LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mars 2020
Cassation partielle
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 194 F-D
Pourvoi n° F 19-11.742
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MARS 2020
1°/ la société Provence machines à bois, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
2°/ la société Aspir élec, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° F 19-11.742 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Menuiserie L..., société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Provence machines à bois et de la société Aspir élec, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Menuiserie L..., après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 décembre 2018), la société Menuiserie L... (la société L...) a commandé à la société Provence machines à bois (la société PMB) la pose d'un matériel fourni par la société Aspir élec et destiné à l'aspiration et au traitement des poussières et copeaux de bois, afin de se conformer à la législation en vigueur sur le taux de poussière admissible. Un acompte a été versé. Après l'achèvement des travaux d'installation, la société PMB a émis une facture correspondant au solde des travaux, demeurée impayée.
2. La société L... s'étant plainte d'une disjonction systématique du tableau électrique en raison d'un excès de puissance électrique du matériel installé, elle a obtenu, en référé, la désignation d'un expert judiciaire qui a déposé un rapport.
3. La société L... a assigné les sociétés PMB et Aspir élec en responsabilité contractuelle, afin d'obtenir réparation de ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les sociétés PMB et Aspir élec font grief à l'arrêt de dire qu'elles ont manqué à leur devoir de conseil et engagé leur responsabilité contractuelle à l'égard de la société L... et, en conséquence, de les condamner à payer à celle-ci les sommes de 34 078,02 euros au titre de la modification de l'installation électrique, 287,50 euros au titre de l'intervention d'un tiers et 2 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors « qu' à l'égard de l'acquéreur professionnel, l'obligation de conseil du vendeur et de l'installateur n'existe que dans la mesure où la compétence de cet acquéreur ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques des biens vendus ; qu'en condamnant les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec au titre d'un manquement à leur devoir de conseil, pour ne pas avoir alerté la société Menuiserie L... sur l'inadéquation de son système électrique existant à l'alimentation du nouveau matériel acquis, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Menuiserie L..., en sa qualité d'acquéreur professionnel, ne disposait pas, au regard de son activité de menuiserie, des aptitudes requises pour se faire une idée exacte des caractéristiques techniques et des conditions d'utilisation du bien acheté, et ce d'autant qu'elle avait relevé que la société Menuiserie L... avait été informée de la puissance de l'installation et avait d'ailleurs demandé à la société Aspir Elec de lui proposer un démarreur progressif sur le moteur du ventilateur pour diminuer l'intensité électrique nécessaire au démarrage du moteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
5. Aux termes du texte précité, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
6. Pour dire que les sociétés PMB et Aspir élec ont manqué à leur devoir de conseil et, en conséquence, les condamner à réparer les préjudices invoqués par la société L..., l'arrêt relève, d'abord, que, selon l'expert judiciaire, la puissance d'un ventilateur d'aspiration est supérieure à la puissance de la plupart des machines-outils d'une menuiserie, de sorte que, lors de l'installation d'une aspiration dans une menuiserie, la question de la compatibilité de l'alimentation électrique doit être systématiquement posée, et que la société L... a été informée de la puissance de l'installation et a d'ailleurs demandé à la société Aspir élec de lui proposer un démarreur progressif sur le moteur du ventilateur, ce qui permet de diminuer l'intensité électrique nécessaire au démarrage du moteur. L'arrêt retient, ensuite, que le vendeur et l'installateur sont tenus non seulement d'informer l'acheteur, mais aussi de le conseiller et que, compte tenu de la puissance nécessaire au système d'aspiration, ils sont régulièrement confrontés au problème de la puissance électrique disponible chez leurs clients et doivent les alerter en cas d'insuffisance de l'alimentation existante. L'arrêt en déduit qu'en ne délivrant pas de conseils sur l'inadéquation du système électrique existant à l'alimentation du nouveau matériel, les sociétés PMB et Aspir élec ont manqué à leur devoir et engagé leur responsabilité contractuelle solidaire.