LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2020
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 39 F-D
Pourvoi n° T 18-22.973
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2020
1°/ Mme D... L...,
2°/ Mme U... L...,
tous deux domiciliées [...] ,
ont formé le pourvoi n° T 18-22.973 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. V... A...,
2°/ à Mme P... S..., épouse A...,
tous deux domiciliés [...] ,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de Mmes L..., de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme A..., après débats en l'audience publique du 10 décembre 2019 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique :
Vu l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Reims, 3 juillet 2018), que M. et Mme A... ont assigné Mmes L... en suppression d'une clôture limitant l'accès à la cour située entre leurs fonds respectifs ;
Attendu que, pour accueillir la demande, l'arrêt retient qu'à défaut pour Mmes L..., qui n'ont produit à hauteur d'appel ni conclusions ni pièces, d'établir l'usucapion contesté par la partie adverse, il convenait d'infirmer le jugement et d'ordonner la suppression de la clôture litigieuse ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle devait examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'était déterminé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en sa disposition relative à la demande indemnitaire pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 3 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims autrement composée ;
Condamne M. et Mme A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme A... et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à Mmes L... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mmes L...
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à Mmes D... et U... L... de libérer l'accès à la totalité de la superficie de la cour commune cadastrée [...], d'une superficie de 1 a 64ca, en retirant les clôture, portail et portillon qui en empêchent l'accès, et ce dans le délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 50 euros par jours de retard, délai au-delà duquel il conviendrait de faire à nouveau droit en cas d'inexécution persistante, et d'avoir condamné solidairement Mmes D... et U... L... à payer aux époux V... et P... A... la somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance ;
AUX MOTIFS QUE
« Sur le libre accès à la cour commune
L'article 2258 du code civil dispose que la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
L'article 2261 du même code précise que, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
Il appartient à celui qui revendique le bénéfice de la prescription acquisitive de rapporter la preuve des actes matériels présentant les caractères énumérés à l'article 2261 et ayant persisté sur la durée d'au moins trente ans qui est exigée en matière immobilière par l'article 2272 du code civil.
En l'espèce, le caractère de "cour commune" présenté par la parcelle cadastrée [...] ressort :
- de l'acte authentique du 22 novembre 2006 par lequel les consorts S... ont vendu à Mme P... S..., sur le territoire de la commune de Chaumuzy, une parcelle cadastrée [...] , sur laquelle est édifiée une maison d'habitation et ses annexes, avec "droit à la cour commune sur le côté ouest de la maison figurant au cadastre sous les références suivantes : [...] d'une superficie de 1a 64ca";
- de l'acte de donation conclu en la forme authentique le 21 mai 2013, par lequel Mme P... S... a donné à son époux, M. V... A..., 30% en toute propriété de la parcelle précitée [...] et du "droit à la cour commune sur le côté ouest de la maison figurant au cadastre sous les références suivantes : [...] d'une superficie de 1a 64ca" ;
- de l'attestation de propriété immobilière établie le 7 février 2008 par maître K..., notaire à G..., selon laquelle Mme U... L... est devenue propriétaire, en qualité d'unique héritière d'O... L..., lors du décès de ce dernier le 24 avril 2007, d'une maison à usage d'habitation édifiée sur la parcelle cadastrée [...], avec "droit à la cour commune cadastrée [...] pour une contenance de 1a 64ca".
Les époux V... et P... A... produisent aux débats un procès-verbal de constat établi le 2 décembre 2013 par Mme E..., huissier de justice, dont il ressort que, sur la partie arrière de la cour commune cadastrée [...] , un grillage et un portail sont érigés en travers de ladite cour et qu'en limite arrière de la cour, un portillon a été érigé entre le mur pignon de la maison de Mmes D... et U... L... et le mur pignon de la maison des époux V... et P... A.... Il n'est donc plus possible de traverser la cour commune dans toute sa profondeur, une partie de cette cour étant rendue inaccessible par les grillage, portail et portillon qui ont été posés.
