LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 mai 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 292 F-D
Pourvoi n° H 18-23.101
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 MAI 2020
Mme M... Y..., domiciliée [...] , venant aux droits de O... Y..., a formé le pourvoi n° H 18-23.101 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2016 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société BCM et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société [...], prise en qualité d'administrateur provisoire de la succession de T... Y... et de R... F..., défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poinseaux, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme Y..., de Me Haas, avocat de la société BCM et associés, ès qualités, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Poinseaux, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 25 janvier 2016), la succession de A... Y..., décédé le [...] en laissant six enfants pour lui succéder, n'a jamais été partagée. L'un de ses petits-fils, J... N... Y... qui, par l'effet de cessions, était devenu propriétaire des 37/90e indivis de l'actif successoral, les a vendus à ses enfants. En 1973, les descendants des autres enfants de A... Y... ont assigné ces derniers en partage. En 1981, un administrateur de la succession a été désigné, avec pour mission, notamment, de déterminer l'actif partageable.
2. Par acte du 10 septembre 2012, O... Y..., descendant de J... N... Q... Y... , a assigné la société aux droits de laquelle est venue la société BCM et associés, en qualité d'administrateur judiciaire de la succession, en paiement de diverses sommes, au titre de sa gestion des biens indivis.
3. Celui-ci est décédé le [...], en laissant à ses droits Mme M... Y....
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mme Y... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'indemnité au titre des améliorations apportées par O... Y... aux parcelles [...] et [...], alors « que, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation ; qu'en la présente espèce, il est constant et non contesté que O... Y... a construit à ses frais un vaste complexe touristique sur les parcelles [...] et [...] ainsi qu'il le soulignait en page 3 de ses conclusions d'appel ; que ces constructions, dans lesquelles sont exploités des fonds de commerce dont la valeur et les fruits accroissent à l'indivision ainsi que la cour d'appel l'a elle-même relevé en page 7 de l'arrêt attaqué, ont nécessairement amélioré le bien indivis ; qu'en jugeant, sans même vérifier si O... Y... n'avait pas édifié sur les parcelles litigieuses des constructions ayant augmenté leur valeur, qu'il ne peut réclamer la valeur de ces parcelles comme récompense de son activité, le jugement ayant à juste titre rejeté cette demande, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 815-13 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. O... Y... n'ayant pas demandé dans ses conclusions d'appel le remboursement de fonds qu'il aurait avancés pour des constructions édifiées sur des parcelles indivises, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à la vérification prétendument omise.
6. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Mme Y... fait grief à l'arrêt, après avoir ordonné une expertise sur les demandes fondées sur l'exploitation des parcelles litigieuses, de condamner O... Y... à payer à la société BCM et associés, ès qualités, une provision de 100 000 euros à valoir sur les bénéfices nets tirés de l'exploitation du fonds de commerce indivis depuis le 24 janvier 2008 revenant à l'indivision successorale, alors « que le jugement doit être motivé à peine de nullité ; que la simple affirmation équivaut au défaut de motifs ; qu'en disant, sans le moindre motif, que O... Y... doit d'ores et déjà une provision de 100 000 euros à valoir sur les bénéfices nets tirés de l'exploitation du fonds de commerce indivis depuis le 24 janvier 2008 revenant à l'indivision successorale, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir relevé que les fruits et revenus du fonds de commerce indivis étaient notamment constitués d'un droit de présentation de la clientèle et des loyers versés depuis le 1er août 2009 par le locataire-gérant, la cour d'appel, qui a ordonné une mesure d'expertise sur les bénéfices nets devant revenir à l'indivision a, par décision suffisamment motivée, souverainement apprécié le montant de la provision à valoir sur ces bénéfices qui devait être versée par O... Y... à la société BCM et associés, ès qualités.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... et la condamne à payer à la société BCM et associés ès qualités la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Auroy, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour Mme M... Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE d'avoir rejeté la demande d'indemnité au titre des améliorations apportées par Monsieur O... Y... aux parcelles [...] et [...],
AUX MOTIFS QUE :
« (
) aux termes de l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation ;
Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Que Monsieur Y... réclame pour l'augmentation de la masse indivise ayant résulté de son action, caractérisant selon lui une amélioration au sens du premier alinéa de l'article 815-13, une somme de 15 millions d'euros représentant la valeur des deux parcelles [...] et [...] au titre des dépenses engagées utiles à l'amélioration des biens indivis, sur le fondement de l'article 815-13 alinéa 2, le remboursement des honoraires d'avocat et frais qu'il a dû régler pour lesdites procédures, soit une somme de 15.030,43 € justifiée par l'état de frais du 25 août 2009 produit au dossier ;
Que la société intimée s'oppose à la prise en compte de toutes sommes à ce titre ;
