LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 1152-1 du code du travail et l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... a été engagée le 26 octobre 2001 par la société Bourbon Automotive Plastics Chalezeule (la société) en qualité d'opératrice ; qu'elle occupait en dernier lieu le poste d'animatrice, secteur montage-démontage ; qu'elle était titulaire d'un mandat syndical depuis le 20 mars 2014 ; que la société lui a notifié un avertissement le 27 juin 2014 ; qu'après plusieurs arrêts de travail, elle a été déclarée inapte par le médecin du travail le 11 décembre 2014 ; qu'elle a été licenciée par lettre recommandée avec accusé réception du 10 février 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l'inspecteur du travail du 5 février 2016 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale en annulation de l'avertissement du 27 juin 2014 et paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée, annulation de son licenciement pour harcèlement moral et paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, des congés payés afférents, d'indemnité pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des faits de harcèlement moral, l'arrêt retient que la salariée prétend avoir fait l'objet d'un harcèlement moral se matérialisant par l'avertissement injustifié du 27 juin 2014 et le retrait des fonctions, que ces éléments laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, que le retrait des fonctions est justifié par des éléments objectifs, que seule la notification d'un avertissement injustifié peut être reprochée à l'employeur, que ce fait, qui reste isolé, ne peut donc constituer un harcèlement moral ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans examiner l'ensemble des éléments invoqués par la salariée au titre du harcèlement moral alors que la salariée faisait également valoir dans ses conclusions que le responsable projet avait mis en cause la véracité de son arrêt maladie, avait estimé qu'elle voulait ennuyer ses collègues, que l'organisation avait été modifiée de façon spécifique pour la soumettre à trois supérieurs hiérarchiques, que, de façon humiliante, ses tâches étaient inscrites au jour le jour sur un tableau accessible à tous, que, lorsqu'elle s'est présentée sur son lieu de travail le 18 novembre 2014, tout son matériel et notamment son ordinateur avait été retiré de son bureau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Et attendu qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs du dispositif visés par les deuxième et troisième moyens ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la salariée de sa demande d'annulation du jugement du conseil de prud'hommes de Besançon du 20 mars 2017, annule l'avertissement du 27 juin 2014 et condamne la société Bourbon Automotive Plastics Chalezeule à payer à la salariée la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée, l'arrêt rendu le 3 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Bourbon Automotive Plastics Chalezeule aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des faits de harcèlement moral.
AUX MOTIFS propres QUE Mme R... Y... prétend avoir fait l'objet d'un harcèlement moral, se matérialisant par : - l'avertissement injustifié du 27 juin 2014, - le retrait de fonctions; il convient en premier lieu d'examiner les éléments rapportés par la salariée; sur les éléments laissant supposer Vexistence de faits de harcèlement moral : - sur l'avertissement : il est constant que la S.A.S.U Bourbon Automotive Plastics Chalezeule a notifié à Mme R... Y... le 27 juin 2014 un avertissement pour abandon de poste; - sur le retrait des fonctions : il est constant que Mme R... Y..., embauchée initialement comme opératrice, était en dernier lieu animatrice montage-démontage affectée au secteur aviation; elle reproche à son employeur de lui avoir retiré, lors de son retour d'arrêt maladie le 15 juillet 2014, les fonctions de suivi des commandes clients; elle s'en est d'ailleurs plainte auprès de l'Inspection de travail; il ressort du procès-verbal d'une réunion extraordinaire du CHSCT du 25 juillet 2014, que l'employeur produit lui-même aux débats, que celui-ci a confirmé le retrait à Mme R... Y... des fonctions de suivi des commandes clients ; plusieurs membres du CHSCT ont alerté l'employeur du risque psycho-social entraîné par ce retrait de fonctions, lui indiquant que la salariée se sentait dévalorisée et punie par son absence pour maladie; l'ensemble de ces éléments laisse ainsi supposer l'existence d'un harcèlement moral; il est constant que l'Inspection du travail a écrit le 25 juillet 2014 à la S.A.S.U Bourbon Automotive Plastics Chalezeule que son attention avait été attirée au sujet d'une situation de souffrance au travail subie par Mme R... Q..., notamment en raison de ses fonctions revues à la baisse lors de sa reprise de travail le 15 juillet 2014 où elle aurait été confinée désormais à une fonction d'opératrice; or, l'employeur