LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 juin 2020
Rejet
M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 302 F-D
Pourvoi n° Z 18-21.139
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 JUIN 2020
La société Reden investissements, ayant pour nom commercial Fonroche Investissements, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Z 18-21.139 contre l'arrêt rendu le 19 juin 2018 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Enedis, société anonyme, dont le siège est [...] , anciennement dénommée ERDF,
2°/ à la société XL Insurance Company SE, société anonyme, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Axa Corporate solutions assurances,
3°/ à la société Allianz Global Corporate et Speciality SE, dont le siège est [...] (Allemagne),
défenderesses à la cassation.
La société Enedis a formé un pourvoi éventuel contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Reden investissements, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz Global Corporate etamp;amp; Speciality SE, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société XL Insurance Company SE, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Enedis, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Reden investissements que sur le pourvoi incident relevé par la société Enedis :
Donne acte à la société XL Insurance Company SE de sa reprise d'instance en qualité d'ayant droit de la société Axa Corporate Solutions ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 19 juin 2018), que la société Reden investissements (la société Reden), qui envisageait de produire de l'électricité d'origine photovoltaïque en vue de sa vente à la société Electricité de France (la société EDF), dans le cadre de l'obligation d'achat de cette dernière, a, postérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les tarifs d'achat d'électricité, présenté dix demandes de raccordement au réseau à la société ERDF, devenue la société Enedis, gestionnaire du réseau public de distribution d'électricité ; que la société Enedis n'a pas respecté le délai de trois mois qui lui était imparti, à compter de la date à laquelle la demande était complète, pour transmettre au producteur une proposition technique et financière (PTF) de raccordement au réseau pour chacune des installations considérées ; que le décret, dit moratoire, n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 a suspendu, pour trois mois, l'obligation d'achat d'électricité d'origine photovoltaïque à la charge de la société EDF, sauf pour les installations pour lesquelles le producteur aurait notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF de raccordement au réseau, tout en précisant qu'à l'issue de la période de suspension, des demandes nouvelles de raccordement au réseau devraient être présentées ; que le 4 mars 2011, un arrêté a fixé les nouveaux tarifs d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à des conditions moins avantageuses pour les producteurs ; que reprochant à la société Enedis d'avoir manqué à son obligation d'instruire ses demandes de raccordement dans les délais qui lui étaient impartis, la société Reden l'a assignée en réparation de son préjudice, résultant de sa soumission au régime du moratoire instauré par le décret du 9 décembre 2010 et consistant en la perte de la chance de réaliser les gains qu'aurait permis l'application du tarif antérieur ; que la société Enedis a soutenu que le préjudice allégué n'était pas réparable dès lors que le tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010 constituait, au regard du droit de l'Union européenne, une aide d'État illégale pour n'avoir pas été notifiée à la Commission européenne avant sa mise à exécution ; qu'elle a appelé en garantie ses assureurs, les sociétés Axa Corporate Solutions et Allianz Global Corporate etamp;amp; Specialty ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Reden fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ qu'une mesure ne peut être qualifiée d'aide d'État que si elle est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres, accorde à son bénéficiaire un avantage sélectif et fausse ou menace de fausser la concurrence grâce à une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat ; qu'en ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l'avantage, la notion d'aide d'État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises et donc, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l'économie du système dans lequel elles s'inscrivent ; que l'appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d'un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d'autres qui se trouvent, au regard de l'objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de « discriminatoire » ; que la détermination de l'ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l'objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que la réglementation en cause au principal accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, au motif inopérant que cette intervention de l'État ne concerne que les producteurs d'électricité photovoltaïque, sans définir au préalable le régime juridique au regard de l'objectif duquel devait être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des producteurs d'électricité photovoltaïque et des autres producteurs d'électricité, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le caractère sélectif de l'avantage dont elle a constaté l'existence, ni justifié par suite la qualification d'aide d'État qu'elle a cependant retenue, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
2°/ qu'en ne caractérisant pas en quoi les producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque seraient dans une situation factuelle et juridique identique aux autres entreprises produisant de l'électricité notamment à partir d'énergie non renouvelable, compte tenu de l'objectif poursuivi par le régime juridique dans lequel s'inscrit l'arrêté du 12 janvier 2010, de sorte que l'allocation à leur profit d'un tarif supérieur à celui qu'ils auraient pu obtenir sur le marché de l'électricité constituerait une discrimination à l'égard de ces autres entreprises, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la sélectivité de l'avantage dont elle a constaté l'existence, ni justifié par suite la qualification d'aide d'État qu'elle a cependant retenue, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