Il résulte du jugement de première instance et des explications données par les époux V... et P... A... que cette appropriation d'une partie de la cour commune est le fait de Mmes D... et U... L... qui estiment avoir acquis par usucapion cette partie de cour.
Toutefois, l'usucapion est contestée par les époux V... et P... A... et Mmes D... et U... L... n'ont, à hauteur d'appel, produit ni conclusions pour exposer leur position ni aucune pièce pour, le cas échéant, établir qu'elles remplissent les conditions exigées pour prescrire l'acquisition de la propriété.
Dès lors, à défaut pour Mmes D... et U... L... d'établir un droit de propriété exclusif sur la partie de la parcelle [...] qui a été clôturée par leurs soins, il convient de faire droit à la demande des époux V... et P... A... tendant à voir ordonner à Mmes D... et U... L... de retirer, sous peine d'astreinte, les clôture, portail et portillon érigés pour limiter l'accès à la cour commune. Le jugement déféré sera infirmé à cet égard.
Sur les dommages et intérêts sollicités Les époux V... et P... A... invoquent un trouble de jouissance pour réclamer à Mmes D... et U... L... la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Il ressort du procès-verbal de constat du 2 décembre 2013 que le fond de la cour commune a fait l'objet d'une appropriation depuis au minimum cette date. La superficie qui a fait l'objet de cette appropriation est néanmoins réduite et les époux V... et P... A... ne caractérisent pas précisément les inconvénients qui en sont résultés pour eux. Au vu des seuls éléments produits aux débats, le préjudice de jouissance subi sera pleinement compensé par l'octroi d'une somme de 300 euros, au paiement de laquelle il convient de condamner Mmes D... et U... L.... » (arrêt, p. 3, dernier al., à p. 5, al. 2) ;
1°) ALORS QU'en appel, si l'intimé ne conclut pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés ; qu'il s'ensuit que le juge doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'était déterminé ; que, pour infirmer le jugement, la cour d'appel a retenu que Mmes D... et U... L..., à qui il revenait d'établir qu'elles remplissaient les conditions exigées pour prescrire l'acquisition de la propriété, n'ont à hauteur d'appel produit ni conclusions pour exposer leur position ni aucune pièce ; qu'en statuant ainsi, sans examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'était déterminé, la cour d'appel a violé l'article 472 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les juges ont l'obligation de ne pas dénaturer les documents qui leurs sont soumis ; qu'en retenant, pour considérer que Mmes D... et U... L... n'établissaient pas leur droit de propriété exclusif sur la partie litigieuse de la parcelle [...], qu'il « résulte du jugement de première instance (
) que cette appropriation d'une partie de la cour commune est le fait de Mmes D... et U... L... », qu'elle avait « été clôturée par leurs soins », quand les premiers juges avaient retenu que la partie de la cour commune avait été clôturée depuis 1974 par les parents de Mme U... L... (jugement, p. 6, al. 4, 6 et s.) devenue propriétaire à la suite du décès de son grand-père en 2007, ce qu'au demeurant les époux A... ne contestaient pas, leurs conclusions reconnaissant qu'une partie de la cour avait été clôturée par le grand-père de Mme L... à son bénéfice (conclusions d'appel, p. 12, al. 2, al. 6 :, p. 13, al. 5), la cour d'appel a dénaturé le jugement déféré et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, d'une part que le tribunal « a considéré que la partie de la cour cadastrée [...] qui a été clôturée depuis 1974 par les parents de Mme U... L... a été acquise par usucapion par cette dernière » (arrêt, p. 2, §6) et, d'autre part, qu'il « résulte du jugement de première instance (
) que cette appropriation d'une partie de la cour commune est le fait de Mmes D... et U... L... », qu'elle a « été clôturée par leurs soins » (arrêt, p. 4, al. 8 et 10), la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile.