LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 289 F-D
Pourvoi n° P 19-10.323
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 MARS 2020
M. G... C..., domicilié [...] , assisté de sa curatrice Mme E... C..., [...] , a formé le pourvoi n° P 19-10.323 contre l'arrêt rendu le 8 novembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ au Bureau central français, dont le siège est [...] , représentant la société d'assurance de droit autrichien Hannover international,
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne, dont le siège est [...] ,
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de M. C..., de la SCP Ohl et Vexliard, avocat du Bureau central français, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 novembre 2018), le 5 janvier 2001, M. C..., alors âgé de dix-neuf ans, a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule poids-lourd assuré auprès d'une société de droit autrichien représentée en France par le Bureau central français (le BCF).
2. M. C... a conservé des séquelles sur le plan neuro-psychologique rendant nécessaire l'aide quotidienne d'une tierce personne et son placement sous curatelle.
3. Par arrêt du 26 juin 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Versailles, statuant sur intérêts civils après qu'un tribunal correctionnel eût reconnu un prévenu coupable de blessures involontaires et l'eût déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident, a évalué les préjudices subis par la victime notamment au titre de la tierce personne permanente et a condamné la société de droit autrichien représentée par le BCF, solidairement avec le prévenu et la société ayant immatriculé le véhicule, à lui verser ces sommes.
4. Les 21, 24 et 25 octobre 2016, M. C... et sa curatrice, Mme C..., ont assigné le BCF en paiement de nouvelles sommes au titre de la tierce personne, en présence des caisses primaires d'assurance maladie de la Gironde et de la Côte d'Opale.
Examen des moyens
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
6. M. C... fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables eu égard à l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007, alors :
« 1°/ que la victime d'un accident qui a déjà été indemnisée par une décision définitive au titre du préjudice d'assistance d'une tierce personne peut néanmoins solliciter une indemnisation complémentaire en raison d'une aggravation situationnelle en démontrant que ses conditions d'existence ont, depuis lors été modifiées ; qu'un « nouveau choix de vie de la victime ouvre une nouvelle séquence temporelle génératrice de nouveaux chefs de préjudice indemnisables ; qu'en affirmant au contraire que le choix de vie effectué par Monsieur C... « ne saurait constituer une aggravation "situationnelle" ou "sociologique" du dommage, puisqu'elle dépend de la seule volonté de la victime », la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, et 22 de la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, ensemble les articles 1351 du code civil devenu 1355 du même code et 480 du code de procédure civile ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée attachée à une décision de justice définitive ne s'oppose pas à ce qu'une victime d'un accident déjà indemnisée sollicite une indemnisation complémentaire, lorsque les circonstances au vu desquelles son préjudice « tierce personne » ont été évaluées ont été modifiées ; qu'il résulte expressément de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Versailles du 26 juin 2007 que le préjudice « tierce personne » de Monsieur C... a été évalué en tenant pour acquis que celui-ci ne vivrait jamais seul, qu'il bénéficierait de l'aide de ses parents et effectuerait des séjours en centre spécialisé ; qu'en déclarant les demandes de Monsieur C... irrecevables eu égard à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007, après avoir admis que ses conditions d'existence avaient été modifiées, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, et 22 de la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, ensemble les articles 1351 du code civil devenu 1355 du même code et 480 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer irrecevables les demandes formées par M. C... assisté de sa curatrice Mme C..., l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient notamment qu'aucune aggravation de l'état de santé de M. C... n'est alléguée, que le besoin d'assistance n'a pas varié et que le fait que les conditions de vie prises en compte par la première décision du 26 juin 2007 aient évolué ne constitue pas une aggravation du préjudice.
8. De ces constatations et énonciations, faisant ressortir que le préjudice dont il était demandé réparation ne résultait pas d'une aggravation et ne constituait pas un préjudice nouveau qui n'aurait pu être pris en compte par la première décision, la cour d'appel a exactement déduit que les demandes de M. C... se heurtaient à l'autorité de la chose jugée et étaient irrecevables.
9. Le moyen, inopérant en sa première branche qui critique des motifs surabondants de l'arrêt, n'est donc pas fondé en sa deuxième branche.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. C..., assisté de sa curatrice Mme C..., aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. C... assisté de sa curatrice Mme C....
