LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 mars 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 263 F-D
Pourvoi n° Q 19-15.614
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 MARS 2020
1°/ M. C... V...,
2°/ Mme R... D..., épouse V...,
tous deux domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° Q 19-15.614 contre l'arrêt rendu le 7 février 2019 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile A), dans le litige les opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Est, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. C... V... et de Mme R... D..., épouse V..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Est, après débats en l'audience publique du 25 février 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 17-11.293), suivant acte notarié du 25 octobre 2006, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Est (la banque) a consenti un prêt immobilier à Mme G... V... et à M. H... (les emprunteurs). M. C... V... et Mme R... V..., son épouse, (les cautions) se sont portés cautions solidaires des emprunteurs à hauteur de 650 400 euros. Le 25 octobre 2011, Mme G... V... a assigné la banque en indemnisation pour octroi abusif de crédits. Le 21 décembre 2012, la banque lui a signifié un commandement de payer valant saisie immobilière. Le 23 janvier 2015, elle a assigné les cautions, qui ont opposé la prescription biennale de l'action.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Les cautions font grief à l'arrêt de valider le commandement de payer valant saisie à eux délivré les 4 et 7 octobre 2014, de fixer la créance de la banque, suivant décompte arrêté au 20 juin 2014, à la somme de 443 723,99 euros, outre intérêts au taux contractuel de 4,38 % à compter du 20 juin 2014, et de dire qu'il appartiendra au juge de l'exécution de fixer la date de l'adjudication et la date de visite des biens et droits immobiliers saisis, alors « que, pour interrompre le délai de prescription, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit doit être dépourvue d'équivoque ; que le seul fait, par l'emprunteur ayant engagé une action en responsabilité à l'encontre de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde dans le cadre de l'octroi d'un prêt, de ne pas contester expressément l'existence de la créance de l'établissement de crédit, ne vaut pas reconnaissance univoque du droit de créance de ce dernier ; que, dès lors, en se bornant à relever que dans le cadre de son assignation du 25 octobre 2011, tendant à la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, Mme G... V... a demandé la compensation de ces dommages-intérêts avec la créance de remboursement de la banque sans contester l'existence de cette créance, pour en déduire que cette assignation valait reconnaissance tacite de sa part du droit de la banque, la cour d'appel, qui s'est déterminée par une circonstance inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2240 du code civil. »
Réponse de la Cour
3. Après avoir constaté que Mme G... V... avait introduit une action en indemnisation le 25 octobre 2011 à l'encontre de la banque et sollicité la compensation de sa créance d'indemnité avec la créance de celle-ci à son égard, sans contester l'existence de cette créance, la cour d'appel a souverainement estimé que cette demande constituait une reconnaissance tacite de sa dette, interruptive du délai de prescription à l'égard des cautions. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. C... V... et Mme R... D..., épouse V..., aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. C... V... et Mme R... D..., épouse V..., et les condamne in solidum à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Est la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. C... V... et Mme R... D..., épouse V...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit valable le commandement de payer valant saisie délivré les 4 et 7 octobre 2014, d'AVOIR fixé la créance de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel Centre Est, suivant décompte arrêté au 20 juin 2014, à la somme de 443 723,99 €, outre intérêts au taux contractuel de 4,38 % à compter du 20 juin 2014, jusqu'à parfait paiement et d'AVOIR dit qu'il appartiendrait au juge de l'exécution de fixer la date de l'adjudication et la date de visite des biens et droits immobiliers saisis ;
Aux motifs que sur la prescription de l'action exercée par le Crédit Agricole : sur le point de départ de cette prescription : la banque soutient que ce point de départ doit être fixé au 23 avril 2008, date à laquelle le capital restant dû a été rendu exigible par l'effet de la déchéance du terme ; que les époux V... prétendent au contraire que ce point de départ remonte au 5 décembre 2007, motifs pris de ce que la date du premier incident de paiement non régularisé constitue le point de départ de la prescription, en l'espèce la première échéance impayée est en date du 5 décembre 2007 ; attendu, cependant, qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que si l'action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d'échéance successives, l'action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ; qu'en l'espèce, l'examen de la lettre de déchéance du terme du 23 avril 2008 établie par la banque fait ressortir qu'à cette date G... V... et B... H... restaient redevables, d'une part, au titre du prêt n° [...], de la mensualité