LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 15 janvier 2020
Cassation partielle
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 70 F-D
Pourvoi n° K 18-14.778
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 JANVIER 2020
Mme W... G... O..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° K 18-14.778 contre l'arrêt rendu le 6 février 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Visiomed group, société anonyme, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme G... O..., de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Visiomed group, et après débats en l'audience publique du 4 décembre 2019 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique :
Vu l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;
Attendu que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme G... O... a été engagée, le 3 mai 2010, en qualité d'assistante chargée du développement des ventes par la société Visiomed group (la société) ; qu'à l'issue d'un congé de maternité, elle a bénéficié d'un congé parental de quatre mois s'achevant le 30 septembre 2012 ; que par lettre du 28 septembre 2012, elle a été licenciée pour motif économique ; que, le 10 juillet 2013, elle a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de diverses sommes ;
Attendu que pour condamner l'employeur à payer à la salariée la somme de 10 000 euros au titre du préjudice distinct résultant de la rupture déclarée nulle pour discrimination, l'arrêt retient qu'en réparation du préjudice subi, et en l'absence de demande de réintégration, la salariée ne peut prétendre qu'aux indemnités de rupture et à une indemnité d'éviction qui sera au moins égale à six mois de salaire, que la salariée se borne à réclamer, d'une part, un rappel de salaire et, d'autre part, des dommages intérêts réparant la différence de salaire à partir de février 2014, ces demandes ne pouvant pas être satisfaites sous cette forme, que, néanmoins, elle demande également une indemnité pour préjudice distinct résultant de son licenciement, qu'il convient de prendre en compte une moyenne qui se calcule sur les douze mois ayant précédé ce congé parental et donc de faire droit à la demande qui était limitée à 10 000 euros ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, saisie de demandes en annulation du licenciement pour discrimination et en condamnation subséquente de l'employeur au paiement de diverses sommes, il lui incombait de donner aux sommes ainsi sollicitées leur qualification d'indemnités et, en l'absence de demande de réintégration qu'elle avait relevée, de fixer le montant de l'indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement qu'elle avait constaté, au moins égale à six mois de salaire, sans s'arrêter au montant inférieur au minimum légal de la somme dénommée par la salariée indemnité pour « préjudice distinct », la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Visiomed group à payer à Mme G... O... la somme de 10 000 euros au titre du préjudice distinct résultant de la rupture déclarée nulle et dit que Mme G... O... devrait restituer à la société Visiomed group la somme de 21 186,57 euros reçue à l'occasion des saisies-attribution réalisées en l'y condamnant en tant que de besoin, l'arrêt rendu le 6 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Visiomed group aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Visiomed group et la condamne à payer à Mme G... O... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour Mme G... O...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR limité la condamnation de la société Visiomed Group à réparation du seul préjudice distinct subi par Mme I... au titre de la rupture de son contrat de travail déclarée nulle, soit la somme de 10 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement rendu le 5 mai 2014 et capitalisation des intérêts et D'AVOIR dit que Mme I... devra restituer la somme de 21 186,57 euros reçue à la suite des saisies attributions réalisées ;