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré les demandes de Monsieur G... C..., assisté de sa curatrice, Madame E... C..., irrecevables eu égard à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le tribunal a retenu qu'il y avait bien, par rapport à l'arrêt du 26 juin 2007, identité de chose demandée, soit la réparation du préjudice relatif à la tierce personne à la suite des séquelles constatées dans le rapport d'expertise du docteur Y... du 22 décembre 2003, identité de parties, et identité de fondement juridique, soit la loi du 5 juillet 1985 ; que le tribunal a en outre relevé qu'il n'était fait état d'aucune aggravation de l'état de santé de M. C..., au sens de l'article 22 de cette loi, et que l'aggravation sociologique du dommage n'était pas prévue par ce texte ; que M. C... et sa curatrice exposent que le premier vit désormais dans un appartement aménagé par ses parents à Bordeaux, et ne se rend au domicile de ses parents que ponctuellement ; qu'il considère que, son besoin au titre de la tierce personne étant toujours le même, soit 24 heures sur 24, alors que ses conditions de vie ont changé, puisqu'il ne bénéficie plus de l'aide de ses parents, qu'il existe une aggravation sociologique de sa situation, ou aggravation situationnelle, justifiant que soit revu le financement de ce besoin, qui n'avait été réparé en 2007 que par la somme de 650 000 euros, et en fonction d'une situation familiale qui n'existe plus ; qu'il fait valoir qu'exerçant sa liberté de choix de son domicile et de sa vie, dont il n'a pas à rendre compte, mais son besoin d'assistance étant demeuré constant, il est en droit d'obtenir une indemnisation lui permettant de rémunérer un prestataire de services à la personne ; que le BCF expose que, survenu en 2001, l'accident ne relève ni de la nomenclature Dintilhac, ni des jurisprudences récentes relatives à la tierce personne ; qu'il rappelle les conclusions du rapport d'expertise du docteur Y..., aux termes duquel M. C... "pourra vivre dans sa famille et dans un Centre, mais ne pourra vivre seul ; qu'il a besoin pour vivre d'une aide type tierce personne "active" 3 à 4 heures par jour et a besoin d'une surveillance constante le reste du temps" ; qu'il souligne que l'appelant conteste l'appréciation d'un préjudice qui a été fixé sur la base de ce rapport, et se heurte à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007, laquelle est générale et absolue, à supposer même que sa solution fût erronée ; qu'il ajoute qu'ont été allouées par cette décision, outre l'indemnité au titre de la tierce personne, la somme de 94.565,64 euros au titre de l'aménagement spécifique d'une pièce de la maison familiale, et celle de 84 766,77 euros au titre de l'aménagement d'un véhicule. Il observe que la CPAM de l'Orne, devenue la CPAM du Calvados est tout aussi irrecevable en ses demandes, qui ne tiennent pas compte des paiements intervenus en exécution de l'arrêt de 2007 ; qu'il résulte d'un rapport amiable d'ergothérapie du 20 mai 2016 que M. C... vit depuis 2010 au centre de Bordeaux, dans un appartement proche d'un centre spécialisé dans l'accueil de personnes présentant le même type de handicap que lui, et qu'il bénéficie de l'assistance, éventuellement mutualisée, d'un personnel formé, selon une formule tendant à lui permettre une autonomie maximale compte tenu des contraintes liées à ses séquelles (assistance pour la toilette, l'habillage, la préparation des repas, les soins ménagers, les courses, accompagnement pour les sorties à l'extérieur, etc) ; que la cour adopte sans aucune réserve les motifs pertinents par lesquels le tribunal a déclaré la demande irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007 ; qu'elle ajoutera, sur l'objet de la demande, qu'il n'est pas soutenu que le besoin en tierce personne se serait aggravé, puisqu'il est au contraire indiqué qu'il est resté constant ; que sans qu'il soit question de contester le droit de M. C... à organiser sa vie comme il l'entend, notamment en décidant de vivre dans un appartement indépendant et non plus chez ses parents, cette circonstance, qui résulte d'un choix de vie qui n'a pas à être apprécié, ne saurait constituer une aggravation "situationnelle" ou "sociologique" du dommage, puisqu'elle dépend de la seule volonté de la victime, laquelle n'a pas, non plus, à rendre compte de l'emploi des indemnités qui lui sont allouées, et qui ont été appréciées sur la base d'un besoin d'assistance dont il est expressément indiqué qu'il n'a pas varié ; que s'il est vrai que la cour a évoqué dans sa motivation de 2007, une situation familiale qui a depuis lors évolué, il doit être souligné que l'indemnisation définitive d'un préjudice constitué par une perte d'autonomie, et le besoin d'assistance qui lui est corrélatif, supposent nécessairement une projection dans le temps, en sorte que les conditions de vie prises en compte au moment de la décision sont nécessairement contingentes ; qu'en tout état de cause, leur évolution, qui montre une amélioration de l'état de M. C... dont on ne peut que se réjouir, ne peut constituer une aggravation du préjudice, lequel est constitué par le besoin d'assistance et n'a pas varié, seules les modalités de sa prise en charge s'étant modifiées, ce qui est différent ; que