3°/ que la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit, dans son arrêt CELF du 12 février 2008 (C-199/06) que l'article 88, devenu 108, paragraphe 3, dernière phrase, du Traité doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission des Communautés européennes a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché commun au sens de l'article 87, devenu 107, du Traité mais seulement d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité ; que ce n'est qu'en cas de déclaration d'incompatibilité que l'aide doit être intégralement récupérée, avec les intérêts ; que l'illégalité d'une aide d'État, pour absence de notification à la Commission européenne ne suffit donc pas à elle seule à rendre illicite le préjudice constitué par la privation d'un telle aide, ce qui ne pourrait résulter que d'une déclaration d'incompatibilité par la Commission européenne ; qu'en l'espèce, en refusant d'indemniser le préjudice subi par la société Reden en se fondant sur l'absence de notification à la Commission de l'arrêté du 12 janvier 2010, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de Justice de l'Union Européenne, ensemble l'article 11 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4°/ que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, sans la faute de la société Erdf, la société Reden aurait eu une chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, lequel contrat serait toujours en cours comme le sont actuellement tous les contrats qui ont été effectivement conclus sous l'empire de cet arrêté et de celui de 2006, et ne pourrait être remis en cause en l'absence de toute action en annulation de ces arrêtés fondée sur leur absence de notification à la Commission européenne, désormais impossible du fait de leur abrogation et qu'en jugeant cependant que la société Reden ne justifie pas d'un préjudice certain et licite susceptible d'être indemnisé, au motif qu'elle ne peut tirer motif de l'existence d'autres contrats en cours avec d'autres personnes, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
5°/ que la perte d'une chance est toujours indemnisable, quand bien même elle ne résulterait pas de la lésion d'un droit dont l'exécution aurait pu être réclamée, en l'absence de toute négligence fautive de la part de la victime ; que la société Reden, qui ne demande pas la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010 mais la réparation d'un préjudice, n'étant en rien responsable de l'absence de notification de cet arrêté à la Commission européenne qui résulte de la seule négligence des autorités françaises, ne peut se voir opposer cette illégalité pour refuser d'indemniser le préjudice certain qu'elle subit du fait de la perte d'une chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif en vigueur à la date à laquelle son dommage s'est réalisé par la faute de la société Erdf ; qu'en refusant toutefois d'indemniser le préjudice subi par le producteur, au motif que ce préjudice n'est pas légitime eu égard au caractère illicite du tarif institué par l'arrêté du 12 janvier 2010, faute de notification à la Commission, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
6°/ que la réparation du préjudice constitué par une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et est égale à une fraction de l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, déterminée en fonction des risques susceptibles d'affecter sa réalisation ; que tenue d'évaluer le préjudice consistant en une perte de chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, la cour d'appel ne pouvait pas exclure toute indemnisation de la société Reden sans avoir même recherché s'il existait ou non un risque que la Commission européenne puisse en être encore saisie et qu'elle le déclare incompatible au marché intérieur, entraînant l'obligation générale de remboursement des aides perçues par tous les producteurs ayant conclu un contrat d'achat à ce tarif ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
7°/ que les juridictions nationales n'ont pas compétence pour interdire l'exécution d'une aide existante, qui doit être considérée comme légale aussi longtemps que la Commission européenne n'a pas constaté son incompatibilité au marché intérieur (CJUE, 18 juillet 2013, c-6/12) ; qu'est une aide existante toute aide réputée existante conformément à l'article 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, c'est-à-dire toute aide à l'égard de laquelle le délai de prescription de dix ans imparti à la Commission pour la récupérer a expiré ; qu'en refusant d'indemniser le préjudice subi par la société Reden sur le fondement de l'arrêté du 10 juillet 2006, invoqué subsidiairement par le producteur qui avait souligné qu'il bénéficiait de la prescription décennale, au motif que cet arrêté n'a pas non plus été notifié à la Commission européenne et que la question de la prescription européenne apparaît sans effet sur le présent litige qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de 2010 et non la récupération d'une aide illégale, cependant que l'expiration du délai de prescription de 10 ans a eu pour conséquence que le tarif fixé par l'arrêté de 2006 était réputé être une aide existante et légale dont elle ne pouvait interdire l'exécution, la cour d'appel a violé les articles 1-b, iv et 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que le mécanisme d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché accorde un avantage sélectif à ses bénéficiaires puisqu'il ne concerne que les producteurs d'électricité photovoltaïque et qu'eu égard à la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne, il menace de fausser la concurrence en ce que ces producteurs d'électricité photovoltaïque bénéficient seuls de ce tarif d'intervention ; qu'ayant ainsi suffisamment caractérisé l'existence de l'avantage sélectif dont avaient bénéficié les producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) qu'une mesure d'aide au sens de l'article 107, paragraphe 3, du TFUE, mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 108, paragraphe 3, du TFUE, est illégale et qu'une décision de la Commission européenne déclarant une aide d'État non notifiée compatible avec le marché intérieur n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution qui sont invalides, du fait qu'ils ont été pris en méconnaissance de l'interdiction visée à l'article 108, paragraphe 3, du TFUE (CJCE, 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française, C-354/90 ; CJCE, 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich, C-368/04, point 41 ; CJUE, 23 janvier 2019, Presidenza del Consiglio dei Ministri