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19/06/2018 | FRANCE | N°16/04650

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 19 juin 2018, 16/04650


COUR D'APPEL DE BORDEAUX





QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE





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ARRÊT DU : 19 JUIN 2018





(Rédacteur : Monsieur Robert X..., Président)








N° de rôle : 16/04650














SAS REDEN INVESTISSEMENTS








c/





SA ENEDIS


SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES


ALLIANZ GLOBAL § SPECIALTY






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Nature de la décision : AU FOND






































Grosse délivrée le :





aux avocats


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2013 (R.G. 2011F01315) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 18 novembre 20...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 19 JUIN 2018

(Rédacteur : Monsieur Robert X..., Président)

N° de rôle : 16/04650

SAS REDEN INVESTISSEMENTS

c/

SA ENEDIS

SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES

ALLIANZ GLOBAL § SPECIALTY

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2013 (R.G. 2011F01315) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 18 novembre 2013

APPELANTE :

SAS REDEN INVESTISSEMENTS sous le nom commercial FONROCHE INVESTISSEMENTS inscrite au RCS d'Agen sous le n° B 513 073 080, prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

représentée par Maître Claire F... de la SCP CLAIRE F... & LAURÈNE D'AMIENS, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître G... de la SELARL ACTAH avocat au barreau de BEZIERS

INTIMÉES :

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié [...] LA DEFENSE

représentée par Maître Fabrice Y... de la SCP DGD, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Olivier Z... avocat au barreau de TOULOUSE

SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

représentée par Maître Philippe A... de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maîtres Olivier B... et Laure Anne C... de L'AARPI VIGNIE SCHMIDT § ASSOCIES avocat au barreau de PARIS

INTERVENANTE :

Société ALLIANZ GLOBAL § SPECIALTY prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

représentée par Maître Brigitte H... de la SCP AVOCAGIR, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Aude D... de la SCP AUGUST § DEBOUZY avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 mai 2018 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Robert X..., Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Monsieur Dominique PETTOELLO, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Reden/Fonroche était candidate au raccordement au réseau public d'électricité pour vendre à l'opérateur national l'électricité qu'elle envisageait de produire par des installations photovoltaïques, dans le contexte particulier suivant :

Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables, la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 a institué une obligation, notamment à la charge d'EDF, de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat d'achat de l'électricité que ceux-ci produisent au moyen d'installations photovoltaïques. Il est constant que, en 2010, le prix d'achat de l'électricité dans ce cadre était très supérieur, d'au moins 4 fois, au prix de sa revente au consommateur.

Aux termes de l'article 5 du décret modifié n°2001-410 du 10 mai 2001, « la prise d'effet du contrat

d'achat est subordonnée au raccordement de l'installation au réseau ».

Pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat et conclure un contrat d'achat avec EDF, tout candidat à la production d'électricité doit préalablement déposer une demande de raccordement au réseau public de distribution d'électricité auprès d'Enedis, anciennement ERDF, et conclure une convention de raccordement.

Depuis 2010, le producteur dépose une seule demande auprès d'Enedis pour le raccordement et pour le contrat d'obligation d'achat, et un arrêté du 12 janvier 2010 précise que la date de demande complète de raccordement au réseau de distribution détermine les tarifs applicables à une installation.

Une délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 11 juin 2009 porte décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement, et un référentiel dit «Enedis-PRO-RAC 14E», pris en application de cette délibération, définit la procédure conduisant à la conclusion d'un contrat entre Enedis et un candidat à la production d'électricité.

Il en résulte que Enedis a l'obligation de transmettre au demandeur une offre de raccordement, dite PTF (proposition technique et financière), dans les 3 mois de la réception de la demande de raccordement complétée.

Le demandeur dispose alors à son tour de trois mois pour retourner la PTF signée et le règlement d'un acompte sur les travaux. Une «convention de raccordement» peut alors être signée entre Enedis et le producteur.

Selon Enedis, le niveau élevé des tarifs de rachat de l'électricité produite à partir d'installations photovoltaïques a favorisé l'émergence de nombreuses sociétés créées dans le but de construire et d'exploiter des centrales photovoltaïques ou de proposer à des particuliers ou professionnels de se charger pour eux des formalités en vue d'installer des panneaux solaires sur leur propriété, ce qui apparaît avoir créé une «bulle spéculative».

Les tarifs d'achat de l'électricité ont alors été baissés une première fois par arrêté du 12 janvier 2010. Un mission d'information a préconisé le 29 juillet 2010 une nouvelle baisse immédiate des tarifs. Un arrêté portant baisse des tarifs a été pris le 31 août 2010 à effet du lendemain.

Ainsi, seules les demandes déclarées complètes avant le 1er septembre 2010 pouvaient bénéficier du tarif antérieur du 12 janvier 2010.

Enedis relève que, alors que de mai à juillet 2010, alors qu'elle recevait 500 demandes environ par mois, le nombre de demandes de raccordement déposées au mois d'août 2010 entre le 23 et le 31 août 2010, a dépassé les 3000.

Le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation d'achat d'électricité pour 3 mois pour les demandes de raccordements pour lesquels une PTF n'avait pas fait l'objet d'une acceptation avant le 2 décembre 2010 ; à l'issue du moratoire expirant le 11 mars 2011, les producteurs pouvaient présenter une nouvelle demande sur la base d'un nouvel arrêté fixant le tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque.

Finalement, le décret n° 2011-240 du 4 mars 2011 a modifié le décret n° 2001-410 relatif aux conditions d'achat de l'électricité produite par des producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat, en réduisant le prix d'achat de cette électricité, le tarif d'achat à 28,83 centimes d'euros se substituant au précédant tarif de 50 centimes d'euros.

C'est ainsi que la société Fonroche/Reden a présenté à la société Électricité réseau distribution France (la société ERDF), devenue désormais Enedis, dix demandes de raccordement au réseau électrique d'installations de production d'électricité d'origine photovoltaïque situées dans le ressort du tribunal de commerce de Bordeaux (Gironde), très majoritairement situées à Saint-Médard-en-Jalles, demandes déclarées complètes les 30 et 31 août 2010.

La société Fonroche/Reden fait alors valoir que ses dossiers n'ont pas entraîné en retour la réception d'une PTF dans le délai de trois mois, ce qui apparaît constant.

La société candidate à ces raccordements fait valoir qu'elle a perdu de ce fait le bénéfice des tarifs de rachat de l'électricité qu'elle prévoyait, ceux applicables en vertu de l'arrêté du 4 mars 2011 ultérieur étant inférieurs.

