LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 février 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 229 F-D
Pourvoi n° M 19-11.310
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020
Mme X... H...-P..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° M 19-11.310 contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à la société Editions Gallimard la nouvelle revue française, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme H...-P..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Editions Gallimard la nouvelle revue française, et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 novembre 2018), Mme H...-P... a interjeté appel le 3 octobre 2016 d'un jugement d'un conseil de prud'hommes rendu dans un litige l'opposant à la société Editions Gallimard.
2. Mme H...-P... a déposé ses premières conclusions d'appelante le 11 janvier 2017.
3. Le 9 février 2017, le président de la chambre a, au visa des articles 905 et 760 à 762 du code de procédure civile, fixé un calendrier de procédure.
4. Après avoir conclu au fond, la société Editions Gallimard a saisi le président de la chambre agissant en qualité de conseiller de la mise en état d'une demande tendant à voir prononcer la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 908 du code de procédure civile.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Mme H...-P... fait grief à l'arrêt de dire que la déclaration d'appel est caduque en application de l'article 908 du code de procédure civile, alors : « que les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité de la déclaration d'appel après dessaisissement du conseiller de la mise en état, à moins que la cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement ; qu'en retenant, sur demande de la société Editions Gallimard formée pour la première fois par conclusions du 26 juillet 2018, la caducité de la déclaration d'appel de Mme G... du 3 octobre 2016 faute de dépôt des conclusions d'appelant avant le 3 janvier 2017, quand l'ordonnance du président de chambre de la cour d'appel du 9 février 2017 ayant fixé l'affaire à bref délai en application de l'article 905 du code de procédure civile, emportait nécessairement dessaisissement du conseiller de la mise en état et que la société Editions Gallimard était dès lors irrecevable, après cette date, à soulever la caducité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 905 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 6 mai 2017, ensemble l'article 914 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 905 et 914 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 :
7. Selon ces textes, dès qu'une affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre saisie, en cas d'urgence ou si l'affaire est en état d'être jugée, le conseiller de la mise en état est dessaisi.
8. Pour dire la déclaration d'appel caduque en application de l'article 908 du code de procédure civile, l'arrêt retient qu'avant l'orientation de l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai instauré par l'article 905 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est soumise à la procédure ordinaire, notamment aux dispositions de l'article 908 du même code, que l'ordonnance du président de la chambre au sein de laquelle l'affaire a été distribuée, qui oriente celle-ci vers le circuit de traitement à bref délai, ne peut avoir d'effet rétroactif, que la caducité, qui sanctionne le non-respect par l'appelant de son obligation de conclure dans les trois mois suivant la déclaration d'appel, opère de plein droit et que Mme H...-P... ayant transmis ses premières écritures après l'expiration du délai de trois mois, la déclaration d'appel est caduque nonobstant l'ordonnance qui a orienté l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai et fixé, dans ce cadre, un autre calendrier de procédure.
9. En statuant ainsi, alors que la demande de caducité était irrecevable pour avoir été présentée postérieurement au dessaisissement du conseiller de la mise en état résultant de l'orientation de l'affaire en circuit abrégé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Editions Gallimard aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Editions Gallimard et la condamne à payer à Mme H...-P... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme X... H...-P...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la déclaration d'appel effectuée par Mme X... H...-P... par voie électronique le 3 octobre 2016 est caduque en application de l'article 908 du code de procédure civile ;
AUX ENONCIATIONS QUE le 11 janvier 2017, Mme X... H...-P... a transmis par voie électronique ses conclusions au fond ; par ordonnance de fixation de calendrier de clôture modificatives, le président de la chambre a fixé la clôture au 25 septembre 2018 et la date de plaidoirie au 29 octobre 2018 ; par conclusions d'incident transmises par voie électronique le 26 juillet 2018, la société Editions Gallimard a demandé au conseiller de la mise état de prononcer la caducité de l'appel en application des articles 908 et 914 du code de procédure civile ; par conclusions sur caducité transmises par voie électronique le XXXX, auxquelles il est fait expressément référence, Mme X... G... a conclu au rejet de la demande de caducité de la déclaration d'appel et demandé que soit déclaré recevable son appel formé le 3 octobre 2016 et que l'intimée soit condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; par conclusions d'incident n° 2, transmises par voie électronique le 24 septembre 2018, auxquelles il est expressément fait référence, la société Editions Gallimard réitère sa demande de caducité de l'appel en application de l'article 908 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE avant l'orientation de l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai instauré par l'article 905 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est soumise à la procédure ordinaire, notamment aux dispositions de l'article 908 du même code, qui dispose qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure ; l'ordonnance du président de la chambre au sein de laquelle l'affaire a été distribuée, qui oriente celle-ci vers le circuit de traitement à bref délai, ne peut avoir d'effet rétroactif ; en effet, la caducité, qui sanctionne le non-respect par l'appelant de son obligation de conclure dans les trois mois suivant la déclaration d'appel, opère de plein droit et immédiatement ; en l'espèce, Mme H...-P..., qui a transmis sa déclaration d'appel le 3 octobre 2016, avait jusqu'au 3 janvier 2017 à minuit, en application de l'article 908 susvisé et des règles de computation des délais prévues par les articles 640 et suivants du code de procédure civile, notamment 641 et 642, pour conclure ; or, elle a transmis ses premières écritures le 11 janvier 2017, soit bien après l'expiration du délai de trois mois imparti ; dans ces conditions, la cour constate la caducité de la déclaration d'appel pour non-respect dudit délai, ce, nonobstant l'ordonnance qui, le 28 février 2017, a orienté l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai et fixé, dans ce cadre, un autre calendrier de procédure ;