contre Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA, C-387/17, point 59) ; qu'ainsi que l'a précisé la CJUE, il incombe aux juridictions nationales de sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l'effet direct de l'article précité, en examinant si les projets tendant à instituer ou à modifier ces aides n'auraient pas dû être notifiés à la Commission européenne avant d'être mis à exécution, et de tirer toutes les conséquences de la méconnaissance par les autorités nationales de cette obligation de notification ; qu'ayant retenu que le mécanisme d‘obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque prévu par l'arrêté du 12 janvier 2010 et, antérieurement, par l'arrêté du 10 juillet 2006, constitue, faute de notification préalable de ces arrêtés, une aide d'État illégale, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche visée par la sixième branche, peu important l'existence de contrats en cours, en a déduit que le préjudice invoqué n'était pas réparable et ne pouvait permettre l'indemnisation demandée par la société Reden ;
Attendu, enfin, qu'à la date à laquelle la société Reden a présenté sa demande de raccordement au gestionnaire de réseau, l'arrêté du 12 janvier 2010 était entré en vigueur et avait abrogé l'arrêté du 10 juillet 2006, auquel il s'était substitué ; que l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 pour défaut de notification préalable à la Commission européenne ne pouvait avoir pour effet de remettre en vigueur les tarifs fixés par l'arrêté précédent du 10 juillet 2006 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen de ce pourvoi :
Attendu que la société Reden fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1°/ que le manquement de la société Erdf à son obligation de transmettre au producteur qui lui en a fait la demande une proposition technique et financière de raccordement au réseau électrique dans le délai impératif de trois mois qui lui est imparti cause à ce producteur, quand ce délai expirait avant le 2 décembre 2010, date d'entrée en vigueur du moratoire instauré par le décret du 9 décembre 2010, un préjudice certain, correspondant à la perte de la chance d'accepter la PTF de la société Erdf avant le 2 décembre 2010, et de bénéficier de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque au tarif fixé par l'arrêté applicable ; qu'ayant constaté que la société Erdf avait manqué à son obligation de transmettre à la société Reden les PTF dans le délai de trois mois qui lui était imparti, que sans ce manquement, le producteur aurait pu accepter ces PTF avant le 2 décembre 2010, et que le préjudice invoqué par celui-ci résulte de la carence de Enedis à lui transmettre dans le délai requis les PTF, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande indemnitaire de la société Reden, a retenu que son préjudice ne s'avère pas certain, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résulte que la faute de la société gestionnaire du réseau d'électricité a fait perdre de façon certaine au producteur une chance d'accepter ces PTF avant le moratoire, et a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
2°/ que la réparation du préjudice que constitue une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, mais uniquement à une fraction de celui-ci ; qu'en retenant, pour refuser de réparer le préjudice subi par la société Reden, qu'elle ne peut demander l'indemnisation des bénéfices qu'elle prétend avoir perdus, faute pour elle de prouver qu'elle aurait pu mener à bien la construction des centrales projetées dont l'exploitation restait hypothétique, et que son préjudice ne s'avère donc pas certain, cependant que l'aléa affectant la construction et l'exploitation effectives des centrales devait être pris en considération seulement pour mesurer la chance qu'a perdue de façon certaine le producteur d'accepter la PTF avant le 2 décembre 2010 et d'échapper ainsi au moratoire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
Mais attendu que le rejet du second moyen rend le premier moyen sans portée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
Rejette la demande de sursis à statuer formée le 17 février 2020 ;
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Condamne la société Reden investissements aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du dix juin deux mille vingt et signé par Mme Darbois, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Guérin.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Reden investissements (demanderesse au pourvoi principal).
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu entre les parties le 8 novembre 2013 par le Tribunal de commerce de Bordeaux qui avait débouté la société Fonroche Investissements SAS, nom commercial de la société Reden Investissements, de ses demandes indemnitaires ;
Aux motifs que il est constant que Erdf/Enedis n'a pas transmis à Fonroche/Reden dans le délai de 3 mois les PTF correspondant aux 10 dossiers déclarés complets les 30 et 31 août 2010. (
) Le caractère fautif du manquement, susceptible d'ouvrir droit à réparation, est en conséquence établi. (arrêt, p. 15)
La société Reden oppose, à juste titre, que pour échapper au moratoire, il suffisait d'avoir « notifié » c'est-à-dire seulement adressé, son acceptation avant le 2 décembre 2010, et qu'il était ainsi possible de poster son document le 1er décembre. Elle peut aussi utilement soutenir qu'il était possible à un producteur de se déplacer dans les locaux d'ERDF pour retourner la PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010. Dès lors, l'argument selon lequel le producteur n'aurait pu retourner sa PTF, reçue le 30 novembre, et acceptée par lui dans un délai ne lui permettant pas d'échapper au moratoire s'avère insuffisamment établi en l'espèce, et donc inopérant (
).La cause du préjudice invoqué par Reden résulte donc bien de la carence de Enedis à lui transmettre dans le délai requis les PTF qu'elle était fondée à attendre, et non d'une autre cause, et notamment pas de la renonciation de Reden à ses projets. Il y a alors lieu de constater l'existence d'un lien de causalité entre la faute reprochée à Enedis et le préjudice allégué par Reden, à le supposer établi. (arrêt, p. 17 et 18)
Sur l'absence totale alléguée de préjudice (
