La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/03/2020 | FRANCE | N°19-11532

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 mars 2020, 19-11532


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 11 mars 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 188 FS-P+B

Pourvoi n° C 19-11.532

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MARS 2020

La Société des auteurs de jeux, société civile, dont le siège est [...

], a formé le pourvoi n° C 19-11.532 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'op...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 11 mars 2020

Rejet

Mme BATUT, président

Arrêt n° 188 FS-P+B

Pourvoi n° C 19-11.532

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 MARS 2020

La Société des auteurs de jeux, société civile, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° C 19-11.532 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Orange, société anonyme, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Société des auteurs de jeux, de la SARL Corlay, avocat de la société Orange, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 février 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mmes Duval-Arnould, Teiller, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mme Kerner-Menay, conseillers, M. Vitse, Mmes Le Gall, Kloda, M. Serrier, Mmes Champ, Comte, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 novembre 2018), la Société des auteurs de jeux (SAJE) a assigné en contrefaçon la société Orange, qui commercialise des abonnements multi-services comprenant un accès à Internet, un accès à la téléphonie et un accès à la télévision, lui reprochant d'avoir exploité, sans son autorisation, des oeuvres appartenant à son répertoire, à l'occasion de la retransmission simultanée, intégrale et sans changement d'oeuvres audiovisuelles incorporant les formats de jeux dont ses adhérents sont les auteurs.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur la première branche du moyen

Enoncé du moyen

3. La SAJE fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables, alors « que les sociétés de gestion collective de droit d'auteur régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres ; qu'à la suite d'une modification de ses statuts par assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014, la SAJE a statutairement la charge d'exercer, pour le compte de ses associés, auteurs d'oeuvres de jeux, et leurs ayants droit, « le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, en France et à l'étranger, la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire [...] ou non filaire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la négociation, la perception et la répartition de ces droits », ce droit lui étant apporté par ses associés du seul fait de leur adhésion à ses statuts, sauf limitation expresse lors de leur adhésion ou cas de démission ou de retrait partiel dans les conditions prévues à l'article X de ses statuts ; qu'il en résulte que la SAJE a légalement qualité pour agir en justice, au nom de tous les auteurs d'oeuvres de jeux qui ont adhéré, sans limitation d'apport, à ses statuts après le 21 octobre 2014, pour défendre leur droit de télédiffusion secondaire concernant les oeuvres qu'ils ont créées postérieurement à leur adhésion et celles pour lesquelles ils sont, à la date de leur adhésion, encore titulaires de ce droit ; qu'en retenant que la SAJE était irrecevable en ses demandes pour contrefaçon, faute pour elle de justifier détenir un « catalogue » d'oeuvres sur lequel elle disposerait des droits patrimoniaux lui permettant d'agir en contrefaçon à l'encontre de la société Orange pour des diffusions qu'elle n'aurait pas autorisées, et de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses, la cour d'appel a violé ensemble les articles 31 du code de procédure civile, L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de cette ordonnance. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, applicable en la cause, les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes régulièrement constituées ont qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge. Il s'ensuit qu'elles peuvent exercer une action en contrefaçon en cas d'atteinte aux droits patrimoniaux de leurs adhérents, à la condition, toutefois, que ceux-ci leur aient régulièrement fait l'apport de ces droits.

5. Après avoir constaté que, s'agissant des droits de retransmission dont la violation est invoquée, le catalogue de la SAJE était constitué des seuls droits patrimoniaux volontairement apportés par ses adhérents, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la recevabilité de son action était subordonnée à la démonstration de la réalité des apports dont elle se prévalait. Ayant relevé que l'article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle instituait, au profit du producteur d'une oeuvre audiovisuelle, une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation, elle en a exactement déduit que, pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de retransmission secondaire des formats de jeux incorporés dans les oeuvres audiovisuelles en cause, les auteurs de ces formats ne devaient pas, au moment de leur adhésion, s'être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur.

6. Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments qui lui étaient soumis, elle a estimé que la SAJE n'apportait pas la preuve, qui lui incombait, que les contrats de cession conclus par ses adhérents contenaient une clause contraire à la présomption légale édictée par le texte précité, de sorte que cet organisme de gestion collective n'était pas recevable à agir en contrefaçon.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la Société des auteurs de jeux aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société des auteurs de jeux et la condamne à payer à la société Orange la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la Société des auteurs de jeux

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes de la société des auteurs de jeux (SAJE) au titre de la contrefaçon de droits d'auteur faute de justifier de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur la recevabilité de l'action ;

Que l'article 31 du Code de procédure civile dispose que :
« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé » ;

Que la SAJE soutient la recevabilité de son action au vu de la seconde partie de cet article qui réserve les cas « dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie » au motif qu'elle détiendrait cette habilitation légale en vertu de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle en vigueur au jour de l'introduction de l'instance qui dispose que :
« Les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes sont constituées sous forme de sociétés civiles. Les associés doivent être des auteurs, des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes, des éditeurs, ou leurs ayants droit. Ces sociétés civiles régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge.
Les actions en paiement des droits perçus par ces sociétés civiles se prescrivent par cinq ans à compter de la date de leur perception, ce délai étant suspendu jusqu'à la date de leur mise en répartition » ;

Qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 321-2 du Code de la propriété intellectuelle, issu de l'ordonnance du 22 décembre 2016 portant transposition de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014, « les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant » ;

Qu'il n'est pas contesté, en l'espèce, que la SAJE est une société civile régulièrement constituée et que, dès lors, elle a qualité pour agir pour la défense des droits dont elle a statutairement la charge ;

Que le 6° alinéa de l'article IV de ses statuts énonce qu'elle a pour objet « la défense, y compris en justice, des droits dont elle a statutairement la charge » et ses statuts tels, que modifiés par les assemblées générales extraordinaires des 23 décembre 2011 et 21 octobre 2014, ont étendu son objet et ses apports aux droits relatifs à la retransmission simultanée, intégrale et sans changement des oeuvres par réseaux filaires ou non filaire de son catalogue qu'elle entend défendre par la présente instance ;

Que l'action exercée par la SAJE est, selon ses propres termes, une action en contrefaçon, étant effectivement précisé qu'il ne peut s'agir ni d'une action en paiement contractuelle puisqu'aucun contrat n'a été conclu entre la SAJE et la société ORANGE, ni d'une action en recouvrement fondée sur un titre de paiement exécutoire ;

Or l'action en contrefaçon est ouverte, aux termes de l'article L. 332-1, alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, à « tout auteur d'une oeuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause » ;

Qu'il s'agit d'une action réelle issue d'un droit de propriété intellectuelle appartenant à l'auteur ou ses ayants droit ou ayant cause ;

Que le droit patrimonial peut être cédé ou la gestion de ce droit apportée à une société de perception et de répartition (aujourd'hui dénommée organisme de gestion collective) mais il ne peut être cédé ou confié en gestion plus de droits qu'il n'en existe ;

Que si la SAJE est, au titre de l'article L. 321-1, devenu L. 321-2 du Code de la propriété intellectuelle, habilitée à exercer l'action en contrefaçon, encore faut-il pour que cette action soit recevable, qu'elle justifie qu'elle se fonde sur des droits qui lui ont été effectivement et régulièrement apportés par ses membres ;

Que dès lors notamment, si la titularité des droits des auteurs supposément apportés à la SAJE est contestée par le défendeur à l'action en contrefaçon, il appartient au demandeur d'en apporter la preuve, sauf à voir son action déclarée irrecevable ;

Que la titularité des droits de la SAJE sur le droit de retransmission secondaire de ses membres étant contestée en l'espèce, la recevabilité de son action est subordonnée à la démonstration de la réalité des apports invoqués ;

Or son catalogue, s'agissant des droits de retransmission secondaire, est constitué des seuls droits patrimoniaux volontairement apportés par ses adhérents déterminés par les statuts de la société et les bulletins d'adhésion des personnes physiques, auteurs d'oeuvres de jeux, devenant membres de la société SAJE ;

Comme ci-dessus rappelé, ce n'est qu'à compter de l'assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014 que l'article VII traitant des apports effectués à la société par ses adhérents a inclus les droits de retransmission simultanée, intégrale et sans changement des oeuvres ;

Qu'ainsi, avant cette date et s'agissant des auteurs ayant adhéré au vu des seuls statuts antérieurs, la SAJE ne pouvait se prévaloir des termes de l'article L. 321-1 du Code de la propriété intellectuelle pour agir en justice ;

