LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 295 F-D
Pourvoi n° B 19-14.245
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 MARS 2020
M. T... J..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° B 19-14.245 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat de M. J..., de Me Le Prado, avocat du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 janvier 2019) et les productions, après le décès d'X... F... survenu le 14 octobre 2006, des suites d'une pathologie dont le lien avec son exposition à l'amiante a été médicalement constatée le 22 novembre 2006, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA), par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 22 juillet 2010, 6 août 2010, 26 septembre 2013, 18 juin 2014, 24 octobre 2016 et 19 janvier 2017, a notifié à sa veuve Mme Y... B..., ses fils MM. FQ..., CK..., U... et Q... F..., ses filles Mmes I... P..., L... C..., L... K..., A... R..., H... F..., ses petits-fils MM. E... C..., V... C..., M... F..., S... F..., U... D..., N... F..., OG... F... et HP... F... et ses petites-filles Mmes MN... C..., GJ... P..., KE... P..., RR... K..., JE... R..., H... F..., L... TZ..., JE... UD..., BT... AN... OR... FT..., TM... F..., GY... F..., V... MX... et L... D... (les consorts F...) diverses offres d'indemnisation au titre de leurs préjudices personnels, ainsi qu'au titre de l'action successorale, pour le préjudice fonctionnel et les préjudices extrapatrimoniaux du défunt, lesquelles ont été acceptées sans réserve.
2. Par lettre reçue le 4 décembre 2017 par le FIVA, M. T... J..., petit-fils du défunt, a saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de son préjudice moral et d'accompagnement.
3. Le FIVA ayant, le 16 février 2018, rejeté cette demande qu'il estimait prescrite, M. T... J... a formé un recours contre cette décision, le 9 mai 2018.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. T... J... fait grief à l'arrêt de le déclarer mal fondé en son recours, confirmant ainsi la décision de rejet du FIVA, alors :
« 1°/ qu'en introduisant, par la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, dans la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, un article 53, III bis, le législateur a entendu évincer le régime spécial de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissement publics, pour lui substituer le régime de prescription de droit commun, ainsi aménagé ; qu'en retenant qu'à défaut de précision dans l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000 quant aux causes interruptives et suspensives du délai de prescription, ces causes relèvent toujours des articles 2 à 3 de la loi du 31 décembre 1968 puisque la loi du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime et notamment pas les motifs d'interruption, la cour d'appel a violé lesdites textes ;
2°/ que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ; qu'en retenant que les offres du FIVA ne constituaient pas des causes interruptives du délai de prescription décennale applicable, la cour d'appel a violé les articles 2240 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
3°/ que l'effet interruptif du délai de prescription de dix ans attaché à la demande formée devant le FIVA par des ayants droit d'une victime décédée des suites d'une maladie causée par l'amiante en vue de l'indemnisation du préjudice subi par leur auteur et de leur préjudice personnel bénéficie aux autres ayants droit sollicitant l'indemnisation de leur préjudice ; qu'en retenant que la saisine du Fonds par les proches de la victime est sans effet sur la prescription de l'action pouvant appartenir à d'autres proches de la même victime, tous étant des tiers les uns par rapport aux autres, de sorte que l'effet interruptif de prescription n'a qu'un effet relatif à l'égard de celui qui est l'auteur de l'acte interruptif sans pouvoir bénéficier aux autres ayants droit et encore moins rouvrir un quelconque nouveau délai au profit d'un nouveau demandeur tiers à la procédure initiale, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000. »
Réponse de la Cour
5. Les causes d'interruption et de suspension de la prescription de dix ans applicable aux actions en indemnisation des victimes de l'amiante par le FIVA, en vertu de l'article 53, III bis de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, sont régies par les dispositions du code civil. Il résulte, d'une part, de l'article 2240 du code civil, que la reconnaissance, par le débiteur, du droit de celui contre lequel il prescrit ne bénéficie qu'au créancier concerné par cette reconnaissance, d'autre part, de l'article 2241 du code civil, que la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l'on veut empêcher de prescrire.
