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07/01/2020 | FRANCE | N°18-87048

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 janvier 2020, 18-87048


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Q 18-87.048 F-D

N° 2644

EB2
7 JANVIER 2020

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

M. F... V... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, en da

te du 14 novembre 2018, qui, pour diffamation publique envers un corps constitué, l'a condamné à deux mois d'emprisonneme...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Q 18-87.048 F-D

N° 2644

EB2
7 JANVIER 2020

CASSATION SANS RENVOI

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

M. F... V... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 8e chambre, en date du 14 novembre 2018, qui, pour diffamation publique envers un corps constitué, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre.

Greffier de chambre : Mme Darcheux.

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE.

Des mémoires, personnel et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Sur délibération de son conseil municipal, la commune d'Asnières-sur-Seine a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef précité, à la suite de la mise en ligne, sur la page de M. V... au sein du réseau "Facebook", de trois messages, en raison, respectivement, des passages suivants : "La Police Manuel semble être source de tension, multipliant les provocations pendant le ramadan. Exemple d'incident : hier soir place Le Vau, une voiture brûlée et un début d'incendie au niveau du garage limitrophe", extrait du message du 12 juin 2016, "La Police Manuel n'a pas bougé, comme d'habitude ...", extrait du message du 13 juin 2016, et "Qui a transformé la Police Municipale en structure à son service, cherchant davantage à satisfaire la main qui la nourrit, qu'à gérer la sécurité des habitants?", extrait du message du 14 juin 2016.

3. M. V..., qui a reconnu être l'auteur de ces messages, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel qui, après avoir rejeté une exception de nullité de la délibération ayant autorisé l'action, et un moyen d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la commune d'Asnières-sur-Seine, l'a déclaré coupable du chef des deux premiers messages, le relaxant pour le troisième, l'a condamné à une peine d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Le prévenu, le ministère public, et la partie civile ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Exposé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 417, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

6. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de renvoi formée par le conseil du prévenu ;

1°) alors que les juges n'ont pas répondu au moyen relatif à l'empêchement du prévenu ;

2°) alors que le prévenu, qui a le droit de se défendre lui-même et donc de prendre part à l'audience, avait manifesté clairement sa volonté de comparaître personnellement à l'audience pour s'expliquer sur les faits, de sorte que la cour d'appel ne pouvait rejeter sans s'en expliquer la demande de renvoi fondée sur l'empêchement du prévenu ;

3°) alors que, ce faisant, la cour d'appel n'a pas respecté le caractère équitable, contradictoire et respectueux de l'équilibre des droits des parties que doit revêtir la procédure pénale.

Réponse de la Cour

7. Au soutien de sa demande de renvoi, le prévenu a fait valoir qu'en sa qualité de directeur des affaires générales de la ville de Malakoff, il était retenu, le jour de l'audience, par la préparation d'une réunion du conseil municipal de cette ville qui devait se tenir le soir-même.

8. L'arrêt attaqué a rejeté cette demande, au motif qu'un calendrier de procédure avait été fixé depuis plusieurs mois en accord avec les parties et leurs conseils, qui réservait une durée importante pour l'examen de l'affaire.

9. En prononçant ainsi, et dès lors que le prévenu a été régulièrement représenté par son avocat à l'audience, la cour d'appel, qui a nécessairement apprécié la pertinence de l'excuse produite, a justifié sa décision.

10. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen

Exposé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 30, 48, 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, préliminaire, 179, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale.

12. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée de l'irrégularité de la délibération spéciale du conseil municipal ayant autorisé la poursuite, alors que les juges saisis par une ordonnance de renvoi en matière de presse doivent vérifier si la plainte avec constitution de partie civile et le réquisitoire introductif sont réguliers, notamment au regard de l'article 48 de la loi sur la liberté de la presse, sans que puissent être opposées les dispositions de l'article 179, dernier alinéa, du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

Vu les articles 48, 1°, et 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 179, dernier alinéa, du code de procédure pénale ;

13. Il se déduit des deux premiers de ces textes que la plainte avec constitution de partie civile déposée par une commune n'est régulière que si elle est précédée d'une délibération du conseil municipal, laquelle doit mentionner avec une précision suffisante les faits qu'elle entend dénoncer, ainsi que la nature des poursuites qu'elle requiert, sans que ses insuffisances puissent être réparées par ladite plainte ou par le réquisitoire introductif.