) La capacité financière et matérielle, au moins théorique, de la société Reden est suffisamment étayée par cette société pour que son absence n'en soit pas établie. En revanche, tel n'est pas le cas de sa capacité définitive à construire les 10 centrales ici litigieuses. En effet, c'est à juste titre que Enedis et les assureurs lui opposent son défaut de maîtrise du foncier. Il est constant que les installations étaient toutes projetées non sur des terrains ou des bâtiments appartenant à Fonroche mais appartenant tous à autrui. Or, la société Reden ne peut se prévaloir d'aucune convention conclue avec les propriétaires qui l'auraient autorisée à construire sur leur terrain, et notamment pas de baux ni même de promesses de baux. La société Reden ne peut, comme elle le fait, se limiter à exciper des permis de construire ou autorisations de travaux qu'elle a déposés avec ses demandes de raccordement. Il suffit en effet, aux termes de l'article R 423-1 du code de l'urbanisme, que la demande de permis de construire ou d'autorisation de travaux soit présentée, outre par le propriétaire, ou par un mandataire de celui-ci ou même par une personne attestant être autorisée par le propriétaire à exécuter les travaux. Ainsi, un permis de construire ou une autorisation de travaux délivrés par l'autorité municipale ne peut valoir preuve de l'accord du propriétaire pour construire une centrale photovoltaïque. La déclaration de complétude par Enedis du dossier de demande de raccordement ne peut être confondue avec l'autorisation du propriétaire du terrain, qui n'est pas exigée à ce stade de la procédure. Ainsi, Enedis est fondée à soutenir que les projets ici en cause de Fonroche n'en étaient qu'à un stade très préliminaire de développement et que l'exploitation présentée comme acquise restait très hypothétique. Elle est également fondée à conclure que la société Reden, faute de prouver qu'elle aurait pu mener à bien la construction des centrales projetées, n'établit pas qu'elle aurait pu réaliser les bénéfices qu'elle prétend avoir perdus, et qu'elle ne peut donc pas en demander l'indemnisation. Ainsi, le préjudice allégué par la société Reden ne s'avère par certain.
(
) Ainsi, la société Reden ne justifie pas d'un préjudice certain et licite susceptible d'être indemnisé, et le jugement du Tribunal de commerce qui l'a déboutée de ses demandes indemnitaires doit être confirmé ;
ALORS D'UNE PART QUE le manquement de la société Erdf à son obligation de transmettre au producteur qui lui en a fait la demande une proposition technique et financière de raccordement au réseau électrique dans le délai impératif de trois mois qui lui est imparti cause à ce producteur, quand ce délai expirait avant le 2 décembre 2010, date d'entrée en vigueur du moratoire instauré par le décret du 9 décembre 2010, un préjudice certain, correspondant à la perte de la chance d'accepter la PTF de la société Erdf avant le 2 décembre 2010, et de bénéficier de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque au tarif fixé par l'arrêté applicable ; qu'ayant constaté que la société Erdf avait manqué à son obligation de transmettre à la société Reden investissements les PTF dans le délai de trois mois qui lui était imparti, que sans ce manquement, le producteur aurait pu accepter ces PTF avant le 2 décembre 2010, et que le préjudice invoqué par celui-ci résulte de la carence de Enedis à lui transmettre dans le délai requis les PTF, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande indemnitaire de la société Reden, a retenu que son préjudice ne s'avère pas certain, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résulte que la faute de la société gestionnaire du réseau d'électricité a fait perdre de façon certaine au producteur une chance d'accepter ces PTF avant le moratoire, et a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice,
ALORS D'AUTRE PART QUE la réparation du préjudice que constitue une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, mais uniquement à une fraction de celui-ci ; qu'en retenant, pour refuser de réparer le préjudice subi par la société Reden investissements, qu'elle ne peut demander l'indemnisation des bénéfices qu'elle prétend avoir perdus, faute pour elle de prouver qu'elle aurait pu mener à bien la construction des centrales projetées dont l'exploitation restait hypothétique, et que son préjudice ne s'avère donc pas certain, cependant que l'aléa affectant la construction et l'exploitation effectives des centrales devait être pris en considération seulement pour mesurer la chance qu'a perdue de façon certaine le producteur d'accepter la PTF avant le 2 décembre 2010 et d'échapper ainsi au moratoire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu entre les parties le 8 novembre 2013 par le Tribunal de commerce de Bordeaux qui avait débouté la société Fonroche Investissements SAS, nom commercial de la société Reden Investissements, de ses demandes indemnitaires ;
Aux motifs que il est constant que Erdf/Enedis n'a pas transmis à Fonroche/Reden dans le délai de 3 mois les PTF correspondant aux 10 dossiers déclarés complets les 30 et 31 août 2010. (
) Le caractère fautif du manquement, susceptible d'ouvrir droit à réparation, est en conséquence établi. (arrêt, p. 15)
La cause du préjudice invoqué par Reden résulte donc bien de la carence de Enedis à lui transmettre dans le délai requis les PTF qu'elle était fondée à attendre, et non d'une autre cause, et notamment pas de la renonciation de Reden à ses projets. Il y a alors lieu de constater l'existence d'un lien de causalité entre la faute reprochée à Enedis et le préjudice allégué par Reden, à le supposer établi. (arrêt, p. 18)
(
)
Sur l'illégalité alléguée de l'arrêté tarifaire servant de fondement aux demandes (
) Le moyen repose sur une affirmation de l'illégalité de l'arrêté sur lequel sont fondées les demandes de Reden, par application du droit européen. Cette affirmation est elle-même fondée sur l'obligation communautaire de déclaration des aides d'État à la Commission européenne préalablement à leur mise en oeuvre. Cette obligation découle de l'article 108 § 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui dispose : « La Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. » (
) La société Reden conclut de son côté que son action indemnitaire est légitime, licite et fondée. Elle remarque à titre liminaire que, dans le raisonnement des intimées, l'illégalité prétendue de l'acte entacherait sa demande, sans distinguer licéité, légitimité et légalité, mais qu'elle ne s'appliquerait pas aux contrats en cours. Pour autant, la cour, saisie ici de l'illégalité ou illicéité du tarif, du seul point de vue du préjudice invoqué par Reden, ne peut tirer motif de l'existence d'autres contrats en cours avec d'autres personnes.