6. L'arrêt relève que M. T... J... n'a pas saisi le FIVA au cours du délai de prescription de dix ans ouvert à compter du 22 novembre 2006, puisque son seul formulaire d'indemnisation était en date du 15 novembre 2017, faisant ressortir l'absence de demande présentée au FIVA et d'offre d'indemnisation adressée à M. T... J... avant le 22 novembre 2016.
7. Il en résulte que la demande d'indemnisation présentée par M. T... J... était prescrite, les demandes formées par les consorts F... et les offres du FIVA dont ils étaient destinataires n'ayant pu interrompre le cours de la prescription à son égard.
8. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. T... J... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. T... J... et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour M. J...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré M. J... mal fondé en son recours, confirmant ainsi la décision de rejet du FIVA
AUX MOTIFS QU'il convient d'observer en premier lieu que les parties s'accordent pour voir fixer au 22 novembre 2006 le point de départ du délai de prescription décennale de leur droit à indemnisation, laquelle date correspond à celle du certificat médical ayant établi le lien entre le décès de X... F... et son exposition à l'amiante ; qu'au soutien de sa contestation, T... J... expose que le délai de prescription opposable à sa demande d'indemnisation de son préjudice personnel a été interrompu par l'offre présentée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante le 22 juillet 2010 au sens de l'article 2240 du code civil, que le règlement partiel de la créance interrompt la prescription, et qu'il dispose dès lors à raison de cette interruption, d'un délai qui expire le 22 juillet 2020 puisqu'une reconnaissance partielle du droit du créancier a un effet interruptif pour la totalité de la créance et conséquemment pour l'ensemble des ayants droit du défunt ; que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante s'oppose à ces prétentions ; qu'en application de l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000, le droit à indemnisation par le Fonds des victimes de l'amiante se prescrit désormais par 10 ans, en cas de décès, à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et l'exposition à l'amiante ; que compte tenu de cette prescription décennale, le délai dont disposait T... J... pour solliciter son indemnisation a normalement expiré le 22 novembre 2016 ; qu'T... J... argue que les offres d'indemnisation partielles du Fonds à l'égard des autres ayants droit ont interrompu la prescription ; que la Cour observe qu'T... procède à une confusion juridique entre le droit à réparation intégrale des victimes de l'amiante qui peut conduire le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, régulièrement saisi dans le délai de 10 ans évoqué supra, à présenter des offres d'indemnisation dont la réalisation matérielle pour satisfaire au principe de réparation intégrale, est de nature à dépasser le délai de 10 ans, sous la condition préalable qu'elles aient bien été présentées dans ledit délai, et une offre présentée ex nihilo par un ayant droit du défunt qui présente une demande pour son propre compte de manière totalement nouvelle et hors du délai de 10 ans comme c'est le cas en l'espèce ; qu'à défaut de précision dans l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000 quant aux causes interruptives et suspensives du délai de prescription, ces causes relèvent toujours des articles 2 à 3 de la loi du 31 décembre 1968 puisque la loi du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime et notamment pas les motifs d'interruption ; qu'il convient de rappeler que les offres du Fonds ne constituent pas des causes interruptives du délai de prescription décennale applicable ; que la réparation des préjudices à laquelle le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est tenu au titre de la réparation intégrale pour chaque victime le saisissant ne peut concerner que des postes de préjudices effectivement subis par le ou les demandeurs et dont il leur appartient de rapporter la preuve en les identifiant précisément ; que c'est ainsi que l'article 15 du décret du 23 octobre 2001 mentionne que « l'évaluation des préjudices est effectuée par le FIVA au regard des éléments dont il dispose » ; qu'il s'en induit que1'offre d'indemnisation du Fonds est nécessairement déterminée par le champ de sa saisine au regard des demandes qui lui sont présentées ; qu'T... J... n'est pas en mesure de justifier aux débats avoir personnellement saisi