Que, de plus, les retransmissions reprochées à la société ORANGE ne sont pas directement celles des formats de jeux susceptibles de constituer le répertoire de la SAJE mais des oeuvres audiovisuelles qui, tout au plus, incorporeraient les formats revendiqués ;

Que les jeux télévisés qui vont incorporer les formats de jeux sont des oeuvres composites au sens de l'article L. 113-2, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle ;

Qu'aux termes de l'article L. 113-7 :
« Ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre.
Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d'une oeuvre audiovisuelle réalisée en collaboration :
1° L'auteur du scénario ;
2° L'auteur de l'adaptation ;
3° L'auteur du texte parlé ;
4° L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre ;
5° Le réalisateur.
Lorsque l'oeuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'oeuvre nouvelle » ;

Que L'article L.132-24 institue quant à lui au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle appartenant aux coauteurs de celle-ci en disposant : « Le contrat qui lie le producteur aux auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, autres que l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles, emporte, sauf clause contraire et sans préjudice des droits reconnus à l'auteur par les dispositions des articles L. 111-3, L. 121-4, L. 121-5, L. 122-1 à L. 122-7, L. 123-7, L. 131-2 à L. 131-7, L. 132-4 et L. 132-7, cession au profit du producteur des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle » ;

Qu'ainsi et comme l'a justement retenu le tribunal, il en résulte que pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de télédiffusion secondaire des formats incorporés dans des oeuvres audiovisuelles, les auteurs de formats protégeables ne doivent pas, au moment de leur adhésion, s'être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle de jeu ;

Or, la SAJE n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une clause contractuelle contraire à la présomption légale dans les contrats conclus entre ses adhérents et leur producteur audiovisuel.

Qu'au contraire, il ressort de la lecture des trois contrats de cession de droit d'auteur qui avaient été produits à titre d'exemple en première instance par la SAJE et produits en cause d'appel par la société ORANGE que seulement un de ces contrats, celui conclu par Monsieur M... , contenait une clause de réserve au profit de la SAJE ;

Que les deux autres, conclus respectivement par Messieurs R... et I... n'en prévoyaient pas et un avenant avait été ultérieurement été conclu par Monsieur I... ;

Que dès lors, il y a lieu de dire que la SAJE ne justifie pas détenir un « catalogue » d'oeuvres sur lequel elle disposerait des droits patrimoniaux lui permettant d'agir en contrefaçon à l'encontre de la société ORANGE pour des diffusions qu'elle n'aurait pas autorisées ;

Que son action sera dès lors déclarée irrecevable et le jugement confirmé de ce chef ;

Qu'au vu de cette irrecevabilité, il n'y a pas lieu de juger de la question traitée par le tribunal relative au caractère protégeable ou non des formats de jeux qui relève du fond du droit » (cf. arrêt p. 6 à 8) ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE

« Il a été vu que l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle (ancien article L. 321-1, alinéa 2), permet à un organisme de gestion collective d'agir en justice en son nom propre pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge. Cette disposition est d'ailleurs reprise à l'article IV 6°) des statuts de la SAJE ;

Les apports consentis à la SAJE sont définis à l'article VII de ses statuts de la manière suivante :
« Du fait de leur adhésion aux statuts, les associés apportent à la société, pour la durée de la société, à titre exclusif pour tous pays, l'exercice, l'administration et la gestion des droits patrimoniaux d'auteur dont ils sont titulaires et qui entrent dans son objet statutaire. Les droits patrimoniaux ainsi apportés comprennent :
1°) La gérance du droit à rémunération pour copie privée et, plus généralement, du droit à percevoir toute rémunération due au titre du droit d'auteur en gestion collective obligatoire ainsi que toute rémunération due dans le cadre d'une licence légale, instaurées par le code de la propriété intellectuelle, le droit communautaire ou international.
Les apports en gérance des droits définis à l'article VII, 1°), al. 1er ci-dessus consistent dans le mandat exclusif donné à la société de veiller au respect des dispositions législatives et règlementaires, nationales, communautaires ou internationales, relatives à ces droits, de les exercer et de les administrer, directement ou par l'intermédiaire d'organismes constitués à cet effet, à travers la négociation, la perception et la répartition des rémunérations qui sont dues aux auteurs au titre de l'exercice de ces droits.
2°) Le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, en France et à l'étranger, la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire (câble, ADSL, ou toute autre technologie filaire) ou non filaire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la négociation, la perception et la répartition de la rémunération de ces droits.
En conséquence, la société peut seule conclure toute convention avec les tiers aux fins d'exercice, d'administration et de gestion des droits ainsi apportés.
En raison de leur caractère particulier, les droits que les associés apportent ainsi à la société ne concourent pas à la formation du capital social.
L'ensemble des droits définis aux articles VII, 1°) et 2°) ci-dessus, que chaque associé apporte à la société au moment de son adhésion, concerne tant les oeuvres créées à la date d'adhésion des associés, que celles qui le seront postérieurement à celle-ci ».