du mois d'avril 2008 et d'autre part que le capital restant dû à cette date s'élevait à 527 578,37 €, outre les intérêts moratoires et l'indemnité forfaitaire due en case de résiliation du contrat ; qu'à ce jour, la banque poursuit le recouvrement du solde du capital restant dû, soit une somme de 443 723,99 €, outre les intérêts moratoires au taux contractuel ; qu'il y a lieu d'en déduire que son action a commencé à se prescrire à compter du 23 avril 2008 ; sur le délai de prescription : attendu que la banque prétend que dans ses rapports avec les cautions, la prescription biennale de l'article L 137-2 du code de la consommation n'est pas applicable et que seul doit être retenu le délai de droit commun de cinq années ; que les époux V... soutiennent qu'en invoquant la prescription, ils se prévalent de l'extinction à titre principal de leur obligation de caution ; ils sont en droit de se prévaloir de la prescription acquise même si G... V... et B... H... ne l'ont pas invoquée ; la prescription applicable est celle prévue par l'article L 137-2 du code de la consommation ; attendu, cependant, que selon cet articule, devenu L 218-2 du code de la consommation, seule l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs se prescrit par deux ans ; qu'en l'espèce, la banque, bénéficiaire de la garantie personnelle des cautions, n'a fourni aucun service aux époux V... ; qu'il s'ensuit que la prescription biennale de l'article L 218-2 est inapplicable à l'action exercée par la banque dans ses rapports avec la caution, seul le délai de droit commun de cinq ans de l'article 2224 du code civil pouvant être retenu dans ce cas ; attendu, toutefois, que les époux V..., au regard de l'article 2313 du code civil, sont en droit de se prévaloir à titre accessoire de la prescription biennale de l'article L 218-2 du code de la consommation, cette prescription étant en effet applicable à l'action exercée par la banque dans ses rapports avec les débiteurs cautionnés, pris en leur qualité de consommateurs ; sur les actes interruptifs de la prescription biennale : attendu que la banque soutient que l'action exercée à l'encontre de G... V... et d'B... H... , débiteurs cautionnés, ainsi que les paiements intervenus et affectés au remboursement du prêt n° [...] et l'assignation délivrée le 25 octobre 2011 par G... V..., ont interrompu le délai de prescription, en application des articles 2240 et 2246 du code civil ; G... V... s'est reconnue débitrice de la créance de la banque en procédant à des règlements en 2008 et 2010, et en sollicitant par assignation du 25 octobre 2011 sa condamnation au paiement de dommages-intérêts en compensation avec cette créance ; l'intention des époux V... était d'affecter les paiements auxquels ils ont procédé au remboursement du prêt du 25 octobre 2006 ; les courriers établis par le conseil de G... V... les 4 et 19 mars 2010 établissent l'engagement de celle-ci de payer sa dette et ont aussi interrompu la prescription ; attendu que les époux V... prétendent que la prescription biennale leur est acquise, motifs pris de ce que la pièce n° 16 de la banque sur laquelle figure la mention de leurs prétendus paiements, ne peut pas être retenue comme un moyen de preuve recevable, la preuve de la reconnaissance obéissant en effet au droit commun des articles 1341, 1347 et 1348 du code civil ; pour interrompre la prescription, la reconnaissance doit émaner du débiteur ou de son mandataire ; la banque ne peut se prévaloir de leur paiement partiel, dès lors qu'en 2008, à défaut de poursuites engagées à l'encontre des cautions, seuls les paiements effectué par G... V... et B... H... , en leur qualité d'emprunteurs, pouvaient présenter un effet interruptif de prescription ; il n'est pas démontré que les chèques des 9 et 23 mai 2008 qu'ils ont émis ont été imputés au compte des débiteurs principaux et que leur intention, en les établissant, était de procéder à des paiements partiels à valoir sur le remboursement de la dette de leur fille et de leur gendre ; les éléments du débat ne permettent pas de connaître l'imputation du chèque de 10 000 € établi par C... V... ; l'action judiciaire engagée par G... V... n'a pu interrompre la prescription, dès lors que l'interruption suppose l'assignation du débiteur et non l'inverse, et qu'en l'espèce, l'action est engagée par G... V... ; ainsi, aucune interruption de la prescription n'étant intervenue entre d'une part les paiements partiels effectués pour le compte de G... V... en juin et août 2010 et d'autre part le commandement aux fins de saisie immobilière délivré le 21 décembre 2012, la prescription biennale leur est acquise, et ils peuvent s'en prévaloir même si les emprunteurs n'ont pas soulevé l'exception de prescription ; attendu, cependant, qu'aux termes de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de prescription ; qu'aux termes de l'article 2246, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution, et selon l'article 2244 du même code, le délai de prescription est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée, peu important que l'action soit exercée par le créancier ou par le débiteur et ne s'agissant pas en l'espèce de deux actions judiciaires mais d'une seule action exercée par Mme G... V... ; qu'en l'espèce, s'il est vrai que les paiements effectuées par les cautions (trois chèques d'un montant total de 20 423,26 €) ne peuvent