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27/02/2020 | FRANCE | N°18-24986;18-25431

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 27 février 2020, 18-24986 et suivant


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 février 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 150 F-D

Pourvois n°
F 18-24.986
Q 18-25.431 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020

I. M. P... G..., domicilié [...]

, a formé le pourvoi n° F 18-24.986 contre un arrêt rendu le 25 septembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le lit...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 février 2020

Cassation

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 150 F-D

Pourvois n°
F 18-24.986
Q 18-25.431 JONCTION

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 FÉVRIER 2020

I. M. P... G..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 18-24.986 contre un arrêt rendu le 25 septembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à M. R... I..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

II. M. R... I... a formé le pourvoi n° Q 18-25.431 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à M. P... G..., défendeur à la cassation.

Le demandeur au pourvoi n° F 18-24.986 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi n° Q 18-25.431 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Provost-Lopin, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. I..., de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. G..., après débats en l'audience publique du 21 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Provost-Lopin, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Joint les pourvois n° F 18-24.986 et Q 18-25.431 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 25 septembre 2018), que, le 9 mars 2012, M. I..., propriétaire d'un local commercial donné à bail à M. G..., lui a donné congé avec refus de renouvellement pour le 15 septembre 2012 ; que, le 19 septembre 2012, le preneur a quitté les lieux ; que, le 30 octobre 2012, celui-ci a assigné le bailleur en paiement d'une indemnité d'éviction, en ce compris une indemnité accessoire pour trouble commercial ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° F 18-24.986 :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi n° Q 18-25.431 :

Vu les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce ;

Attendu que, pour accueillir la demande en paiement de l'indemnité d'éviction, l'arrêt retient que le bailleur a perturbé l'exploitation commerciale du preneur avant septembre 2012 en dégradant les locaux loués et en le menaçant pour précipiter son départ des lieux alors que celui-ci avait droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat expiré jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, de sorte qu'aucune indemnité d'éviction n'ayant été versée, le trouble commercial subi du 15 septembre 2012 au jour du prononcé de la décision correspond à la perte de résultat pour les six dernières années ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice commercial né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction est distinct de celui lié à l'éviction du fonds de commerce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne M. G... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. G... et le condamne à payer à M. I... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept février deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi n° F 18-24.986 par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. G....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité le montant de l'indemnité d'éviction due à M. G... par M. I... à la somme de 270.838,08 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;