A supposer les formats protégeables par le droit d'auteur, l'apport du droit de télédiffusion secondaire étant expressément visé aux statuts de la SAJE, celle-ci a qualité à agir en contrefaçon pour la défense desdits droits, dès lors que l'existence de ces apports est acquise, et ce quelle que soit la qualification juridique de ceux-ci. En l'espèce, la titularité des droits de la SAJE sur le droit de retransmission secondaire de ses membres étant contestée, la recevabilité de son action est subordonnée à la démonstration de la réalité des apports invoqués, cette preuve ne se heurtant ici à aucune impossibilité matérielle au regard du nombre peu élevé d'auteurs concernés par les actes de contrefaçons allégués, c'est-àdire les retransmissions secondaires de programmes télévisuels de jeux par la société ORANGE depuis le 21 mars 2012 (42 auteurs, selon la pièce 2 E de la SAJE).

L'appréciation de l'existence des apports suppose en premier lieu, s'agissant d'une gestion collective dite volontaire, que la SAJE justifie que les auteurs de formats concernés par les exploitations litigieuses sont bien membres et lui ont bien fait apport de leurs droits de télédiffusion secondaire. Sur ces points, si la SAJE communique bien 42 actes d'adhésion (pièce 2 E), faute d'éléments permettant de faire le lien entre ces auteurs et les programmes de jeux ayant fait l'objet des diffusions litigieuses (pièce 6B), la preuve de l'appartenance des formats concernés à son répertoire n'est pas rapportée. De plus, plus de la moitié des bulletins d'adhésion produits sont antérieurs à la date de modification des statuts de la SAJE qui a étendu son objet social à l'exercice du droit de retransmission secondaire de ses membres et celle-ci ne justifie d'aucun avenant de ces auteurs confirmant l'apport du droit de retransmission secondaire postérieurement à l'extension de son objet social, ce qui s'agissant d'une gestion collective « volontaire », était pourtant indispensable.

En second lieu, à supposer ces premières conditions satisfaites, il appartiendrait à la SAJE d'établir que ces membres pouvaient valablement lui faire apport du droit en cause. Cette appréciation suppose de qualifier au préalable la nature des apports prévus aux statuts, sur laquelle les parties s'opposent, la SAJE affirmant qu'il s'agit d'une cession consentie à son profit tandis que la société ORANGE soutient que l'article IV 2°bis qui précise que le droit est exercé « pour le compte » des membres (« l'exercice, en France et à l'étranger, pour le compte ou entrant dans son répertoire et de leurs ayants droit, du droit exclusif d'autoriser la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire (câble, ADSL, ou toute autre technologie filaire) ou non filaire ») ainsi que le préambule de l'article IV, qui vise l'apport de « l'exercice, l'administration et la gestion des droits patrimoniaux d'auteur », et non l'apport du droit lui-même impliquent qu'il ne peut s'agir que d'un mandat confié à la SAJE par ces membres.

Cette dernière analyse ne peut cependant être retenue à plusieurs titres :
L'article VII 2° vise expressément l'apport du droit lui-même et non seulement de son exercice.

La précision du caractère particulier des droits apportés qui « ne concourent pas à la formation du capital social » renvoie à la particularité des apports en propriété opérés au profit d'organisme de gestion collective qui, nonobstant les termes de l'article 1832 et suivants du code civil, ne sont pas pour autant incorporés au capital social de la société.
L'apport des droits à la SAJE est subordonné, selon les mentions portées sur ses bulletins de déclaration, à l'insertion dans les contrats avec les producteurs d'une clause de réserve à son profit.