Que l'action en justice intentée par Monsieur O... Y... en vue d'obtenir la validation du titre de propriété sur les parcelles [...] et [...] n'a pas été inutile pour l'indivision successorale puisque lesdites parcelles n'étaient pas comprises dans le partage du 8 novembre 1863 et appartenaient donc seulement en vertu de ce jugement d'adjudication à tous les héritiers de feu N... Y... ;
Que cependant Monsieur Y..., indivisaire, ne peut réclamer la valeur des parcelles [...] et [...] comme récompense de son activité et ne peut prétendre qu'à la rémunération de son activité, en l'espèce essentiellement les frais et temps engagés pour lesdites procédures ;
Que c'est à juste titre que le jugement a rejeté la demande d'indemnité égale à la valeur des parcelles de terre litigieuses mais sera réformé en ce qu'il a rejeté également la prise en charge par l'indivision des frais engagés par Monsieur O... Y..., seul, pour lesdites procédures, lesquelles se sont avérées nécessaires ;
Que la somme de 15.030,43 € au titre des dépenses engagées pour le compte de l'indivision, justifiée en son montant par l'état de frais susvisé, doit figurer au passif du compte de l'indivision et être supportée par les coindivisaires proportionnellement à leurs droits dans l'indivision, le partage ayant été ordonné par arrêt de la cour d'appel de FORT DE FRANCE, confirmé par la Cour de Cassation. » ;
ALORS QUE, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation ; Qu'en la présente espèce, il est constant et non contesté que Monsieur O... Y... a construit à ses frais un vaste complexe touristique sur les parcelles [...] et [...] ainsi qu'il le soulignait en page 3 de ses conclusions d'appel (prod.2) ; Que ces constructions, dans lesquelles sont exploités des fonds de commerce dont la valeur et les fruits accroissent à l'indivision ainsi que la cour d'appel l'a elle-même relevé en page 7 de l'arrêt attaqué, ont nécessairement amélioré le bien indivis ; Qu'en jugeant, sans même vérifier si Monsieur O... Y... n'avait pas édifié sur les parcelles litigieuses des constructions ayant augmenté leur valeur, qu'il ne peut réclamer la valeur de ces parcelles comme récompense de son activité, le jugement ayant à juste titre rejeté cette demande, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 815-13 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF A L'ARRET ATTAQUE d'avoir, après avoir ordonné une expertise sur les demandes fondées sur l'exploitation des parcelles litigieuses, condamné Monsieur O... Y... à payer à la SELARL BCM et Associés une provision de 100.000 € à valoir sur les bénéfices nets tirés de l'exploitation du fonds de commerce indivis depuis le 24 janvier 2008 revenant à l'indivision successorale,
AUX MOTIFS QUE :
« (
) il est constant et admis par les parties que Monsieur O... Y... exploitait depuis des années sur la parcelle [...] un fonds de commerce de restauration, bar de plage, en bordure de plage au [...] et qu'il a donné ce fonds en location gérance à une société PALM BEACH à compter du 1er août 2009 ;
Qu'il demande à être indemnisé de la perte de ce fonds de commerce qu'il exploitait sur la parcelle [...] et sollicite une expertise pour chiffrer l'indemnité que lui doit l'indivision pour la plus value du fonds de commerce dépendant maintenant de l'indivision ;
Que parallèlement, l'administrateur de l'indivision successorale, au visa des articles 815-9 et 815-10 du code civil, réclame à Monsieur O... Y..., indivisaire, les revenus tirés de la parcelle [...] indivise qui accroissent à l'indivision ;
Attendu que le jugement a rejeté toute demande d'indemnité à Monsieur O... Y... et l'a condamné à payer à la succession la somme de 272.000 € au titre des revenus tirés de la parcelle [...] sise à [...] ;
Que cependant, la plus value du fonds de commerce, qui sera constatée au jour du partage, accroit à l'indivision sous réserve de l'attribution à l'indivisaire de la rémunération de son activité, conformément à l'article 815-12 ;
Que de même, les fruits et revenus d'un bien indivis, tels les bénéfices nets d'un fonds de commerce indivis et la valeur du droit de présentation à la clientèle accroissent l'indivision et doivent être inscrits au compte de l'indivision ;
Qu'alors que l'administrateur réclamait une expertise pour chiffrer lesdits bénéfices nets revenant à l'indivision, reconnaissant son incapacité, en l'absence d'éléments précis, à les chiffrer, le jugement a pris en compte le droit de présentation à la clientèle (50.000 €) et les loyers versés par le locataire gérant à Monsieur O... Y... depuis le 1er août 2009 ;
Que cependant, lesdites sommes ne correspondent pas au bénéfice net revenant à l'indivision successorale ;
Qu'une mesure d'instruction s'avère nécessaire pour chiffrer d'une part la rémunération éventuellement due à Monsieur O... Y... pour la plus value résultant du fonds de commerce qu'il a créé, celle-ci étant évaluée au jour le plus proche du partage ou de la licitation de la parcelle [...] , et d'autre part le montant des bénéfices nets tirés de l'exploitation dudit fonds de commerce indivis depuis le 24 janvier 2008 compte tenu de l'application de la prescription quinquennale au visa de l'article 815-10 alinéa 3 du code civil qui énonce qu'aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera toutefois recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l'être ;
Que cependant il y a lieu de dire et juger que Monsieur O... Y... doit d'ores et déjà une provision de 100.000 € à valoir sur lesdits bénéfices nets revenant à l'indivision et sera condamné à payer cette somme à la SELARL BCM et Associés ès-qualités. » ;
ALORS QUE le jugement doit être motivé à peine de nullité ; Que la simple affirmation équivaut au défaut de motifs ; Qu'en disant, sans le moindre motif, que Monsieur O... Y... doit d'ores et déjà une provision de 100.000 € à valoir sur les bénéfices nets tirés de l'exploitation du fonds de commerce indivis depuis le 24 janvier 2008 revenant à l'indivision successorale, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.