LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 25 septembre 2017), rendu après cassation (Soc., 21 mai 2014, n° 13-16.341), que Mme V..., engagée par la société Complexe commercial de La Roche-Posay (la société) le 1er octobre 1992 en qualité de secrétaire, physionomiste, caissière grands jeux, était en dernier lieu membre du comité de direction des machines à sous ; qu'en arrêt de travail pour maladie à compter du 22 décembre 2003, elle a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise le 5 décembre 2006 et licenciée à ce titre le 5 janvier 2007 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 14 juin 2010 du conseil de prud'hommes de Poitiers qui a dit que les motifs d'annulation de son licenciement ne sont pas avérés et que son licenciement est donc bien fondé et l'a déboutée de toutes ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique, dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner, pour ce salarié, une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, peu important que lesdites méthodes ne produisent pas les mêmes effets sur les autres salariés ; qu'en l'espèce, les juges d'appel ont constaté que le comportement de M. U..., dont l'approche pouvait être « sèche », qui était empreint de « difficulté à adapter sa manière de communiquer à la personnalité de chacun de ses salariés » et que plusieurs personnes avaient ressenti comme « désagréable », avait entraîné chez Mme V... une « dépression réactionnelle nettement corrélée au comportement de son directeur », mettant à mal la personnalité et l'identité de cette salariée, dont la cour a constaté qu'« il est réel que son vécu de la situation demeure douloureux, même à distance » ; qu'en jugeant que le comportement de M. U... n'aurait pas été spécifiquement lié à la personne de la salariée, ni intrinsèquement harcelant, pour écarter la qualification de harcèlement moral, alors qu'il résultait de ses constatations que la salariée subissait personnellement les agissements dont son supérieur hiérarchique était coutumier, la cour d'appel a violé l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2°/ que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en retenant que M. U... n'aurait pas adopté une attitude délibérément harcelante ciblant Mme V..., cependant que le harcèlement était caractérisé par les motifs par lesquels elle avait constaté que la salariée subissait personnellement les agissements dont son supérieur hiérarchique était coutumier, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, en violation de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
Mais attendu que le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de faits dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit que la salariée n'établissait pas de faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 14 juin 2010 du conseil de prud'hommes de Poitiers qui l'a déboutée de toutes ses demandes alors, selon le moyen :
1° / que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que si les premiers juges avaient retenu que Mme V... n'avait apporté aucun justificatif du nombre de jours de congés acquis au 22 décembre 2003 qu'elle n'avait pas pu prendre, cette dernière en justifiait dans ses écritures d'appel en faisant notamment valoir que le nombre de jours n'avait pas été contesté par l'employeur et figurait sur sa fiche de paye du mois de novembre 2013 ; qu'en omettant de répondre à ce moyen des conclusions de Mme V..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que devant la cour d'appel, Mme V... faisait valoir que sa demande au titre des congés non pris ne pouvait être jugée prescrite car, faute d'avoir pu prendre ses congés en raison de ses arrêts maladie, elle bénéficiait du droit de les reporter, de sorte que le point de départ du délai de prescription, qui est la date à laquelle la créance est devenue exigible, était la date de son licenciement pour inaptitude ; qu'en omettant de répondre à ce moyen des conclusions de Mme V..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt, en dépit de la formule générale du dispositif qui « confirme le jugement du 14 juin 2010 », ne statue pas sur le chef de demande relatif aux congés non pris, dès lors qu'il ne résulte pas des motifs de la décision que la cour d'appel l'ait examiné ; que l'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, le moyen est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme V... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour Mme V...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 14 juin 2010 du conseil de prud'hommes de Poitiers qui avait dit que les motifs d'annulation du licenciement de Mme V... ne sont pas avérés et que son licenciement est donc bien fondé et l'avait déboutée de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'« aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
qu'en vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, il appartient au salarié d'établir des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
qu'il en résulte que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, la cour doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par la salariée et souverainement apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 précité ; que, dans l'affirmative, il lui revient d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
qu'en l'espèce il est fait renvoi à la lecture des éléments très détaillés de la – déjà ancienne et connue – procédure pénale, de l'enquête à l'ordonnance de non-lieu et à sa confirmation, qui établit que Madame V... a versé dans une dépression réactionnelle nettement corrélée au comportement de son directeur (sans que l'avis du remplaçant du médecin traitant figurant dans le certificat du 22 décembre 2013 – qui n'engage que lui – permette d'affirmer qu'elle proviendrait d'un harcèlement professionnel) ;
que ces mêmes éléments – puisqu'aussi bien il n'y en a pas eu de nouveaux, depuis ces fait désormais anciens – font apparaître de la part de Monsieur U... un comportement non spécifiquement lié à la personne de Madame V..., constituant plutôt une difficulté à adapter sa manière de communiquer à la personnalité de chacun de ses salariés ;
que l'épisode de la « séquestration » illustre bien – au travers des témoignages retenus – que le vécu de Madame V... est resté éminemment subjectif et qu'aucune faute n'a pu être caractérisée à l'encontre de Monsieur U... ;
que deux autres paramètres sont à relever dans cette configuration, à commencer par une approche comportementale de ce dernier parfois sèche, tranchant nettement avec celle, plus paternaliste, de l'ancien directeur auquel Madame gros était attachée ;