Il doit ainsi être retenu que les statuts de la SAJE prévoient un apport en propriété du droit de télédiffusion secondaire de ses membres.

Et, les parties s'accordent à reconnaître que les jeux télévisés issus des formats composant le répertoire de la SAJE sont, à supposer ces formats constitutifs d'oeuvres de l'esprit, des oeuvres audiovisuelles composites. Or, aux termes de l'article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l'oeuvre audiovisuelle est tirée d'une oeuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'oeuvre nouvelle ». Les auteurs des formats protégeables incorporés dans des oeuvres audiovisuelles sont donc, par l'effet de cette fiction légale, considérés comme coauteurs de celles-ci, quand bien même ils n'auraient pas concouru avec les autres coauteurs à l'élaboration du programme télévisuel. Et l'article L. 132-24 institue au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle appartenant aux coauteurs de celle-ci. Il en résulte que pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de télédiffusion secondaire des formats incorporés dans des oeuvres audiovisuelle, les auteurs de formats protégeables ne doivent pas, au moment de leur adhésion, s'être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur de l'oeuvre audiovisuelle de jeu.

Or, les trois exemples de contrats de cession de droit d'auteur produits aux débats démontrent précisément que les droits de retransmission secondaire des adaptations des formats sont bien inclus dans les cessions consenties aux producteurs des programmes audiovisuels de jeu (article 6 du contrat afférent au jeu SLAM du 18 juillet 2008 produit en pièce 8A, article 2 du contrat afférent au jeu « MOTZENBRIQUE » du 31 janvier 2011 produit en pièce 8B et article 2.A.2. du contrat afférent au jeu « Un mot peut en cacher un autre » du 3 octobre 2013), une rémunération étant par ailleurs prévue à ce titre au profit de l'auteur du format. Et, sur ces trois contrats, seuls deux contiennent une « clause de réserve » au profit de la SAJE de la gérance du « droit de retransmission simultanée, intégrale et sans changement par réseau filaire ou non filaire ». Ces éléments parcellaires démontrent ainsi que, contrairement à ce qu'elle affirme, la SAJE ne peut être cessionnaire des droits de télédiffusion secondaire sur tous les formats de son répertoire. Ainsi, faute pour elle de justifier de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses, ses demandes sont également irrecevables de ce chef » (cf. jugement p. 12 à 15) ;

1°/ ALORS QUE les sociétés de gestion collective de droit d'auteur régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres ; qu'à la suite d'une modification de ses statuts par assemblée générale extraordinaire du 21 octobre 2014, la SAJE a statutairement la charge d'exercer, pour le compte de ses associés, auteurs d'oeuvres de jeux, et leurs ayants droit, « le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, en France et à l'étranger, la retransmission simultanée, intégrale et sans changement de leurs oeuvres par réseau filaire [
] ou non filaire, notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d'une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d'émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la négociation, la perception et la répartition de ces droits », ce droit lui étant apporté par ses associés du seul fait de leur adhésion à ses statuts, sauf limitation expresse lors de leur adhésion ou cas de démission ou de retrait partiel dans les conditions prévues à l'article X de ses statuts ; qu'il en résulte que la SAJE a légalement qualité pour agir en justice, au nom de tous les auteurs d'oeuvres de jeux qui ont adhéré, sans limitation d'apport, à ses statuts après le 21 octobre 2014, pour défendre leur droit de télédiffusion secondaire concernant les oeuvres qu'ils ont créées postérieurement à leur adhésion et celles pour lesquelles ils sont, à la date de leur adhésion, encore titulaires de ce droit ; qu'en retenant que la SAJE était irrecevable en ses demandes pour contrefaçon, faute pour elle de justifier détenir un « catalogue » d'oeuvres sur lequel elle disposerait des droits patrimoniaux lui permettant d'agir en contrefaçon à l'encontre de la société Orange pour des diffusions qu'elle n'aurait pas autorisées, et de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses, la cour d'appel a violé ensemble les articles 31 du code de procédure civile, L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de cette ordonnance ;

