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17/06/2020 | FRANCE | N°18-20553

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 17 juin 2020, 18-20553


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 juin 2020

Rejet

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 279 F-D

Pourvoi n° N 18-20.553

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020

1°/ la société [...]

, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ la société F... R..., société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CM

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 17 juin 2020

Rejet

M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 279 F-D

Pourvoi n° N 18-20.553

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 17 JUIN 2020

1°/ la société [...] , société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,

2°/ la société F... R..., société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société [...] ,

ont formé le pourvoi n° N 18-20.553 contre l'arrêt rendu le 31 mai 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Nord de France, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société Crédit du Nord, société anonyme, dont le siège est [...] ,

3°/ à la société Le Crédit lyonnais, société anonyme, dont le siège est [...] ,

4°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [...] ,

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat des sociétés [...] et F... R..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Nord de France et de la société Le Crédit lyonnais, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Crédit du Nord, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, et après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 31 mai 2018), la société [...] (la société) a été victime de différentes malversations commises par Mme K..., secrétaire comptable. Cette dernière a été condamnée par la juridiction pénale à lui payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 247 190,28 euros.

2. Le 15 mai 2009, la société a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde et la société F... C... R... a été désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan ultérieurement arrêté.

3. Alléguant que la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France (la société Crédit agricole), banque présentatrice où Mme K... avait ouvert un compte, avait manqué à ses obligations dans le suivi des opérations effectuées par Mme K..., la société et la société F... C... R..., ès qualités, ont demandé sa condamnation à leur payer la somme de 244 685,28 euros à titre de dommages-intérêts. La société Crédit agricole a appelé en garantie les sociétés Crédit du Nord et Crédit lyonnais, respectivement banques présentatrice et tirée.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société et la société F... C... R..., ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages-intérêts à l'encontre des sociétés Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France et Crédit du Nord, alors « que la cour d'appel ayant constaté que la société Crédit du Nord et la société Caisse de crédit agricole mutuel Nord de France avaient manqué à leur devoir de vigilance à l'égard de la société [...] , en ne s'alarmant pas des conditions de fonctionnement des comptes de l'auteur des détournements, ne pouvait sans violer l'article 1240 du code civil et méconnaître la portée de ses propres énonciations, faire produire un effet totalement exonératoire à la faute de négligence qui aurait été commise dans le même temps par la société [...] , victime de ces détournements en ne contrôlant pas suffisamment sa salariée, alors qu'il en résultait nécessairement que l'une et l'autre fautes avaient contribué à la production du dommage qui ne serait pas intervenu sans leur conjonction. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a relevé que, selon la procédure pénale, Mme K..., qui disposait de l'accès à l'ensemble des chéquiers de la société, avait la confiance absolue de son employeur et que sa mission, entre 2004 et 2006, la conduisait à pointer les comptes, à donner des écritures correctes et à les collecter pour le comptable, lequel n'avait qu'une mission de présentation des comptes à l'exclusion de la révision et du contrôle de ces derniers. Elle a encore constaté qu'il n'était fait état d'aucune procédure de contrôle, même ponctuelle, mise en oeuvre par l'employeur permettant d'éviter tout risque de détournement, quand bien même l'activité exercée était génératrice de multiples encaissements-décaissements et que le comptable n'avait qu'une mission très limitée, laissant à Mme K... une marge de manoeuvre considérable. Elle a enfin relevé que l'ampleur des détournements effectués, sur trois ans, par chèques, pour un montant d'environ 250 000 euros, et ceux réalisés en espèces, pour une somme équivalente, ne pouvaient pas passer inaperçus pour un dirigeant normalement diligent, au vu de la taille de l'entreprise, cependant que les procédés utilisés par Mme K... n'étaient pas particulièrement astucieux, dès lors que le comptable avait pu, à la seule lecture d'une lettre de relance d'un fournisseur, découvrir le détournement.