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la société L..., en sa qualité d'acheteur professionnel, ne disposait pas, au regard de son activité de menuiserie, des moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du système d'aspiration qui lui a été livré et, partant, l'inadéquation de son installation électrique préexistante à l'installation de ce matériel, ce qui aurait dispensé le vendeur et l'installateur de toute obligation de conseil, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen unique, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Les sociétés PMB et Aspir élec font le même grief à l'arrêt, alors « que seul un préjudice en lien de causalité avec la faute peut être indemnisé ; qu'en condamnant en outre les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec à payer à la société Menuiserie L... la somme de 34 078,02 euros à titre de dommages-intérêts en tant que, s'il était certain que la menuiserie devait investir dans un système d'aspiration, elle devait intégrer l'ensemble des dépenses générées par cet investissement et, pour ce faire, être alertée sur l'inadéquation de son système électrique afin d'intégrer cette dépense dans son budget, quand il n'en résultait pas un lien de causalité entre la faute et le préjudice de la société Menuiserie L... correspondant au coût de la modification de l'alimentation électrique, soit 34 078,02 euros, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
9. Pour statuer comme il fait et, en conséquence, allouer à la société L... la somme de 34 078,02 euros en réparation de son préjudice correspondant au coût de la modification de son installation électrique, l'arrêt, après avoir relevé que la machine à aspiration a vocation à être utilisée simultanément avec les appareils de l'exploitation de la société L... afin d'être en conformité avec la législation relative au taux de poussière admissible, retient que, s'il est certain que la menuiserie devait investir dans un système d'aspiration, elle devait intégrer l'ensemble des dépenses générées par cet investissement et, pour ce faire, être alertée sur l'inadéquation de son système électrique afin d'intégrer cette dépense dans son budget. L'arrêt en déduit qu'il existe un lien de causalité entre la faute, liée à un manquement au devoir de conseil, et le préjudice subi à ce titre par la société L....
10. En statuant ainsi, alors que, même si les sociétés PMB et Aspir élec avaient dûment rempli leur devoir de conseil, la société L..., tenue d'installer un système d'aspiration afin de se conformer à la législation en vigueur, aurait dû, en tout état de cause, adapter son installation électrique préexistante afin d'assurer le bon fonctionnement du système d'aspiration obligatoire, de sorte que le préjudice invoqué au titre du coût de la modification de l'installation électrique était dépourvu de lien de causalité avec la faute imputée aux sociétés PMB et Aspir élec au titre de leur devoir de conseil, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement entrepris, il condamne la société Menuiserie L... à payer à la société Provence machines à bois le solde de la facture d'un montant de 10 000 euros, outre les intérêts légaux et la capitalisation desdits intérêts, l'arrêt rendu le 6 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société Menuiserie L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Menuiserie L... et la condamne à payer aux sociétés Provence machine à bois et Aspir élec la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour la société Provence machines à bois et la société Aspir Elec
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec avaient manqué à leur devoir de conseil et engagé leur responsabilité contractuelle à l'égard de la société Menuiserie L... et, en conséquence, d'AVOIR condamné solidairement les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec à payer à la société Menuiserie L... les sommes de 34.078,02 € au titre de la modification de l'installation électrique, 287,50 € pour l'intervention d'une société X... et 2.000 € en réparation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE l'obligation de conseil à laquelle est tenu le vendeur lui impose de s'informer des besoins de l'acheteur et d'informer son client de l'aptitude du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue ; qu'en l'espèce, la machine à aspiration a vocation à être utilisée simultanément avec les appareils de l'exploitation afin d'être en conformité avec la législation relative au taux de poussière admissible ; qu'il ressort des constatations de l'expert, qu'il convient d'entériner, que dans l'atelier de la menuiserie se trouvent 12 machines outils, chacune d'entre elle étant reliée au système d'aspiration ; qu'il existe également un atelier séparé avec du matériel permettant la fabrication de menuiseries aluminium ; que cet atelier, contigu à l'atelier bois, est alimenté à partir de la même armoire électrique ; que la société Menuiserie L... a précisé à l'expert que la simultanéité des machines est de une à deux en moyenne ; que l'expert note que le système d'aspiration correspond à l'offre et à la commande et qu'il a été correctement installé ; qu'il relève que la puissance d'un ventilateur d'aspiration est supérieure à la puissance de la plupart des machines outils d'une menuiserie ; qu'aussi, lors de toute installation d'une aspiration dans une menuiserie, la question de la compatibilité de l'alimentation électrique doit être systématiquement posée ; que l'offre de prix de la société Aspir Elec met clairement à la charge de la menuiserie les amenées électriques en courant triphasé jusqu'à l'armoire électrique du système d'aspiration, la mise à la terre du filtre écluse, du châssis, du ventilateur et