La société Fonroche a donc assigné le 16 décembre 2011 la société ERDF en responsabilité devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour demander réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

La société ERDF a appelé en garantie son assureur la société Axa Corporate Solutions (Axa CS).

Par jugement du 8 novembre 2013, le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la société Fonroche de ses demandes, et l'a condamnée à payer à ERDF 2500 euros et à Axa CS 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 18 novembre 2013, la société Fonroche a interjeté appel de cette décision, intimant ERDF et Axa CS.

Par acte du 14 octobre 2014, la société ERDF a également assigné en garantie la société Allianz Global Corporate & Specialty SE (Allianz GCS - AGCS), en qualité d'assureur de second rang.

L'affaire a été successivement fixée à une audience de plaidoirie, puis renvoyée à la demande des parties à celle du 20 mai 2016. Les parties en ont été avisées en même temps que de la date prévue pour l'ordonnance de clôture, soit le 26 avril 2016.

Toutefois, le conseiller de la mise en état a été saisi les 18 mars et 26 avril par Axa CS d'une demande de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse de la Cour de Justice de L'union Européenne saisie par une autre cour d'appel d'une question préjudicielle relative à la qualification d'aide d'État et à la légalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 fondant le calcul des préjudices de Fonroche.

Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 29 avril 2016.

L'affaire a été remise au rôle après une décision rendue par la CJUE le 30 juin 2016. Toutefois, cette juridiction ne s'était pas prononcé au fond, et une nouvelle demande de sursis à statuer a été déposée par la société Axa CS le 27 septembre 2016, à laquelle se sont joint les sociétés AGCS et Enedis. L'audience sur incident a été plusieurs fois renvoyée à la demande des parties, et les demandeurs à l'incident s'en sont finalement désistés par conclusions des 17 mai, 21 et 25 septembre 2017, désistement constaté par ordonnance du 20 octobre 2017.

Les parties ont alors repris leurs échanges de conclusions au fond, et l'affaire a pu être définitivement fixée à l'audience du 29 mai 2018.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 7 mai 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Reden (Fonroche) demande à la cour de :

- REJETER COMME IRRECEVABLE la demande d'expertise formulée pour la première fois en appel par AXA et ALLIANZ, par application de l'article 564 du CPC,

- Vu la doctrine et la jurisprudence citées,

- Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, le décret n° 2000-877 du 7 septembre 2000, le décret n° 2003-229 du 13 mars 2003, l'arrêté du 17 mars 2003, le décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, le décret n° 2006-1731 du 23 décembre 2006, le décret n° 2007-1280 du 28 août 2007, le décret n° 2007-1826 du 24 décembre 2007, le décret n° 2008-386 du 23 avril 2008, la délibération de la CRE du 9 juin 2009 et la décision de l'autorité de la concurrence du 14 février 2013,

- Vu les articles 9 et 668 du CPC,

- Vu l'article 1240 du Code civil, anciennement 1382,

- Vu l'article 1190 du Code civil anciennement 1162,

- Vu l'ordonnance de la CJUE du 15 mars 2017,

- Vu la décision de la Commission de Bruxelles du 10 février 2017 déclarant compatible au droit communautaire le dispositif d'obligation d'achat,

- Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2013 et l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 juin 2017,

- Vu l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 2016,

- Vu l'arrêt de la CJCE du 12 février 2008,

- Vu le règlement CE n° 659/1999 du 22 mars 1999,

- Vu la décision du 21 décembre 2009 de la Commission de Bruxelles,

- Vu le règlement européen 800/2008 du 6 août 2008,

- Vu le règlement européen 651/2014 du 17 juin 2014,

- Vu la directive 2009/28/CE à lire en combinaison avec les articles 107, 3° b, c et e, et 109 du TFUE,

- Vu l'absence de remise en cause du système d'aide d'Etat constituée par les textes instaurant la CSPE,

- Vu l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant uniquement le tarif d'achat sans instaurer le mécanisme de la compensation du surcoût de l'obligation d'achat par l'opérateur obligé,

- Vu l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 validant législativement l'arrêté du 12 janvier 2010 et lui ôtant donc son caractère réglementaire,

- Vu le rapport de la Cour des comptes européenne,

- Vu l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 avril 2012 rejetant le recours contre l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 validant l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Vu la jurisprudence unique produite par AXA permettant uniquement la remise en cause d'une disposition réglementaire,

- Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 8 février 2018,

- Jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause,

- Jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire,

- Jugeant l'impossibilité pour le Tribunal de commerce puis la Cour de céans de remettre en cause une disposition législative,

- Jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du CPC,

- Constatant que ERDF comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables,

- Jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif,

- Jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés,

- En tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la CSPE,

- Constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués,

- Jugeant la faute d'ERDF consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire,

- Jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions,

- Constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule ERDF des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010,

- Rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à ERDF de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement,

- Jugeant qu'ERDF est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation et que ceci entraine l'existence du lien de causalité,

- Constatant qu'ERDF n'a pas même respecté une obligation de moyen en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique,

Constatant la parfaite connaissance par ERDF du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure,

- Constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure,

- Constatant l'aveu d'ERDF devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination,

- Jugeant qu'il est démontré qu'il était possible de se déplacer dans les locaux d'ERDF pour retourner sa PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010, et confirmant ainsi le lien de causalité,

- Rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande,

- Constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque,

- Constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement,

- Jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu,

- Constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge,

- Infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

- Par voie de conséquence, condamner ERDF devenue ENEDIS à payer à SAS REDEN INVESTISSEMENTS une indemnité sur la base de la somme de 9.532.823 € au total outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation selon le détail suivant :

Centrale Atlantique design : 247 375 €

Centrale Saint Medard Intermarché 1 463 884 €

Centrale Saint Medard Château Belfort 1 653 879 €

Centrale Saint Medard centre technique 1 574 298 €

Centrale Saint Medard Ecole Hastignan 384 881 €

Centrale Saint Medard Salle Olympie 419 073 €

Centrale Saint Medard Artigons 1 403 089 €

Centrale Rosa 1 015 451 €

Centrale Saint Medard Ecole Corbiac 609 645 €

Centrale SCI Tribail 761 248 €

Total : 9 532 823 €

- A titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner ERDF devenue ENEDIS à payer à SAS REDEN INVESTISSEMENTS une indemnité sur la base de la somme de 10.088.590 € au total selon le détail suivant :