AUX MOTIFS QUE, sur le montant de l'indemnité d'éviction, l'article L 145-14 du code de commerce dispose que l'indemnité d'éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; qu'en l'espèce, pour estimer la valeur marchande du fonds de commerce évincé, l'expert judiciaire a eu recours à un sapiteur expert-comptable (lui-même expert judiciaire) ; que ce sapiteur a analysé les différentes méthodes applicables et il a retenu celle qui apparaissait la plus adaptée à la situation du fonds de commerce de M. P... G..., à savoir la méthode de la « rente de goodwill » ; qu'il explique précisément, de façon convaincante, les raisons pour lesquelles il a écarté les autres méthodes d'évaluation et préféré retenir celle-ci ; qu'il détaille également, tout aussi précisément, le calcul qu'il effectue en suivant cette méthode à partir des documents comptables dont il dispose (à savoir les comptes annuels de la discothèque pour les exercices comptables afférents à la période 2009/2012) ; que les parties critiquent le recours à cette méthode, mais n'apportent pas le moindre élément technique pour établir qu'elle n'était pas adaptée ; que cette méthode présente au contraire l'avantage d'être fondée sur les éléments comptables les plus récents afférents à l'exploitation de ce fonds de commerce (ce qui garantit une parfaite adaptation du calcul à la situation précise du fonds de commerce au jour où son exploitation a dû être interrompue) ; que M. R... I... reproche à l'expert (et au sapiteur) de ne pas avoir retenu « l'état de conservation et d'entretien » du fonds de commerce ; que toutefois cette critique est dénuée de pertinence : en fondant ses calculs sur les résultats de l'exploitation du fonds de commerce litigieux, l'expert tient nécessairement compte de l'état « d'entretien et de conservation » dudit fonds, puisque plus cet état est dégradé, moins le fonds est attractif, et plus les chiffres d'affaires et les résultats se réduisent ; que d''ailleurs, s'il avait analysé plus sérieusement les données chiffrées débattues, il aurait remarqué que le fonds de commerce acquis par M. P... G... en décembre 2006 à hauteur de 90.000 euros au titre des éléments incorporels et à hauteur de 21.930 euros au titre des éléments corporels, n'était plus évalué en septembre 2012, par l'expert judiciaire, qu'à hauteur de 70.500 euros pour les seuls éléments incorporels, les éléments corporels étant évalués à zéro, ce qui démontre suffisamment que la méthode retenue par l'expert judiciaire et son sapiteur a bien permis de prendre en compte la faiblesse des investissements (22.000 euros ht) réalisés au cours de la période d'exploitation et les conséquences en termes d'exploitation de ce sous-investissement ; enfin, il n'était pas possible de tenir compte plus radicalement de l'état de mauvais entretien des éléments corporels que de les évaluer à zéro, comme l'a fait l'expert ; que ce sous-investissement durant la période d'exploitation explique également pourquoi la prétention de M. P... G..., portant sur une évaluation du fonds à 200.000 euros, est déraisonnable et dénuée de toute rationalité comptable et économique ; qu'il convient donc de retenir l'évaluation de 70.500 euros résultant du calcul effectué par l'expert ; que le sapiteur a très clairement expliqué dans son rapport que les éléments incorporels du fonds de commerce incluaient le droit au bail ; Que dès lors, en retenant la somme de 70.500 euros comme constituant la valeur des éléments incorporels, le sapiteur a opéré l'évaluation du droit au bail (avec les autres items constitutifs des éléments incorporels que sont la clientèle et l'achalandage, le nom commercial et l'enseigne), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter une deuxième fois l'évaluation du droit au bail comme le fait l'expert judiciaire (en ajoutant à ce titre une somme de 12.500 euros) ; que l'expert n'a pas retenu d'indemnité de remploi, à juste titre, puisqu'il est suffisamment établi par les pièces du dossier que M. P... G... n'a jamais effectué de démarches effectives et sérieuses pour se réinstaller (il se borne à produire, sur ce point, l'attestation de Mme H... qui indique qu'il avait envisagé durant l'été 2012, de racheter sa propre discothèque, mais sans que les termes de cette attestation permettent de qualifier ce projet avorté de sincère) ; que de plus, la perte par M. P... G... de sa licence IV obère sérieusement toute perspective de réinstallation ; que M. P... G... a dû déménager les biens corporels présents dans son commerce, même s'ils n'avaient plus de valeur marchande ; que ces frais de déménagement ont été évalués à 282,60 euros par l'expert, somme qui sera retenue par la cour ; qu'il n'y a pas lieu de retenir des frais de ré-emménagement ou de réinstallation, puisque la preuve d'une telle perspective n'est nullement établie ; que l'expert a retenu une indemnité pour perte de stocks à hauteur de 55,48 euros qui n'est pas discutée par les parties et qui sera donc accordée ; que le trouble commercial correspond au préjudice subi par le locataire pendant la période de déménagement et de réinstallation ou, à défaut de réinstallation comme en l'espèce, à celui correspondant à l'arrêt de l'exploitation ; qu'en l'occurrence, l'exploitation commerciale de M. P... G... a été perturbée par M. R... I... dès avant la remise des clés, ces perturbations ayant été décrites et analysées par la cour dans son arrêt du 4 avril 2018 ; qu'il suffit de rappeler brièvement à cet égard que M. R... I..., pour entraver la poursuite de l'activité commerciale de son locataire et le pousser à quitter les lieux précipitamment, n'avait pas hésité à commettre des voies de fait telles que des dégradations sur le climatiseur, l'installation électrique, la conduite d'adduction d'eau, la machine à glace, les panneaux de bois occultant les fenêtres ... des locaux loués ; que, toujours dans le but de précipiter le départ de son locataire en s'affranchissant des voies de droit, M. R... I... n'avait pas hésité non plus à proférer des menaces graves à son encontre (menaces d'incendie, de dégradations volontaires) ; qu'il en est résulté pour M. P... G... une exploitation commerciale perturbée dès avant septembre 2012, mois au cours duquel il a dû quitter les lieux sous la pression du bailleur, alors qu'en application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat expiré jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction ; qu'au vu des documents comptables établis pour les années « non perturbées » par M. R... I..., soit les exercices comptables 2009, 2010 et 2011, la moyenne des résultats comptables réalisés par M. P... G... a été de : (32 676 + 38 270 + 45 216) / 3 = 38 720 euros ; que, compte-tenu de ces éléments comptables, le trouble commercial subi par M. P... G... jusqu'au 15 septembre 2012 (plus précisément au cours des semaines qui ont précédé cette échéance) doit être fixé à 10.000 euros tandis que le trouble commercial pour la période ayant couru du 15 septembre 2018 jusqu'à ce jour (puisqu'à ce jour aucune indemnité d'éviction n'a encore été versée) correspond à la perte de résultat pour ces dernières six années ; que la somme de 200.000 euros sollicitée par M. P... G... au titre de son trouble commercial est donc largement justifiée et lui sera intégralement octroyée ; qu'au total, M. R... I... sera condamné à payer à M. P... G..., au titre de l'indemnité d'éviction, la somme de : 70 500 + 282,60 + 55,48 + 200 000 = 270 838,08 euros ;

