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13/05/2020 | FRANCE | N°19-11444

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 13 mai 2020, 19-11444


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 13 mai 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 277 FS-P+B

Pourvoi n° H 19-11.444

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 MAI 2020

Mme K... D..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n°

H 19-11.444 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre 7, section 1), dans le litige l'opposant à M. H... Q......

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

LG

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 13 mai 2020

Cassation

Mme BATUT, président

Arrêt n° 277 FS-P+B

Pourvoi n° H 19-11.444

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 MAI 2020

Mme K... D..., épouse Q..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° H 19-11.444 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre 7, section 1), dans le litige l'opposant à M. H... Q..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme D..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. Q..., et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mmes Poinseaux, Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 novembre 2018), Mme D... et M. Q..., mariés le [...] sous le régime de la séparation de biens, ont vécu séparément à compter de l'année 2013. Par acte du 28 juin 2016, Mme D... a assigné son époux en contribution aux charges du mariage. Celui-ci a engagé parallèlement une procédure de divorce. Un jugement du 5 mai 2017 l'a condamné à verser à son épouse une somme mensuelle de 3 000 euros au titre de la contribution aux charges du mariage du 1er janvier 2016 jusqu'au 10 mars 2017, date de l'ordonnance de non-conciliation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

2. Mme D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors :

« 1°/ que la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », motif tendant au rejet de l'action en contribution aux charges du mariage, et non à son irrecevabilité, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 122 du code de procédure civile ;

2°/ que si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris qu' « en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause précitée, Mme D... ne peut rapporter la preuve contraire », la cour d'appel a violé l'article 6 du code civil, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

3. Ayant constaté que la clause figurant dans le contrat de mariage des époux stipulait non seulement « que chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature », faisant ainsi ressortir qu'elle instituait expressément une clause de non-recours entre les parties, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci avait la portée d'une fin de non-recevoir.

4. Le moyen, inopérant en sa dernière branche, qui critique un motif surabondant, ne peut donc être accueilli.

Mais sur la deuxième branche du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors « que l'obligation de contribution aux charges du mariage est d'ordre public ; que les parties ne peuvent conventionnellement interdire, durant le mariage, tout recours aux fins de contraindre l'époux qui ne remplit pas son obligation de contribuer aux charges du mariage ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », la cour d'appel a violé l'article 214, ensemble les articles 226 et 1388 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. M. Q... conteste la recevabilité du moyen, Mme D... n'ayant pas conclu devant la cour d'appel.

7. Cependant, aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile relatif à la procédure devant la cour d'appel, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.

8. Le jugement du 5 mai 2017 a retenu que la clause stipulée dans le contrat de mariage n'empêchait pas un des époux de saisir le juge aux affaires familiales aux fins de contraindre l'autre qui ne respecterait pas son obligation de contribuer aux charges du mariage.

9. Mme D..., qui n'a pas conclu, étant réputée s'en approprier les motifs, le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 214, 226 et 1388 du code civil :

10. Il résulte de l'application combinée de ces textes que les conventions conclues par les époux ne peuvent les dispenser de leur obligation d'ordre public de contribuer aux charges du mariage.

11. Dès lors, en présence d'un contrat de séparation de biens, la clause aux termes de laquelle « chacun [des époux] sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature », ne fait pas obstacle, pendant la durée du mariage, au droit de l'un d'eux d'agir en justice pour contraindre l'autre à remplir, pour l'avenir, son obligation de contribuer aux charges du mariage.

