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01/04/2020 | FRANCE | N°19-80433

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 01 avril 2020, 19-80433


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° V 19-80.433 F-D

N° 630

CK
1ER AVRIL 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER AVRIL 2020

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la co

ur d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 24 septembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. L... Y....

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° V 19-80.433 F-D

N° 630

CK
1ER AVRIL 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER AVRIL 2020

La caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Saône, la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 24 septembre 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. L... Y... et de Mme S... U..., épouse Y... des chefs d'escroquerie et d'exercice illégal de la profession d'exploitant de taxi, de M. V... N... du chef de complicité d'escroquerie, de Mmes Q... Y..., B... Y..., de M. H... X... et de M. K... O... du chef d'exercice illégal de l'activité de conducteur de taxi, a prononcé sur les intérêts civils ;

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires communs aux demanderesses et un mémoire en défense ont été produits ;

Sur le rapport de Mme Zerbib, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la CPAM de Haute-Saône et de la CPAM du Haut-Rhin, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. V... N... et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Zerbib, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Sur le moyen unique de cassation violation des articles 1382 (devenu 1240) du code civil, 313-1 du code pénal, 2, 3, 475-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement ayant débouté les CPAM du Haut-Rhin et de Haute-Saône, parties civiles, de leurs demandes à l'égard des prévenus et dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

« 1°/ alors qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer dans les limites des conclusions des parties, le préjudice dont elles reconnaissent le principe ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. et Mme Y... et M. N..., ont été déclarés coupables d'escroqueries et complicité d'escroqueries commises au préjudice des organismes sociaux, pour avoir trompé notamment la CPAM du Haut-Rhin et la CPAM de la Haute-Saône, en établissant et produisant de fausses factures relatives à des transports de malades effectués en réalité par la SARL Taxi Y..., faussement établies au nom de Taxi Mulhouse Aéroport, pour les déterminer à remettre des fonds, en l'espèce, les montants facturés à Taxi Mulhouse aéroport, exploitation personnelle de M. N..., à charge pour lui de reverser ces sommes frauduleusement obtenues ; qu'après avoir relevé que le montage délictueux opéré par M. L... Y... avec la complicité de V... N... justifie les condamnations pénales dont ils ont fait l'objet, les juges d'appel ont néanmoins estimé que les parties civiles n'apportaient la preuve d'aucun préjudice spécifique résultant des faits poursuivis, lequel ne correspondait « à l'évidence pas aux montants remboursés au titre de transports régulièrement prescrits et réellement exécutés par la société Taxi Y... » ; qu'en prononçant ainsi, quand l'affirmation de l'existence du préjudice subi par les CPAM résultait nécessairement de la déclaration de culpabilité des prévenus, et qu'il lui appartenait de le réparer dans son intégralité après en avoir constaté l'étendue, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;

2°/ alors que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'il résulte en l'espèce des propres énonciations de l'arrêt attaqué que les frais de transport effectués par une entreprise de taxi ne peuvent donner lieu à remboursement que si cette entreprise a conclu une convention avec un organisme local d'assurance maladie, de sorte que la convention conditionne le remboursement par l'assurance maladie des transports effectués par les entreprises de taxi pour les véhicules mentionnés dans ladite convention ; qu'après avoir relevé que la société Taxi Y... avait fait l'objet d'un déconventionnement à compter du 1er août 2011 pour non-respect de ses engagements conventionnels relatifs au respect des obligations de formation continue, de sorte que ses prestations ne pouvaient plus être prises en charge par l'assurance maladie, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer que le préjudice subi par les CPAM ne pouvait correspondre aux montants remboursés au titre de transports régulièrement prescrits et réellement exécutés par la société Taxi Y... ; que la seule constatation du déconventionnement de la société Taxi Y... impliquant nécessairement le caractère indu des remboursements effectués par la CPAM à son profit par le biais du montage frauduleux imaginé par les prévenus, la cour d'appel a statué sur le fondement de motifs contradictoires et privé sa décision de toute base légale ;

3°/alors qu'en affirmant que les CPAM appelantes n'avaient pas justifié de la réalité du préjudice dont elles réclamaient réparation en soutenant qu'il est incontestable que « si la société Taxi Mulhouse aéroport avait elle-même procédé aux transports en cause, ou si une autre société s'y était employée, la caisse aurait dû procéder au remboursement de ces transports lesquels ont tous été réalisés pour des assurés sociaux nécessitant d'être transportés en ambulance et bénéficiant d'une prescription médicale », la cour d'appel s'est prononcée sur le fondement de motifs purement hypothétiques, privant derechef sa décision de toute base légale ;

4°/ alors que l'auteur d'un délit est tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant ; que pour affirmer que les demandes dirigées par les CPAM contre les chauffeurs de taxi ayant été déclarés coupables d'exercice illégal de la profession de taxi, étaient dénuées de tout fondement, la cour d'appel se borne à relever que seuls les clients seraient susceptibles d'en pâtir ; qu'en prononçant ainsi, sans tenir compte du fait que les transports facturés n'auraient pas dû être pris en charge par les caisses dans la mesure où la carte professionnelle du chauffeur de taxi déclaré sur la facture, n'était plus en cours de validité à la date à laquelle ils ont été effectués, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen et le principe de la réparation intégrale ;

5°/ alors que l'auteur d'un délit est tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant ; qu'il est constant que les coûts induits par les mesures internes des CPAM pour rechercher et lutter contre les fraudes commises à leur préjudice, résultent directement des faits délictueux d'escroquerie et de complicité d'escroquerie reprochés aux prévenus ; qu'en écartant néanmoins tout préjudice matériel subi par la CPAM du Haut-Rhin du fait des escroqueries dont les prévenus ont été déclarés coupables, justifié par l'importance du dossier, la somme des recherches effectuées et des investigations et vérifications entreprises, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ensemble le principe de la réparation intégrale ;

6°/ alors qu'il résulte de l'article 475-1 du code de procédure pénale, applicable en cause d'appel selon l'article 512 dudit code, que la juridiction condamne l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci ; qu'elle tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; qu'elle peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ; qu'en se bornant à dire n'y avoir lieu à faire application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, après avoir débouté les parties civiles de leurs demandes indemnitaires, quand les prévenus avaient été définitivement condamnés des chefs d'escroquerie au préjudice des CPAM et d'exercice illégal de l'activité de conducteur de taxi, et que les CPAM du Haut-Rhin et de la Haute-Saône avaient été déclarées recevables en leur constitution de partie civile, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ».

Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;

Attendu qu'il appartient aux juridictions du fond de réparer dans son intégralité et sans perte ni profit, dans la limite des conclusions des parties, le préjudice résultant de la déclaration de culpabilité de l'auteur du dommage ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que M. Y... et son épouse, Mme U..., ont été poursuivis pour avoir, par manoeuvres frauduleuses, établi des fausses factures au nom de Taxi Mulhouse aéroport relatives à des transports de malades accomplis de fait par la société Taxi Y... dont M. Y... était gérant, trompant diverses caisses primaires d'assurance maladie, dont celles du Haut-Rhin et de la Haute-Saône, pour les déterminer à remettre à Taxi Mulhouse Aéoroport, exploitation personnelle de M. N... les sommes ainsi facturées pour un total de 214 116, 10 euros à charge pour celui-ci de les lui reverser ; qu'ils ont encore été poursuivis, d'une part, pour avoir, ayant dressé une fausse facture indiquant notamment que le transport conventionné de Mme A... D... avait été réalisé par Mme Y... alors qu'il avait été effectué par M. X..., chauffeur non autorisé à y procéder, produit cette pièce à la caisse primaire d'assurance maladie du Haut-Rhin, trompant cet organisme pour le déterminer à leur remettre 176 euros en remboursement de cette prestation, d'autre part, pour avoir demandé et obtenu de ce même organisme, le remboursement de deux transports de malades au moyen de fausses factures établies pour des montants de 13,71 euros et 64,42 euros ;

Que M. Y... a été aussi poursuivi pour avoir en sa qualité de gérant de droit de droit de la société Taxi Y... fait effectuer à titre onéreux le transport particulier de Mme D..., sans être titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique en attente de clientèle pour un véhicule Dacia Logan et pour avoir fait procéder dans les mêmes conditions au transport de Mme C... M... à bord d'un véhicule Mercédès ;

Que Mme Y..., épouse X..., Mme B... Y..., M. H... X... et M. O... ont été poursuivis pour avoir exercé l'activité de conducteur de taxi sans être titulaire d'une carte professionnelle en cours de validité ;

Que M. N..., exploitant personnellement l'entreprise individuelle Taxi Mulhouse aéoroport, a été poursuivi comme complice du délit d'escroquerie reproché à M. Y... pour l'avoir aidé ou assisté sciemment dans sa préparation ou sa consommation en acceptant l'établissement par celui-ci de fausses factures tamponnées du nom de ladite entreprise et leur production aux organismes d'assurance maladie précités, et en encaissant les sommes ainsi obtenues indûment en remboursement de ces transports de malades avant de les reverser à la société Taxi Y... ;

Que tous ont été déclarés définitivement coupables des faits qui leur étaient reprochés ; que les caisses primaires d'assurance maladie du Haut-Rhin et de Haute-Saône, déboutées de leurs demandes, ont interjeté appel ;

Attendu que, pour confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutées de leurs demandes indemnitaires et en remboursement des frais irrépétibles, l'arrêt retient notamment qu'elles n'apportent pas la preuve d'un préjudice spécifique lequel ne résulte pas du remboursement des transports réellement assurés par la société Taxi Y..., quoique déconventionnée, observant qu'en tout état de cause, les organismes sociaux auraient été tenus de prendre en charge le coût de ces prestations lié à l'acheminement d'assurés sociaux en ambulance sur prescription médicale, peu important qu'ils l'aient été par un chauffeur de taxi n'étant pas titulaire d'une carte professionnelle en cours de validité, et que lesdits organismes ne sauraient se prévaloir d'un dommage tiré de ce que leurs agents salariés ont fait des recherches et vérifications en vue de répertorier les fausses factures, de telles investigations étant liées à leur emploi ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait que seules les entreprises de taxi bénéficiaires d'une convention conclue avec les organismes sociaux peuvent prétendre au remboursement des transports de malades et que le gérant de la société Taxi Y..., société dont elle a pourtant constaté le déconventionnement, et son épouse, tous deux définitivement condamnés pour avoir escroqué notamment les caisses d'assurances maladie demanderesses au pourvoi, n'avaient pu obtenir la prise en charge des trajets accomplis par cette société avec le concours de conducteurs non titulaires d'une carte professionnelle, qu'à la suite du mécanisme frauduleux qu'ils ont mis en place avec l'aide et l'assistance de M. N... définitivement condamné pour complicité d'escroquerie, la cour d'appel, qui, se prononçant par des motifs contradictoires et hypothétiques, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il se déduisait que le préjudice, dont elle a à tort dénié l'existence, inhérent aux délits, qu'elle devait réparer dans son intégralité à hauteur des prestations accomplies ayant généré des remboursements indus consentis par les parties civiles abusées et du temps consacré par leurs agents à la recherche de la fraude, résultait nécessairement des déclarations de culpabilité définitives, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions de l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 24 septembre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier avril deux mille vingt.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 19-80433
Date de la décision : 01/04/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 24 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 01 avr. 2020, pourvoi n°19-80433


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.80433
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