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08/01/2020 | FRANCE | N°19-10001

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 08 janvier 2020, 19-10001


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 novembre 2018), I... K... a, suivant acte notarié des 27 et 29 mars 2002, mis à la disposition de la société Beghin Say, aux droits de laquelle vient la société Tereos France (la société), avec effet rétroactif au 1er janvier 2001 et pour une durée de dix-huit ans, plusieurs parcelles lui appartenant, destinées à être utilisées comme terrain de décantation et d'épandage des eaux de lavage de betteraves. Par lettre du 16 février 20

09, la société a résilié la convention, en raison de la cessation définitive de l...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 novembre 2018), I... K... a, suivant acte notarié des 27 et 29 mars 2002, mis à la disposition de la société Beghin Say, aux droits de laquelle vient la société Tereos France (la société), avec effet rétroactif au 1er janvier 2001 et pour une durée de dix-huit ans, plusieurs parcelles lui appartenant, destinées à être utilisées comme terrain de décantation et d'épandage des eaux de lavage de betteraves. Par lettre du 16 février 2009, la société a résilié la convention, en raison de la cessation définitive de l'activité de la sucrerie qu'elle exploitait.

2. Reprochant à la société divers manquements contractuels, Mme K..., agissant en qualité d'ayant droit de I... K..., décédé le 26 novembre 2009, l'a assignée aux fins, notamment, de voir ordonner la remise en état, à ses frais, des parcelles litigieuses et juger que la résiliation ne sera parfaite qu'à l'issue de ces opérations, ainsi qu'en paiement, jusqu'à cette date, des indemnités et loyers prévus à la convention.

3. Soutenant que les installations en cause étaient soumises au régime des installations classées pour la protection de l'environnement, la société s'est prévalue d'une lettre du 22 novembre 2010 valant, selon elle, autorisation du préfet de maintenir les bassins en l'état.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, de dire que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état et de dire que, jusqu'à cette date, elle sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, alors que « l'appréciation de la légalité et de la force obligatoire d'un acte administratif ressort de la compétence exclusive du juge administratif ; que le juge judiciaire ne peut écarter l'acte administratif qu'en cas d'illégalité manifeste de celui-ci au regard de la jurisprudence constante des juridictions administratives ; qu'en considérant que Le courrier du 22 novembre 2010 argué par la société Tereos de décision du préfet ne peut en aucun cas être considéré comme tel, celui-ci n'émanant pas du préfet mais de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, signé Pour le Préfet et par délégation, le directeur", se bornant à donner une suite favorable" à un projet, ne contenant donc aucune obligation, ne mentionnant par ailleurs aucun délai et voie de recours possible et ne faisant référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral et n'étant d'ailleurs adressée qu'à la société Tereos", la cour d'appel, qui ne pouvait être juge de la légalité et de la force obligatoire de cet acte administratif a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III et l'article 49 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme K... conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir qu'en application de l'article 74 du code de procédure civile, la société n'est pas recevable à soutenir, pour la première fois devant la Cour de cassation, que le juge judiciaire devait renvoyer à la juridiction administrative l'appréciation de la légalité de la lettre du 22 novembre 2010, faute d'avoir soulevé, devant les juges du fond, une exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle.

6. Cependant, la société n'était pas tenue de soulever cette exception en cause d'appel, dès lors qu'elle ne contestait pas la validité de l'acte administratif en cause, dont elle entendait, au contraire, se prévaloir. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

7. Il résulte du principe et des textes précités que, hors les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d'un acte administratif, sauf lorsqu'il apparaît, au vu d'une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste.

8. Pour ordonner à la société de procéder à la remise en état des parcelles litigieuses, dans les conditions prévues à la convention conclue entre les parties, l'arrêt retient que la lettre du 22 novembre 2010 ne peut être considérée comme une décision du préfet, dès lors qu'elle émane de la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, qu'elle est signée « pour le préfet et par délégation, le directeur », qu'elle se borne à donner une « suite favorable » à un projet et ne contient donc aucune obligation, qu'elle ne mentionne aucun délai ni voie de recours possible, qu'elle ne fait référence à aucune autre décision ni à un quelconque arrêté préfectoral et, enfin, qu'elle n'est adressée qu'à la société.