Centrale Atlantique design : 294 158 €

Centrale Saint Medard Intermarché 1 515 952 €

Centrale Saint Medard Château Belfort 1 685 458 €

Centrale Saint Medard centre technique 1 622 774 €

Centrale Saint Medard Ecole Hastignan 427 500 €

Centrale Saint Medard Salle Olympie 461 900 €

Centrale Saint Medard Artigons 1 453 021 €

Centrale Rosa 1 098 630 €

Centrale Saint Medard Ecole Corbiac 680 737 €

Centrale SCI Tribail 848 460 €

Total : 10 088 590 €

- Jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 9 532 823 € au total € et

condamner ENEDIS sur la base de ce montant,

- Condamner en outre ERDF devenue ENEDIS au paiement de la somme de 10000 € au titre de l'article 700 du C.P.C. ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP F... & D'AMIENS.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus, outre les visas, qui demandent de «constater» ou «dire que» ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés ici.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 2 mai 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Enedis, anciennement ERDF, demande à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL

SUR LA FAUTE

DIRE ET JUGER que les allégations de pratiques discriminatoires ne sont ni démontrées, ni sérieuses ni fondées.

SUR L'ABSENCE DE LIEN DE CAUSALITE

DIRE ET JUGER qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement de délai reproché à la société Enedis et le préjudice allégué ;

DIRE ET JUGER que le préjudice allégué trouve sa cause dans un triple état de faits et/ou de droit :

- La survenance du décret moratoire du 9 décembre 2010 ;

- L'impossibilité matérielle d'échapper aux effets du moratoire, dans laquelle se serait

trouvée FONROCHE INVESTISSEMENTS si les PTF avaient été transmises le 30 novembre

2010 ;

- Le choix discrétionnaire par FONROCHE INVESTISSEMENTS d'abandonner ses projets alors

que l'article 5 du décret du 9 décembre 2010 l'invitait à représenter sa demande de

raccordement.

SUBSIDIAIREMENT SUR LE PREJUDICE

DIRE ET JUGER que l'arrêté du 12 janvier 2010, a instauré une aide d'Etat ;

CONSTATER que ledit arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;

DIRE ET JUGER en conséquence que cet arrêté est illégal et que le préjudice allégué, fondé exclusivement sur l'application dudit arrêté, est illicite.

DIRE ET JUGER au surplus que la perte de chance, seul préjudice indemnisable, est en l'occurrence nulle.

DIRE ET JUGER enfin et à titre plus subsidiaire encore, qu'à supposer même qu'une perte de chance infime ait existé, le préjudice tel que chiffré par FONROCHE INVESTISSEMENTS est fantaisiste, non démontré et extrêmement surévalué.

EN CONSEQUENCE :

CONFIRMER le jugement entrepris ;

DEBOUTER FONROCHE INVESTISSEMENTS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;

CONDAMNER FONROCHE INVESTISSEMENTS au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître E....

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

CONDAMNER AXA CORPORATE SOLUTIONS et AGCS, en leur qualité d'assureur de responsabilité civile professionnelle d'Enedis, à garantir Enedis pour l'ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, frais, intérêts et accessoires.

DEBOUTER AXA CORPORATE SOLUTIONS et AGCS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions contraires.

CONDAMNER AXA CORPORATE SOLUTIONS et AGCS au paiement chacune d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP DGD.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus qui demandent de «constater» ou «dire que» ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés ici.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 2 mai 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Axa CS demande à la cour de :

A titre principal,

- Dire et juger que Fonroche Investissements ne justifie pas du lien de causalité entre les fautes imputées à Enedis et les préjudices allégués ni de l'existence de ces préjudices ;

- Dire et juger que les préjudices allégués par Fonroche Investissements ne sont pas réparables

dès lors que l'arrêté du 12 janvier 2010 fondant le calcul de ces préjudices est illégal pour défaut de notification préalable à la Commission européenne ;

En conséquence, et pour toutes les raisons qui précèdent,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 8 novembre 2013 en

ce qu'il a débouté Fonroche Investissements de toutes ses demandes ;

- Déclarer la société Fonroche Investissements mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins

et conclusions et l'en débouter ;

A titre subsidiaire et si par extraordinaire, la Cour reconnaissait l'existence de préjudices réparables,

- Ordonner une expertise et désigner un expert afin que ce dernier donne à la Cour les éléments nécessaires pour apprécier la réalité et le quantum des éventuels préjudices subis par Fonroche Investissements ;

En tout état de cause,

- Rejeter l'ensemble des demandes de Fonroche Investissements ;

- Déclarer Enedis mal fondée en l'ensemble de ses demandes de garantie à l'égard d'AXA CS et

l'en débouter ;

- Dire et juger que la garantie d'AXA CS au titre des huit projets situés sur les sites (i) Atlantic ; (ii) Saint Médard Hastigan ; (iii) Saint Médard salle Olympie ; (iv) Ecole Corbiac ; (v) Tribail ; (vi) Rosa ; (vii) Saint Médard Intermarché ; et (viii) Saint Médard salle Artigon est exclue par application du seuil d'intervention de 1.500.000 euros à chacun de ces projets de centrales ;

- Débouter Enedis de ses demandes de garantie à l'égard d'AXA CS au titre des projets sur les sites Saint Médard Château Belfort et Saint Médard CTM et, à défaut, faire application du seuil d'intervention de 1.500.000 euros pour chaque projet de centrale au titre duquel une condamnation serait prononcée à l'encontre d'Enedis ;

- Subsidiairement, donner acte à AXA CS qu'elle se réserve le droit de refuser sa garantie dans l'hypothèse où des pratiques anti-concurrentielles étaient retenues ;

- Condamner la partie succombante à verser à AXA CS la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus qui demandent de «constater» ou «dire que» ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés ici.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 4 mai 2018, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société AGCS demande à la cour de :

A titre principal :

Recevoir AGCS en son intervention volontaire ;

Confirmer la décision du Tribunal de commerce de Bordeaux du 8 novembre 2013 ;

En conséquence :

Dire et juger que la responsabilité délictuelle d'ENEDIS ne peut pas être engagée ;

Débouter FONROCHE INVESTISSEMENTS de ses demandes, fins et conclusions ;

Dire et juger sans objet la demande de garantie d'ENEDIS contre AGCS.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour ne confirmait pas la décision du 8 novembre 2013 sur l'absence de responsabilité délictuelle d'ENEDIS, il est demandé à la Cour de :

A titre principal :

Constater l'absence de conformité au droit de l'Union européenne des divers arrêtés