6. Ayant retenu que la société avait ainsi fait preuve d'une négligence manifeste et d'une légèreté blâmable, en accordant sa confiance à Mme K... et en lui laissant toute liberté dans ses fonctions, sans prêter la moindre attention à la gestion effectuée et sans mettre en oeuvre la moindre procédure de contrôle en vue de limiter les risques d'erreur comptable, voire de détournements, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen, a pu déduire de ses constatations et appréciations que la faute de la société était la cause exclusive de son préjudice, de sorte que les fautes des sociétés Crédit agricole et Crédit du Nord n'avaient pas de lien de causalité avec le préjudice allégué.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société [...] et la société F... C... R... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept juin deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société [...] , la société F... R...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société [...] et la SELARL F... C... R..., prise en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société leur demande de responsabilité à l'encontre de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France et du Crédit Mutuel du Nord et d'avoir condamné la société [...] à payer à chacune des quatre banques mises en cause la somme totale de 6 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que, sur le fondement [de l'article 1240 du code civil] il appartient dès lors à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve d'un préjudice, d'une faute et d'un lien de causalité ; que peut exonérer le défendeur de sa responsabilité, le fait de la victime, qui doit alors être imprévisible et insurmontable pour le défendeur ; que cependant, sans revêtir les caractères de la force majeure, la faute de la victime est aussi parfois susceptible de rompre le lien de causalité entre la faute commise par le défendeur et le préjudice, cette faute apparaissant comme la seule cause véritable du dommage ; que lorsque le fait de la victime apparaît comme la cause exclusive du dommage, il absorbe alors l'intégralité de la causalité ; que, lorsque aucune faute n'est exclusive, la faute de la victime ayant concouru à la production du dommage est susceptible de réduire son droit à réparation à l'égard du banquier ayant lui-même commis une faute ; qu'en l'espèce, l'ensemble des banques, tant les banques bénéficiaires des fonds détournés que les banques tirées, soulignent la faute commise par la victime des détournements, la SARL ELS, qui était mieux placée que quiconque pour déceler ces faits et a rendu possible la réalisation de ces derniers à raison d'une gestion comptable peu scrupuleuse et un manque de contrôle de sa salariée ; que les développements de la société [...] relatifs aux conséquences de la présence du commissaire à 1' exécution du plan, représentant des créanciers, à ses côtés dans le cadre de la présente instance, empêchant tout partage de responsabilité, aucune faute n'étant opposable à cet organe, sont inopérants ; qu'en effet, il sera observé, d'une part, que la société [...] ne tire aucune conséquence juridique précise de cette argumentation sur sa propre responsabilité, d'autre part, que la présence du commissaire à l'exécution du plan n'est que 1'application des dispositions de l'article L.626-25 du code de commerce, lequel impose la poursuite de toute action introduite avant le jugement qui arrête le plan, et auquel l'administrateur ou le mandataire judiciaire sont parties, par ledit commissaire ; qu'il ne peut pas plus être opposé utilement par la société [...] l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens en date du 30 juin 2013, lequel, faute d'identité de partie n'a pas autorité de la chose jugée, laquelle ne vaudrait de toute façon que pour ce qui a été tranché, étant observé qu'aucun élément dans le dispositif ne tranche la question d'un partage de responsabilité et d'une faute de la victime ; qu'il en est de même de la décision du tribunal de commerce d'Amiens du 19 février 2013, confirmé par arrêt de la cour d'appel d'Amiens en date du 12 février 2015, qui ne tranche pas plus cette question dans son dispositif ; que les pièces parcellaires de la procédure pénale, communiquées par la société [...] elle-même, et surtout de l'audition de Mme K... et de Mme P..., comptable de l'entreprise établissent que : – Mme K... s'était vue attribuer l'ensemble des fonctions liées au secrétariat, la tenue des dossiers clients, et la préparation des comptes, étant chargée de l'enregistrement, du paiement des factures, du pointage des comptes et de leur contrôle, – Mme K... disposait de l'accès à l'ensemble des chéquiers de l'entreprise, distribuait les cartes bancaires de la société aux chauffeurs, et a reconnu avoir fait un retrait en numéraire, sur le compte personnel de M. O..., selon elle avec l'accord de ce dernier ; – le dirigeant de la société [...] lui vouait une confiance absolue, entretenant une attitude ambiguë avec cette dernière, notamment