LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 janvier 2020
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n° 66 F-D
Pourvoi n° G 18-24.206
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 22 JANVIER 2020
M. K... H..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° G 18-24.206 contre le jugement rendu le 13 septembre 2018 par le tribunal d'instance de Valenciennes, dans le litige l'opposant à M. J... X..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dazzan, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. H..., après débats en l'audience publique du 10 décembre 2019 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Dazzan, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que, le 2 février 2018, M. H... (le vendeur) a vendu à M. X... (l'acquéreur) un véhicule mis en circulation en 1992, lequel est tombé en panne le jour même ; que, par déclaration au greffe en date du 6 mars 2018, l'acquéreur a formé contre le vendeur une demande en résolution de la vente et en paiement de diverses sommes ;
Attendu que, pour accueillir les demandes, le jugement retient que le vendeur n'a pas satisfait à son obligation de délivrance, faute d'avoir remis à l'acquéreur les documents administratifs accessoires de la vente indissociables de l'usage normal de la chose ;
Qu'en statuant ainsi, en relevant d'office un moyen qui n'avait pas été invoqué par les parties et sans les inviter à présenter préalablement leurs observations sur ce point, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Valenciennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Douai ;
Condamne M. X... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. H... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. H....
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir prononcé la résolution de la vente du véhicule Toyota Land Cruiser immatriculé [...] intervenue le 2 février 2018 entre M. H... K... et M. X... J... et d'avoir dit que M. H... devra restituer à M. X... le prix de vente, soit la somme de 3 300 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2018 et que M. X... devra restituer ledit véhicule à M. H... dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement étant précisé que ce dernier devra venir le chercher sur son lieu de stationnement, SARL A.T.C.A. [...] , et devra, s'il ne s'exécute pas dans le délai susvisé, acquitter les frais de gardiennage dus jusqu'à la reprise effective de son véhicule ;
AUX MOTIFS QUE « M. X... a comparu en personne et sollicité l'entier bénéfice de sa déclaration au greffe, faisant observer que : - prise de contact par téléphone avec le vendeur car contacts mail ou SMS refusés, - compte tenu de ce que l'annonce spécifie que le véhicule a subi « un accrochage », une photo montrant un choc AR G, il a demandé s'il devait prévoir un porte-voiture ou s'il pouvait rouler sur la route. Il lui a été répondu qu'il n'y avait aucun problème et que le véhicule roule très bien conformément à l'annonce, - à aucun moment il ne lui a été précisé que le véhicule n'a pas de contrôle technique alors que c'est obligatoire entre particuliers, - arrivé sur place en train, après 750 km, il a constaté que le véhicule était rongé par la rouille, ce qui n'était pas spécifié dans l'annonce, - il ne veut pas renter en train, il conclut la vente car il a besoin de ce véhicule pour transporter ses ruches, - le prix à débattre étant de 3 400 €, la vente a été conclue à 3 300 € pour tenir compte de ce qu'il a dépensé environ 17 € pour un repas, - il a informé son assurance, il a pris la route alors qu'il pleuvait à seaux, doucement, un bruit important est apparu à chaud ainsi qu'une fumée importante, - il a stoppé sur une aire d'autoroute, il avait parcouru 47 km, - il a appelé Mme H... qui lui a répondu que ce n'était pas de leur faute mais que son mari le rappellerait, - après une heure trente d'attente, rien, - il a rappelé de nombreuses fois sans réponse, - il a ensuite appelé la gendarmerie qui lui a conseillé d'envoyer un SMS, ce qu'il a fait, - puis il a appelé une dépanneuse, il a appelé un garage à qui il voulait confier la réparation de la tôlerie car il connaît la SARL A.T.C.A. 61 à Alençon, - il est rentré chez lui en train, - il a envoyé plusieurs courriers recommandés qui n'ont reçu aucune réponse, - il a contacté un avocat qui a envoyé une lettre Radar au vendeur, restée sans réponse également, - il a déposé plainte, - le véhicule est toujours bloqué à la SARL A.T.C.A. 61, - les frais réels engagés s'élèvent environ à 1 368,51 € ;
Maître Massin, membre de la SCP Tiry-Doutriaux, « A.D.N.B. » avocats associés au barreau de Valenciennes, conseil de M. H... K..., a déposé des conclusions tendant à, vu l'article 1642 du code civil : - voir débouter M. X... J... de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, - le voir condamner, outre aux entiers frais et dépens, au règlement d'une somme de 1 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, et rétorqué que : - par déclaration au greffe du 06.03.2018, M. J... X... a fait citer M. H... K... par devant le tribunal d'instance de Valenciennes, à l'effet de solliciter la résolution d'un contrat de vente automobile, excipant d'un vice caché au sens de l'article 1641 du code civil, - à l'appui de ses prétentions, il se fonde sur un rapport d'expertise établi par le cabinet BCA qui a pu constater la panne moteur sans néanmoins être en capacité de déterminer la nature et la cause du désordre, - sur la base de ces seules constatations, la responsabilité de M. H... ne saurait être valablement engagée, - ceci étant présenté, il n'est pas inutile de rappeler que le véhicule vendu était particulièrement âgé et lourdement kilométré ce qui justifie de dire que les désordres rencontrés résultent davantage de la vétusté de la chose excluant la garantie des vices cachés, les parties étant comparantes, le demandeur en personne, le défendeur, représenté par un conseil, le présent jugement rendu en dernier ressort sera donc contradictoire (
) ;
Sur la demande principale
que l'obligation de délivrance est prévue à l'article 1604 du code civil qui énonce que « la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur »,
que c'est surtout concernant les accessoires de la chose que la jurisprudence a dû dégager des règles et préciser ce qu'il faut entendre par cette notion d'accessoire de la chose que l'article 1615 du code civil énonce que « l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel »,
que la chose accessoire est celle qui est affectée au service d'une autre chose ou qui est produite par d'autres choses ; que dès lors il faut comprendre dans les accessoires les fruits de la chose qui, en application de l'article 1614 du code civil, sont la propriété de l'acquéreur dès la formation du contrat de vente ; qu'en outre, cette définition permet de considérer que l'accessoire peut être compris comme étant la chose destinée à l'usage perpétuel d'une autre chose ; que la jurisprudence ne distingue d'ailleurs pas dans les différentes espèces selon qu'il s'agit d'un accessoire ou de ce qui est nécessaire à l'usage de la chose ; que pourtant, compte tenu de la formulation de l'article 1615, il s'agit de deux notions différentes ; que d'une manière générale, on peut considérer que l'accessoire est une notion plus vaste que celle de « chose destinée à son usage perpétuel », dans la mesure où l'accessoire peut ne pas être destiné à l'usage mais à l'ornement par exemple ; que l'absence de l'accessoire ne devrait rien enlever à l'usage matériel de la chose, puisque ce n'est pas nécessaire à l'usage ; qu'à titre d'exemple de chose destinée à l'usage perpétuel de la chose objet du contrat de vente, a été considérée comme nécessaire à l'usage de la chose, l'installation électrique consistant en présence de compteurs individuels d'électricité équipant chaque lot d'un motel vendu par lots sous le régime de la copropriété (Cass. 3è civ. 6 octobre 2004) ;
que c'est au vendeur de prouver qu'il a bien délivré les accessoires de la chose vendue (Cass. Com., 11 déc. 2001, n°99-10.595) ;
que s'agissant des documents accessoires de la vente de véhicules :
- la jurisprudence a précisé que la carte grise était « l'accessoire indispensable du véhicule » (cass. Com., 2008), cette exigence étant d'ailleurs prévue par l'article R. 322-4 du code de la route ; qu'en revanche, dans la mesure où l'article précité du code de la route ne prévoit pas de délai pour la délivrance de cette carte grise et plus généralement des autres actes administratifs, il faudrait attendre un délai raisonnable pour pouvoir agir contre le vendeur en méconnaissance de son obligation de délivrance ; que reste cependant qu'entre vendeurs professionnels, il existe un usage selon lequel la carte grise et le certificat de non-gage doivent être remis dans le délai de 15 jours à l'acheteur, faute de quoi l'obligation de délivrance du vendeur n'est pas remplie (cass. Com. 24 avril 2007),
- le certificat de non-gage est aussi considéré comme un accessoire de la chose objet du contrat (cass. Com., 24 avril 2007) ; que bien plus, « le vendeur professionnel a l'obligation de vérifier si un gage affecte le véhicule qu'il propose à la vente et d'en informer l'acheteur » ; qu'en se contentant de produire le certificat d'immatriculation sur lequel l'acheteur a indiqué accepter le gage, alors que cette mention ne précise ni l'origine, ni le bénéfice, ni le montant du gage, de sorte qu'il n'est pas démontré que l'acheteur a été informé de l'existence d'un gage antérieur à la vente, le vendeur a méconnu son obligation contractuelle d'information (CA Nancy, 1ère ch. civ. 8 nov. 1999) ;