le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au cours du délai de dix ans qui a été ouvert à compter du 22 novembre 2006, en présentant une quelconque demande de réparation de son préjudice personnel et d'accompagnement, puisque le seul formulaire d'indemnisation qu'il a rempli est en date du 15 novembre 2017 ; que pour produire un effet interruptif de prescription, encore aurait-il fallu qu'T... J... adresse au Fonds, lorsque celui-ci a procédé à l'instruction des demandes des autres membres de sa famille, des éléments suffisants pour établir a minima la pertinence de sa demande et de déterminer l'étendue de son préjudice ; qu'or le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a pas été saisi par T... J... d'une demande d'indemnisation de son préjudice avant novembre 2017 et T... J... n'a pas davantage avant cette date et surtout pas avant le 22 novembre 2016 adressé au Fonds les éléments permettant d'évaluer le préjudice dont il se prévaut désormais par l'effet de cette demande tardive ; que tous les bénéficiaires des offres d'indemnisation du Fonds ont au demeurant accepté celles-ci, sans émettre de réserves à leur endroit, ni venir soutenir qu'un des ayants droit en la personne d'T... J... n'avait pas présenté de demande, et réinterroger le Fonds à cette fin, ce dont il s'évince que le Fonds est recevable à venir soutenir qu'il était totalement dans l'ignorance de l'existence de celui-ci ; qu'en outre, la reconnaissance du droit à indemnisation d'T... J... au titre de son préjudice personnel est une action totalement distincte et autonome de celles liées aux préjudices subis par X... F... de son vivant et de celles liées au titre des préjudices personnels de chacun des autres ayants droit ; que c'est ainsi que la saisine du Fonds par les proches de la victime est sans effet sur la prescription de l'action pouvant appartenir à d'autres proches de la même victime, tous étant des tiers les uns par rapport aux autres, de sorte que l'effet interruptif de prescription n'a qu'un effet relatif à l'égard de celui qui est l'auteur de l'acte interruptif sans pouvoir bénéficier aux autres ayants droit et encore moins rouvrir un quelconque nouveau délai au profit d'un nouveau demandeur tiers à la procédure initiale ; que c'est à bon droit que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a considéré que la demande T... J... présentée selon requête en date du 28 novembre 2017 était désormais prescrite ;
1°) ALORS QU'en introduisant, par la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010, dans la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, un article 53, III bis, le législateur a entendu évincer le régime spécial de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissement publics, pour lui substituer le régime de prescription de droit commun, ainsi aménagé ; qu'en retenant qu'à défaut de précision dans l'article 53-III bis de la loi du 23 décembre 2000 quant aux causes interruptives et suspensives du délai de prescription, ces causes relèvent toujours des articles 2 à 3 de la loi du 31 décembre 1968 puisque la loi du 20 décembre 2010 n'a pas modifié la nature de la prescription ni les autres éléments de son régime et notamment pas les motifs d'interruption, la cour d'appel a violé lesdites textes.
2°) ALORS QUE la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ; qu'en retenant que les offres du FIVA ne constituaient pas des causes interruptives du délai de prescription décennale applicable, la cour d'appel a violé les articles 2240 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000.
3°) ALORS QUE l'effet interruptif du délai de prescription de dix ans attaché à la demande formée devant le FIVA par des ayants droit d'une victime décédée des suites d'une maladie causée par l'amiante en vue de l'indemnisation du préjudice subi par leur auteur et de leur préjudice personnel bénéficie aux autres ayants droit sollicitant l'indemnisation de leur préjudice ; qu'en retenant que la saisine du Fonds par les proches de la victime est sans effet sur la prescription de l'action pouvant appartenir à d'autres proches de la même victime, tous étant des tiers les uns par rapport aux autres, de sorte que l'effet interruptif de prescription n'a qu'un effet relatif à1'égard de celui qui est l'auteur de l'acte interruptif sans pouvoir bénéficier aux autres ayants droit et encore moins rouvrir un quelconque nouveau délai au profit d'un nouveau demandeur tiers à la procédure initiale, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, ensemble l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000.