LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 février 2020
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 130 F-D
Pourvoi n° N 19-10.713
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 FÉVRIER 2020
1°/ M. D... J...,
2°/ Mme F... H..., épouse J...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° N 19-10.713 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2018 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des urgences), dans le litige les opposant :
1°/ à M. M... G..., domicilié [...] ,
2°/ à la société Bouygues bâtiment Centre Sud-Ouest, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à la Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [...] ,
5°/ à la société ES Bât, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société Mutuelle des architectes français assurances (MAF), dont le siège est [...] ,
7°/ à la société Ginger CEBTP, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société CEBTP,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bech, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme J..., de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz IARD, de la SCP Boulloche, avocat de M. G... et de la société Mutuelle des architectes français assurances, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bech, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 novembre 2018), rendu en référé, qu'à l'occasion de la construction d'une maison d'habitation, M. et Mme J... ont souscrit auprès de la SMABTP un contrat d'assurance dommages-ouvrage ; qu'après réception de l'ouvrage et une première intervention du constructeur pour réparer des défectuosités, les maîtres de l'ouvrage ont constaté l'existence d'autres désordres et ont obtenu le financement par la SMABTP des travaux de reprise qui ont été exécutés, sous la maîtrise d'oeuvre de M. G..., assuré auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), par la société DV construction, aux droits de laquelle vient la société Bouygues bâtiment Centre Sud-Ouest (la société Bouygues), assurée auprès de la société Allianz IARD (la société Allianz) ; qu'ayant constaté l'apparition de nouveaux désordres, M. et Mme J... ont assigné en référé-expertise la SMABTP et les sociétés Bouygues et Allianz ; que la SMABTP a assigné en déclaration d'expertise commune M. G..., la MAF et les sociétés Ginger CEBTP, venant aux droits de la société CEBTP, qui avait été chargée d'études des sols, et E.S. Bat, qui avait réalisé une étude des bétons ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. et Mme J..., l'arrêt retient que l'expert amiable observe uniquement un léger mouvement de tassement dans la salle de bains, qui reste infime, et n'établit aucun lien entre ces désordres et les travaux de reprise en sous-oeuvre financés par la SMABTP ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il incombe à l'assureur dommages-ouvrage, tenu d'une obligation de préfinancer les travaux de nature à remédier efficacement aux désordres, de rapporter la preuve de l'absence de lien de causalité entre son intervention et le dommage, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Rejette la demande de mise hors de cause de M. G... et de la société Mutuelle des architectes français ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. G..., la SMABTP et les sociétés Allianz IARD, Mutuelle des architectes français, Bouygues bâtiment Centre Sud-Ouest, E.S.Bat et Ginger CEBTP aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. et Mme J...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. D... J... et Mme F... J... de leur demande d'expertise judiciaire ;
AUX MOTIFS QU'il existe un désaccord sur le point de départ du délai de prescription, puisque la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest considère que le dallage de la salle de bains relève de travaux de reprise en sous-oeuvre réceptionnés le 21 novembre 2006, et non des finitions intérieures réceptionnées le 18 novembre 2007 ; que les époux D... J... invoquent quant à eux un procès-verbal de réception en date du 18 novembre 2007 qui n'est relatif qu'à des finitions et à des travaux de ravalement ; que les travaux désignés comme litigieux par les appelants seraient ceux qui ont été faits par la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest en charge des travaux de reprise en sous-oeuvre ; que c'est donc à bon droit que le premier juge a prononcé comme il l'a fait relativement à la question de la prescription ; qu'au surplus l'expert amiable a fait installer des témoins au niveau des écartements entre le carrelage sur le dallage et les plinthes afin de vérifier si des mouvements de la structure apparaissaient, mais qu'il n'a constaté aucune évolution significative ; qu'il n'établit aucun lien avec les travaux de reprise en sous-oeuvre réalisés en 2006, observant uniquement un léger mouvement de tassement dans la salle de bains, précisant que cela reste infime ; que, pour prétendre à un intérêt légitime à voir ordonner une expertise, il conviendrait que les appelants puissent utilement invoquer une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou une impropriété à destination, ce qu'ils ne font pas ; qu'il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance querellée ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'aux termes de l'article 145 du code de procédure civile s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en l'espèce, il ressort des éléments du dossier que les époux J... dont l'immeuble d'habitation a subi, par le passé, deux séries de désordres sollicitent l'organisation d'une expertise judiciaire soutenant l'apparition de nouveaux désordres susceptibles d'engager la responsabilité décennale de la société Bouygues Bâtiment Centre Sud-Ouest assurée par la compagnie Allianz Iard et la responsabilité contractuelle de la Smabtp ; que les intervenants aux travaux de reprise précédents ont été appelés à la procédure ; qu'il ne ressort pas de la compétence du juge des référés, juge de l'évidence, de se prononcer sur l'acquisition de la prescription décennale dès lors que la date de réception des travaux fait l'objet d'une discussion entre les parties ; qu'au soutien de leur demande d'expertise les époux J... versent aux débats deux rapports d'expertise amiable du cabinet Cunningham Lindsey missionné par leur assureur de protection juridique ; que le premier rapport daté du 28 juin 2012 relève des désordres minimes qui ont été repris à titre commercial par la société Bouygues seul subsistant un dysfonctionnement de la gâche automatique de la porte d'entrée de l'habitation ; que le second rapport faisant suite à deux visites des 13 mars et 25 septembre 2017 observe un léger mouvement de tassement du dallage dans la salle de bains, l'expert indiquant que la poursuite de ce tassement reste infime ; que l'expert ne fait aucun lien avec les travaux de reprise en sous-oeuvre réalisés en 2006 ou de ravalement et travaux intérieurs réalisés en 2007 de sorte que les demandeurs ne justifient d'aucun intérêt légitime à l'organisation de l'expertise judiciaire qu'ils sollicitent ; qu'il convient en conséquence de débouter les demandeurs de leur demande d'expertise judiciaire ;
1) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, les époux J... soutenaient que le tassement du dallage de leur maison était susceptible de leur permettre d'engager non seulement la responsabilité décennale de la société Bouygues bâtiment Centre Sud-Ouest et de son assureur professionnel, la société Allianz Iard, mais également la responsabilité contractuelle de la Smabtp, assureur dommage ouvrage, qui avait financé en 1997 et 2006 des travaux n'ayant pas permis de mettre fin durablement au tassement observé dès 1995 et 2003 ; que les époux J... faisaient valoir, sur ce point, que l'assureur dommage ouvrage est tenu de préfinancer des réparations pérennes et efficaces de nature à mettre fin durablement aux désordres, et que la seule persistance des désordres après les réparations préfinancées suffit à engager sa responsabilité contractuelle ; que, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, la cour d'appel a retenu, d'une part, qu'il existait un désaccord entre les parties sur le point de départ de la prescription décennale, et d'autre part, que les époux J... ne démontraient pas une atteinte à la solidité de l'ouvrage ou à sa destination ; qu'en se plaçant ainsi exclusivement sur le terrain de la garantie décennale de la société Bouygues bâtiment Centre Sud-Ouest pour apprécier l'existence d'un motif légitime, sans répondre aux conclusions des époux J... qui faisaient valoir qu'ils étaient également susceptibles d'engager la responsabilité contractuelle de la société Smabtp pour manquement à son obligation de financer des réparations pérennes et efficaces suite aux tassements intervenus en 1995 et 2003, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE l'assureur dommage ouvrage est tenu, en présence de désordres relevant de la garantie décennale du constructeur, de préfinancer des travaux de nature à y mettre fin efficacement et durablement ; qu'il engage de plein droit sa responsabilité contractuelle lorsqu'après les réparations, de nouveaux désordres similaires aux premiers apparaissent ; qu'il ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en démontrant l'absence de lien de causalité entre son intervention et ces nouveaux désordres ; qu'en l'espèce, les époux J... soutenaient que le tassement du dallage de leur maison était susceptible de leur permettre d'engager la responsabilité contractuelle de la Smabtp, assureur dommage ouvrage, qui avait financé en 1997 et 2006 des travaux n'ayant pas permis de mettre fin durablement au tassement observé dès 1995 et 2003 ; que, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'il n'était pas établi que le nouveau tassement observé fût en lien avec les réparations réalisées en 2006 ; qu'en statuant ainsi, quand il appartenait à la Smabtp de rapporter la preuve de l'absence de tout lien de causalité entre ces réparations, préfinancées par elle, et le nouveau tassement, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil, ensemble l'article 145 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE le juge saisi d'une demande de mesure d'instruction in futurum ne peut subordonner l'octroi de cette mesure à la preuve du fait qu'elle a pour objet d'établir ; qu'en se fondant, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, sur le fait qu'il n'était pas établi que le nouveau tassement fût en lien avec les réparations réalisées en 2006, quand l'expertise sollicitée avait précisément pour objet de déterminer les causes du tassement, encore inconnues, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civil ;