' dont l'arrêté ministériel du 12 janvier 2010 et celui du 10 juillet 2006 fixant les tarifs d'achat d'énergie radiative ;

Constater en conséquence que l'arrêté ministériel du 12 janvier 2010 ' et le cas échéant tous autres arrêtés antérieurs et notamment l'arrêté ministériel du 10 juillet 2006 ' fixant les tarifs d'achat d'énergie radiative est illégal par voie d'exception, pour défaut de notification préalable à la Commission européenne

Dire et juger que la société FONROCHE INVESTISSEMENTS ne peut justifier d'un dommage réparable dès lors que le texte sur lequel elle fonde l'existence de ce dommage est entaché d'illégalité ;

Dire et juger qu'en tout état de cause, le préjudice n'est ni certain, ni direct ;

En conséquence :

Déclarer FONROCHE INVESTISSEMENTS mal fondée en ses demandes et l'en débouter ;

déclarer en conséquence sans objet l'appel en garantie d'ENEDIS contre AGCS ;

A titre subsidiaire :

Dire et juger que FONROCHE INVESTISSEMENTS ne justifie ni d'une faute ni d'un lien de causalité entre la faute imputée à ENEDIS et le préjudice allégué ;

En conséquence :

Déclarer FONROCHE INVESTISSEMENTS mal fondée en ses demandes et l'en débouter ; déclarer en conséquence sans objet l'appel en garantie d'ENEDIS contre AGCS ;

A titre plus subsidiaire :

Dire et juger que le préjudice ne peut s'analyser qu'en une perte de chance infime ;

Ordonner une expertise et désigner un expert afin que ce dernier donne à la Cour les éléments nécessaires pour apprécier la réalité et le quantum de l'éventuel préjudice subi par FONROCHE INVESTISSEMENTS ;

En tout état de cause sur la garantie :

Dire et juger qu'ENEDIS ne peut solliciter de la Cour de céans la condamnation d'AGCS, aucune évolution du litige ne justifiant cette demande introduite pour la première fois en cause d'appel, outre qu'elle a été préalablement soumise au Tribunal, dont l'instance est actuellement pendante, et à raison du droit au double degré de juridiction ;

En conséquence :

Débouter ENEDIS de toute demande à ce titre et dire que la décision à intervenir pourra

uniquement être déclarée commune et opposable à AGCS ;

En tout état de cause :

Condamner la partie succombante à verser à AGCS la somme de 15.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de SCP Avocagir, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ;

Débouter les autres parties de leurs demandes dirigées contre AGCS faites au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus qui demandent de «constater» ou «dire que» ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés ici.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la société AGCS doit être reçue en son intervention volontaire, non contestée, en sa qualité non contestée d'assureur de la société recherché, et qui n'est pas contradictoire avec sa demande de rejet des prétentions subsidiaires de la société Enedis fondée sur sa garantie.

La société Reden/Fonroche recherche donc la responsabilité de ERDF/Enedis sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil.

Aux termes de ce texte, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er octobre 2016 et applicable aux faits de l'espèce, tout fait qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

Ainsi, pour pouvoir retenir la responsabilité de l'auteur d'un dommage, le demandeur doit établir l'existence d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice.

Cet impératif n'est pas méconnu par la société Reden, qui argumente avant tout sur le non-respect par ERDF d'un délai prévu pour l'instruction de ses dossiers et ses conséquences.

Le tribunal de commerce n'a pas retenu de faute, et a considéré qu'il n'y avait aucun dépassement anormal d'un délai qui n'avait rien de contractuel. Il ajoute que «si l'Etat n'avait pas annoncé (') son intention de suspendre à bref délai la législation en cours, le non-respect minime [du délai] n'aurait certainement pas été considéré comme fautif.»

La société Reden, appelante, reprend son argumentation devant la cour. Elle soutient que la violation du délai d'instruction est une faute. Elle ajoute que ERDF aurait violé l'obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination, moyen qui n'apparaît pas dans l'exposé de ses prétentions par le tribunal de commerce, mais dont la recevabilité devant la cour d'appel n'est pas contestable.

Elle estime ensuite que le lien de causalité est établi, et que le préjudice est justifié dans son principe et dans son montant. En réponse à un moyen opposé par ERDF et ses assureurs, elle fait valoir que l'illégalité soulevée du tarif est sans effet sur le contentieux.

En cas de condamnation de Enedis, la cour devra statuer sur les demandes subsidiaires des assureurs, qui contestent les demandes de garantie.

Sur la faute alléguée tenant au non-respect du délai d'instruction

Comme déjà relevé Supra, il est donc constant que ERDF/Enedis n'a pas transmis à Fonroche/Reden dans le délai de 3 mois les PTF correspondant aux 10 dossiers déclarés complets les 30 et 31 août 2010.

La société Reden/Fonroche soutient que la violation du délai d'instruction est en soi une faute.

Il résulte de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 11 juin 2009, portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre, et de l'article 1.4.2, applicable aux raccordements de puissance supérieure à 36 kVA, de l'annexe 1 de cette délibération, que la société ERDF avait l'obligation de transmettre au demandeur une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de la demande de raccordement complétée, de sorte que le manquement à cette obligation est susceptible d'ouvrir droit à réparation.

En effet, le caractère contraignant de la documentation technique de référence doit être retenu dès lors qu'elle se fonde sur la délibération de la CRE, laquelle a un pouvoir réglementaire sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 février 2000

Le caractère fautif du manquement, susceptible d'ouvrir droit à réparation, est en conséquence établi.

Sur la faute alléguée pour discrimination dans l'instruction des dossiers

La société Reden fait aussi valoir que la société ERDF avait aussi l'obligation d'instruire les dossiers de manière non discriminatoire, et que l'Autorité de la concurrence a indiqué par une décision du 14 février 2013

Or, il est à observer que la décision du 14 février 2013 de l'autorité de concurrence qui relève les risques de discriminations est seulement une décision de rejet des demandes de mesures conservatoires présentées contre Enedis, et de poursuite d'instruction.

La société Reden ne peut se prévaloir d'une décision postérieure de l'Autorité de la concurrence.

Le seul fait que des dossiers d'autres demandeurs que la société Fonroche aient pu donner lieu à une PTF dans le délai de 3 mois ne peut à lui seul constituer une discrimination, en l'absence d'éléments de nature à étayer un choix par Enedis de certains dossiers au détriment d'autres, et notamment de ceux de Fonroche.

Aucune faute n'est ainsi caractérisée à ce titre.