9. En se prononçant ainsi sur le caractère décisoire de l'acte administratif unilatéral en cause et, en conséquence, sur sa légalité, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé le principe et les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Tereos France de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002, en ce qu'il dit que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue des opérations de remise en état et en ce qu'il dit que, jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos France sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et les loyers prévus par ladite convention, l'arrêt rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne Mme K... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par Me Rémy-Corlay, avocat aux Conseils, pour la société Tereos France

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR ordonné à la société Tereos de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002 ; dit que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état ; dit que jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et loyers prévus par ladite convention ;

AUX MOTIFS QUE « D'une part, il ressort des dispositions de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février que : "Les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que leur consentement mutuel ou pour des causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi." D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 1234 du même code tel que rédigé antérieurement au 1er octobre 2016 que les obligations s'éteignent par le paiement, la novation, la remise volontaire, la compensation, la confusion, la perte de la chose, la nullité ou la rescision ou encore par l'effet de la condition résolutoire et par la prescription. » La renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. Elle ne se déduit pas de la seule inaction ou du silence de son titulaire. Elle ne se présume pas et pour être utilement opposée à celui qui s'en prévaut, elle doit être certaine, expresse et non équivoque. En l'espèce, aux termes de l'Article quatrième, « Nivellement en fin de mise à disposition » de la convention signée devant notaire les 27 et 29 mars 2002 entre M. I... K... et la société Beghin Say : "En fin de la mise à disposition, soit par l'arrivée du terme desdites conventions, soit par anticipation, la société Beghin Say laissera les terres au niveau qu'elles auront atteint, à charge par elle d'araser et d'aplanir aux niveaux voisins les digues extérieures qui existeront, et éventuellement de niveler la surface des bassins remplis, le tout aux frais de la société Beghin Say, sous réserve de toutes conditions différentes qu'imposerait l'administration, notamment la Drire, à la société Beghin Say lors de la remise en état du site. Monsieur K... devra reprendre les immeubles dans l'état où ils se trouveront alors et faire son affaire de la remise en état de culture. Toutefois, les indemnités de mise à disposition ci-après stipulées continueront à être payées pendant la période de séchage de une année après la restitution des immeubles." L' Article neuvième Résiliation anticipée est ainsi rédigé : "Dans le cas où la société Beghin Say serait amenée à cesser l'exploitation des bassins édifiés sur les parcelles objet de la présente convention par suite d'une interdiction administrative, de la fermeture définitive de la Sucrerie d'Abbeville, du remplissage des bassins, ou de tout autre cause, elle pourra mettre fin au contrat avant le terme prévu, en prenant en charge la remise en état des bassins aux conditions du premier paragraphe de l'article quatrième "Nivellement en fin de mise à disposition" et de la remise en état de culture des parcelles. Cette résiliation anticipée prendra effet à l'issue de ces opérations de remise en état. Cette remise des parcelles à Monsieur I... K... devra faire l'objet d'un préavis à lui adressé par lettre recommandée avec accusé de réception, ou acte extra judiciaire six mois au moins avant la date d'effet de la résiliation anticipée. La résiliation anticipée ne pourra avoir effet que pour la totalité des parcelles mises à disposition, à moins que la Drire ne demande une fermeture partielle, auquel cas une résiliation partielle des conventions pourra être envisagée selon des modalités à définir, ce qui est acceptée dès à présent par les parties. " Par ailleurs, l'Article douzième Prix B/ En ce qui concerne les parcelles reprises sous la dénomination "Zone 2" Deuxième période dite de "confirmation" sur Zone 2, soit à partir de l'année 2001, prévoit que si la société Beghin Say ne donne pas suite à l'extension de ses bassins sur cette zone : "Alors la société Beghin Say ne sera en droit de résilier unilatéralement la présente convention de mise à disposition convenue pour la Zone 2. Dans ce cas, la société Beghin Say est tenue d'informer expressément Monsieur K... ou ses ayants droits dans un préavis préalable de 6 mois soit avant le 30 juin 2010 pour un désengagement le 1er janvier 2011 etc ... et ainsi de suite selon la date de cette résiliation anticipée. Cette résiliation anticipée prendra effet à l'issue du préavis de résiliation ci-dessus. Compte tenu du montant des indemnisations prévues à l'article douzième "Prix" Monsieur K... renonce pour lui-même et ses ayants droit, à demander la moindre indemnité supplémentaire en fin de contrat y compris en cas de résiliation anticipée de la mise à disposition de la zone 2 ci-dessus évoquée. Lesquelles sommes, Monsieur O..., es-qualités, oblige la société Beghin Say à payer à Monsieur K... lors de leur facturation comme il est dit ci-après sous l'article 13ème." L'acte contient une clause résolutoire et des dispositions concernant, notamment, la peupleraie et le droit de chasse ainsi qu'une Annexe à l'article douzième Indemnité en cas de résiliation anticipée par Beghin Say de la zone 1 signée et datée par les parties, portant la mention "Pris connaissance Bon pour accord" se présentant comme suit : (
) Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 février 2009, la société Tereos a écrit à M. K... en ces termes : "Suite à la cessation d'activité de la sucrerie d'Abbeville, nous vous informons que nous résilions la convention de mise à disposition du 29 mars 2002." M. K... a adressé à la société Tereos un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 14 avril 2009 (reçu le 17 avril 2009) se présentant comme suit : "Par votre lettre recommandée du 16 février 2009, je prends acte de votre décision d'une résiliation anticipée de notre convention du 29 mars 2002 concernant les bassins de décantation de la Sucrerie d'Abbeville. Indépendamment de l'accord financier contenu dans cette convention nous avions convenu ensemble que si ce cas venait à se présenter la Sucrerie d'Abbeville s'engageait : 1 - à remettre en état de nivellement et de portance les terrains pour permettre à des engins agricoles d'entreprendre leur remise en état de culture 2 - à abandonner à mon profit la parcelle D14 lui appartenant, enclavée dans mon exploitation et dont vous trouverez ci-joint une copie de la lettre envoyée au notaire par le directeur de l'époque pour exécution de cet accord, c'est d'ailleurs cette décision qui nous avait permis de finaliser notre contrat au mieux de nos intérêts respectifs. Afin de pouvoir favoriser au mieux notre entente dans ce désengagement de votre part, auriez-vous l'obligeance de me faire connaître les coordonnées de la personne de votre entreprise ayant les responsabilités pour prendre les décisions utiles dans cette intervention." En réponse, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 2 juin 2009, la société Tereos a écrit à M. K... au sujet de la "Cessation d'activité sucrerie d'Abbeville" pour l'informer qu'elle prenait contact avec les services de l'Agence de l'eau afin d'obtenir les autorisations nécessaires pour procéder à la vidange complète des bassins nommés "K... 1, 2 et 3 et lui indiquant que : "Une fois cette opération terminée, nous réaliserons les travaux d'arasement des digues de façon à rendre accessible les surfaces correspondances". Par courrier en date du 23 novembre 2009, M. K... a demandé à la société Tereos d'informer la préfecture de son accord de principe pour conserver en l'état les trois bassins 88, 92 et 94 du fait de leur intérêt pour le gibier d'eau. La mairie de Grand Laviers a fait de même et dans les mêmes termes pour les bassins 72 et 73. Par courrier en date du 8 décembre 2009 Mme K... a écrit à la société Tereos en ces termes : "Pour faire suite à nos différents échanges, je vous demande de bien vouloir informer la Préfecture de mon accord de principe pour conserver en l'état les trois bassins 88, 92 et 94 réalisés sur les parcelles données à bail à votre société sur les communes de Grand Laviers, Port le Grand et Saigneville en particulier du fait de leur intérêt pour le gibier d'eau ; néanmoins sous réserve que nous soyons indemnisés pour la perte de valeur desdits bassins, car il y a aura impossibilité de les exploiter comme terres agricoles. Ainsi, sauf avis contraire des autorités, nous serons en mesure de régulariser définitivement la sortie de notre bail pour ces parcelles." La société Tereos a été informée du décès de M. K... par courrier du 30 juin 2010, le Notaire prenant soin d'indiquer à cette dernière que Mme K..., épouse survivante, avait vocation à percevoir toutes indemnités qui seraient versées au profit de M. K... en sa qualité d'usufruitière. Par courrier daté du 22 novembre 2010, la direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme a écrit à la société Tereos ce qui suit : "Suite à la cessation du site Tereos à Abbeville, vous m'avez fait part de propositions relatives à l'usage futur des bassins de Grand Laviers de l'ancienne sucrerie, implantés sur les communes de Grand Laviers, Port-le-Grand et Saigneville. Les propositions ont reçu l'accord des propriétaires. J'ai décidé de donner une suite favorable à ce projet, qui respecte les dispositions de remise en état prévues par les arrêtés préfectoraux régissant l'activité de l'établissement et les dispositions de remise en état prévues dans ce cadre. Vous trouverez en annexe le tableau de synthèse des conditions de remise en état des bassins. Je vous rappelle par ailleurs qu'il vous revient de déposer un dossier de demande de restriction d'usage, en application des dispositions de l'arrêté du 5 mai 2010." Le tableau de synthèse reprend liste des bassins de l'ancienne sucrerie d'Abbeville, à savoir les bassins 1971, 1975 et 1981 appartenant à la société Tereos, les bassins 1972 et 1973 appartenant à la mairie de Grand Laviers et les bassins 1988, 1992 et 1994 appartenant à "M. et Mme K...". S'agissant de ces derniers il est indiqué au paragraphe "texte réglementaire" : "En fin d'exploitation, le site devra être remis en état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 (article L. 511-1 du code de l'environnement). La notification préalable au Préfet en sera faite dans les formes et sous les délais prévus par le décret du 21 septembre 1977 (article R. 512-39-1 du code de l'environnement). L'insertion du bassin 1994 dans son environnement fera l'objet d'une étude qui sera transmise 6 mois avant sa fin d'exploitation." Au paragraphe "avis reçu" il est indiqué : "accord des propriétaires pour conserver les bassins en l'état (intérêt pour le gibier d'eau)." Mme K... a fait établir un procès-verbal de constat par Me W... Huissier de justice le 2 mai 2011 aux fins de constater la présence de nombreux tuyaux sur les parcelles de terres mises à disposition. Cette démarche a été réitérée le 20 février 2017 et a abouti à la constatation générale que le site des trois bassins de décantation était à l'état d'abandon (présence de tuyaux des réseaux de canalisations hors d'usage, site en friche, végétation non entretenue aux abords des bassins de décantation et sur les chemins d'accès). Mme K... a contacté le maire de Grand Laviers qui lui a fait la réponse suivante le 12 février 2016 : "1/ nous n'avons pas à ma connaissance de décision prise par M. le Préfet obligeant M. K... et sa suite à laisser les bassins en eaux 2/ La commune de Grand Laviers n'a pas imposé à Mme K..., agricultrice exploitante, ni à l'indivision K..., propriétaire de ces bassins depuis le décès de M. K..., de laisser les 3 bassins de la Ferme de Touvent en eau au lieu de les faire araser 3/ La commune de Grand Laviers a bien reçu suite à la résiliation du bail avec la société Tereos une indemnité compensatrice de 30.000 euros en février 2012 pour la parcelle cadastrée [...]." En l'état, il n'est pas contesté que M. K... et la société Beghin Say aux droits de laquelle vient désormais la société Tereos ont convenu par acte notarié des 27 et 29 mars 2002 d'une mise à disposition de plusieurs parcelles aux fins de terrain de décantation et d'épandage des eaux de lavage de betteraves pour une durée de 18 ans ayant commencé à courir à compter du 1er janvier 2001 pour se terminer le 31 décembre 2018 moyennant une indemnité annuelle calculée selon un prix à l'hectare ou sous forme de forfait selon la zone concernée. Cette convention prévoit de façon claire et dénuée de toute ambiguïté la façon dont les parties peuvent résilier de façon anticipée cette mise à disposition. Ainsi, il est prévu que la société Beghin Say laisse les terres au niveau qu'elles avaient atteint à charge pour elle d'araser et d'aplanir aux niveaux voisins les digues extérieures existantes, et éventuellement de niveler la surface des bassins remplis, le tout aux frais de la société Beghin Say, M. K... reprenant pour sa part les immeubles dans l'état où ils se trouvent et faisant son affaire de la remise en état de culture (article 4). L'article 9 qui renvoie à l'article 4 prévoit expressément que la résiliation anticipée prend effet à l'issue des opérations de remise en état. Une indemnisation financière comprenant une indemnité de résiliation et une indemnité de séchage est prévue en cas de résiliation anticipée, à savoir pour la seule zone 1 une indemnité égale à certain nombre d'indemnité annuelle variant entre 6,5 et 2 selon l'année de résiliation (article 12 et annexe). La société Tereos a notifié à M. K... la résiliation de la convention le 16 février 2009. Aucun élément produit ne permet d'établir que M. K... puis son épouse aurait entendu renoncer expressément à cette indemnisation financière, bien au contraire, puisque tant le courrier du 14 avril 2009 que celui du 8 décembre 2009 font tous deux référence à l'indemnisation de ladite résiliation anticipée et l'accord de principe donné à la préfecture de conserver en l'état les trois bassins 88, 92 et 94 réalisés sur les parcelles données à bail du fait de leur intérêt pour le gibier d'eau est sans rapport avec le contrat qui lie M. K... et la société Tereos. Par ailleurs, dans son courrier du 2 juin 2009, la société Tereos a clairement indiqué son intention de procéder à la vidange complète des bassins puis aux travaux d'arasement des digues. Le courrier du 22 novembre 2010 argué par la société Tereos de décision du préfet ne peut en aucun cas être considéré comme tel, celui-ci n'émanant pas du préfet mais de la Direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, signé "Pour le Préfet et par délégation, le directeur", se bornant à donner "une suite favorable" à un projet, ne contenant donc aucune obligation, ne mentionnant par ailleurs aucun délais et voie de recours possible et ne faisant référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral et n'étant d'ailleurs adressée qu'à la société Tereos. Ce courrier n'a donc aucun effet entre les parties au contrat, étant remarqué que la mairie de Grand Laviers, bien qu'ayant donné son accord de principe de la même façon que M. K..., a néanmoins bénéficié d'une indemnisation de la part de la société Tereos. C'est donc à juste titre que Mme K... estime que le contrat est encore en cours, l'effet de la résiliation anticipée du contrat étant retardé par convention à l'issue des opérations de remise en état, ce qui n'a jamais eu lieu et n'est d'ailleurs pas contesté. La société Tereos prétend sans en justifier être dans l'impossibilité de remettre en état les parcelles, se fondant uniquement sur le courrier du 22 novembre 2010 ne constituant qu'un avis et non une décision faisant grief. Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, d'ordonner à la société Tereos de procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002 et dire que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état et que jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et loyers prévus par ladite convention. Il n'y a pas lieu à communication de l'entier dossier transmis par la société Tereos à la Préfecture pour solliciter le maintien en eau des bassins lieudit "de la ferme de Touvent", ceci étant sans effet sur la solution du litige »

