « les appelants sont aussi des créanciers de la société « Le Port de la Lune » » (arrêt, p. 7, in fine) sans préciser sur quels éléments elle se basait pour procéder à une telle affirmation, la cour d'appel a, par ailleurs, violé l'article 455 du code de procédure civile.