a répondu le 30 juillet 2014 que la charge de travail du secteur aviation justifie le passage en deux équipes depuis le 28 juillet ; il écrit notamment : "De ce fait, nous avons jugé plus pertinent que les relations "logistique client" avec ZODIAC soit géré par le chef de projet, qui est déjà en charge de la programmation des fabrications poste client. En effet, l'affectation de l'animatrice à l'une des deux équipes avec son collaborateur (l'autre équipe étant constituée d'intérimaires) ne lui permet pas d'avoir une vision globale de la production et de pouvoir répondre de façon circonstanciée aux clients Zodiac, seul client pour lequel Mme R... Y... était amenée à échanger. De plus nous avons découvert que Mme R... Y... avait donné des consignes dès début juin à l'accueil téléphonique pour que les appels du client Zodiac ne lui soient plus passés mais envoyés directement sur le chef de projet. Nous pouvons concevoir que la liaison directe qu'avait Mme R... Y... avec le client sur les aspects logistiques ait pu constituer un facteur de stress pour elle. L'organisation qu'elle avait, d'elle-même, mise en place depuis début juin, et que nous confirmons à partir du 25 juillet, est ainsi de nature à la satisfaire et à répondre à la problématique posée"; force est de constater, au vu des documents produits, notamment d'un procès- verbal de réunion, qu'une telle réorganisation du secteur aviation a effectivement été confirmée en ces termes lors de la réunion extraordinaire de la délégation unique du personnel du 18 juillet 2014 et que par courrier électronique du 3 juin 2014, Mme R... Y... a également demandé à son employeur de ne plus prendre en charge les appels clients de son secteur et de les transférer au chef de projet; il est à noter que dans un second mail adressé le même jour à l'employeur, la salariée a même ajouté : "Oui, ils commencent tous à me saouler !"; en conséquence, il ne peut être fait le grief à la société d'avoir retiré à l'intéressée des fonctions à sa demande afin de préserver sa santé d'une part et en vue de mieux répondre aux exigences du doublement de l'équipe de production du secteur aviation d'autre part; il ressort de l'ensemble de ces observations que seule la notification d'un avertissement injustifié peut être reprochée à l'employeur; ce fait, qui reste isolé, ne peut donc constituer un harcèlement moral.
AUX MOTIFS à les supposer ADOPTES QUE le 11 décembre 2014, date de la 2ème visite de reprise du travail après arrêt de maladie, le Médecin du travail a émis un avis d'inaptitude libellé en ces termes : "la salariée est déclarée inapte à tous les postes de l'entreprise. Étant donné l'état de santé de la salariée, il n 'y a pas de proposition d'aménagement ou de mutation de poste.» ; le 17 novembre 2015, R... Y..., par courrier avec accusé de réception, a refusé les propositions de reclassement au sein de la SASU Bourbon Automotive Plastics Chalezeule; Le 17 décembre 2015, le Comité d'entreprise a émis un avis favorable au licenciement de R... Y...; le 5 février 2016, l'inspection du travail a considéré que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement et a autorisé le licenciement de R... Y...; à ce jour, il n'existe aucun recours hiérarchique auprès du Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et du dialogue social connu.
1° ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les limites du litiges telles qu'elles sont fixées par les conclusions qui lui sont soumises par les parties ; qu'au titre du harcèlement moral, l'exposante soutenait avoir subi, outre l'avertissement injustifié qui lui avait été infligé le 27 juin 2014 et le retrait de l'essentiel de ses fonction, la mise en cause par son supérieur hiérarchique, à son retour dans l'entreprise après un arrêt de travail, de la nécessité et de la véracité de cet arrêt de travail, imputé par lui à la volonté de la salariée de nuire à ses collègues, un changement d'organisation du secteur au sein duquel elle travaillait impliquant une multiplication des échelons et des pressions hiérarchiques, une modification de ses horaires de travail impliquant le passage en 2x8 h, le retrait de l'ensemble de son matériel de travail lors de sa reprise de poste, le 18 novembre 2014, à la suite d'un nouvel arrêt de travail, des reproches sur sa qualité de membre de la délégation unique du personnel, des pratiques humiliantes consistant, pour l'employeur, à inscrire sur un tableau les tâches d'opératrice auxquelles elle était désormais cantonnée, mais encore le refus de l'inspecteur du travail, en date du 3 avril 2015, d'autoriser le licenciement de la salariée au motif que la mesure envisagée n'était pas sans lien avec les mandats représentatifs qu'elle détenait ; qu'en affirmant que la salariée prétend avoir fait l'objet d'un harcèlement moral se matérialisant par l'avertissement injustifié du juin 2014 et le retrait de ses fonctions, quand la salariée invoquait de