La société Reden oppose que la prétendue illégalité du tarif est sans effet sur le contentieux, pour les raisons suivantes : d'abord, en droit interne, en ce que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a jamais été attaqué par voie d'action et que la demande ne porte pas sur la conclusion d'un contrat en vertu de l'arrêté. La société appelante relève que le groupe EDF et ses assureurs ne démontrent pas que les contrats en cours seraient annulables, et conclut surtout que même une illicéité n'empêcherait pas l'indemnisation du préjudice ; que les producteurs doivent être replacés dans la situation qui aurait été la leur si le devis de raccordement leur avait été transmis dans les délais et dans cette situation, ils auraient pu bénéficier d'un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause. Pour autant, et alors que les contrats en cours ne sont pas concernés par la discussion ici ouverte, qui porte sur l'existence d'un préjudice licite subi par la société Reden, l'exception d'illégalité, qui permet de s'opposer à l'application d'un texte alors même qu'il n'a pas été déclaré illégal par voie d'action, a un effet rétroactif, le ou les textes étant réputés, vis-à-vis de celui qui en demande l'application, illégaux dès l'origine. Ainsi, les textes entachés d'illégalité sont supposés n'avoir jamais existé. L'illégalité dont est entaché le texte, quand bien même elle n'a pas été prononcée erga omnes, a pour effet de paralyser les effets de l'acte entaché d'illégalité vis-à-vis de tout requérant qui en solliciterait le bénéfice, y compris comme en l'espèce, pour fonder le préjudice qu'il allégerait. L'acte devient inapplicable, il ne peut donc fonder aucune demande que ce soit de nature contractuelle ou, comme en l'espèce délictuelle.
La société Reden fait encore valoir que les sommes en jeu sont trop faibles pour constituer une aide en ce que, pour être qualifiées d'aide d'État, il faut que les sommes dépassent 200 000 euros par tranches de 3 ans (Règlement CE n° 1998/2006 de la Commission concernant les aides de minims) ; que l'aide est la différence entre le tarif réglementé (12 cts) et le tarif d'achat bonifié (42 cts). Or, la société Enedis conteste utilement l'argument en faisant valoir que les dispositions régissant les aides de minimis ne s'appliquent qu'aux aides ponctuelles, accordées à une seule et unique entreprise sur une période de trois ans, et non à la situation d'une aide générale octroyée par l'arrêté du 12 janvier 2010 à l'ensemble de la filière française photovoltaïque.
La société Reden fait aussi valoir que la prescription européenne est acquise, au visa du règlement n° 659/1999 du 22 mars 1999 du Conseil de l'Union européenne qui pose en son article 15 les règles de prescription applicables aux aides d'État et fixe le délai à dix ans. Elle ajoute que la Commission de Bruxelles a exclu de facto le régime photovoltaïque des aides d'État ; que la Commission de Bruxelles a mis trois ans pour étudier le régime français d'aide à l'énergie photovoltaïque (notifié en 2014 et déclaré compatible en 2017). Alors qu'elle peut le faire, elle a décidé de ne pas se saisir de l'arrêté du 12 janvier 2010 ; qu'elle ne peut plus se saisir de l'arrêté du 12 juillet 2006 pour cause de prescription décennale. La société Enedis objecte toutefois à bon droit que l'illégalité soulevée ici l'est par voie d'exception et non par voie d'action, et que l'article invoqué n'est relatif qu'aux actions de la Commission en vue de la récupération des aides illégales, et n'a rien à voir avec une demande d'annulation d'une aide d'État soulevée par voie d'exception dans un litige privé. Cette question de la prescription européenne apparaît sans effet sur le présent litige, puisqu'il s'agit d'examiner une exception d'illégalité de l'arrêté de 2010 pour vérifier le fondement d'une demande indemnitaire, et non pas de récupérer une aide illégale.
