LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 19-82.550 F-D
N° 306
SM12
18 MARS 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 MARS 2020
M. Q... R... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 15 janvier 2019, qui, pour escroquerie en bande organisée, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement dont douze mois avec sursis et mise à l'épreuve et cinq ans d'interdiction de gérer, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. Q... R..., les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. S... D... O... et les conclusions de Mme Le Dimna, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. R..., outre plusieurs autres prévenus, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir à Roissy-en-Brie et Vaux-le-Penil (77), courant 2015 et 2016, en employant des manoeuvres frauduleuses, à savoir en abaissant les compteurs kilométriques, trompé une cinquantaine d'acquéreurs de véhicules automobiles, avec la circonstance que les faits ont été commis en bande organisée.
3. Par jugement en date du 18 octobre 2017, M. R... a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés, à l'exception de ceux qui auraient été commis sur la période comprise entre septembre 2015 et février 2016, et condamné notamment à trente mois d'emprisonnement dont douze mois avec sursis.
4. M. R..., le ministère public et certaines parties civiles ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 132-19 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné le prévenu à la peine de trente mois d'emprisonnement, dit qu'il sera sursis partiellement avec mise à l'épreuve pour une durée de douze mois dans les conditions prévues par les articles 132-43 et 132-44 du code pénal et refusé d'aménager la partie ferme de l'emprisonnement, alors :
« 1°/ que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que s'il décide de ne pas aménager la peine, le juge doit, en outre, motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ; qu'en condamnant le prévenu à la peine de trente mois d'emprisonnement dont douze avec sursis et mise à l'épreuve et en refusant d'aménager la partie ferme de l'emprisonnement, sans s'expliquer sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;
2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que pour refuser d'aménager la partie ferme de l'emprisonnement, la cour d'appel s'est bornée à retenir qu'elle ne disposait pas d'élément lui permettant de l'aménager immédiatement ; qu'en statuant ainsi, quand le prévenu, présent à l'audience, pouvait répondre à toute question des juges leur permettant d'apprécier la faisabilité d'une telle mesure, la cour d'appel n'a justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
8. Il résulte du premier de ces textes que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. Si la peine prononcée n'est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, qui décide de ne pas l'aménager, doit en outre, soit constater une impossibilité matérielle de le faire, soit motiver spécialement sa décision au regard des faits de l'espèce, de la personnalité du prévenu et de sa situation matérielle, familiale et sociale.
9. Il se déduit du second de ces textes que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour condamner le prévenu à la peine de trente mois d'emprisonnement dont douze mois avec sursis et mise à l'épreuve, l'arrêt retient que cette peine tient compte de la gravité des faits, certaines des voitures présentant des défauts insoupçonnés par les acquéreurs, et du nombre de victimes, soit plus d'une cinquantaine, sans tenir compte des sept cents victimes antérieures.
11. Les juges ajoutent qu'outre sa participation indispensable aux escroqueries, puisque seul M. R... avait les compétences techniques pour manipuler les compteurs, il y a lieu de souligner la malignité du prévenu, qui a mis en place une stratégie visant à dissimuler son activité d'une part et son identité d'autre part.
12. Ils en concluent que, pour tenir compte de son rôle dans l'association, il y a lieu de confirmer la condamnation des premiers juges sur la peine d'emprisonnement.
13. Enfin, les juges énoncent qu'ils ne disposent pas d'éléments leur permettant d'aménager immédiatement la peine d'emprisonnement conformément aux dispositions des articles 132-25 à 132-28 du code pénal.
14. En prononçant ainsi, d'une part, sans s'expliquer sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction qu'une peine d'emprisonnement sans sursis, d'autre part, sans se prononcer sur l'aménagement de la peine d'emprisonnement au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu, alors que le prévenu présent à l'audience pouvait répondre à toutes les questions des juges leur permettant d'apprécier la faisabilité d'une mesure d'aménagement, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
15. La cassation est ainsi encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 15 janvier 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. Q... R... devra payer à M. D... O... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit mars deux mille vingt.