1°) ALORS QUE, selon l'article L. 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction doit comprendre la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation ; qu'en fixant la valeur marchande du fonds à la somme de 70.500 € en retenant la méthode préconisée par l'expert, soit « la rente de goodwill », sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette méthode correspondait aux usages de la profession, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce ;

2°) ALORS QUE le bailleur est tenu d'indemniser des frais de réinstallation le preneur évincé d'un fonds de commerce, sauf s'il établit que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds ; qu'en déboutant l'exposant de sa demande au titre des frais de réinstallation, au motif que celui-ci « se borne à produire sur ce point l'attestation de Mme H... qui indique qu'il avait envisagé, durant l'été 2012, de racheter sa propre discothèque, mais sans que les termes de cette attestation permettent de qualifier ce projet de sincère », ou encore qu'il n'y a pas lieu de retenir des frais de ré-emménagement ou de réinstallation, puisque la preuve d'une telle perspective n'est nullement établie », quand c'est au bailleur de démontrer que le preneur ne se réinstallera pas, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble l'article L. 145-14 du code de commerce.
Moyen produit au pourvoi n° Q 18-25.431 par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour M. I....

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. R... I... à payer à M. P... G... la somme de 270.838,08 euros à titre d'indemnité d'éviction avec intérêts au taux légal à compter de la date de sa décision ;