La société Reden soutient aussi que le régime français a été validé par la Commission de Bruxelles ; qu'aucune objection n'a été apportée par la Commission dans sa réponse du 21 décembre 2009 à la notification du régime d'aides français ; que sur l'examen des aides pour la mise en oeuvre de centrales photovoltaïques, la Commission considère que les mesures prévues par les autorités française sont conformes à la section 3. 1.6 des lignes directrices. La société Reden en conclut que le régime d'aides n'est donc pas susceptible d'être remis en cause. La société Enedis objecte toutefois à juste titre que la décision invoquée concernait les « interventions publiques des collectivités territoriales en faveur de la protection de l'environnement », sans lien avec le présent litige.
La société Reden fait encore valoir que le droit communautaire ne sanctionne pas le défaut de notification ; que l'illégalité pour défaut de notification aura pour seul effet de contraindre les bénéficiaires à payer des intérêts sur les subventions reçues, ce qui n'a pas d'incidence en l'espèce puisque la subvention n'a jamais été reçue en l'absence de construction de la centrale. Pour autant, cet argument est étranger au présent débat, qui porte sur l'impossibilité de demander une indemnisation sur le fondement d'un texte jugé illégal comme constitutif d'une aide non notifiée.
La société Reden affirme enfin que l'argument n'a plus aucun fondement depuis la décision de la Commission de Bruxelles du 10 février 2017 qui a validé le mécanisme d'obligation d'achat. L'aide d'État consistant à payer l'électricité photovoltaïque à un prix supérieur au prix de marché est entérinée. Les contrats d'achat ne peuvent être remis en cause et ne le sont d'ailleurs pas par le groupe EDF et ses assureurs. Pour autant, la pièce n° 66 de la société Reden n'est pas la décision invoquée mais un communiqué de presse, et surtout, il est fait seulement état de l'autorisation de la Commission donnée à trois régimes français d'aides, et il ne s'agit pas d'une validation a posteriori du décret ici contesté. Surtout AXA Cs peut objecter, sans être contredite, que la décision du 10 février 2017 concernait uniquement l'arrêté du 4 mars 2011 qui, lui, a été notifié et non l'arrêté de 2010 ici en cause.
Il convient donc pour la présente cour de déterminer si le mécanisme d'achat obligatoire ici en litige constitue une aide d'État au sens du texte précité, aux fins de vérifier si cette aide a un caractère illégal au sen des règles de l'Union européenne et si sa privation peut constituer un préjudice indemnisable. La société Reden soutient que la Cour de Justice de l'Union Européenne a rejeté le 15 mars 2017 la qualification d'aide d'État à l'arrêté du 12 janvier 2010 en réponse à une question préjudicielle posée par la cour d'appel de Versailles, affirmation contestée par Enedis et ses assureurs. En réalité, il apparaît que, à la question de la cour d'appel de Versailles, qui lui demandait de dire si le mécanisme d'obligation d'achat ici en cause constituait une « aide d'État » (pièce n° 16 Enedis), la CJUE a expressément répondu que « L'article 107, paragraphe 1, TFUE, doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État » (pièce n°17 Enedis). La Cour européenne a ainsi caractérisé l'un des critères de l'aide d'État, et il revient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l'effet direct de l'article 88 paragraphe 3 du Traité instituant la Communauté européenne, en examinant si les projets tendant à instituer ou à modifier ces aides n'auraient pas dû être notifiés à la Commission européenne, avant d'être mis à exécution, et de tirer toutes les conséquences de la méconnaissance par les autorités nationales de cette obligation de notification, qui affecte la légalité de ces mesures d'aides, indépendamment de leur éventuelle compatibilité ou incompatibilité avec le marché commun. Ainsi, d'ailleurs, la condition selon elle cumulative que tente d'introduire la société Reden entre illégalité et incompatibilité est sans portée.
L'aide d'État au sens de la jurisprudence européenne se caractérise par la réunion de quatre conditions : une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ; susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres ; qui accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire ; qui fausse ou menace de fausser la concurrence. La première de ces conditions a été déclarée remplie par la réponse ci-dessus de la CJUE. Cette intervention est aussi susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres, dès lors que les ventes d'électricité entre les pays de l'Union sont courantes. Elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, puisque cette intervention ne concerne que les producteurs d'électricité photovoltaïque. Elle menace enfin de fausser la concurrence, en ce que ces producteurs d'électricité photovoltaïque bénéficient seuls de ce tarif d'intervention. Et donc, le mécanisme d'achat accorde bien un avantage aux producteurs d'électricité photovoltaïque et, eu égard à la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence. L'obligation d'achat au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010 constitue donc bien une aide d'État. Or, il n'est pas contesté que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission européenne au titre d'aide d'État préalablement à se mise en oeuvre, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 108, § 3, du TFUE précité. Il convient aussi d'observer, en tant que de besoin, qu'il en est de même pour l'arrêté précédent du 10 juillet 2006, qui n'a pas non plus été notifié à la Commission, et qui ne saurait donc dès lors servir de fondement à titre subsidiaire pour la demande indemnitaire (pièces n° 12 et 21 de Axa CS). Ainsi, le dispositif d'achat au tarif prévu par l'arrêté du 12 janvier 2010 constituait, faute de notification préalable, une aide illicite au sens des règles du droit européen, indépendamment de son éventuelle incompatibilité avec celles-ci.