ALORS QUE le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; que cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec indications de leur date ; qu'en se bornant à viser, d'une part, des conclusions au fond de Mme G... du 11 janvier 2017, et d'autre part, des conclusions d'incident ou de caducité des parties adressées au conseiller de la mise en état, sans exposer, même succinctement, les prétentions et les moyens de Mme H...-P..., ni viser, avec indication de leur date, les conclusions sur la caducité et au fond déposées par celle-ci, le 19 septembre 2018, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la déclaration d'appel effectuée par Mme X... H...-P... par voie électronique le 3 octobre 2016 est caduque en application de l'article 908 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE avant l'orientation de l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai instauré par l'article 905 du code de procédure civile, la déclaration d'appel est soumise à la procédure ordinaire, notamment aux dispositions de l'article 908 du même code, qui dispose qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure ; l'ordonnance du président de la chambre au sein de laquelle l'affaire a été distribuée, qui oriente celle-ci vers le circuit de traitement à bref délai, ne peut avoir d'effet rétroactif ; en effet, la caducité, qui sanctionne le non-respect par l'appelant de son obligation de conclure dans les trois mois suivant la déclaration d'appel, opère de plein droit et immédiatement ; en l'espèce, Mme H...-P..., qui a transmis sa déclaration d'appel le 3 octobre 2016, avait jusqu'au 3 janvier 2017 à minuit, en application de l'article 908 susvisé et des règles de computation des délais prévues par les articles 640 et suivants du code de procédure civile, notamment 641 et 642, pour conclure ; or, elle a transmis ses premières écritures le 11 janvier 2017, soit bien après l'expiration du délai de trois mois imparti ; dans ces conditions, la cour constate la caducité de la déclaration d'appel pour non-respect dudit délai, ce, nonobstant l'ordonnance qui, le 28 février 2017, a orienté l'affaire vers le circuit de traitement à bref délai et fixé, dans ce cadre, un autre calendrier de procédure ;
1) ALORS QUE les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité de la déclaration d'appel après dessaisissement du conseiller de la mise en état, à moins que la cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement ;
qu'en retenant, sur demande de la société Editions Gallimard formée pour la première fois par conclusions du 26 juillet 2018, la caducité de la déclaration d'appel de Mme G... du 3 octobre 2016 faute de dépôt des conclusions d'appelant avant le 3 janvier 2017, quand l'ordonnance du président de chambre de la cour d'appel du 9 février 2017 ayant fixé l'affaire à bref délai en application de l'article 905 du code de procédure civile, emportait nécessairement dessaisissement du conseiller de la mise en état et que la société Editions Gallimard était dès lors irrecevable, après cette date, à soulever la caducité de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 905 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 6 mai 2017, ensemble l'article 914 du même code ;
2) ALORS QUE les règles de forme auxquelles est subordonné l'exercice d'une voie de recours doivent poursuivre un but légitime et être proportionnées au but recherché ; qu'il était constant que l'affaire avait été fixé à bref délai par le président de chambre par ordonnance du 9 février 2017 fixant la date de clôture au 12 avril 2018, que les parties avaient échangé des conclusions uniquement sur le fond de l'affaire, que le calendrier de procédure avait été modifié par ordonnance du 15 mars 2018 pour fixer une nouvelle date de clôture au 25 septembre 2018 et que ce n'est que par des conclusions du 26 juillet 2018 que la société Editions Gallimard avait formé pour la première fois une demande de caducité de la déclaration d'appel ; qu'en retenant dès lors, sur cette demande, la caducité de la déclaration d'appel de Mme G... du 3 octobre 2016 faute de dépôt des conclusions d'appelant avant le 3 janvier 2017, la cour d'appel a porté au droit d'accès au tribunal de Mme G... une restriction manifestement hors de proportion avec le but légitime recherché, et violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
3) ALORS, en toute hypothèse, QUE les règles de forme auxquelles est subordonné l'exercice d'une voie de recours doivent poursuivre un but légitime et être proportionnées au but recherché ; qu'il était constant que l'affaire avait été fixé à bref délai par le président de chambre par ordonnance du 9 février 2017 fixant la date de clôture au 12 avril 2018, que les parties avaient échangé des conclusions uniquement sur le fond de l'affaire, que le calendrier de procédure avait été modifié par ordonnance du 15 mars 2018 pour fixer une nouvelle date de clôture au 25 septembre 2018 et que ce n'est que par des conclusions du 26 juillet 2018 que la société Editions Gallimard avait formé pour la première fois une demande de caducité de la déclaration d'appel ; qu'en retenant dès lors, sur cette demande, la caducité de la déclaration d'appel de Mme G... du 3 octobre 2016 faute de dépôt des conclusions d'appelant avant le 3 janvier 2017, sans rechercher si cette mesure de caducité, dans les circonstances de l'espèce, ne portait pas au droit d'accès au tribunal de Mme G... une restriction manifestement hors de proportion avec le but légitime recherché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.