par ailleurs, le BCF souligne à juste titre qu'une partie à une décision de justice passée en force de chose jugée ne peut être admise à la remettre en cause au seul motif qu'une jurisprudence ou un mode de calcul de la réparation d'un préjudice plus favorables seraient nés depuis lors, sous peine de porter gravement atteinte à la sécurité juridique qui doit être attendue d'une décision devenue définitive ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, selon l'article 480 du code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé l'autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche ; que le principal s'entend de l'objet du litige tel qu'il est déterminé par l'article 4 : que l'article 1351 du code civil précise que l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elle et contre elle en la même qualité ; qu'en l'espèce la Cour d'appel de VERSAILLES, dans son arrêt du 26 juin 2007, actuellement définitif, a indemnisé les postes de préjudice relatif à la tierce personne en prenant en considération les séquelles décrites par le docteur Y... et leurs conséquences sur la vie quotidienne de monsieur G... C... ; qu'il y a donc identité de chose demandée ; qu'il a déjà été jugé que monsieur G... C... avait la qualité de partie à ce premier jugement et l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles qui l'a décidé a l'autorité de la chose jugée sur ce point ; qu'il y a donc identité de parties ; qu'en ce qui concerne le fondement, il s'agit au cas présent comme en 2007 de l'application de la loi du 05 juillet 1985 ; que l'article 22 de ce texte ouvre à la victime la possibilité de demander réparation de l'aggravation du dommage qu'elle a subi, à l'assureur qui a versé l'indemnité ; que le cas de l'aggravation sociologique n'est pas prévu ; qu'aucune aggravation de l'état de santé de ce dernier n'est alléguée et c'est le même rapport d'expertise qui est allégué ; que l'usage d'un barème de capitalisation consiste par principe à opérer une projection sur l'avenir à partir de la situation de la personne victime au moment où le Tribunal statue ; que le fait que cette dernière ait décidé de modifier ses conditions de vie, montrant ainsi que ses perspectives d'accès à l'autonomie se sont améliorées, ne peut constituer un cas d'aggravation au sens de l'article 22 de la loi du 5 juillet 1985 ; qu'il y a donc bien identité de fondement et les demandes de monsieur G... C... et de madame E... C... sont donc irrecevables ;
1°) ALORS QUE la victime d'un accident qui a déjà été indemnisée par une décision définitive au titre du préjudice d'assistance d'une tierce personne peut néanmoins solliciter une indemnisation complémentaire en raison d'une aggravation situationnelle en démontrant que ses conditions d'existence ont, depuis lors été modifiées ; qu'un « nouveau choix de vie de la victime ouvre une nouvelle séquence temporelle génératrice de nouveaux chefs de préjudice indemnisables ; qu'en affirmant au contraire que le choix de vie effectué par Monsieur C... « ne saurait constituer une aggravation "situationnelle" ou "sociologique" du dommage, puisqu'elle dépend de la seule volonté de la victime », la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, et 22 de la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, ensemble les articles 1351 du code civil devenu 1355 du même code et 480 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée attachée à une décision de justice définitive ne s'oppose pas à ce qu'une victime d'un accident déjà indemnisée sollicite une indemnisation complémentaire, lorsque les circonstances au vu desquelles son préjudice « tierce personne » ont été évaluées ont été modifiées ; qu'il résulte expressément de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Versailles du 26 juin 2007 que le préjudice « tierce personne » de Monsieur C... a été évalué en tenant pour acquis que celui-ci ne vivrait jamais seul, qu'il bénéficierait de l'aide de ses parents et effectuerait des séjours en centre spécialisé ; qu'en déclarant les demandes de Monsieur C... irrecevables eu égard à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 26 juin 2007, après avoir admis que ses conditions d'existence avaient été modifiées, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil, devenu 1240 du même code, et 22 de la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, ensemble les articles 1351 du code civil devenu 1355 du même code et 480 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, Monsieur C... faisait valoir que si son besoin en tierce personne évalué par l'arrêt du 26 juin 2007 comme un besoin permanent 24h/24 est constant, il ne réside plus chez ses parents et ne peut donc plus bénéficier de leur aide ni de séjours en centres spécialisés avant d'en conclure qu'il « justifie d'une aggravation de son préjudice puisque ses parents ne peuvent plus l'aider et (qu')il ne va plus dans les centres spécialisés » ; qu'ainsi, Monsieur C... a toujours soutenu qu'à la suite de son installation dans un logement indépendant, il ne pouvait plus bénéficier de l'assistance gratuite d'une tierce personne ; que, dès lors en affirmant qu'il n'est pas soutenu que le besoin en tierce personne se serait aggravé, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.