s'analyser en des actes interruptifs de la prescription, dans la mesure où il n'est pas établi que G... V... et B... H... avaient donnée mandat aux époux V... de les effectuer, il n'en va pas de même des autres faits allégués par la banque pour justifier de cette interruption ; qu'ainsi, G... V..., dans un courrier du 4 mars 2010 adressé par son conseil à la banque, a accepté que l'intégralité du solde du prix procédant de la vente d'un immeuble lui appartenant soit affecté au remboursement du prêt du 25 octobre 2006, et cet engagement a été réitéré dans une lettre du 19 mars 2010, ce qui caractérise de sa part une reconnaissance non équivoque de sa dette afférente à ce prêt, qui a entraîné l'interruption de la prescription à la date du 4 mars 2010, de sorte qu'un nouveau délai de deux ans a recommencé à courir à compter de cette date ; qu'ensuite, G... V... a effectué des paiements les 11 juin 2010 et 5 août 2010, à concurrence respectivement de 31 277,99 € et 10 023 €, qui, en interrompant la prescription en vertu de l'article 2240 du code civil, ont fait courir un nouveau délai de deux ans jusqu'au 5 août 2012 ; que G... V... a formé une demande devant le tribunal de grande instance de Lyon, par assignation signifiée le 25 octobre 2011, tendant à la condamnation de la banque en paiement de dommages-intérêts, pour manquement à son devoir de mise en garde visant expressément l'octroi du prêt n° [...] du 25 octobre 2006, et à la compensation de ces dommages-intérêts avec la créance de remboursement de la banque afférente à ce prêt, sans contester l'existence de cette créance, ce dont il résulte une reconnaissance tacite de sa part du droit de l'intimé contre lequel les époux V... entendent prescrire ; qu'en application de l'article 2246 du code civil, cette reconnaissance a eu pour effet d'interrompre à leur égard le délai de prescription qui, de ce fait, a de nouveau couru pour une durée de deux ans à compter du 25 octobre 2011 ; que le commandement de payer aux fins de saisie immobilière, signifié le 21 décembre 2012 à G... V... a aussi interrompu à cette date la prescription, en vertu de l'article 2244 du code civil, de même que celui signifié les 4 et 7 octobre 2014 aux cautions ; que dans ces conditions, la prescription de l'article L 218-2 du code de la consommation n'étant pas acquise aux époux V..., il y a lieu d'infirmer le jugement du juge de l'exécution en ce qu'il rejette l'exception de prescription de la créance de la banque sans examiner plus avant les plus amples moyens développés par les parties ; Sur la créance du CRCAM Centre Est sur les époux V... : attendu que ces derniers soutiennent, pour justifier de leur demande de mainlevée de la procédure de saisie immobilière poursuivie à leur encontre, que la banque ne dispose pas d'un titre constatant une créance liquide et exigible ; attendu, cependant, que le prêt n° [...] a été constaté dans un acte authentique reçu le 25 octobre 2006 par Maître F..., notaire associé, acte revêtu de la formule exécutoire, ce qui constitue un titre exécutoire au sens du 4° de l'article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution ; attendu que la banque produit un décompte arrêté au 20 juin 2014, duquel il ressort que sa créance de remboursement s'élève en capital à la somme de 399 896,29 € outre 729,81 € au titre des intérêts moratoires, et 43 097,99 € au titre d'une indemnité de résiliation ; qu'il dispose donc d'un titre, au jour des commandements aux fins de saisie des 4 et 7 octobre 2014, et d'une créance sur les cautions, certaine, liquide et exigible, d'un montant de 443 723,99 € en principal, intérêts et indemnité forfaitaire, auquel s'ajoutent les intérêts moratoires au taux contractuel à compter du 20 juin 2014, l'article 1362 des conditions générales du prêt stipulant en effet qu'en cas de déchéance du terme, et jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent un intérêt égal à celui du prêt ; attendu que les époux V... seront donc déboutés de leur demande tendant à dire que le créancier ne dispose pas d'un titre constatant une créance liquide et exigible et tendant à l'annulation du commandement des 4 et 7 octobre 2014 ; attendu qu'il appartiendra au juge de l'exécution de fixer la date de l'adjudication et la date de visite des biens et droits immobiliers saisis (arrêt, pages 4 à 7) ;
Alors que pour interrompre le délai de prescription, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit doit être dépourvue d'équivoque ;
Que le seul fait, par l'emprunteur ayant engagé une action en responsabilité à l'encontre de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde dans le cadre de l'octroi d'un prêt, de ne pas contester expressément l'existence de la créance de l'établissement de crédit, ne vaut pas reconnaissance univoque du droit de créance de ce dernier ;
Que, dès lors, en se bornant à relever que dans le cadre de son assignation du 25 octobre 2011, tendant à la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde, Mme G... V... a demandé la compensation de ces dommages-intérêts avec la créance de remboursement de la banque sans contester l'existence de cette créance, pour en déduire que cette assignation valait reconnaissance tacite de sa part du droit de la banque, la cour d'appel, qui s'est déterminée par une circonstance inopérante, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2240 du code civil.