Sur le lien de causalité

Le tribunal de commerce a rejeté la demande de Fonroche au motif, notamment, que «le respect formel par ERDF de son délai maximal d'instruction n'aurait laissé que bien peu de temps à la société Fonroche pour en accepter les termes et conditions, à savoir deux jours ouvrés, puisque c'est rétroactivement au 2 décembre 2010 que l'arrêté du 9 décembre suivant a fixé la date limite d'acceptation formelle de la proposition de la société ERDF». Ce motif a, entre autres, permis au tribunal d'estimer que la faute alléguée n'était pas en lien avec le préjudice allégué.

La société Reden/Fonroche soutient au contraire que le lien de causalité est établi, et la discussion est reprise en cause d'appel.

Enedis oppose à titre principal l'absence de lien de causalité, en faisant valoir

- que la faute qui lui est reprochée n'est pas la cause de la soumission de Fonroche au décret moratoire, en ce que le dépassement de délai aurait été sans conséquences dommageables si l'Etat n'avait pas pris ce décret ;

- que Fonroche n'aurait jamais pu retourner les PTF avant le 1er décembre 2010 et aurait été à coup sûr visée par le moratoire ;

- que si Fonroche n'a pas conclu de contrat avec EDF, c'est qu'elle a choisi de ne pas représenter de demande et décidé d'abandonner ses projets, contrairement à d'autres personnes visées par le décret moratoire, qui ont représenté des dossiers, conclu des contrats, et sont maintenant des producteurs d'électricité.

Le moyen et les arguments ci-dessus sont repris par Axa CS et AGCS.

La société Reden/Fonroche répond à ces objections :

Sur le premier point, tenant à la soumission des projets de Fonroche au décret moratoire pour une autre cause que le dépassement de délai, l'appelante fait valoir que le moratoire n'est intervenu que postérieurement à l'écoulement du délai d'instruction, mais aussi qu'il appartenait au groupe EDF de poursuivre l'Etat si il estimait que celui-ci pouvait être considéré comme coauteur de la faute, et qu'il n'en a rien fait.

Aucune cause étrangère, non imputable à l'auteur désigné du dommage, n'est ainsi démontrée par Enedis, et la faute, susceptible d'ouvrir droit à réparation, en lien avec un éventuel préjudice, était constituée avant l'intervention de l'État.

Sur le second point, à savoir l'impossibilité alléguée pour Reden de retourner les PTF à Enedis avant le 1er décembre, une importante discussion oppose les parties dans les termes suivants :

Il est admis par les parties que, au regard de la date à laquelle les demandes de raccordement ont été déclarées complètes, les PTF devaient parvenir à Reden/Fonroche au plus tard le dernier jour du troisième mois, soit le 30 novembre 2010. Il n'est pas contestable que cette date devait être celle de la réception de la PTF.

La société Enedis, pour dénier l'existence d'un lien de causalité, soutient alors que Fonroche n'aurait jamais eu le temps de retourner les PTF avant le 2 décembre 2010, et aurait été à coup sûr visée par le moratoire.

Cette société fait valoir qu'elle aurait pu transmettre les PTF le 30 novembre 2010 sans commettre de faute, ces PTF étant adressées par courriel et donc reçues le même jour, alors que :

- le 30 novembre 2010, nul ne savait que le décret moratoire pris 9 jours plus tard porterait effet rétroactif passé le 1er décembre 2010 à minuit ;

- il aurait alors fallu avoir conscience le 30 novembre de l'obligation de retourner des PTF dans un délai de 24 heures ;

- la survenance imminente du décret de suspension n'a été annoncée que le 2 décembre par un communiqué du Premier ministre.

La société Enedis en conclut qu'aucun lien direct et certain de causalité n'existe entre le dépassement du délai et la suspension du projet par l'effet du moratoire.

Cette argumentation est également soutenue par AGCS et Axa CS.

La société Reden oppose, à juste titre, que, pour échapper au moratoire, il suffisait d'avoir «notifié», c'est à dire seulement adressé, son acceptation avant le 2 décembre 2010, et qu'il était ainsi possible de poster son document le 1er décembre.

Elle peut aussi soutenir utilement qu'il était possible à un producteur de se déplacer dans les locaux d'ERDF pour retourner la PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010.

Dès lors, l'argument selon lequel le producteur n'aurait pu retourner sa PTF, reçue le 30 novembre, et acceptée par lui dans un délai ne lui permettant pas d'échapper au moratoire s'avère insuffisamment établi en l'espèce, et donc inopérant.

Sur le troisième point, tenant à l'abandon volontaire par la société Reden/Fonroche de ses projets, l'abstention par la société Reden de poursuivre ses projets n'est pas une faute susceptible d'annuler les effets de l'omission de transmettre des PTF dans les délais, mais seulement un élément d'appréciation du préjudice qu'elle allègue, de sorte que l'argument est également inopérant pour établir l'absence d'un lien de causalité.

La société Reden ajoute que l'assignation par EDF et Enedis de leurs assureurs devant le tribunal de commerce de Paris et celui de Nanterre place le contentieux sous le régime du contentieux sériel à l'égard de leurs assureurs, et que la jurisprudence française et européenne considèrent que le caractère sériel d'un contentieux permet de considérer comme acquis automatiquement le lien de causalité.

Il résulte en effet, notamment, des dispositions de l'article L. 124-1-1 du code des assurances, qu'un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique.

Pour autant, la société AGCS oppose à juste titre que l'éventuel caractère sériel du sinistre ne concerne que les assureurs dans leurs relations avec leurs assurés, de sorte que l'argument est ici inopérant pour les relations entre Enedis et Reden.

Le lien de causalité entre la faute qui peut être reprochée à Enedis et l'éventuel préjudice subi par la société Reden est ainsi suffisamment établi, sans qu'il ne soit nécessaire d'invoquer comme le fait l'appelante la notion d'obligation de résultat, alors même que la présente action concerne une action en responsabilité délictuelle et non en responsabilité contractuelle.

La cause du préjudice invoqué par Reden résulte donc bien de la carence de Enedis à lui transmettre dans le délai requis les PTE qu'elle était fondée à attendre, et non d'une autre cause, et notamment pas de la renonciation de Reden à ses projets.

Il y a alors lieu de constater l'existence d'un lien de causalité entre la faute reprochée à Enedis et le préjudice allégué par Reden, à le supposer établi.

Sur le préjudice

Ce n'est que subsidiairement, si la faute et le lien de causalité étaient jugés établis, que Enedis et les deux assureurs contestent le préjudice allégué par Reden, et, d'abord, invoquent l'absence de préjudice réparable.

