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23/01/2020 | FRANCE | N°19-10087

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 23 janvier 2020, 19-10087


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 janvier 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 67 F-P+B

Pourvoi n° H 19-10.087

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. J....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 octobre 2018.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
___

______________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020

M. T... J..., domicilié [...] , a formé le pour...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 23 janvier 2020

Cassation

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 67 F-P+B

Pourvoi n° H 19-10.087

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. J....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 octobre 2018.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020

M. T... J..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° H 19-10.087 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2017 par la cour d'appel de Lyon (sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de M. J..., de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 décembre 2019 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, signé le 17 juillet 1995, publié par le décret n° 98-559 du 19 juin 1998 ;

Attendu qu'il se déduit de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C-103/94 ; CJCE (Ord.), 13 juin 2006, Echouikh, aff. C-336/05 ; CJCE (Ord.), 17 avril 2007, Q... , aff. C-276/06) qu'une prestation du type de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, qui a pour objet de garantir un minimum de moyens d'existence aux personnes âgées dont les ressources sont inférieures à un certain plafond, relève du domaine de la sécurité sociale au sens de l'article 65, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l'accord d'association susvisé, même si la prestation en cause possède également les caractéristiques d'une mesure d'assistance sociale ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes lui ayant refusé le bénéfice de l'allocation de solidarité aux personnes âgées au motif qu'il ne justifiait pas détenir un titre de séjour en France depuis au moins cinq ans, M. J..., de nationalité tunisienne, a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale ;

Attendu que pour rejeter celui-ci, l'arrêt retient que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne avancée par M. J... s'applique au versement de prestations en contrepartie de cotisations ; qu'elle n'est pas transposable à l'allocation de solidarité aux personnes âgées qui relève de la solidarité nationale et dont l'octroi peut être soumis à des conditions particulières objectives, justifiées, proportionnées et raisonnables dès lors qu'elles visent un but légitime à atteindre afin d'assurer au titre de la solidarité nationale le versement d'une allocation spécifique et ne constituent pas une différence de traitement anormale ; qu'ainsi l'allocation de solidarité aux personnes âgées par sa nature d'allocation spécifique de solidarité n'entre pas dans les prévisions de l'article 65 de l'accord invoqué ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes ; la condamne à payer à la SCP Delvolvé et Trichet la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour M. J...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur J... de sa demande d'allocation de solidarité aux personnes âgées.

Aux motifs que le droit à l'allocation de solidarité aux personnes âgées est ouvert par les dispositions de l'article L.815-1 du code de la sécurité sociale à « toute personne justifiant d'une résidence stable et régulière sur le territoire métropolitain ou dans un département mentionné à l'article L. 751-1 et ayant atteint un âge minimum bénéficie d'une allocation de solidarité aux personnes âgées dans les conditions prévues par le présent chapitre. Cet âge minimum est abaissé en cas d'inaptitude au travail » ; qu'il était constant que Monsieur J... relevait des dispositions de l'article L.816-1-1°, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2011 qui prévoit que les dispositions relatives aux allocations de solidarité aux personnes âgées sont applicables aux personnes de nationalité étrangère qui sont titulaires depuis au moins 10 ans d'un titre de séjour autorisant à travailler ; que la CARSAT avait refusé de verser à Monsieur J... cette allocation compte tenu de l'absence de domicile régulier en France depuis au moins cinq ans de l'intéressé lorsqu'il avait formulé sa demande d'ASPA une première fois le 21 avril 2011 et une seconde fois le 28 février 2014 ; que l'examen des pièces versées aux débats révélaient que les deux demandes avaient été rejetées au même motif de l'absence de stabilité de la résidence en France ; que par ailleurs, à l'exception de cette condition de résidence, Monsieur J... remplissait toutes les conditions pour bénéficier de l'allocation ; que Monsieur J... soutenait que la décision de la CARSAT, prise en application des articles L.815-1 et L. 816-1 du code de la sécurité sociale était notamment contraire à l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part ; que Monsieur J... contestait le principe même d'un stage, c'est-à-dire d'une antériorité de la présence sur le territoire national pour bénéficier du versement de l'allocation ; que l'article 65 de cet accord prévoit le principe de non-discrimination pour le bénéfice de la sécurité sociale ; qu'il précise que la notion de sécurité sociale couvre les branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d'invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d'accidents du travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales ; que la Cour de justice de l'Union européenne avait précisé que ces accords s'appliquaient aussi bien au travailleur actif qu'à ceux qui avaient quitté le marché du travail après avoir atteint l'âge requis pour bénéficier d'une pension vieillesse ou après avoir été victimes d'un des risques donnant droit à des allocations au titre d'autres branches de la sécurité sociale ; qu'il résultait de l'accord et de l'interprétation donné par la cour que ces dispositions ne s'appliquaient qu'aux pensions et allocations venant couvrir un risque survenu pendant la période d'activité professionnelle ; que Monsieur J... mettait en avant le fait qu'il percevait une rente d'invalidité qui constituait bien une prestation couverte par ces dispositions ; que la jurisprudence de la CJUE avancée par Monsieur J... s'appliquait au versement de prestations en contrepartie de cotisations ; qu'elle n'était pas transposable à l'APSA qui relève de la solidarité nationale et dont l'octroi peut être soumis à des conditions particulières objectives, justifiées, proportionnées et raisonnables dès lors qu'elles visent un but légitime à atteindre afin d'assurer au titre de la solidarité nationale le versement d'une allocation spécifique et ne constituent pas une différence de traitement anormale ; qu'en revanche, l'ASPA par sa nature d'allocation spécifique de solidarité n'entrait pas dans les prévisions de l'article 65 de l'accord invoqué ; qu'il en résultait que l'obligation de détenir un titre de séjour dans les conditions fixées par l'article L.816-1 du code de la sécurité sociale et appliquées par la CARSAT constituait une condition justifiée et proportionnée pour garantir la mise en oeuvre du droit à versement d'une allocation de solidarité spécifique telle que l'allocation de solidarité aux personnes âgées ; que Monsieur J... ne justifiant pas être titulaire d'un titre de séjour dans les conditions requises, la CARSAT était fondée à lui refuser le versement de l'ASPA au regard des critères de résidence