AUX MOTIFS QU'aucun salarié ne peut être licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, en raison notamment de sa situation de famille ou de sa grossesse ; qu'il appartient au salarié qui se prétend victime d'une discrimination de présenter des faits laissant supposer son existence ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que Mme G... O... fait valoir qu'elle a été, avec sa collègue Mme L..., également de retour d'un congé parental d'éducation, la seule à faire l'objet d'un licenciement économique, alors que toutes deux n'exerçaient ni les mêmes fonctions, ni n'avaient la même ancienneté, ni les mêmes compétences, ni le même âge ; que si l'employeur oppose la suppression du département consacré à la marque Kaufman, il n'est pas démontré que Mme G... O... ait été la seule salariée à y travailler ni qu'elle travaillait exclusivement pour cette marque alors qu'elle devait essentiellement développer la marque Visiomed Baby ; que la rupture résultant d'un contrat de sécurisation professionnelle est tout autant visée par les dispositions interdisant la discrimination ; que peu importe que sur les neuf salariées ETAM en CDI, il y avait également une femme enceinte qui bénéficiait d'un régime de protection distinct ou encore qu'une salariée ait pu bénéficier d'un congé parental après le licenciement critiqué sans être elle-même licenciée ; qu'elle présente par ces seuls éléments des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination fondée sur sa situation de famille alors qu'elle revenait, comme sa collègue Mme L..., d'un congé parental ; que la société Visiomed Group réplique que la salariée a accepté sans contrainte le contrat de sécurisation professionnelle, alors qu'elle s'est trouvée dans la même situation que sa collègue, Mme L..., ce qui ne suffit pas à démontrer la réalité de la discrimination ; qu'elle oppose principalement la réalité des difficultés économiques rencontrées par l'entreprise en produisant les bilans qui font état d'une perte de près de 5 millions € fin 2011 puis de près de 3 millions € l'année suivante, les capitaux propres étant inférieurs à la moitié du capital social le 31.12.2012 ; une augmentation de capital a été décidée en décembre 2012 (600.000 €) ; que les difficultés économiques résultent également du rapport publié le 31.10.2012 et communiqué par la salariée en première instance qui révèle la dégradation du résultat d'exploitation et la mise en place d'une politique de réduction des coûts ; qu'elle conteste le fait que l'entreprise ait recouvré sa solidité financière courant 2012, alors même que le chiffre d'affaires consolidé a diminué entre 2012 et 2013, accompagné d'une nouvelle baisse de la marge brute et des capitaux propres ; qu'enfin, la société relève que sur les huit salariés en CDI de statut ETAM, 3 exerçaient des fonctions spécifiques de comptable, contrôleur de gestion et administrateur informatique et étaient non remplaçables, outre un magasinier, seule une salariée n'était pas en congé parental : Mme C... ; que le premier juge s'est interrogé sur la nécessité de supprimer les deux postes occupés par Mme G... O... et Mme L..., modestes employées non cadres, pour assurer le redressement des comptes d'une société au chiffre d'affaires de 11 millions €, sans que celle ci apporte d'éléments sur la situation des autres cadres et dirigeants de l'entreprise ; qu'il a constaté que les deux seules salariées licenciées l'ont été juste à l'issue de leur congé parental et que les explications données par l'employeur n'étaient donc pas convaincantes, sans que cette motivation permette d'établir la réalité de la discrimination ; que dans la lettre de licenciement notifiée le 28.09.2012 la société Visiomed Group déclare que la suppression du poste de Mme G... O... est liée à l'arrêt de l'activité du département GD (Grande distribution et grandes et moyennes surfaces à caractère non alimentaire et multi spécialistes) sous la marque Kaufman, auquel la salariée était rattachée par son contrat ; que le contrat de travail mentionnait en effet que Mme G... O... devait exercer ses fonctions sur ce secteur sans pour autant limiter son activité à la seule marque Kaufman ; que la salariée affirme en revanche avoir travaillé essentiellement pour la marque Visiomed Baby ; qu'elle produit des documents de travail généraux qui ne mentionnent pas spécialement son nom ou ne font pas figurer d'organigramme ce qui aurait permis de la situer au sein de l'entreprise (pièces 3, 4, 5, 22 et 23) ; qu'elle communique cependant l'attestation de Mme L..., qui confirme que Mme G... O... se consacrait essentiellement au développement de la gamme dénommée Visiomed Baby, la gamme Kaufman étant introduite plus tard ; qu'il en résulte qu'il n'est pas démontré par les seuls éléments produits que Mme G... O... aurait consacré son activité au seul développement de la marque Kaufman, ni que le département GD ait diminué son activité d'une manière quelconque : qu'en outre, le livre entrée/sortie du personnel fait apparaître qu'une autre assistante commerciale grand public de statut ETAM était en poste depuis le 26.08.2010, Mme C..., et qu'une chef des ventes de statut ETAM avait été embauchée le 01.10.2010 ; que la société Visiomed Group ne présente pas davantage d'organigramme au soutien