LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
IK
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 janvier 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 127 F-D
Pourvoi n° Q 18-19.888
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JANVIER 2020
La société Cegedim, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 18-19.888 contre l'arrêt rendu le 21 juin 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Euris, société anonyme, dont le siège est [...] ,
2°/ au président de l'Autorité de la concurrence, domicilié [...] ,
3°/ au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, domicilié [...] ,
4°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Martinel, conseiller, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Cegedim, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Euris, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 décembre 2019 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller rapporteur, Mme Brouard-Gallet, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique, tel que reproduit en annexe :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Paris, 21 juin 2018), que la société Euris a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) d'une plainte relative à des pratiques commises dans le secteur des bases de données d'informations médicales, en reprochant à la société Cegedim de lui refuser l'accès à sa base de données OneKey, présentée comme le fichier mondial de référence des professionnels de santé, et de tenter de l'évincer du marché ; que, par une décision du 8 juillet 2014, l'Autorité a dit établi que la société Cegedim avait enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en mettant en oeuvre, entre octobre 2007 et avril 2013, sur le marché des bases de données d'informations médicales à destination des laboratoires pharmaceutiques pour la gestion des visites médicales, un abus de position dominante caractérisé par le refus discriminatoire de vendre sa base de données OneKey aux seuls utilisateurs actuels et potentiels de solutions logicielles commercialisées par la société Euris, lui a infligé une sanction pécuniaire et a dit qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'entreprise Cegedim au titre des autres pratiques dénoncées par la saisine ; que la société Cegedim a formé un recours contre cette décision, la société Euris formant, pour sa part, un recours incident ; que par un arrêt du 24 septembre 2015, devenu irrévocable, une cour d'appel a rejeté ce recours; que par actes d'huissier de justice des 6 et 8 juin 2018, la société Cegedim a formé un recours en révision contre cet arrêt ;
Attendu que la société Cegedim fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à ce qu'il soit constaté que la société Euris avait entravé les opérations de saisie contrefaçon des 22 octobre et 9 novembre 2007, falsifié et effacé les données sur lesquelles l'expert A... L... s'était fondé pour rédiger son rapport du 15 novembre 2011, à ce que soit rétracté l'arrêt du 24 septembre 2015 aux fins qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit et à ce que soit annulée la décision rendue par l'Autorité, sauf en son article 2 ayant jugé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'entreprise au nom des autres pratiques dénoncées par la saisine ;
Mais attendu qu'ayant exactement énoncé que le recours en révision n'est possible que si la fraude alléguée a été décisive dans le jugement, en ce sens, que si elle avait été connue du juge, sa décision aurait été différente, et retenu que même si la contrefaçon avait pu être établie, la décision aurait été identique, l'existence d'actes de contrefaçon ne pouvant pas être l'élément justificatif d'un refus de vente caractérisant un abus de position dominante, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, par ces motifs et hors toute dénaturation des conclusions de la société Cegedim et du verbatim de son gérant, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cegedim aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cegedim et la condamne à payer à la société Euris la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Cegedim
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Cegedim de ses demandes tendant à ce qu'il soit constaté que la société Euris avait entravé les opérations de saisie contrefaçon des 22 octobre et 9 novembre 2007, falsifié et effacé les données sur lesquelles l'expert A... L... s'était fondé pour rédiger son rapport du 15 novembre 2011, à ce que soit rétracté l'arrêt du 24 septembre 2015 aux fins qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit et à ce que soit annulée la décision n°14-D-06 rendue par l'Autorité de la concurrence, sauf en son article 2 ayant jugé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre l'entreprise au titre des autres pratiques dénoncées par la saisine ;
AUX MOTIFS QUE la cour relève, à titre liminaire, que, bien que le caractère décisif de la fraude alléguée soit, au premier chef, une condition de la recevabilité du recours en révision, ni la société Euris ni l'Autorité et le ministre chargé de l'Economie ne soulèvent cette fin de non-recevoir. Ainsi que le font justement valoir la société Euris et l'Autorité comme le ministre chargé de l'Economie, le recours en révision n'est possible que si la fraude alléguée a été décisive dans le jugement, en ce sens que, si elle avait été connue du juge, sa décision aurait été différente. En l'espèce, l'Autorité a rappelé, au paragraphe 225 de sa décision du 8 juillet 2014, qu'« une situation prétendument illicite n'autorise pas les entreprises à commettre elles-mêmes des pratiques anticoncurrentielles », et en a justement conclu qu'en regard de soupçons de contrefaçon le seul acte justifiable était la saisine des juridictions compétentes, le refus de vente revêtant un caractère discriminatoire et illégitime. Cette analyse a été confirmée par la cour d'appel