4) ALORS QUE l'assureur dommage ouvrage est tenu, en présence de désordres relevant de la garantie décennale du constructeur, de financer des travaux de nature à y mettre fin efficacement et durablement ; qu'il engage de plein droit sa responsabilité contractuelle lorsqu'après les réparations, de nouveaux désordres similaires aux premiers apparaissent ; que sa responsabilité est engagée même si ces nouveaux désordres sont apparus après l'expiration de la garantie décennale due par le constructeur initial, et sans qu'il soit besoin que la garantie décennale de l'entrepreneur qui a réalisé les réparations puisse être mise en oeuvre ; qu'en l'espèce, les époux J... soutenaient que le tassement du dallage de leur maison était susceptible de leur permettre d'engager la responsabilité contractuelle de la Smabtp, assureur dommage ouvrage, qui avait financé en 1997 et 2006 des travaux n'ayant pas permis de mettre fin durablement au tassement observé dès 1995 et 2003 ; que, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'il existait un désaccord entre les parties sur le point de départ de la prescription décennale ; qu'en statuant ainsi, quand la responsabilité contractuelle de l'assureur dommage ouvrage pour manquement à son obligation de préfinancer des réparations pérennes et efficaces peut être recherchée après l'expiration de la garantie décennale, tant du constructeur initial que de l'entrepreneur ayant réalisé les réparations, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu l'article 1231-1, du code civil, de l'article L. 242-1 du code des assurances et de l'article 145 du code de procédure civile ;
5) ALORS QU'en présence d'un litige potentiel entre les parties, il existe un motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction in futurum afin de les éclairer sur les chances de succès d'un éventuel procès ; que l'existence d'une contestation sérieuse à l'encontre des prétentions que le demandeur pourrait formuler dans le cadre d'un tel procès ne constitue pas un obstacle à l'octroi de la mesure sollicitée ; qu'en se fondant, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, sur le fait qu'il existait un désaccord entre les parties sur le point de départ de la prescription décennale, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;
6) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause en y ajoutant des mentions qui n'y figurent pas ; qu'en l'espèce, pour démontrer que les travaux de sous-oeuvre préfinancés par la Smabtp en 2006 pour faire cesser le tassement intervenu observé en 2003 avaient été réceptionné le 18 novembre 2007, les époux J... produisaient un procès-verbal de réception mentionnant « désignation de l'objet des travaux : travaux de sous-oeuvre » et « Je soussigné, Mr et Mme J..., maître de l'ouvrage, assisté de Monsieur G..., architecte maître d'oeuvre, après avoir procédé à l'examen des travaux exécuté par l'entrepreneur désigné ci-dessous, déclare que [
] la réception des travaux est prononcée avec effet à la date du 18/11/07, assortie des réserves mentionnées ci-dessous. [
] Désignation de l'entreprise : DV Construction – Lot : Sous-oeuvre – Réserve : Solidité de la terrasse AR (fissure), Engazonnement trop irrégulier » (prod.) ; qu'en retenant que ce document « n'est relatif qu'à des finitions et à des travaux de ravalement », la cour d'appel, qui y a ajouté des mentions qu'il ne comprenait pas, l'a dénaturé et a ainsi violé l'article 1134 devenu l'article 1103 du code civil ;
7) ALORS QUE l'assureur dommage ouvrage est tenu, en présence de désordres relevant de la garantie décennale du constructeur, de financer des travaux de nature à y mettre fin efficacement et durablement ; qu'il engage de plein droit sa responsabilité contractuelle lorsqu'après les réparations, de nouveaux désordres similaires aux premiers apparaissent ; que sa responsabilité est engagée même si ces nouveaux désordres ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage et ne le rendent pas impropre à sa destination ; qu'en l'espèce, les époux J... soutenaient que le tassement du dallage de leur maison était susceptible de leur permettre d'engager la responsabilité contractuelle de la Smabtp, assureur dommage ouvrage, qui avait financé en 1997 et 2006 des travaux n'ayant pas permis de mettre fin durablement au tassement observé dès 1995 et 2003 ; que, pour dire que les époux J... ne justifiaient pas d'un motif légitime à voir ordonner une expertise, la cour d'appel s'est fondée sur le fait qu'ils n'établissaient pas une atteinte à la solidité ou à la destination de l'ouvrage ; qu'en se fondant ainsi sur un motif inopérant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil, de l'article L. 242-1 du code des assurances et de l'article 145 du code de procédure civile.