ALORS QUE 1°) l'appréciation de la légalité et de la force obligatoire d'un acte administratif ressort de la compétence exclusive du juge administratif ; que le juge judiciaire ne peut écarter l'acte administratif qu'en cas d'illégalité manifeste de celui-ci au regard de la jurisprudence constante des juridictions administratives ; qu'en considérant que « Le courrier du 22 novembre 2010 argué par la société Tereos de décision du préfet ne peut en aucun cas être considéré comme tel, celui-ci n'émanant pas du préfet mais de la Direction des affaires juridiques et de l'administration locale de la préfecture de la Somme, signé "Pour le Préfet et par délégation, le directeur", se bornant à donner "une suite favorable" à un projet, ne contenant donc aucune obligation, ne mentionnant par ailleurs aucun délais et voie de recours possible et ne faisant référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral et n'étant d'ailleurs adressée qu'à la société Tereos », la Cour d'appel, qui ne pouvait être juge de la légalité et de la force obligatoire de cet acte administratif a excédé ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III et l'article 49 du Code de procédure civile ;

ALORS QUE 2°) en toute hypothèse, doit être respecté tout acte administratif décisoire, quelle que soit la forme de cette décision ; que le courrier par lequel le Préfet donne une « suite favorable à un projet » dans la mesure où celui-ci « respecte les dispositions de remise en état prévues par les arrêtés préfectoraux régissant l'activité de l'établissement et les dispositions de remise en état prévues dans ce cadre. », relevant des dispositions spéciales du Code de l'environnement supposant l'accord de l'administration, est décisoire ; qu'en faisant droit à la demande de Madame K..., obligeant la Société Tereos à « procéder, à sa charge, à la remise en état des bassins dans les conditions du premier paragraphe de l'article quatrième de la convention des 27 et 29 mars 2002 et dire que la résiliation de cette convention ne sera juridiquement parfaite entre les parties qu'à l'issue de ces opérations de remise en état et que jusqu'à la remise en état des parcelles, la société Tereos sera tenue de régler à Mme K... les différentes indemnités et loyers prévus par ladite convention », aux motifs que l'acte en cause ne ferait pas grief et ne comporterait aucune obligation, la Cour d'appel a violé les articles R. 512-39-1 et suivants du Code de l'environnement, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III ;