qu'enfin le harcèlement – qui serait ici une variante de l'abus d'autorité – ne peut être abordé sans prendre en compte le profil psychologique de celle qui s'en dit victime ; qu'en l'espèce, ainsi que l'expertise psychologique ordonnée dans le cadre de la procédure pénale aura pu l'établir, la personnalité de Madame V... présentait des failles et une identité fragile que la situation de conflit avec son directeur allait mettre à mal (il est réel que son vécu de la situation demeure douloureux, même à distance) ;
qu'il n'est pas établi que ces conflits seraient provenus d'une attitude délibérément harcelante ciblant cette salariée, ni d'une méthode managériale en elle-même harcelante ;
que la cour en vient à considérer que le comportement de Monsieur U..., pour aussi désagréable qu'il ait pu être ressenti par plusieurs personnes entendues dans la procédure pénale, n'en a pas revêtu pour Madame V... la qualification d'un harcèlement moral qui aurait seul pu permettre de faire droit à sa demande d'annulation du licenciement ;
qu'il en résulte que le jugement du 14 juin 2010 doit être confirmé » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur le harcèlement moral ;
que la notion de harcèlement moral doit être restituée dans le contexte réglementaire de l'époque ;
qu'alors l'article L 122-49 du Code du Travail énonçait « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel
» ;
que l'article L 122-52 du Code du Travail complétait « En cas de litige relatif à l'application des articles L 112-46 et L 122-40, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse
de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » ;
qu'en l'espèce, la salariée verse aux débats les seuls procès-verbaux d'audition des personnes entendues au cours de la procédure pénale ;
que la lecture de ces procès-verbaux d'audition, tant de Mademoiselle V... que de Monsieur U..., son Directeur, de Messieurs D... et J..., ses collègues membres du comité de direction, de Mesdemoiselles B... et X..., de Messieurs R... et A..., ses collègues, révèle que :
- le Directeur a apporté réponse, certes de façon sèche, mais en termes de pouvoir légitime d'une direction, à une demande de jours de récupération exprimée par la salariée ;
- le Directeur, lors de l'entretien du 22 décembre 2003, a fait un reproche à la salariée, relatif au non-respect des consignes, ce qui là aussi ressort du pouvoir légitime d'une direction ;
- un comportement général du Directeur qui se traduit par des propos quelque peu heurtés, voire durs, avec tous ses collaborateurs sans distinction, y compris avec les membres du Comité de Direction ;
que dès lors, force est de constater que la salariée ne produit aucun élément de fait précis, individualisé et répété, susceptible de constituer l'existence d'un harcèlement moral envers elle ;
que par ailleurs, la société constate que la salariée n'apporte aucunement la preuve d'agissements, force est alors de constater que le harcèlement moral ne peut être constitué ;
En conséquence, dans ces conditions, le harcèlement moral invoqué n'est pas avéré » ;
1°/ ALORS QUE peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique, dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner, pour ce salarié, une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, peu important que lesdites méthodes ne produisent pas les mêmes effets sur les autres salariés ; qu'en l'espèce, les juges d'appel ont constaté que le comportement de M. U..., dont l'approche pouvait être « sèche », qui était empreint de « difficulté à adapter sa manière de communiquer à la personnalité de chacun de ses salariés » et que plusieurs personnes avaient ressenti comme « désagréable », avait entrainé chez Mme V... une « dépression réactionnelle nettement corrélée au comportement de son directeur », mettant à mal la personnalité et l'identité de cette salariée, dont la cour a constaté qu'« il est réel que son vécu de la situation demeure douloureux, même à distance » ; qu'en jugeant que le comportement de M. U... n'aurait pas été spécifiquement lié à la personne de la salariée, ni intrinsèquement harcelant, pour écarter la qualification de harcèlement moral, alors qu'il résultait de ses constatations que la salariée subissait personnellement les agissements dont son supérieur hiérarchique était coutumier, la cour d'appel a violé l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2° ALORS QUE le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en retenant que M. U... n'aurait pas adopté une attitude délibérément harcelante ciblant Mme V..., cependant que le harcèlement était caractérisé par les motifs par lesquels elle avait constaté que la salariée subissait personnellement les agissements dont son supérieur hiérarchique était coutumier, la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, en violation de l'article L. 1152-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 14 juin 2010 du conseil de prud'hommes de Poitiers qui avait débouté Mme V... de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur les congés non pris, que le demandeur n'apporte aucun élément justificatif du nombre de jours de congés acquis au 22 décembre 2003 déclarés non pris au soutien de sa demande ; que de surcroît, en tout état de cause, au vu de l'article L. 3245-1 du code du travail, cette indemnité de congés payés est prescrite puisque la saisine du 13 août 2009 est postérieure au délai de cinq ans par rapport à la date d'origine de la créance fixée au 22 décembre 2003 ; qu'en conséquence le conseil ne fait pas droit à cette demande » ;
1°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que si les premiers juges avaient retenu que Mme V... n'avait apporté aucun justificatif du nombre de jours de congés acquis au 22 décembre 2003 qu'elle n'avait pas pu prendre, cette dernière en justifiait dans ses écritures d'appel en faisant notamment valoir que le nombre de jours n'avait pas été contesté par l'employeur et figurait sur sa fiche de paye du mois de novembre 2013 ; qu'en omettant de répondre à ce moyen des conclusions de Mme V..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que devant la cour d'appel, Mme V... faisait valoir que sa demande au titre des congés non pris ne pouvait être jugée prescrite car, faute d'avoir pu prendre ses congés en raison de ses arrêts maladie, elle bénéficiait du droit de les reporter, de sorte que le point de départ du délai de prescription, qui est la date à laquelle la créance est devenue exigible, était la date de son licenciement pour inaptitude ; qu'en omettant de répondre à ce moyen des conclusions de Mme V..., la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.