2°/ ALORS QUE les sociétés de gestion collective de droits d'auteur régulièrement constituées ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres ; qu'elles ont en conséquence qualité à agir en contrefaçon en cas d'atteinte à l'un des droits patrimoniaux d'auteur dont elles ont statutairement la charge et dont leurs membres leur ont fait apport ; qu'en retenant en l'espèce que la SAJE était irrecevable en son action, faute pour elle d'apporter la preuve, dans les contrats conclus entre ses adhérents et leur producteur audiovisuel, d'une clause contractuelle contraire à la présomption de cession de leurs droits, prévue par l'article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle au profit du producteur, tout en constatant que le contrat conclu par M. M... contenait une clause de réserve au profit de la SAJE et que celui conclu par M. I... avait fait l'objet d'un avenant en ce sens, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 31 du code de procédure civile, L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de cette ordonnance ;

3°/ ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, le contrat conclu par M. R..., membre de la SAJE, avec le producteur audiovisuel, la société Effervescence, prévoit expressément en son article 12 qu' « en ce qui concerne l'exploitation télévisuelle [
] le PRODUCTEUR s'engage à rappeler aux télédiffuseurs, installés ou dont les Programmes sont télédiffusés, en France, Belgique, Suisse, Canada, Principauté de Monaco, Luxembourg, que l'exécution des obligations souscrites à son égard ne dégage pas lesdits télédiffuseurs des obligations qu'ils ont ou devront contracter avec les sociétés d'auteurs auxquelles l'auteur est affilié ou les sociétés les représentant » et qu' « en ce qui concerne plus particulièrement la télédiffusion par câble simultané, intégrale et passive, les droits y afférents sont et seront gérés dans le cadre des accords conclus directement ou indirectement par les sociétés d'auteurs auxquelles l'AUTEUR est affilié » ; qu'en retenant néanmoins que ce contrat ne contenait pas une clause de réserve au profit de la SAJE, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation du principe précité ;

4°/ ALORS QUE la qualité et l'intérêt à agir ne sont pas subordonnés à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du droit ou du préjudice invoqué n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès ; qu'en déclarant en l'espèce la SAJE irrecevable à agir en contrefaçon contre la société Orange faute pour elle « de justifier de la réalité des apports dont elle se prévaut pour les formats concernés par les diffusions litigieuses », la cour d'appel, qui a ainsi subordonné la recevabilité à agir de la SAJE à la démonstration du bien-fondé de son action, à savoir l'atteinte concrètement portée par la société Orange du fait des diffusions incriminées à l'un des droits de retransmission secondaire dont la SAJE a statutairement la charge, a encore violé les articles 31 du Code de procédure civile, L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de cette ordonnance.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-11532
Date de la décision : 11/03/2020
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - Sociétés de perception et de répartition des droits - Société de perception et de répartition des droits des artistes-interprètes - Défense des droits individuels d'un artiste-interprète - Action en justice - Exercice - Pouvoir - Nécessité

Selon l'article L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016, applicable en la cause, les sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes régulièrement constituées ont qualité pour agir en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge. Il s'ensuit qu'elles peuvent exercer une action en contrefaçon en cas d'atteinte aux droits patrimoniaux de leurs adhérents, à la condition, toutefois, que ceux-ci leur aient régulièrement fait l'apport de ces droits. Dès lors, c'est à bon droit qu'après avoir relevé que l'article L. 132-24 du code de la propriété intellectuelle instituait, au profit du producteur d'une oeuvre audiovisuelle, une présomption de cession des droits exclusifs d'exploitation, une cour d'appel a décidé que la recevabilité de la Société des auteurs de jeux à agir pour la défense des droits de retransmission secondaire de formats de jeux incorporés dans des oeuvres audiovisuelles était subordonnée à la démonstration que les auteurs de ces formats ne s'étaient pas, au moment de leur adhésion, déjà dessaisis de leurs droits au profit du producteur


Références :

articles L. 132-24 et L. 321-1 du code de la propriété intellectuelle, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 novembre 2018

A rapprocher :1re Civ., 29 mai 2013, pourvoi n° 12-16583, Bull. 2013, I, n° 113 (cassation partielle)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 11 mar. 2020, pourvoi n°19-11532, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SARL Corlay

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.11532
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award