AUX MOTIFS QUE, sur le montant de l'indemnité d'éviction, l'article L 145-14 du code de commerce dispose que l'indemnité d'éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; qu'en l'espèce, pour estimer la valeur marchande du fonds de commerce évincé, l'expert judiciaire a eu recours à un sapiteur expert-comptable (lui-même expert judiciaire) ; que ce sapiteur a analysé les différentes méthodes applicables et il a retenu celle qui apparaissait la plus adaptée à la situation du fonds de commerce de M. P... G..., à savoir la méthode de la "rente de goodwill" ; qu'il explique précisément, de façon convaincante, les raisons pour lesquelles il a écarté les autres méthodes d'évaluation et préféré retenir celle-ci. Il détaille également, tout aussi précisément, le calcul qu'il effectue en suivant cette méthode à partir des documents comptables dont il dispose (à savoir les comptes annuels de la discothèque pour les exercices comptables afférents à la période 2009/2012) ; que les parties critiquent le recours à cette méthode, mais n'apportent pas le moindre élément technique pour établir qu'elle n'était pas adaptée ; que cette méthode présente au contraire l'avantage d'être fondée sur les éléments comptables les plus récents afférents à l'exploitation de ce fonds de commerce (ce qui garantit une parfaite adaptation du calcul à la situation précise du fonds de commerce au jour où son exploitation a dû être interrompue) ; que M. R... I... reproche à l'expert (et au sapiteur) de ne pas avoir retenu "l'état de conservation et d'entretien" du fonds de commerce ; mais que cette critique est dénuée de pertinence : en fondant ses calculs sur les résultats de l'exploitation du fonds de commerce litigieux, l'expert tient nécessairement compte de l'état "d'entretien et de conservation" dudit fonds, puisque plus cet état est dégradé, moins le fonds est attractif, et plus les chiffres d'affaires et les résultats se réduisent ; que d'ailleurs, si il avait analysé plus sérieusement les données chiffrées débattues, il aurait remarqué que le fonds de commerce acquis par M. P... G... en décembre 2006 à hauteur de 90.000 euros au titre des éléments incorporels et à hauteur de 21.930 euros au titre des éléments corporels, n'était plus évalué en septembre 2012, par l'expert judiciaire, qu'à hauteur de 70.500 euros pour les seuls éléments incorporels, les éléments corporels étant évalués à zéro, ce qui démontre suffisamment que la méthode retenue par l'expert judiciaire et son sapiteur a bien permis de prendre en compte la faiblesse des investissements (22.000 euros ht) réalisés au cours de la période d'exploitation et les conséquences en termes d'exploitation de ce sous-investissement ; qu'enfin, il n'était pas possible de tenir compte plus radicalement de l'état de mauvais entretien des éléments corporels que de les évaluer à zéro, comme l'a fait l'expert ; que ce sous-investissement durant la période d'exploitation explique également pourquoi la prétention de M. P... G..., portant sur une évaluation du fonds à 200.000 euros, est déraisonnable et dénuée de toute rationalité comptable et économique ; qu'il convient donc de retenir l'évaluation de 70.500 euros résultant du calcul effectué par l'expert ; que le sapiteur a très clairement expliqué dans son rapport que les éléments incorporels du fonds de commerce incluaient le droit au bail ; que dès lors, en retenant la somme de 70.500 euros comme constituant la valeur des éléments incorporels, le sapiteur a opéré l'évaluation du droit au bail (avec les autres items constitutifs des éléments incorporels que sont la clientèle et l'achalandage, le nom commercial et l'enseigne), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter une deuxième fois l'évaluation du droit au bail comme le fait l'expert judiciaire (en ajoutant à ce titre une somme de 12.500 euros) ; que l'expert n'a pas retenu d'indemnité de remploi, à juste titre, puisqu'il est suffisamment établi par les pièces du dossier que M. P... G... n'a jamais effectué de démarches effectives et sérieuses pour se réinstaller (il se borne à produire, sur ce point, l'attestation de Mme H... qui indique qu'il avait envisagé, durant l'été 2012, de racheter sa propre discothèque, mais sans que les termes de cette attestation permettent de qualifier ce projet avorté de sincère) ; que de plus, la perte par M. P... G... de sa licence IV obère sérieusement toute perspective de réinstallation ; que M. P... G... a dû déménager les biens corporels présents dans son commerce, même s'ils n'avaient plus de valeur marchande ; que ces frais de déménagement ont été évalués à 282,60 euros par l'expert, somme qui sera retenue par la cour. Il n'y a pas lieu de retenir des frais de ré-emménagement ou de réinstallation, puisque la preuve d'une telle perspective n'est nullement établie ; que l'expert a retenu une indemnité pour perte de stocks à hauteur de 55,48 euros qui n'est pas discutée par les parties et qui sera donc accordée ; que le trouble commercial correspond au préjudice subi par le locataire pendant la période de déménagement et de réinstallation ou, à défaut de réinstallation comme en l'espèce, à celui correspondant à l'arrêt de l'exploitation ; qu'en l'occurrence, l'exploitation commerciale de M. P... G... a été perturbée par M. R... I... dès avant la remise des clés, ces perturbations ayant été décrites et analysées par la cour dans son arrêt du 4 avril 2018 ; qu'il suffit de rappeler brièvement à cet égard que M. R... I..., pour entraver la poursuite de l'activité commerciale de son locataire et le pousser à quitter les lieux précipitamment, n'avait pas hésité à commettre des voies de fait telles que des dégradations sur le climatiseur, l'installation électrique, la conduite d'adduction d'eau, la machine à glace, les panneaux de bols occultant les fenêtres des locaux loués ; que, toujours dans le but de précipiter le départ de son locataire en s'affranchissant des voies de droit, M. R... I... n'avait pas hésité non plus à proférer des menaces graves à son encontre (menaces d'incendie, de dégradations volontaires). Il en est résulté pour M. P... G... une exploitation commerciale perturbée dès avant septembre 2012, mois au cours duquel il a dû quitter les lieux sous la pression du bailleur, alors qu'en application de l'article L 145-28 du code de commerce, le locataire a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat expiré jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction ; qu'au vu des documents comptables établis pour les années "non perturbées" par M. R... I..., soit les exercices comptables 2009, 2010 et 2011, la moyenne des résultats comptables réalisés par M. P... G... a été de :

