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12/12/2019 | FRANCE | N°18-21360

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 12 décembre 2019, 18-21360


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses quatrième et cinquième branches :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

Attendu, selon ce texte, que la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que A... J... a été victime d'un homicide volontaire dont MM. X... e

t Y... ont été reconnus coupables par une cour d'assises ; que Mme G... I..., agissant en ...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en ses quatrième et cinquième branches :

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

Attendu, selon ce texte, que la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que A... J... a été victime d'un homicide volontaire dont MM. X... et Y... ont été reconnus coupables par une cour d'assises ; que Mme G... I..., agissant en qualité d'administratrice légale de sa fille T... J... G..., a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) en réparation des préjudices subis par l'enfant ;

Attendu que, pour retenir le principe d'une indemnisation partielle et allouer à Mme G... I..., ès qualités, la somme totale de 37 000 euros, l'arrêt énonce qu'il appartient à la juridiction de jugement d'apprécier in concreto les éléments du dossier pour déterminer si la faute de la victime est de nature soit à exclure toute forme d'indemnisation, soit à en minorer le montant et que cette appréciation doit tenir compte de la qualité du demandeur ; qu'en l'espèce, si les éléments du dossier établissent que A... J... s'adonnait à un trafic de stupéfiants, ses « assassins » étant en dette vis-à-vis de lui, il est également établi que leur passage à l'acte a été manifestement disproportionné par rapport à ce qu'ils pouvaient reprocher à leur fournisseur de sorte que si la faute de la victime doit être prise en compte, elle n'a pas été véritablement déterminante de ce crime ; qu'il ajoute qu'il s'agit ici de permettre l'indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par l'enfant mineur de la victime, âgée de deux ans au moment des faits et donc parfaitement innocente et ce, alors que les deux condamnés n'ont, à ce jour, effectué aucun paiement ni même laissé entrevoir cette possibilité ; qu'il convient à cet égard de rappeler que si le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions(FGTI) intervient au bénéfice des victimes, il lui appartient de se retourner vers les auteurs des faits aux fins de récupération des sommes ainsi avancées ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tenant à la qualité de victime par ricochet du demandeur, à l'existence de paiements antérieurement intervenus à son profit de la part du condamné et à l'existence d'un recours subrogatoire ouvert au FGTI, alors que seule la faute de la victime directe doit être prise en considération par le juge de l'indemnisation pour déterminer si la réparation doit être refusée ou si son montant doit seulement être réduit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions

Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR alloué à Mme H... G... I... ès qualités la somme de 24 000 euros au titre du préjudice matériel et celle de 13 000 euros au titre du préjudice moral, soit la somme totale de 37 000 euros ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE si dans un arrêt du 18 juin 1997, la Cour de cassation a retenu que la faute de la victime pouvait lui être opposée par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions en application des dispositions du dernier alinéa de l'article du CPP, elle a également confirmé le principe de l'indemnisation des préjudices propres des ayants-droits ; qu'il appartient donc à la juridiction de jugement d'apprécier in concreto les éléments du dossier pour déterminer si la faute de la victime est de nature soit à exclure toute forme d'indemnisation, soit à en minorer le montant ; que cette appréciation doit tenir compte, de surcroît, de la qualité du demandeur ; qu'en l'espèce, si les éléments du dossier établissent que M. J... s'adonnait à un trafic de stupéfiants, ses assassins étant en dette vis à vis de lui, il est également établi que leur passage à l'acte, constitutif d'assassinat par préméditation et guet-apens, a été manifestement disproportionné par rapport à ce qu'il pouvaient reprocher à leur fournisseur ; que dès lors, si la faute initiale de la victime doit être prise en compte, il doit être considéré qu'elle n'a pas été véritablement déterminante de ce passage à l'acte criminel ; qu'en outre, et comme justement retenu par le premier juge, il s'agit là de permettre une indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par l'enfant mineur de la victime, enfant âgée de deux ans au moment des faits et donc parfaitement innocente et ce alors que les deux condamnés n'ont, à ce jour, effectué aucun paiement ni même laissé entrevoir cette possibilité ; qu'à cet égard, la Cour rappelle que si le Fonds de Garantie intervient au bénéfice des victimes, il lui appartient bien évidemment de se retourner vers les auteurs des faits aux fins de récupération des sommes ainsi avancées ; qu'au regard de ces éléments de droit et de fait, la Cour retiendra le principe d'une indemnisation partielle et allouera à Mme H... G... I..., es-qualité d'administratrice légale de sa fille mineure T... J... G... enfant née le [...] à Vigo, Espagne, la somme de 24 000 euros au titre du préjudice matériel, celle de 13 000 euros au titre du préjudice moral, soit la somme totale de 37 000 euros ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'il est justifié par un acte d'état- civil du fait que la mineure est bien la fille de la personne victime de l'homicide ; que la réalité du meurtre est établie par les décisions pénales des Cours d'assises en première instance et en appel ; que la réalité du trafic de stupéfiants auquel s'adonnait M. J... est bien établie par l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan du 21 octobre 2014 ; que dans un arrêt du 18 juin 1997, la Cour de Cassation (deuxième chambre) a décidé que la faute de la victime pouvait lui être opposée par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions, en application des dispositions de l'article 706-3, dernier alinéa, du code de procédure pénale, en pareil cas ; que cependant, en l'espèce, ce n'est pas la victime du meurtre qui demande une indemnité, mais sa fille, âgée de deux ans seulement à l'époque du meurtre, qui réclame non pas en sa qualité d'héritière les indemnités auxquelles son père aurait pu prétendre, mais l'indemnisation de son préjudice propre, à savoir le préjudice économique résultant de la disparition de son père et le préjudice moral consécutif au décès de son père survenu alors qu'elle était en très bas âge ; que si la victime directe du meurtre a commis une faute en participant à un trafic de stupéfiants, il n'en va pas de même de la mineure, totalement étrangère à ce trafic ; que l'indemnisation du préjudice propre des ayants droits par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions est admise en jurisprudence (Cour de Cassation, deuxième chambre, 5 novembre 1998) ; que la Commission estime devoir allouer à la requérante l'intégralité des indemnités réclamées, à l'exception de la somme de 2 500 € pour indemnité de procédure devant la juridiction pénale, ce chef de préjudice ne pouvant être indemnisé par la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions selon la jurisprudence (Cour de Cassation, deuxième chambre, 1er juillet 1992) ;