de la tuyauterie ; qu'il est spécifié que la société Menuiserie L... doit fournir l'énergie nécessaire aux essais et au bon fonctionnement des moteurs et que la puissance du ventilateur est de 22 kW avec l'option « nouvel emplacement filtre » à laquelle se rajoute la puissance de l'écluse rotative soit 0,75 kW ; que la société Menuiserie L... a donc été informée de la puissance de l'installation ; qu'elle a d'ailleurs demandé à la société Aspir Elec de lui proposer un démarreur progressif sur le moteur du ventilateur, ce qui permet de diminuer l'intensité électrique nécessaire au démarrage du moteur ; que, néanmoins, le vendeur et l'installateur sont tenus non seulement d'informer l'acheteur mais aussi de le conseiller ; que compte tenu de la puissance nécessaire au système d'aspiration, ils sont régulièrement confrontés au problème de la puissance électrique disponible chez leurs clients et ils doivent les alerter en cas d'insuffisance de l'alimentation existante ; qu'en ne délivrant pas de conseils sur l'inadéquation du système électrique existant à l'alimentation du nouveau matériel, les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec ont manqué à leur devoir, engageant de ce fait leur responsabilité contractuelle solidaire ; que la modification de l'alimentation électrique est évaluée par l'expert au prix de 34.078,02 € ; que les intimés concluent au débouté de cette demande au motif que la menuiserie aurait dû en toute hypothèse exposer cette dépense puisqu'elle devait se mettre en conformité avec la législation anti poussière ; que s'il est certain que la menuiserie devait investir dans un système d'aspiration, elle devait intégrer l'ensemble des dépenses générées par cet investissement et, pour ce faire, être alertée sur l'inadéquation de leur système électrique afin d'intégrer cette dépense dans son budget ; qu'il existe donc un lien de causalité entre la faute et le préjudice de la menuiserie que les intimés doivent indemniser, ce qui représente la somme de 34.078,02 € correspondant au coût de la modification de l'alimentation électrique ; que la société Menuiserie L... sera en revanche déboutée de sa demande de réparation au titre du préjudice constitué par une perte de chiffre d'affaires, ne démontrant pas le lien de causalité entre ce préjudice, évalué selon ses propres estimations de temps perdu traduites comptablement, sans aucun justificatif venant à l'appui de ces estimations, et la faute commise par les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec ; que de même, la perte de données de commandes numériques sur une scie à format ne nécessite pas forcément le remplacement de l'écran et la société Menuiserie L... sera déboutée de sa demande en paiement de la somme de 3.526,60 € correspondant au devis de remplacement de l'écran de la scie à format ; que cette perte de données, due aux coupures de courant, a par contre conduit à l'intervention, le 2 décembre 2015, d'un technicien qui a facturé sa prestation à la somme de 287,50 € ; que les sociétés intimées devront réparer ce préjudice ; que le préjudice moral de la société Menuiserie L..., qui a été confrontée à un risque d'insécurité permanent depuis l'installation du système d'aspiration, sera justement évalué à la somme de 2.000 € (v. arrêt, p. 4 à 6) ;
1°) ALORS QU'à l'égard de l'acquéreur professionnel, l'obligation de conseil du vendeur et de l'installateur n'existe que dans la mesure où la compétence de cet acquéreur ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques des biens vendus ; qu'en condamnant les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec au titre d'un manquement à leur devoir de conseil, pour ne pas avoir alerté la société Menuiserie L... sur l'inadéquation de son système électrique existant à l'alimentation du nouveau matériel acquis, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Menuiserie L..., en sa qualité d'acquéreur professionnel, ne disposait pas, au regard de son activité de menuiserie, des aptitudes requises pour se faire une idée exacte des caractéristiques techniques et des conditions d'utilisation du bien acheté, et ce d'autant qu'elle avait relevé que la société Menuiserie L... avait été informée de la puissance de l'installation et avait d'ailleurs demandé à la société Aspir Elec de lui proposer un démarreur progressif sur le moteur du ventilateur pour diminuer l'intensité électrique nécessaire au démarrage du moteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE seul un préjudice en lien de causalité avec la faute peut être indemnisé ; qu'en condamnant en outre les sociétés Provence Machines à Bois et Aspir Elec à payer à la société Menuiserie L... la somme de 34.078,02 € à titre de dommages-intérêts en tant que, s'il était certain que la menuiserie devait investir dans un système d'aspiration, elle devait intégrer l'ensemble des dépenses générées par cet investissement et, pour ce faire, être alertée sur l'inadéquation de son système électrique afin d'intégrer cette dépense dans son budget, quand il n'en résultait pas un lien de causalité entre la faute et le préjudice de la société Menuiserie L... correspondant au coût de la modification de l'alimentation électrique, soit 34.078,02 €, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.