de Paris, qui a rappelé en page 15 de son arrêt, que « la mise en oeuvre d'une pratique anticoncurrentielle ne peut être légitimée par un comportement illicite d'un opérateur contre lequel existe des voies de droit appropriées ». Il s'en déduit que, ainsi que le soutient l'Autorité, la contrefaçon, quand bien même elle serait établie, ne pouvait pas justifier la pratique anticoncurrentielle qui a été sanctionnée. Partant, même si la contrefaçon avait pu être établie, la décision de la cour d'appel de Paris aurait été identique, l'existence d'actes de contrefaçon ne pouvant pas être l'élément justificatif d'un refus de vente caractérisant un abus de position dominante. En tout état de cause, à supposer même que la cour d'appel de Paris eût statué différemment si avait été rapportée devant elle la preuve de la contrefaçon de la base « PharBase » par la société Euris, force est de constater que les deux témoignages produits par la société Cegedim au soutien de son recours en révision, sont impuissants à rapporter cette preuve. En effet, la société Cegedim a justement souligné que ces témoignages ne sont pas de nature à lui permettre d'établir la réalité de la contrefaçon dont elle accuse la société Euris, raison pour laquelle elle n'a pas sollicité la révision de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles l'ayant déboutée de son recours en contrefaçon. La cour ajoute, en tant que de besoin, que le simple soupçon de contrefaçon, fût-il renforcé par la connaissance des agissements décrits dans les témoignages, n'aurait pas pu amener la cour d'appel de Paris à prendre une décision différente, faute que la contrefaçon soit positivement établie. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir à l'issue de la procédure pénale introduite par la société Cegedim, il convient de débouter cette société de son recours en révision ;
1°) ALORS QUE le recours en révision est ouvert s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue, c'est-à-dire s'il est possible que sans cette fraude, la décision rendue aurait été différente ; qu'en considérant que le recours en révision n'est possible que si la fraude alléguée a été décisive, la cour d'appel a violé l'article 595 1° du code de procédure civile ;
2°) ALORS, EN TOUTE ETAT DE CAUSE, QUE le recours en révision est ouvert s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; qu'en considérant qu'il se déduirait des motifs de la décision de l'Autorité de la concurrence du 8 juillet 2014 et de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 septembre 2015, que cette décision eût été identique sans la fraude de la société Euris, pour rejeter le recours en révision de l'exposante, quand il résulte de ses constatations que l'Autorité comme la cour d'appel de Paris ont seulement considéré que de simples soupçons de contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire ne pouvaient justifier les pratiques reprochées à la société Cegedim, de sorte que la solution eût été différente si la contrefaçon et/ou la concurrence déloyale et parasitaire avait été démontrée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation de l'article 595 1° du code de procédure civile ;
3°) ALORS, EN TOUTE ETAT DE CAUSE, QUE le recours en révision est ouvert s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; qu'en limitant son appréciation à l'incidence de la fraude sur la caractérisation de l'infraction d'abus de position dominante, sans vérifier si cette fraude n'avait pas pu influer sur la sanction infligée à l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 595 1° du code de procédure civile ;
4°) ALORS, EN TOUTE ETAT DE CAUSE, QU'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que l'exposante faisait valoir qu'il aurait été en pratique impossible de reconstituer les bases de données litigieuses, dans l'état qui était le leur à la veille des falsifications et altérations effectuées par la société Euris avant les saisies contrefaçon diligentées dans le cadre du contentieux en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire, de sorte qu'il était impossible de comparer ces bases de données dans le cadre d'une action en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire et que c'est pourquoi elle n'avait pas introduit d'action en révision de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 29 avril 2014 ; qu'en considérant que la société Cegedim aurait souligné que les témoignages des anciens salariés de la société Euris n'auraient pas été de nature à lui permettre d'établir la réalité de la contrefaçon dont elle accuse la société Euris, raison pour laquelle elle n'avait pas sollicité la révision de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles l'ayant déboutée de son recours en contrefaçon, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'exposante, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
5°) ALORS, EN TOUTE ETAT DE CAUSE, QU'en ne répondant pas au moyen tiré de l'importance qu'avait pris le contentieux fondé sur la contrefaçon et la concurrence déloyale et parasitaire dans la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence puis la cour d'appel de Paris (concl., p. 22), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) ALORS, EN TOUTE ETAT DE CAUSE, QU'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que selon le verbatim de l'entretien avec M. V... , ancien salarié de la société Euris « les clients d'Euris louaient une base de données à Cegedim avec des adresses de médecins fournies par Cegedim. Ensuite Euris recopiait les adresses des clients de Cegedim dans leurs bases de données à eux, et les revendaient à leurs propres clients » ; qu'en considérant ainsi que les témoignages produits par l'exposante n'aurait pas été de nature à permettre d'établir la preuve de la contrefaçon, la cour d'appel a dénaturé le verbatim de l'entretien avec M. V... , en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.