LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 19-87.763 F-D
N° 546
SM12
11 MARS 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 MARS 2020
M. Y... T... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 12 novembre 2019, qui pour abus de confiance aggravés en état de récidive légale, l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve, cinq ans d'interdiction professionnelle, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. Y... T..., les observations de la SCP Boullez et de Me Le Prado, avocats des défendeurs et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 février 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. Y... T... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour le détournement de sommes qui lui avaient été remises par quatre-vingt-six investisseurs dans le cadre d'opérations de financement de matériels dans les DOM-COM, bénéficiant d'une défiscalisation au titre de la loi du 21 juillet 2003, dite « Girardin ».
3. Le tribunal correctionnel de Paris, par un jugement du 7 juin 2019, l'a déclaré coupable d'abus de confiance aggravés et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans, dont trois ans avec sursis et mise à l'épreuve, a prononcé une interdiction d'exercer une profession impliquant le maniement de fonds pour une durée de cinq ans, a ordonné la confiscation des scellés et décerné mandat d'arrêt à l'encontre du prévenu. Il a statué sur les intérêts civils.
4. M. T..., le ministère public et une partie civile ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens du mémoire ampliatif présenté contre la décision de fond et sur le moyen du mémoire présenté contre la décision de rejet de demande de mise en liberté.
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. T... à payer diverses sommes à certaines parties civiles en réparation d'une perte de chance d'obtenir un gain fiscal, alors que « M. T... a fait valoir dans ses conclusions d'appel que la réparation, au titre de la perte d'une chance, de l'intégralité du gain fiscal escompté, représentant jusqu'à 70 % de l'investissement réalisé, méconnaissait le principe de la réparation intégrale ; qu'en se bornant à confirmer le jugement dont appel sur la réparation d'une chance sans répondre à cette argumentation pertinente, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et ainsi d'une violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
7.Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. L'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, relève, sur l'indemnisation au titre de la perte de chance, que le prévenu a manqué à ses obligations essentielles découlant des contrats signés ; il est établi qu'il a délibérément omis d'exécuter ses obligations contractuelles et failli par ses communications mensongères à ses devoirs de conseil et d'information sur les produits financiers qu'il a proposés.
9. Après avoir énoncé qu'il résultait de l'absence de création des SNC et de l'absence d'investissement, une perte de chance d'obtenir un crédit d'impôts, les juges ont évalué le dommage à 70 % du montant investi par les parties civiles MM. I..., A... et U..., la société Bernab, et les époux F....
10. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de leurs propres constatations qu'en application de la loi « Girardin », les investisseurs pouvaient obtenir des réductions d'impôt limitées à 44,12 % ou 45,30 % des sommes investies, ainsi que le prévoit l'article 199 undecies B du code général des impôts, la cour d'appel, qui ne pouvait évaluer l'indemnisation de la perte de chance à un montant supérieur au dommage subi et n'a pas répondu aux conclusions déposées en ce sens par l'appelant, n'a pas justifié sa décision.
11. La cassation est en conséquence encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à l'indemnisation des parties civiles MM. I..., A... et U..., la société Bernab, et les époux F..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 12 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze mars deux mille vingt.