Alors, d'une part, que, selon la jurisprudence de la Cour de Justice, l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen du 17 juin 1995, établissant une association entre les communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part, et le principe d'interdiction de discrimination qu'il édicte, s'opposent à ce que l'État membre d'accueil refuse d'accorder le bénéfice d'une prestation non contributive, destinée à garantir un minimum de moyens d'existence à des personnes âgées en leur assurant un complément de leur pension de vieillesse insuffisante – prestation qui relève du domaine de la sécurité sociale au sens de ce texte-, à un ressortissant tunisien, qui satisfait aux conditions imposées par l'article L.815-1 du code de la sécurité sociale à tous les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, au seul motif qu'il ne remplit pas la condition, exigée par l'article L.816-1-1° des seuls ressortissants étrangers, d'être titulaire depuis au moins dix ans d'un titre de séjour régulier ; et qu'en considérant que l'ASPA ne rentrait pas dans les prévisions de l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes, leurs États membres et la république tunisienne, et que ce texte ne s'opposait pas à ce que son bénéfice soit, s'agissant des ressortissants étrangers, soumis à une condition supplémentaire de détention d'un titre de séjour depuis cinq ou dix ans qui n'est pas exigée des ressortissants nationaux, la cour d'appel l'a violé.

Alors, d'autre part, que l'article L.816-1-1° du code de la sécurité sociale, qui est contraire à l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen du 17 juin 1995 en ce qu'il exige des ressortissants étrangers, qui remplissent toutes les conditions fixées par l'article L.815-1 pour bénéficier de l'ASPA, une durée de détention d'un titre de séjour minimale de dix ans, constitue également une discrimination prohibée par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à cette convention, qui ont été violés par la cour d'appel.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 19-10087
Date de la décision : 23/01/2020
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

SECURITE SOCIALE, ALLOCATIONS DIVERSES - Allocation aux personnes âgées - Allocation de solidarité aux personnes âgées - Conditions - Titre de séjour régulier - Accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne - Compatibilité (non)

CONVENTIONS INTERNATIONALES - Accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne - Article 65 - Domaine d'application - Sécurité sociale - Applications diverses - Allocation de solidarité aux personnes âgées

Il se déduit de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C-103/94 ; CJCE (Ord.) 13 juin 2006, Echouikh, aff. C-336/05 ; CJCE (Ord.), 17 avril 2007, El Youssfi, aff. C-276/06) qu'une prestation du type de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, qui a pour objet de garantir un minimum de moyens d'existence aux personnes âgées dont les ressources sont inférieures à un certain plafond, relève du domaine de la sécurité sociale au sens de l'article 65, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l'accord d'association publié par le décret n° 98-559 du 19 juin 1998, même si la prestation en cause possède également les caractéristiques d'une mesure d'assistance sociale. Viole l'article 65 de cet accord signé le 17 juillet 1995 la cour d'appel qui, pour rejeter le recours d'un assuré de nationalité tunisienne auquel avait été refusé le bénéfice de l'allocation de solidarité aux personnes âgées au motif qu'il ne justifiait pas détenir un titre de séjour en France depuis au moins cinq ans, retient que l'allocation spécifique de solidarité aux personnes âgées, qui relève de la solidarité nationale, n'entre pas dans les prévisions de ce texte


Références :

article 65 de l'accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne du 17 juillet 1995

article L. 816-1, 1° du code de la sécurité sociale

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 12 décembre 2017

Rapprochements :Sur la définition du terme sécurité sociale au sens de l'article 65 de l'accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne du 17 juillet 1995, cf. CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C-103/94, CJCE (Ord.) 13 juin 2006, Echouikh, aff. C-336/05, CJCE (Ord.), 17 avril 2007, El Youssfi, aff. C-276/06


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 23 jan. 2020, pourvoi n°19-10087, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.10087
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