- que d'une manière générale, la Cour de cassation a considéré que les documents administratifs indispensables à une utilisation normale du véhicule après immatriculation sont des accessoires de l'obligation de délivrance (cass. 1ère civ., 5 octobre 1994) ; qu'il se peut d'ailleurs que le document figure comme un accessoire du véhicule en tant qu'il permet l'immatriculation elle-même : ainsi en va-t-il de la remise du certificat de contrôle technique pour les véhicules de plus de cinq ans (CA Versailles, 24 sept. 1998) ; et ce d'autant plus que l'article 5 bis créé par le décret n°86-303 du 3 mars 1986 inséré dans le décret n°78-993 du 4 octobre 1978 pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services en ce qui concerne les véhicules automobiles, et modifié par le décret n°2004-568 du 11 juin 2004, stipule : « tout vendeur professionnel ou non professionnel d'un véhicule automobile soumis à la visite technique prévue par les dispositions des articles R. 323-22 et R. 323-26 du code de la route remet à l'acheteur non professionnel, avant la conclusion du contrat de vente, le procès-verbal de la visite technique établi depuis moins de six mois, ainsi que les procès-verbaux des éventuelles contre-visites ; que ce ou ces procès-verbaux sont visés par le contrôleur agréé par l'Etat, conformément aux articles R. 323-7 et R. 323-8 du code de la route » ;
qu'en outre, indépendamment de la nécessité de la présence des documents nécessaires, la Cour de cassation a considéré que la remise de documents non sincères équivaut à une absence de remise (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996) ;
que la méconnaissance par le vendeur de son obligation de délivrance du bien au moment déterminé par le contrat est sanctionnée par le mécanisme de la responsabilité civile ; que l'article 1610 du code civil énonce ainsi que « si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente ou sa mise en possession si le retard ne vient que du fait du vendeur ; que l'article 1611 du même code ajoute que le vendeur doit être condamné au paiement de dommages et intérêts en cas de préjudice causé à l'acheteur ;
qu'on peut remarquer que ces dispositions reprennent le droit commun des contrats, qui, en son article 1184 ancien du code civil (articles 1218, 1224, 1227 et 1228 nouveaux), prévoit les mêmes sanctions en cas d'inexécution des obligations contractuelles par l'une des parties : l'exécution forcée ou bien la résolution du contrat ;
que dès lors qu'il y a retard dans la délivrance, ou bien absence de délivrance, la sanction peut être encourue ; mais qu'encore faut-il que l'inexécution de l'obligation de délivrance par le vendeur soit fautive ;
qu'en l'espèce :
la date de première mise en circulation du véhicule Toyota Land Cruiser immatriculé [...], est le 6 février 1992, - que le dernier contrôle technique périodique effectué par M. H... K... date du 25 mars 2017 avec notamment une obligation de contre-visite, - que la vente du véhicule est intervenue le 2 février 2018, - que le contrôle technique susvisé a été effectué plus de six mois après la vente du véhicule, - que lors de la vente, M. H... K..., le vendeur, n'a remis à M. X... J..., l'acheteur, ni le procès-verbal de la visite technique du 25 mars 2017, ni le procès-verbal de la contre-visite ;
que dès lors, il convient de constater que M. H... K... n'a pas satisfait à son obligation de délivrance et de prononcer la résolution de la vente du véhicule Toyota Land Cruiser immatriculé [...], pour défaut de remise des accessoires » ;
ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que lorsque la procédure est orale, la présomption de respect du principe de la contradiction cède devant la preuve contraire ; qu'il ressort de la relation faite par le jugement tant des observations de M. X... que des conclusions de M. H..., qui ont été reproduites en leur intégralité, que seule la question de l'existence d'un vice caché était dans le débat ; qu'en prononçant la résolution du contrat sur le moyen relevé d'office tiré d'un prétendu manquement par M. H... à son obligation de délivrance, « pour défaut de remise des accessoires, les documents administratifs, ces derniers étant indissociables à l'usage normal de la chose », sans avoir soumis ce moyen au débat contradictoire des parties, le tribunal d'instance a violé l'article 16 du code de procédure civile.