1°) ALORS QUE la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage ; qu'en jugeant que la faute imputée à M. J... n'aurait pas été « véritablement déterminante » dans la survenance du meurtre dont il a fait l'objet (arrêt, p. 4, § 5), quand il ressortait de ses propres constatations que M. J..., qui s'adonnait à un trafic de résine de cannabis, avait été tué à l'occasion d'une transaction illicite par deux « clients » ayant contracté une dette à son égard, ce dont il résultait que son décès était en relation exclusive, directe et certaine avec ses activités délictuelles, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

2°) ALORS QUE la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage ; qu'en jugeant qu'il n'y avait pas lieu d'exclure intégralement le droit à indemnisation de M. J... dès lors que la réaction de MM. X... et Y... aurait été « disproportionnée » (arrêt, p. 4, § 5), quand seule la gravité de la faute de la victime doit être prise en compte par le juge de l'indemnisation pour déterminer s'il convient de réduire ou d'exclure totalement son droit à réparation, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; qu'en jugeant, pour estimer « disproportionnée » la réaction des « assassins » de M. J..., que leur « passage à l'acte » serait « constitutif d'assassinat par préméditation et guet-apens » (arrêt, p. 4, § 5), quand MM. Y... et X... avaient été condamnés pour l'infraction, pénalement moins grave, de meurtre, le premier par un arrêt rendu le 30 septembre 2015 par la cour d'assises des Landes, le second par un arrêt rendu le 6 octobre 2016 par la cour d'assises d'appel des Pyrénées-Atlantiques, la cour d'appel a violé le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil ;

4°) ALORS QUE la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage ; que la faute de la victime directe est opposable aux victimes par ricochet ; qu'en jugeant que l'appréciation de l'incidence de la faute de M. J... devrait « tenir compte [
] de la qualité du demandeur » à l'action (arrêt, p. 4, § 4) et qu'en l'espèce, il s'agirait « de permettre une indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par l'enfant mineur de la victime, enfant âgée de deux ans au moment des faits et donc parfaitement innocente » (arrêt, p. 4, § 6), la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE l'article 706-3 du code de procédure pénale institue en faveur des victimes d'infractions un mode de réparation autonome répondant à des règles propres ; qu'en jugeant que le droit à indemnisation partielle de Mlle T... J... serait établi, aux motifs inopérants que celle-ci n'avait pas été indemnisée par les deux auteurs de l'infraction et qu'en toute hypothèse, le FGTI dispose à leur encontre d'un recours subrogatoire, quand le FGTI, qui n'est pas le garant des sommes dues par le ou les responsables du dommage, n'a vocation à intervenir que dans les conditions prévues par la loi, non remplies en l'espèce, compte tenu de la faute de la victime directe, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 18-21360
Date de la décision : 12/12/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Indemnité - Refus ou réduction - Faute de la victime - Faute de la victime directe - Autres éléments à prendre en considération (non)

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Indemnité - Refus ou réduction - Faute de la victime - Lien de causalité avec le dommage - Caractérisation - Nécessité

Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, la réparation du dommage causé par les faits présentant le caractère matériel d'une infraction peut être refusée ou son montant réduit en raison de la faute de la victime en relation de causalité directe et certaine avec le dommage. Seule cette faute de la victime directe doit être prise en considération par le juge de l'indemnisation pour déterminer si la réparation doit être refusée ou si son montant doit seulement être réduit. Encourt dès lors la censure l'arrêt qui, pour retenir le principe d'une indemnisation partielle de la fille de la victime d'un homicide volontaire, se fonde sur des motifs inopérants tenant à la qualité de victime par ricochet de celle-ci, à l'existence de paiements antérieurement intervenus à son profit de la part du condamné et à l'existence d'un recours subrogatoire ouvert au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions


Références :

article 706-3 du code de procédure pénale

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 31 mai 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 12 déc. 2019, pourvoi n°18-21360, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.21360
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