en couvrant selon elle ses relations extraconjugales, en la laissant bénéficier de son mobil-home ou de sa voiture, – le cabinet comptable n'avait qu'une mission de présentation des comptes et non de révision et de contrôle comptable, puisque pour le bilan 2004 jusqu'au bilan du 31 décembre 2006, Mme K... était chargée de pointer les comptes, de donner des écritures correctes, qui étaient uniquement collecter par le comptable pour présenter le bilan, – ce n'est qu'à raison d'une absence de Mme K... en juillet, qui n'avait pu préparer le travail, que la comptable a pointé les écritures et vérifié les soldes de comptes fournisseurs, mettant à jour une discordance ; qu'il n'est fait état d'aucune procédure de contrôle, vérification, ne serait-ce que ponctuelle, mise en oeuvre pour l'employeur aux fins d'éviter tout risque de détournement, alors même que l'activité exercée est génératrice de multiples encaissements-décaissements et que le comptable n'avait qu'une mission très limitée, laissant à Mme K... une marge de manoeuvre considérable ; que l'ampleur même des montants détournés par chèque, près de 250 000 euros sur une période de trois années, période pendant laquelle la société déplore également un détournement en espèces, d'un montant équivalent, ne pouvait passer inaperçu pour un chef d'entreprise, normalement diligent et au vu de la taille de l'entreprise concernée ; que si la société [...] estime les détournements « indécelables », force est de constater qu'une simple lecture des courriers ou des souches des carnets de chèque aurait permis de mettre à jour l'attitude indélicate de Mme K..., les procédés utilisés par cette dernière n'étant pas particulièrement astucieux et la comptable, ayant facilement après la lecture du courrier de relance d'un fournisseur et la consultation du dossier client, mis à jour le détournement ; que la société [...] a donc fait preuve d'une négligence manifeste et d'une légèreté blâmable, en accordant sa confiance à Mme K... et en lui laissant toute liberté dans ses fonctions, sans prêter la moindre attention à la gestion effectuée et sans mettre en oeuvre la moindre procédure de contrôle en vue de limiter les risques d'erreur comptable, voire de détournements ; qu'il était du devoir de la société ELS de tout mettre en oeuvre pour contrôler à sa salariée, sans attendre de tiers, qu'ils lui dénoncent des faits trouvant leur origine dans sa propre négligence et défaillance ; que les banques, qui ont certes commis une faute, en n'étant pas suffisamment vigilantes et diligentes, avaient une vision partielle de la situation contrairement à la société [...], Mme K... ayant ouvert avec son époux plusieurs comptes dans deux banques distinctes ; que ces banques ne sont pas à l'origine du dommage et du préjudice subis par la société [...] , dont elles pouvaient légitimement attendre qu'elle encadre sa salariée et qui ne peut se dédouaner de sa responsabilité ; qu'en n'assurant pas la surveillance élémentaire de sa salariée, de sa comptabilité, et de ses moyens de paiement, la société EURL [...] a commis une faute en relation directe avec le préjudice qu'elle a rendu possible ; que cette faute qui constitue la cause exclusive et manifeste du dommage, exonère les établissements bancaires de toute responsabilité ; qu'en conséquence, la société [...] et la SELARL F... C... R..., ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société ne peuvent qu'être déboutées de leur demande de condamnation formée à l'encontre des banques bénéficiaires à savoir le Crédit du Nord et de la Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel Nord de France ; que les appels en garantie formulés par les différentes banques étant tous formés à titre subsidiaire, pour le cas où une condamnation interviendrait à leur encontre, il n'y a pas lieu d'y répondre ;

Alors que, la cour d'appel ayant constaté que la société Crédit du Nord et la caisse de Crédit Agricole mutuel Nord de France avaient manqué à leur devoir de vigilance à l'égard de la SARL [...] , en ne s'alarmant pas des conditions de fonctionnement des comptes de l'auteur des détournements, ne pouvait sans violer l'article 1240 du code civil et méconnaître la portée de ses propres énonciations, faire produire un effet totalement exonératoire à la faute de négligence qui aurait été commise dans le même temps par la société [...] , victime de ces détournements en ne contrôlant pas suffisamment sa salariée, alors qu'il en résultait nécessairement que l'une et l'autre fautes avaient contribué à la production du dommage qui ne serait pas intervenu sans leur conjonction ;


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-20553
Date de la décision : 17/06/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 31 mai 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 17 jui. 2020, pourvoi n°18-20553


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SARL Cabinet Briard, SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.20553
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