Sur l'absence totale alléguée de préjudice

La société AGCS soutient alors que le prétendu dommage n'est ni certain, ni direct, ni actuel, en ce que le préjudice est hypothétique, donc injustifié. Elle fait valoir l'absence de droit acquis au tarif escompté, l'absence de preuve que les conditions pour signer des contrats d'achat avec EDF étaient réunies, en l'absence notamment d'autorisations administratives et d'obtention de financement, l'absence de certitude de la possibilité de mise en service de l'installation dans les 18 mois de la notification de l'acceptation, dès lors notamment que Fonroche projetait de mettre en service de manière simultanée un total de 56 centrales et se serait alors vu imposer le moratoire.

La société Axa CS soutient l'absence de certitude du préjudice, alors que Fonroche ne justifie pas des éléments techniques et financiers de nature à démontrer qu'elle aurait été en mesure de bénéficier de contrats d'achat d'électricité et de respecter les délais de mise en service prévus par l'article 4 du décret du 9 décembre 2010 pour pouvoir bénéficier des tarifs fixés par les arrêtés de 2010, ni d'ailleurs, qu'elle a accompli des démarches sérieuses à cette fin.

Enedis conclut aussi en ce sens. Cette société argumente d'abord sur l'impossibilité pour Fonroche de répondre avant le 2 décembre, argument qui a été analysé ci-dessus au titre du lien de causalité. Elle ajoute que Fonroche : ne disposait d'aucun droit de construire la centrale sur le bien d'autrui ; ne démontre pas qu'elle avait obtenu les financements nécessaires à la construction des centrales ; ne peut affirmer qu'elle aurait pu mettre en oeuvre les centrales dans un délai maximal de 18 mois, sous peine de perdre le bénéfice de l'article 3 du décret moratoire.

Ces arguments sont contestés par Reden/Fonroche,

Cette société fait valoir qu'elle a déposé des dossiers complets, et d'ailleurs déclarés tels par ERDF les 30 et 31 août 2010, comportant notamment les autorisations d'urbanisme obtenues (permis de construire ou déclaration de travaux), qui nécessitent l'accord du propriétaire foncier et l'intervention d'un architecte.

Elle fait aussi valoir qu'elle a construit l'intégralité des centrales qui n'ont pas été touchées par le moratoire (sa pièce 32b).

Elle se prévaut aussi de ce que sa maison mère Fonroche Energie a réalisé au 31 décembre 2011 plus de 257 millions d'euros de chiffre d'affaires avec un résultat net avant impôt de plus de 51 millions d'euros. Elle en déduit que ses projets étaient aisément financés, outre sa capacité à emprunter en raison de sa solvabilité. Elle ajoute que 250 personnes travaillaient à cette époque au siège de la société à Agen. Elle en conclut qu'elle justifie parfaitement de sa capacité à réaliser cette opération s'il n'y avait eu la carence de ERDF.

La capacité financière et matérielle, au moins théorique, de la société Reden est suffisamment étayée par cette société pour que son absence n'en soit pas établie.

En revanche, tel n'est pas le cas de sa capacité définitive à construire les 10 centrales ici litigieuses.

En effet, c'est à juste titre que Enedis et les assureurs lui opposent son défaut de maîtrise du foncier.

Il est constant que les installations étaient toutes projetées non sur des terrains ou des bâtiments appartenant à Fonroche, mais appartenant tous à autrui. Or, la société Reden ne peut se prévaloir d'aucune convention conclue avec les propriétaires qui l'auraient autorisée à construire sur leur terrain, et notamment pas de baux ni même de promesses de baux.

La société Reden ne peut, comme elle le fait, se limiter à exciper des permis de construire ou autorisations de travaux qu'elle a déposés avec ses demandes de raccordement. Il suffit en effet, aux termes de l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, que la demande de permis de construire ou d'autorisation de travaux soit présentée, outre le propriétaire, par un mandataire de celui-ci ou même par une personne attestant être autorisée par le propriétaire à exécuter les travaux. Ainsi, un permis de construire ou une autorisation de travaux délivrés par l'autorité municipale ne peut valoir preuve de l'accord du propriétaire pour construire une centrale photovoltaïque.

La déclaration de complétude par Enedis du dossier de demande de raccordement ne peut être confondue avec l'autorisation du propriétaire du terrain, qui n'est pas exigée à ce stade de la procédure.

Ainsi, Enedis est fondée à soutenir que les projets ici en cause de Fonroche n'en étaient qu'à un stade très préliminaire de développement, et que l'exploitation présentée comme acquise restait très hypothétique.

Elle est également fondée à en conclure que la société Reden, faute de prouver qu'elle aurait pu mener à bien la construction des centrales projetées, n'établit pas qu'elle aurait pu réaliser les bénéfices qu'elle prétend avoir perdus, et qu'elle ne peut donc pas en demander l'indemnisation.

Ainsi, le préjudice allégué par la société Reden ne s'avère pas certain.

Sur l'illégalité alléguée de l'arrêté tarifaire servant de fondement aux demandes

Enedis et les assureurs soutiennent encore que le préjudice allégué n'est pas licite, car il consiste en la privation des bénéfices retirés de l'application d'un arrêté illégal, ce qui ne permet pas de fonder une demande indemnitaire.

Le moyen repose donc sur une affirmation de l'illégalité de l'arrêté sur lequel sont fondées les demandes de Reden, par application du droit européen.

Cette affirmation est elle-même fondée sur l'obligation communautaire de déclaration des aides d'État à la Commission européenne préalablement à leur mise en 'uvre.

Cette obligation découle de l'article 108 § 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui dispose : « La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ».

C'est ainsi que la société Enedis, de même que les assureurs, font valoir que le tarif d'achat revendiqué par Fonroche est fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010, qui constitue une aide d'Etat illégale faute d'avoir été préalablement notifiée à la Commission européenne, et qui ne peut donc fonder un préjudice réparable, contrairement à l'arrêté postérieur du 4 mars 2011 qui a fait pour sa part l'objet d'une notification.

Les assureurs présents dans la cause soutiennent aussi le même moyen sur les mêmes arguments :

La société Axa CS fait également valoir que l'arrêté tarifaire servant de base aux préjudices allégués est illégal comme non conforme au droit de l'Union européenne, rendant les préjudices non réparables.