12. Pour déclarer irrecevable la demande de l'épouse tendant à une fixation judiciaire de la contribution aux charges du mariage à compter de la date de son assignation, l'arrêt se fonde sur la clause figurant au contrat de mariage.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne M. Q... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme D...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré Madame K... D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage ;

AUX MOTIFS QU' « à titre liminaire, il n'est pas inutile de rappeler que M. Q... a déposé le 8 septembre 2016 une requête en divorce ; que consécutivement à l'introduction de cette instance, et par ordonnance de non-conciliation du 10 mars 2017, le magistrat conciliateur a notamment :
- attribué à l'épouse la jouissance à titre gratuit du domicile conjugal,
- condamné M. Q... à régler à son épouse une pension alimentaire au titre du devoir de secours de 3 000 euros par mois,
- désigné Me U... aux fins d'établir un inventaire estimatif et un projet d'état liquidatif,
- donné acte aux époux de leur accord sur l'attribution à l'époux de la jouissance du véhicule Range Rover et du véhicule Chevrolet à charge pour lui de régler les prêts y afférents,
- donné acte aux époux de leur accord sur l'attribution de la jouissance à l'épouse du mobilier meublant ainsi que de deux véhicules Mitsubishi Pajero (gris + vert),
- donné acte aux époux de leur accord :
* pour prendre en charge par moitié les charges relatives à l'appartement de [...], soit 836 euros par mois chacun au titre du prêt, outre la moitié des charges y afférentes, reprises en fin d'année sur présentation des factures,
* pour mettre en vente l'appartement de [...] (Gironde), M. Q... en assumant, dans l'attente, la gestion pour le compte des époux (M. Q... a la charge d'une somme approximative de 1 000 euros par mois : prêt - loyer - charges),
* pour faire les comptes à la fin du mois de février 2017 sur le problème des impôts sur la base de justificatifs qui seront fournis,
* pour prendre en charge par moitié la taxe foncière du chalet de [...],
- donné acte à M. Q... de son accord pour que Mme D... ait la jouissance du chalet de [...] (appartenant en nue-propriété à leur fils à la suite d'une donation) à charge pour elle d'assumer toutes les charges courantes dont la taxe d'habitation,
- donné acte à M. Q... de son accord pour qu'il prenne en charge les prêts de la résidence secondaire de [...], soit 893,47 euros et 477,19 euros par mois ;
Que sur l'appel interjeté par M. Q... de cette ordonnance, la cour d'appel de céans, par arrêt en date du 22 mars 2018, a notamment confirmé la décision entreprise, excepté en ses dispositions relatives à l'attribution de la jouissance du chalet de [...] et au partage du règlement provisoire du prêt et des charges de l'immeuble situé à [...], et statuant à nouveau de ces chefs, attribué à Mme D... la jouissance à titre onéreux du chalet situé à [...], désigné les époux pour assurer par moitié le règlement provisoire du prêt immobilier afférent à l'appartement de [...], soit 836 euros, et de ses charges, dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les parties par moitié chacune aux dépens ; que sur la recevabilité de la demande de contribution aux charges du mariage formée par l'épouse : le contrat de mariage des époux figure en pièce 34 et indique expressément "que chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature" ; qu'ainsi, en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause précitée, Mme D... ne peut rapporter la preuve contraire ; qu'au demeurant, la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux ; que dès lors, la demande de Mme D... de ce chef ne pourra qu'être déclarée irrecevable et le jugement déféré sera infirmé de ce chef » ;

1°) ALORS QUE la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir ; qu'en déclarant Madame D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », motif tendant au rejet de l'action en contribution aux charges du mariage, et non à son irrecevabilité, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 122 du Code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'obligation de contribution aux charges du mariage est d'ordre public ; que les parties ne peuvent conventionnellement interdire, durant le mariage, tout recours aux fins de contraindre l'époux qui ne remplit pas son obligation de contribuer aux charges du mariage ; qu'en déclarant Madame D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », la cour d'appel a violé l'article 214, ensemble les articles 226 et 1388 du Code civil ;

3°) ALORS QUE si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable ; qu'en déclarant Madame D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris qu' « en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause précitée, Mme D... ne peut rapporter la preuve contraire », la cour d'appel a violé l'article 6 du Code civil, ensemble l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-11444
Date de la décision : 13/05/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 22 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 13 mai. 2020, pourvoi n°19-11444, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Alain Bénabent , SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.11444
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