La société Enedis soutient alors, à bon droit, que pour qu'un préjudice soit réparable, il convient qu'il soit non seulement certain, direct et actuel mais aussi de surcroît qu'il soit licite. Ainsi, si le préjudice allégué trouve sa source dans une situation illégale ou s'il se fonde sur un texte illégal, le préjudice n'est pas réparable. Le caractère illicite du tarif institué par l'arrêté du 12 janvier 2010, ou subsidiairement par l'arrêté du 10 juillet 2006, ne revêt pas, à ce jour, le caractère légitime permettant l'indemnisation sollicitée par la société Reden.
La société Reden affirme à titre subsidiaire qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement évaluer le préjudice à titre forfaitaire, et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 9 532 823 € au total et condamner Enedis sur la base de ce montant. Pour autant, hors cette affirmation schématique qui omet de justifier le chiffre demandé, la société Reden ne justifie son préjudice que par référence au tarif litigieux, de sorte que, alors qu'elle a abandonné le projet de construction des 10 centrales ici en cause, elle ne peut éventuellement invoquer qu'une perte de bénéfices hypothétiques, dont elle ne fonde pas le calcul autrement que sur le tarif déclaré illicite. Il peut être relevé que la société Reden ne demande pas d'indemnisation pour des frais qu'elle aurait engagés pour des études de ses projets. Ce moyen ne peut donc prospérer.
Ainsi, la société Reden ne justifie pas d'un préjudice certain et licite susceptible d'être indemnisé, et le jugement du Tribunal de commerce qui l'a déboutée de ses demandes indemnitaires doit être confirmé ;
1. ALORS QU'une mesure ne peut être qualifiée d'aide d'État que si elle est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres, accorde à son bénéficiaire un avantage sélectif et fausse ou menace de fausser la concurrence grâce à une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat ; qu'en ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l'avantage, la notion d'aide d'État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises et donc, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l'économie du système dans lequel elles s'inscrivent ; que l'appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d'un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser certaines entreprises ou certaines productions par rapport à d'autres qui se trouvent, au regard de l'objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de « discriminatoire » ; que la détermination de l'ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l'objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que la réglementation en cause au principal accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, au motif inopérant que cette intervention de l'État ne concerne que les producteurs d'électricité photovoltaïque, sans définir au préalable le régime juridique au regard de l'objectif duquel devait être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des producteurs d'électricité photovoltaïque et des autres producteurs d'électricité, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le caractère sélectif de l'avantage dont elle a constaté l'existence, ni justifié par suite la qualification d'aide d'État qu'elle a cependant retenue, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
2. ALORS QU'en ne caractérisant pas en quoi les producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque seraient dans une situation factuelle et juridique identique aux autres entreprises produisant de l'électricité notamment à partir d'énergie non renouvelable, compte tenu de l'objectif poursuivi par le régime juridique dans lequel s'inscrit l'arrêté du 12 janvier 2010, de sorte que l'allocation à leur profit d'un tarif supérieur à celui qu'ils auraient pu obtenir sur le marché de l'électricité constituerait une discrimination à l'égard de ces autres entreprises, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la sélectivité de l'avantage dont elle a constaté l'existence, ni justifié par suite la qualification d'aide d'État qu'elle a cependant retenue, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
3. ALORS subsidiairement QUE la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit, dans son arrêt CELF du 12 février 2008 (C-199/06) que l'article 88, devenu 108, paragraphe 3, dernière phrase, du Traité doit être interprété en ce sens que le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition, lorsque la Commission des Communautés européennes a adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché commun au sens de l'article 87, devenu 107, du Traité mais seulement d'ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité ; que ce n'est qu'en cas de déclaration d'incompatibilité que l'aide doit être intégralement récupérée, avec les intérêts ; que l'illégalité d'une aide d'État, pour absence de notification à la Commission européenne ne suffit donc pas à elle seule à rendre illicite le préjudice constitué par la privation d'un telle aide, ce qui ne pourrait résulter que d'une déclaration d'incompatibilité par la Commission européenne ; qu'en l'espèce, en refusant d'indemniser le préjudice subi par la société Reden Invest en se fondant sur l'absence de notification à la Commission de l'arrêté du 12 janvier 2010, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de Justice de l'Union Européenne, ensemble l'article 11 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 et l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
4. ALORS QUE le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, sans la faute de la société Erdf, la société Reden Investissements aurait eu une chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, lequel contrat serait toujours en cours comme le sont actuellement tous les contrats qui ont été effectivement conclus sous l'empire de cet arrêté et de celui de 2006, et ne pourrait être remis en cause en l'absence de toute action en annulation de ces arrêtés fondée sur leur absence de notification à la commission européenne, désormais impossible du fait de leur abrogation et qu'en jugeant cependant que la société Reden investissements ne justifie pas d'un préjudice certain et licite susceptible d'être indemnisé, au motif qu'elle ne peut tirer motif de l'existence d'autres contrats en cours avec d'autres personnes, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