ALORS QUE 3°) le contrat fait la loi des parties et oblige celles-ci à l'exécuter dans la limite des dispositions impératives légales ou réglementaires ; qu'en l'espèce l'article 4 du contrat litigieux prévoyait, à la clause, « Nivellement en fin de mise à disposition » que « en fin de la mise à disposition, soit par l'arrivée du terme desdites conventions, soit par anticipation, la société Beghin Say laissera les terres au niveau qu'elles auront atteint, à charge par elle d'araser et d'aplanir aux niveaux voisins les digues extérieures qui existeront, et éventuellement de niveler la surface des bassins remplis, le tout aux frais de la société Beghin Say, sous réserve de toutes conditions différentes qu'imposerait l'administration, notamment la Drire, à la société Beghin Say lors de la remise en état du site. Monsieur K... devra reprendre les immeubles dans l'état où ils se trouveront alors et faire son affaire de la remise en état de culture. » ; qu'il s'évinçait du courrier du Préfet que les bassins devaient être laissés en l'état, en raison de leur intérêt pour le gibier d'eau, le projet « respectant les arrêtés préfectoraux régissant l'activité de l'établissement et les dispositions de remises en état prévues dans ce cadre » ; qu'en ordonnant leur remise en état, la Cour d'appel a violé l'article 1134 (dans sa version applicable à la cause, désormais article 1103) du code civil, ensemble les lois des 16-24 août 1790 et du 16 fructidor an III ;

ALORS QUE 4°) le juge ne peut dénaturer les pièces versées au débat ; qu'en l'espèce la décision litigieuse du préfet du 22 novembre 2010 faisait explicitement référence aux arrêtés précédents, puisqu'il énonçait qu'il était fait droit à la demande de Tereos dès lors qu'elle « respecte les dispositions de remise en état prévues par les arrêtés préfectoraux régissant l'activité de l'établissement et les dispositions de remise en état prévues dans ce cadre. » ; qu'en retenant que ce courrier « ne (faisait) référence à aucune autre décision ni un quelconque arrêté préfectoral », la cour d'appel a violé l'article 1134 (dans sa version applicable à la cause, désormais article 1103) du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 19-10001
Date de la décision : 08/01/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Appréciation du caractère décisoire d'un acte administratif unilatéral

Hors les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile ne peuvent porter une appréciation sur la légalité d'un acte administratif, sauf lorsqu'il apparaît, au vu d'une jurisprudence établie, que cette illégalité est manifeste. Dès lors, viole le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, une cour d'appel qui se prononce sur le caractère décisoire d'un acte administratif unilatéral et, en conséquence, sur sa légalité


Références :

Sur le numéro 1 : article 74 du code de procédure civile.
Sur le numéro 2 : principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires

loi du 16-24 août 1790

décret du 16 fructidor an III

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 15 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 08 jan. 2020, pourvoi n°19-10001, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : Me Rémy-Corlay, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:19.10001
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