14. Par ailleurs, lorsque les juges du fond sont saisis par une ordonnance de renvoi du juge d'instruction en matière d'infractions à la loi sur la liberté de la presse, ils doivent vérifier si la plainte avec constitution de partie civile, combinée avec le réquisitoire introductif, répond aux exigences du deuxième de ces textes et, en cas d'inobservation de celles-ci, prononcer la nullité des poursuites, sans que puissent être opposées les dispositions du dernier de ces textes.

15. Pour dire irrecevable l'exception de nullité de la délibération du conseil municipal prise pour l'application de l'article 48, 1°, précité, l'arrêt énonce que l'exception apportée en matière de presse aux dispositions de l'article 175 du code de procédure pénale doit être interprétée strictement, ne peut concerner que les éléments intrinsèques à la plainte avec constitution de partie civile, au regard des exigences de l'article 50 précité, et ne saurait être étendue à la délibération du conseil municipal, qui n'est pas un de ces éléments intrinsèques à la plainte.

16. En prononçant ainsi, alors que la validité de la mise en mouvement de l'action publique par la commune dépendait de la régularité de la délibération du conseil municipal l'autorisant, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et des principes ci-dessus énoncés.

17. La cassation est en conséquence encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Exposé du moyen

18. Le moyen est pris de la violation des articles L. 2212-1 du code général des collectivités locales, L. 511-1, L. 511-2 du code de la sécurité intérieure, 2, 3, 384, 423, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

19. Il critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté les moyens tirés de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile ;

1°) alors que la police municipale est placée sous l'autorité non pas de la commune mais du maire, de sorte que des propos la visant ne peuvent constituer une diffamation envers la commune ;

2°) alors que la cour d'appel n'a pas répondu au moyen d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de la commune tiré de l'irrégularité de la délibération de son conseil municipal.

Réponse de la Cour

Vu les articles 29, alinéa 1er, 30 et 48, 1°, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

20. Il résulte de ces textes que, lorsqu'il est imputé à une administration publique un fait qui porte atteinte à son honneur ou à sa considération, la poursuite ne peut avoir lieu, si le corps concerné n'a pas d'assemblée générale, que sur la plainte du chef du corps ou du ministre duquel ce corps relève.

21. Pour écarter l'exception d'irrecevabilité de l'action engagée par la commune d'Asnières-sur-Seine, l'arrêt énonce que les propos discutés visent expressément la police municipale de cette ville, qui est un service dépendant de la municipalité et placé sous l'autorité de la commune.

22. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé pour les motifs qui suivent.

23. La cour d'appel a exactement retenu que les deux premiers passages poursuivis visaient la police municipale d'Asnières-sur-Seine.

24. Or, ce service administratif, qui n'a pas d'assemblée générale, est, ainsi qu'il résulte des dispositions des articles L. 2212-1 du code général des collectivités locales et L. 511-1 et L. 511-2 du code de la sécurité intérieure, placé sous l'autorité du maire, qui en nomme les agents, et ce pour exécuter des tâches qui relèvent de sa compétence propre.

25. Il en résulte que le maire doit être regardé comme le chef de corps de la police municipale, au sens de l'article 48, 1°, précité. C'est donc à lui, et non à la commune, qu'il appartenait de porter plainte et de se constituer partie civile.

26. La cassation est, en conséquence, également encourue de ce chef.

Et sur le quatrième moyen

Exposé du moyen

27. Le moyen est pris de la violation des articles 6, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 27 août 1789, 111-2, 111-3 et 111-4 du code pénal, 23, 29 et 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 et 593 du code de procédure pénale.

28. Il critique l'arrêt en ce que la cour d'appel a condamné le prévenu à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis, alors que les juges ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, prononcer d'autres peines ou mesures que celles prévues par la loi et que la peine encourue pour la diffamation publique envers un corps constitué est une amende de 45 000 euros d'amende.

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal ;

29. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

30. Après avoir confirmé le jugement sur la culpabilité, l'arrêt, l'infirmant sur la peine, condamne le prévenu à une peine de deux mois d'emprisonnement assortie d'un sursis simple.

31. En prononçant ainsi une peine qui n'est pas prévue par l'article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui réprime d'une amende de 45 000 euros le délit de diffamation publique envers un corps constitué, la cour a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus rappelé.

32. La cassation est donc encore encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

33. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure, appliquant directement la règle de droit, de dire la plainte avec constitution de partie civile irrecevable et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 14 novembre 2018 ;

DIT la commune d'Asnières-sur-Seine irrecevable en sa plainte avec constitution de partie civile ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept janvier deux mille vingt.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-87048
Date de la décision : 07/01/2020
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 14 novembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 jan. 2020, pourvoi n°18-87048


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.87048
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