La société AGCS, qui rappelle à bon droit que la juridiction judiciaire est compétente pour constater l'illégalité d'un texte administratif et en écarter l'application, soutient également l'absence de dommage indemnisable en ce que la société Fonroche ne peut valablement invoquer le texte sur lequel elle fonde l'existence de ce dommage. Elle fait en effet valoir que le fondement des demandes indemnitaires est uniquement assis sur l'aide d'État dont la demanderesse prétend qu'elle aurait pu bénéficier, alors que les tarifs d'achat de l'énergie photovoltaïque constituent une aide d'État manifestement entachée d'illégalité.

La société Reden conclut de son côté que son action indemnitaire est légitime, licite et fondée.

Elle remarque à titre liminaire que, dans le raisonnement des intimées, l'illégalité prétendue de l'acte entacherait sa demande, sans distinguer licéité, légitimité et légalité, mais qu'elle ne s'appliquerait pas aux contrats en cours.

Pour autant, la cour, saisie ici de l'illégalité, ou illicéité, du tarif du seul point de vue du préjudice invoqué par Reden, ne peut tirer motif de l'existence d'autres contrats en cours avec d'autres personnes.

La société Reden oppose que la prétendue illégalité du tarif est sans effet sur le contentieux, pour les raisons suivantes :

D'abord, en droit interne, en ce que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a jamais été attaqué par voie d'action, et que la demande ne porte pas sur la conclusion d'un contrat en vertu de l'arrêté. La société appelante relève que le groupe EDF et ses assureurs ne démontrent pas que les contrats en cours seraient annulables, et conclut surtout que même une illicéité n'empêcherait pas l'indemnisation du préjudice ; que les producteurs doivent être replacés dans la situation qui aurait été la leur si le devis de raccordement leur avait été transmis dans les délais, et dans cette situation , ils auraient pu bénéficier d'un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause.

Pour autant, et alors que les contrats en cours ne sont pas concernés par la discussion ici ouverte, qui porte sur l'existence d'un préjudice licite subi par la société Reden, l'exception d'illégalité, qui permet de s'opposer à l'application d'un texte alors même qu'il n'a pas été déclaré illégal par voie d'action, a un effet rétroactif, le ou les textes étant réputés, vis-à-vis de celui qui en demande l'application, illégaux dès l'origine. Ainsi, les textes entachés d'illégalité sont supposés n'avoir jamais existé.

L'illégalité dont est entaché le texte, quand bien même elle n'a pas été prononcée erga omnes, a pour effet de paralyser les effets de l'acte entaché d'illégalité vis-à-vis de tout requérant qui en solliciterait le bénéfice, y compris comme en l'espèce, pour fonder le préjudice qu'il alléguerait. L'acte devient inapplicable, il ne peut donc fonder aucune demande, que ce soit de nature contractuelle ou, comme en l'espèce, délictuelle.

La société Reden fait encore valoir que les sommes en jeu sont trop faibles pour constituer une aide, en ce que, pour être qualifiées d'aide d'Etat, il faut que les sommes dépassent 200 000 euros par tranches de 3 ans (Règlement CE n°1998/2006 de la Commission concernant les aides de minimis) ; que l'aide est la différence entre le tarif réglementé (12 cts) et le tarif d'achat bonifié (42 cts).

Or, la société Enedis conteste utilement l'argument, en faisant valoir que les dispositions régissant les aides de minimis ne s'appliquent qu'aux aides ponctuelles, accordées à une seule et unique entreprise sur une période de trois ans, et non à la situation d'une aide générale octroyée par l'arrêté du 12 janvier 2010 à l'ensemble de la filière française photovoltaïque

La société Reden fait aussi valoir que la prescription européenne est acquise, au visa du règlement n° 659/1999 du 22 mars 1999 du Conseil de l'Union Européenne, qui pose en son article 15 les règles de prescription applicables aux aides d'Etat et fixe le délai à dix ans.

Elle ajoute que la Commission de Bruxelles a exclu de facto le régime photovoltaïque des aides d'État ; que la Commission de Bruxelles a mis trois ans pour étudier le régime français d'aide à l'énergie photovoltaïque (notifié en 2014 et déclaré compatible en 2017). Alors qu'elle peut le faire, elle a décider de ne pas se saisir de l'arrêté du 12 janvier 2010 ; qu'elle ne peut plus se saisir de l'arrêté du 12 juillet 2006 pour cause de prescription décennale.

La société Enedis objecte toutefois à bon droit que l'illégalité soulevée ici l'est par voie d'exception et non par voie d'action, et que l'article invoqué n'est relatif qu'aux actions de la Commission en vue de la récupération des aides illégales, et n'a rien à voir avec une demande d'annulation d'une aide d'État soulevée par voie d'exception dans un litige privé.

Cette question de la prescription européenne apparaît sans effet sur le présent litige, puisqu'il s'agit d'examiner une exception d'illégalité de l'arrêté de 2010 pour vérifier le fondement d'une demande indemnitaire, et non pas de récupérer une aide illégale.

La société Reden soutient aussi que le régime français a été validé par la Commission de Bruxelles ; qu'aucune objection n'a été apportée par la Commission dans sa réponse du 21 décembre 2009 à la notification du régime d'aides français ; que sur l'examen des aides pour la mise en 'uvre de centrales photovoltaïques, la Commission considère que les mesures prévues par les autorités françaises sont conformes à la Section 3.1.6 des lignes directrices.

La société Reden en conclut que le régimes d'aides n'est donc pas susceptible d'être remis en cause.

La société Enedis objecte toutefois à juste titre que la décision invoquée concernait les «interventions publiques des collectivités territoriales en faveur de la protection de l'environnement», sans lien avec le présent litige.

La société Reden fait encore valoir que le droit communautaire ne sanctionne pas le défaut de notification ; que l'illégalité pour défaut de notification aura pour seul effet de contraindre les bénéficiaires à payer des intérêts sur les subventions reçues, ce qui n'a pas d'incidence en l'espèce, puisque la subvention n'a jamais été reçue en l'absence de construction de la centrale.

Pour autant, cet argument est étranger au présent débat, qui porte sur l'impossibilité de demander une indemnisation sur le fondement d'un texte jugé illégal comme constitutif d'une aide non notifiée.

La société Reden affirme enfin que l'argument n'a plus aucun fondement depuis la décision de la Commission de Bruxelles du 10 février 2017, qui a validé le mécanisme d'obligation d'achat. L'aide d'Etat consistant à payer l'électricité photovoltaïque à un prix supérieur au prix de marché est entérinée. Les contrats d'achat ne peuvent être remis en cause et ne le sont d'ailleurs pas par le groupe EDF et ses assureurs.