nombreuses autres circonstances caractérisant le harcèlement moral, la cour d'appel a méconnu les limites du litige qui lui était soumis en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la salariée prétendait avoir fait l'objet d'un harcèlement moral se matérialisant par un avertissement injustifié délivré le 27 juin 2014 et par le retrait de ses fonctions, éléments qu'elle a jugés matériellement établis et susceptibles de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral ; que l'exposante faisait valoir que le harcèlement moral dont elle avait été victime et qui avait entraîné une dégradation de son état de santé conduisant à son inaptitude résultait non seulement de l'avertissement qui lui avait été infligé le 27 juin 2014 et du retrait de l'essentiel de ses fonctions mais encore des reproches injustifiés adressés publiquement par l'employeur le 26 juin 2014, peu après son élection à la délégation unique du personnel, lesquels ont causé un malaise nécessitant qu'elle se rende immédiatement chez son médecin qui lui a délivré un arrêt de travail, de la mise en cause par son supérieur hiérarchique, à son retour dans l'entreprise, de la nécessité et de la véracité de cet arrêt de travail, imputé par lui à la volonté de la salariée de nuire à ses collègues, d'un changement d'organisation du secteur au sein duquel elle travaillait impliquant une multiplication des échelons et des pressions hiérarchiques, du retrait de l'ensemble de son matériel de travail lors de sa reprise de poste, le 18 novembre 2014, à la suite d'un nouvel arrêt de travail, d'un changement de ses horaires de travail impliquant le passage en 2x8 h, de pratiques humiliantes consistant, pour l'employeur, à inscrire sur un tableau les tâches d'opératrice auxquelles elle était désormais cantonnée, ainsi que du refus de l'inspecteur du travail, en date du 3 avril 2015, d'autoriser son licenciement au motif que la mesure envisagée n'était pas sans lien avec les mandats représentatifs qu'elle détenait ; qu'en retenant, après avoir estimé que l'employeur démontrait que l'employeur justifiait de ce que le retrait des fonctions de la salariée était étranger à tout harcèlement, que la seule notification d'un avertissement injustifié ne pouvait constituer un harcèlement moral, sans examiner l'ensemble des faits invoqués par le salarié à l'appui de sa demande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
3° ALORS QUE le conseil de prud'hommes a retenu qu'aucun recours hiérarchique n'a été formé à l'encontre de l'autorisation de licenciement du 5 février 2016 ; qu'à supposer ces motifs adoptés, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande tendant à voir dire et juger que son licenciement pour inaptitude trouve sa cause dans les faits de harcèlement moral et est en conséquence nul, et de l'AVOIR déboutée de ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la nullité de son licenciement et de la perte de son emploi.
AUX MOTIFS propres et à les supposer adoptés énoncés au premier moyen.
1° ALORS QUE lorsque l'inaptitude du salarié, dont le licenciement a été autorisé par l'inspecteur du travail, trouve sa cause dans le harcèlement moral qu'il a subi, celui-ci est fondé à obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen relatif au harcèlement moral entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif critiqué par application de l'article 624 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE l'autorisation de licenciement pour inaptitude donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ; que le conseil de prud'hommes a retenu qu'aucun recours hiérarchique n'a été formé contre la décision d'autorisation du licenciement pour inaptitude du 5 février 2016 ; qu'à supposer ces motifs adoptés, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 ensemble les articles L. 2421-3, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.
AUX MOTIFS propres et à les supposer adoptés énoncés au premier moyen.
1° ALORS QUE lorsque l'employeur a commis à l'encontre du salarié des faits de harcèlement moral ayant entraîné son inaptitude, l'inexécution du préavis lui est imputable en sorte que le salarié est fondé à obtenir le versement d'une indemnité compensatrice de préavis ; qu'il en résulte que la cassation à intervenir sur le premier moyen relatif au harcèlement moral entraînera, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif ici critiqué par application de l'article 624 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE l'autorisation de licenciement pour inaptitude ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations ; que le conseil de prud'hommes a retenu qu'aucun recours hiérarchique n'a été formé contre la décision d'autorisation du licenciement pour inaptitude du 5 février 2016 ; qu'à supposer ces motifs adoptés, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 ensemble les articles L. 2421-3, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.