(32.676 + 38.270 + 45.216) / 3 = 38.720 euros ;

que compte tenu de ces éléments comptables, le trouble commercial subi par M. P... G... jusqu'au 15 septembre 2012 (plus précisément au cours des semaines qui ont précédé cette échéance) doit être fixé à 10.000 euros tandis que le trouble commercial pour la période ayant couru du 15 septembre 2018 (lire 2012) jusqu'à ce jour (puisqu'à ce jour aucune indemnité d'éviction n'a encore été versée) correspond à la perte de résultat pour ces dernières six années. La somme de 200.000 euros sollicitée par M. P... G... au titre de son trouble commercial est donc largement justifiée et lui sera intégralement octroyée ; qu'au total, M. R... I... sera condamné à payer à M. P... G..., au titre de l'indemnité d'éviction, la somme de :

70.500 + 282,60 + 55,48 + 200.000 = 270.838,08 euros ;

1°/ ALORS QUE le preneur évincé ne peut solliciter la réparation d'un éventuel trouble commercial – qui a seulement vocation à indemniser les perturbations subies par l'exploitation du fait de la nécessité pour le preneur de trouver de nouveaux locaux et de s'y réinstaller - lorsqu'il cesse purement et simplement son activité ; qu'aucun trouble commercial n'est en effet subi par le preneur en cas d'arrêt pur et simple de l'exploitation dès lors que la cessation d'activité est d'ores et déjà réparée par l'indemnité correspondant à la valeur marchande du fonds ; qu'en incluant néanmoins dans l'indemnité d'éviction octroyée à Monsieur G... une indemnité accessoire de 200.000 euros au titre de son trouble commercial correspondant à la perte de résultat pour la période ayant couru à compter du 15 septembre 2012, tout en constatant que celui-ci avait purement et simplement cessé son activité à l'échéance du bail en septembre 2012 et n'avait jamais effectué de démarches effectives et sérieuses pour se réinstaller, la Cour d'appel a violé les articles L 145-14 et L 145-18 du Code de commerce ;

2°/ ALORS QU'en toute hypothèse le préjudice causé par le refus de renouvellement du bailleur est évalué à la date de l'éviction du locataire s'il quitte volontairement les lieux ; qu'en l'espèce, aucune des parties au litige ne contestait que Monsieur G... avait volontairement quitté les locaux loués le 19 septembre 2012, à l'échéance du bail, ce que la Cour d'appel a elle-même constaté (arrêt p. 2 alinéa 1er) ; qu'en condamnant néanmoins Monsieur I... à verser à Monsieur G... une indemnité d'éviction comprenant la réparation d'un trouble commercial subi par le preneur du mois de septembre 2012 au jour de sa décision et correspondant à une prétendue perte de résultat « durant les six dernières années », cependant que l'indemnité d'éviction allouée au preneur ayant volontairement quitté les lieux ne pouvait être évaluée qu'à la date de son départ volontaire des locaux en septembre 2012, la Cour d'appel, qui s'est placée au jour où elle statuait pour évaluer l'indemnité d'éviction, a violé les articles L 145-14 et L 145-18 du Code de commerce.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 18-24986;18-25431
Date de la décision : 27/02/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 25 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 27 fév. 2020, pourvoi n°18-24986;18-25431


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Didier et Pinet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.24986
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