Pour autant, la pièce n° 66 de Reden n'est pas la décision invoquée, mais un communiqué de presse, et, surtout, il est fait seulement état de l'autorisation de la Commission donnée à trois régimes français d'aides, et il ne s'agit pas d'une validation a postériori du décret ici contesté.

Surtout, Axa CS peut objecter sans être contredite que la décision du 10 février 2017 concernait uniquement l'arrêté du 4 mars 2011, qui, lui, a été notifié, et non l'arrêté de 2010 ici en cause.

Il convient donc pour la présente cour de déterminer si le mécanisme d'achat obligatoire ici en litige constitue une aide d'État au sens du texte précité, aux fins de vérifier si cette aide a un caractère illégal au sens des règles de l'Union européenne, et si sa privation peut constituer un préjudice indemnisable.

La société Reden soutient que la CJUE a rejeté le 15 mars 2017 la qualification d'aide d'Etat à l'arrêté du 12 janvier 2010, en réponse à une question préjudicielle posée par la cour d'appel de Versailles, afirmation contestée par Enedis et ses assureurs.

En réalité, il apparaît que, à la question de la cour d'appel de Versailles, qui lui demandait de dire si le mécanisme d'obligation d'achat ici en cause constituait «une aide d'État» (pièce n° 16 Enedis), la CJUE a expressément répondu que «L'article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État» (pièce n° 17 Enedis).

La Cour européenne a ainsi caractérisé l'un des critères de l'aide d'État, et irevient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l'effet direct de l'article 88, paragraphe 3, du Traité instituant la Communauté européenne, en examinant si les projets tendant à instituer ou à modifier ces aides n'auraient pas dû être notifiés à la Commission européenne, avant d'être mis à exécution et, de tirer toutes les conséquences de la méconnaissance par les autorités nationales de cette obligation de notification, qui affecte la légalité de ces mesures d'aides, indépendamment de leur éventuelle compatibilité ou incompatibilité avec le marché commun.

Ainsi, d'ailleurs, la condition selon elle cumulative que tente d'introduire la société Reden entre illégalité et incompatibilité est sans portée.

L'aide d'État au sens de la jurisprudence européenne se caractérise par la réunion de quatre conditions : une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ; susceptible d'affecter les échanges entre États membres ; qui accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire ; qui fausse ou menace de fausser la concurrence.

La première de ces conditions a été déclarée remplie par la réponse ci-dessus de la CJUE.

Cette intervention est aussi susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres, dès lors que les ventes d'électricité entre les pays de l'Union sont courantes. Elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire, puisque cette intervention ne concerne que les producteurs d'électricité photovoltaïque. Elle menace enfin de fausser la concurrence, en ce que ces producteurs d'électricité photovoltaïque bénéficient seuls de ce tarif d'intervention.

Et donc, le mécanisme d'achat accorde bien un avantage aux producteurs d'électricité photovoltaïque, et, eu égard à la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre États membres et d'avoir une incidence sur la concurrence.

L'obligation d'achat au tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010 constitue donc bien une aide d'État.

Or, il n'est pas contesté que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission européenne au titre d'aide d'État préalablement à sa mise en 'uvre, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 108 § 3 du TFUE précité.

Il convient aussi d'observer, en tant que de besoin, qu'il en est de même pour l'arrêté précédent du 10 juillet 2006, qui n'a pas non plus été notifié à la Commission, et qui ne saurait donc dès lors servir de fondement à titre subsidiaire pour la demande indemnitaire (pièces n° 12 et 21 de Axa CS).

Ainsi, le dispositif d'achat au tarif prévu par l'arrêté du 12 janvier 2010 constituait, faute de notification préalable, une aide illicite au sens des règles du droit européen, indépendamment de son éventuelle compatibilité avec celles-ci.

La société Enedis soutient alors, à bon droit, que pour qu'un préjudice soit réparable, il convient qu'il soit non seulement certain, direct, et actuel, mais aussi de surcroît qu'il soit licite. Ainsi, si le préjudice allégué trouve sa source dans une situation illégale ou s'il se fonde sur un texte illégal, le préjudice n'est pas réparable

Le caractère illicite du tarif institué par l'arrêté du 12 janvier 2010, ou subsidiairement par l'arrêté du 10 juillet 2006, ne revêt pas, à ce jour, le caractère légitime permettant l'indemnisation sollicitée par la société Reden.

La société Reden affirme à titre subsidiaire qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement évaluer le préjudice à titre forfaitaire, et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 9 532 823 € au total et condamner ENEDIS sur la base de ce montant.

Pour autant, hors cette affirmation schématique qui omet de justifier le chiffre demandé, la société Reden ne justifie son préjudice que par référence au tarif litigieux, de sorte que, alors qu'elle a abandonné le projet de construction des 10 centrales ici en cause, elle ne peut éventuellement invoquer qu'une perte de bénéfices hypothétiques, dont elle ne fonde pas le calcul autrement que sur le tarif déclaré illicite. Il peut être relevé que la société Reden ne demande pas d'indemnisation pour des frais qu'elle aurait engagés pour des études de ses projets.

Ce moyen ne peut donc prospérer.

Ainsi, la société Reden ne justifie pas d'un préjudice certain et licite susceptible d'être indemnisé, et le jugement du tribunal de commerce qui l'a déboutée de ses demandes indemnitaires doit être confirmé.

Il n'y a donc pas lieu de statuer plus avant sur les demandes subsidiaires concernant la garantie des assureurs pour le cas où Enedis aurait été condamnée à payer des dommages-intérêts.

Sur les autres demandes

Partie tenue aux dépens d'appel, dont recouvrement direct par la SCP Avocagir, la SCP DGD et la SCP F... & D'Amiens, avocats qui en font la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, la société Reden paiera à Enedis la somme de 5000 euros, à Axa CS celle de 2500 euros, et à Alianz GCS celle de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit la société Allianz GCS en son intervention volontaire,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 8 novembre 2013 par le tribunal de commerce de Bordeaux,

Condamne la société Reden à payer à la société Enedis la somme de 5000 euros, à la société Axa CS celle de 2500 euros, et à la société Allianz GCS celle de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Reden aux dépens d'appel, dont recouvrement direct par la SCP Avocagir, la SCP DGD et la SCP F... & D'Amiens, avocats qui en font la demande, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par M. X..., président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 16/04650
Date de la décision : 19/06/2018

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 02, arrêt n°16/04650 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-19;16.04650 ?
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