5. ALORS QUE la perte d'une chance est toujours indemnisable, quand bien même elle ne résulterait pas de la lésion d'un droit dont l'exécution aurait pu être réclamée, en l'absence de toute négligence fautive de la part de la victime ; que la société Reden Investissements, qui ne demande pas la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010 mais la réparation d'un préjudice, n'étant en rien responsable de l'absence de notification de cet arrêté à la Commission européenne qui résulte de la seule négligence des autorités françaises, ne peut se voir opposer cette illégalité pour refuser d'indemniser le préjudice certain qu'elle subit du fait de la perte d'une chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif en vigueur à la date à laquelle son dommage s'est réalisé par la faute de la société Erdf ; qu'en refusant toutefois d'indemniser le préjudice subi par le producteur, au motif que ce préjudice n'est pas légitime eu égard au caractère illicite du tarif institué par l'arrêté du 12 18 janvier 2010, faute de notification à la Commission, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
6. ALORS QUE la réparation du préjudice constitué par une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et est égale à une fraction de l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, déterminée en fonction des risques susceptibles d'affecter sa réalisation ; que tenue d'évaluer le préjudice consistant en une perte de chance de conclure un contrat d'achat d'électricité au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, la cour d'appel ne pouvait pas exclure toute indemnisation de la société Reden Investissements sans avoir même recherché s'il existait ou non un risque que la Commission européenne puisse en être encore saisie et qu'elle le déclare incompatible au marché intérieur, entraînant l'obligation générale de remboursement des aides perçues par tous les producteurs ayant conclu un contrat d'achat à ce tarif ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
7. ALORS, subsidiairement, QUE les juridictions nationales n'ont pas compétence pour interdire l'exécution d'une aide existante, qui doit être considérée comme légale aussi longtemps que la Commission européenne n'a pas constaté son incompatibilité au marché intérieur (CJUE, 18 juillet 2013, c-6/12) ; qu'est une aide existante toute aide réputée existante conformément à l'article 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, c'est-à-dire toute aide à l'égard de laquelle le délai de prescription de dix ans imparti à la Commission pour la récupérer a expiré ;
qu'en refusant d'indemniser le préjudice subi par la société Reden investissements sur le fondement de l'arrêté du 10 juillet 2006, invoqué subsidiairement par le producteur qui avait souligné qu'il bénéficiait de la prescription décennale, au motif que cet arrêté n'a pas non plus été notifié à la Commission européenne et que la question de la prescription européenne apparaît sans effet sur le présent litige qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté de 2010 et non la récupération d'une aide illégale, cependant que l'expiration du délai de prescription de 10 ans a eu pour conséquence que le tarif fixé par l'arrêté de 2006 était réputé être une aide existante et légale dont elle ne pouvait interdire l'exécution, la cour d'appel a violé les articles 1-b, iv et 15 du règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, ensemble l'article 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société Enedis (demanderesse au pourvoi incident éventuel).
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que le retard pris par le gestionnaire d'un réseau public de distribution (la société Enedis, l'exposante) dans l'instruction des demandes de raccordement était en lien causal avec le préjudice subi par un producteur d'électricité (la société Reden Investissements) ;
AUX MOTIFS QUE la société Reden opposait à juste titre que, pour échapper au moratoire, il suffisait d'avoir etquot;notifiéetquot;, c'est-à-dire seulement adressé, son acceptation avant le 2 décembre 2010, et qu'il était ainsi possible de poster son document le 1er décembre 2010 ; qu'elle pouvait aussi soutenir utilement qu'il était possible à un producteur de se déplacer dans les locaux d'Erdf pour retourner la PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010 ; que, dès lors, l'argument selon lequel le producteur n'aurait pu retourner sa PTF reçue le 30 novembre, et acceptée par lui, dans un délai ne lui permettant pas d'échapper au moratoire s'avérait insuffisamment établi en l'espèce, et était donc inopérant (arrêt attaqué, p. 17, alinéas 6 à 8) ;
ALORS QUE, d'une part, la mesure de suspension de l'obligation de conclure un contrat d'achat ne s'applique pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement ; que le contrat est valablement formé à la date de la réception par le gestionnaire de l'acceptation par le producteur de la proposition technique et financière ; qu'en déclarant que, pour échapper au moratoire, il suffisait au producteur d'avoir etquot;notifiéetquot;, c'est-à-dire etquot;adresséetquot;, son acceptation avant le 2 décembre 2010 , la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien, devenu l'article 1240, du code civil, ensemble les articles 1er et 3 du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;
ALORS QUE, d'autre part, en déclarant qu'il était possible pour un producteur de se déplacer dans les locaux du gestionnaire du réseau pour retourner, avant le 1er décembre 2010 à minuit, la proposition technique et financière acceptée, accompagnée du chèque d'acompte correspondant, sans vérifier, concrètement, que les circonstances de fait de l'espèce permettaient de retenir pareille hypothèse, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, enfin, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en considérant que n'était pas administrée la preuve d'une impossibilité pour le producteur de retourner signée une proposition technique et financière avant le 1er décembre 2010 à minuit, accompagnée du chèque d'acompte correspondant, retenant ainsi l'existence d'un lien causal entre la faute et le dommage, quand il incombait au producteur de prouver que les conditions de la responsabilité susceptible d'être encourue par le gestionnaire du réseau étaient réunies, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 ancien, devenu l'article 1353, du code civil.