de ses prétentions ; que dans ses écritures, la société Visiomed Group se borne à constater que les 2/3 de l'effectif salarié du service était en congé parental, c'est à dire deux salariées sur trois, en précisant "puisque seule Mme C... n'était pas dans cette situation", ce qui ne justifie pas que le licenciement de cette dernière n'ait pas été envisagé ni que les deux salariées aient dû de ce fait être licenciées à leur retour de congé parental ; qu'enfin, la salariée avait formé une demande de renouvellement de son congé parental, à mi temps, préalablement à la date de convocation à l'entretien préalable ; qu'en conséquence, la société Visiomed Group ne prouve pas que la décision de licencier Mme G... O... était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination au regard de sa situation familiale ; que la rupture du contrat de travail est donc nulle ; qu'en réparation du préjudice subi, et en l'absence de demande de réintégration, la salariée ne peut prétendre, ainsi que le rappelle l'employeur, qu'aux indemnités de rupture et à une indemnité d'éviction qui sera au moins égale à 6 mois de salaire en application de l'article L. 1253-3-1 du code du travail ; que la salariée se borne à réclamer d'une part un rappel de salaire et d'autre part des dommages intérêts réparant la différence de salaire à partir de février 2014, ces demandes ne pouvant pas être satisfaites sous cette forme ; que néanmoins elle demande également une indemnité pour préjudice distinct résultant de son licenciement, étant précisé que le juge prud'homal a en effet condamné l'employeur à verser 13 329 € pour préjudice distinct correspondant à six mois de salaire ; que les parties s'opposent sur le salaire moyen à prendre en compte ; qu'à la date de la rupture et du licenciement, Mme G... O... était en congé parental à temps complet, et son contrat de travail avait donc été suspendu ; qu'il convient par suite de prendre en compte une moyenne qui se calcule sur les douze mois ayant précédé ce congé parental et donc de faire droit à la demande qui était limitée à 10 000 € ; que cependant elle sollicite "en tout état de cause" l'indemnité compensatrice de préavis qu'il y a lieu de lui accorder ; qu'il appartiendra alors à l'employeur de récupérer les sommes versées à Pôle Emploi dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle, la société ne contestant pas les montants réclamés ; qu'en ce qui concerne les préjudices supplémentaires allégués, résultant de la discrimination, du préjudice moral et du préjudice de carrière, Mme G... O... fait valoir un préjudice de carrière car elle n'a pas retrouvé immédiatement un travail à temps plein mais seulement à temps partiel en février 2014 ; qu'or elle communique un tableau qui montrerait les différences entre les salaires perçus et des avis d'imposition sans produire d'éléments concrets et vérifiables sur sa situation professionnelle actuelle, ce qui ne permet pas d'évaluer un préjudice de carrière ; qu'elle ne détermine pas le préjudice distinct tiré de la discrimination ; qu'elle excipe des conditions vexatoires de la rupture en indiquant avoir été licenciée le jour de sa reprise ce qui ne donne pas d'indication sur le préjudice effectivement subi ;
ALORS, 1°), QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'à titre principal, dans ses conclusions reprises oralement à l'audience (p. 43 et 47), la salariée sollicitait en réparation de son licenciement nul pour discrimination, l'octroi d'une somme de 79 272,65 euros au titre de son préjudice économique, soit seize mois de salaire, outre une somme de 40 832,25 euros au titre de ses préjudices distincts ; qu'en retenant que Mme I... ne formulait qu'une demande limitée à la somme de 10 000 euros, au titre de l'indemnité minimale des salaires des six derniers mois, en réparation de son préjudice pour licenciement nul, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la salariée, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS, 2°), QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'après avoir rappelé que le salarié dont le licenciement est annulé en raison d'une discrimination et qui n'est pas réintégré peut prétendre à une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, la cour d'appel relève que la salariée se borne à réclamer d'une part un rappel de salaire et d'autre part des dommages-intérêts réparant la différence de salaire à compter de la rupture, pour retenir que ses demandes « ne peuvent pas être satisfaites sous cette forme » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas exercé son office, a violé l'article 12 du code de procédure civile.